Annales de l’Empire/Édition Garnier/Sigismond

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SIGISMOND,
ROI DE BOHÊME ET DE HONGRIE, MARGRAVE DE BRANDEBOURG,
trente-septième empereur.

1411. La mort de Josse, trois mois après son élection, délivre l’Allemagne d’une guerre civile qu’il n’eût pu soutenir par lui-même, mais qu’on eût faite en son nom.

Sigismond reste empereur de nom et d’effet.

Tous les électeurs confirment son élection le 21 juillet.

Les villes n’avaient alors d’évêques que par le sort des armes : car, dans les brigues pour les élections, Jean XXIII approuvant un évêque, et Corrario un autre, la guerre civile s’ensuivit ; et c’est ce qui arriva à Cologne comme à Liége[1]. L’archevêque Théodoric, de la maison de Mœurs, ne prit possession de son siége qu’après une bataille sanglante où il avait vaincu son compétiteur de la maison de Berg.

Les chevaliers teutoniques reprennent les armes contre la Pologne. Ils étaient si redoutables que Sigismond se ligue secrètement avec la Pologne contre eux. La Pologne avait cédé la Prusse aux chevaliers, et le grand-maître devenait insensiblement un souverain considérable.

1412. Sigismond paraît s’embarrasser peu du grand schisme d’Occident. Il se voyait roi de Hongrie, margrave de Brandebourg, et empereur. Il voulait assurer tout à sa postérité. Les Vénitiens, qui s’agrandissaient, avaient acquis une partie de la Dalmatie dans le temps des croisades ; il les défait dans le Frioul, et joint cette partie à la Hongrie.

D’un autre côté Ladislas ou Lancelot, ce roi de Hongrie chassé par Sigismond, se rend maître de Rome et de tout le pays jusqu’à Florence. Le pape Jean XXIII l’avait appelé d’abord, à l’exemple de ses prédécesseurs, pour le défendre, et il s’était donné un maître dangereux, de crainte d’en trouver un dans Sigismond. C’est cette démarche forcée de Jean XXIII qui lui coûta bientôt le trône pontifical.

1413. Jean transférait les restes du concile de Pise à Rome, pour extirper le schisme et confirmer son élection. Il devait être le plus fort à Rome, L’empereur fait convoquer le concile à Constance[2] pour perdre le pape. On voit peu de papes italiens pris pour dupes. Celui-ci le fut à la fois par Sigismond et par le roi de Naples Ladislas ou Lancelot. Ce prince, maître de Rome, était devenu son ennemi, et l’empereur l’était encore davantage. L’empereur écrit aux deux anti-papes, à Pierre Luna, alors en Aragon, et à Corrario, réfugié à Rimini ; mais ces deux papes fugitifs protestent contre le concile de Constance.

Lancelot meurt. Le pape, délivré d’un de ses maîtres, ne devait pas se mettre entre les mains de l’autre. Il va à Constance, espérant la protection de Frédéric, duc d’Autriche, héritier de la haine de la maison d’Autriche contre la maison de Luxembourg. Ce prince, à son tour protégé par le pape, accepte de lui le titre in partibus de général des troupes de l’Église, et même avec une pension de six mille florins d’or, aussi vaine que le généralat. Le pape s’unit encore avec le marquis de Bade, et quelques autres princes. Il entre enfin en pompe dans Constance, le 28 octobre, accompagné de neuf cardinaux.

Cependant Sigismond est couronné à Aix-la-Chapelle, et tous les électeurs font au festin royal les fonctions de leurs dignités.

1414. Sigismond arrive à Constance le jour de Noël, le duc de Saxe portant l’épée de l’empire nue devant lui, le burgrave de Nuremberg, qu’il avait fait administrateur de Brandebourg, portant le sceptre. Le globe d’or était porté par le comte de Cillei, son beau-père. Ce n’est pas une fonction électorale. Le pape l’attendait dans la cathédrale. L’empereur y fait la fonction de diacre à la messe, il y lit l’Évangile ; mais point de pieds baisés, point d’étrier tenu, point de mule menée par la bride. Le pape lui présente une épée. Il y avait trois trônes dans l’église, un pour l’empereur, un pour le pape, un pour l’impératrice ; l’empereur était au milieu.

1415. Jean XXIII promet de céder le pontificat en cas que les anti-papes en fassent autant, et dans tous les cas où sa déposition sera utile au bien de l’Église. Cette dernière clause le perdait. Ou il était forcé à cette déclaration, ou le métier de pirate ne l’avait pas rendu un pape habile. Sigismond baise les pieds de Jean, dès que Jean eut lu cette formule qui lui ôtait le pontificat.

Sigismond est aisément le maître du concile en l’entourant de soldats[3]. Il y paraissait dans toute sa gloire. On y voyait les

électeurs de Saxe, du Palatinat, de Mayence, l’administrateur de Brandebourg, les ducs de Bavière, d’Autriche, de Silésie, cent vingt-huit comtes, deux cents barons, qui étaient alors quelque chose : vingt-sept ambassadeurs y représentèrent leurs souverains. On y disputait de luxe, de magnificence : qu’on en juge par le nombre de cinquante orfèvres qui vinrent s’établir à Constance. On y compta cinq cents joueurs d’instruments, et, ce que les usages de ce temps-là rendent très-croyable, il y eut sept cent dix-huit courtisanes sous la protection du magistrat de la ville.

Le pape s’enfuit déguisé en postillon sur les terres de Jean d’Autriche, comte du Tyrol. Ce prince est obligé de livrer le pape, et de demander pardon à genoux à l’empereur.

Tandis que le pape est prisonnier dans un château de ce duc d’Autriche, son protecteur, on instruit son procès. On l’accuse de tous les crimes ; on le dépose le 29 mai, et, par la sentence, le concile se réserve le droit de le punir.

Le 6 juillet de la même année 1415, Jean Hus, confesseur de la reine de Bohême, docteur en théologie, est brûlé vif par sentence des pères du concile, malgré le sauf-conduit très-formel[4] que Sigismond lui avait donné. Cet empereur le remet aux mains de l’électeur palatin, qui le conduisit au bûcher, dans lequel il loua Dieu jusqu’à ce que la flamme étouffât sa voix.

Voici les propositions principales pour lesquelles on le condamna à ce supplice horrible : « Qu’il n’y a qu’une Église catholique, qui renferme dans son sein tous les prédestinés ; que les seigneurs temporels doivent obliger les prêtres à observer la loi ; qu’un mauvais pape n’est pas vicaire de Jésus-Christ. »

« Croyez-vous l’universel a parte rei ? lui dit un cardinal. — Je crois l’universel a parte mentis, répondit Jean Hus. — Vous ne croyez donc pas à la présence réelle ! » s’écria le cardinal.

Il est manifeste qu’on voulait que Jean fût brûlé ; et il le fut[5].

1416. Sigismond, après la condamnation du pape et de Jean Hus, occupé de la gloire d’extirper le schisme, obtient à Narbonne, des rois de Castille, d’Aragon, et de Navarre, leur renonciation à l’obédience de Pierre de la Lune, ou Luna.

Il va de là à Chambéry ériger la Savoie en duché, et en donne l’investiture à Amédée VIII.

Il va à Paris, se met à la place du roi dans le parlement, et y fait un chevalier. On dit que c’était trop, et que le parlement fut blâmé de l’avoir souffert. Pourquoi ? si le roi lui avait donné sa place, il devait trouver très-bon qu’il conférât un honneur qui n’est qu’un titre[6].

De Paris il va à Londres. Il trouve en abordant des seigneurs qui avancent vers lui dans l’eau, l’épée à la main, pour lui faire honneur, et pour l’avertir de ne pas agir en maître. C’était un aveu des droits que pouvait donner, dans l’opinion des peuples, ce grand nom de césar.

Il disait qu’il était venu à Londres pour négocier la paix entre l’Angleterre et la France. C’était dans le temps le plus malheureux de la monarchie française, lorsque le roi anglais Henri V voulait avoir la France par conquête et par héritage.

L’empereur, au lieu de faire cette paix, s’unit avec l’Angleterre contre la France malheureuse. Il l’est lui-même davantage en Hongrie. Les Turcs, qui avaient renversé l’empire des califes, et qui menaçaient Constantinople, ayant inondé la terre depuis l’Inde jusqu’à la Grèce, dévastaient la Hongrie et l’Autriche ; mais ce n’était encore que des incursions de brigands. On envoie des troupes contre eux quand ils se retirent.

Tandis que Sigismond voyage, le concile, après avoir brûlé Jean Hus, cherche une autre victime dans Jérôme de Prague. Hiéronyme ou Jérôme de Prague, disciple de Jean Hus, qui lui était très-supérieur en esprit et en éloquence, fut brûlé[7] quelque temps après son maître. Il harangua l’assemblée avec une éloquence d’autant plus touchante qu’elle était intrépide. Condamné comme Socrate par des ennemis fanatiques, il mourut avec la même grandeur d’âme.

Les papes avaient prétendu juger les princes et les dépouiller quand ils l’avaient pu ; le concile, sans pape, crut avoir les mêmes droits. Frédéric d’Autriche avait, vers le Tyrol, pris des villes que l’évêque de Trente réclamait, et il retenait l’évêque prisonnier. Le concile lui ordonne de rendre l’évêque et les villes, sous peine d’être privé, lui et ses enfants, de tous leurs fiefs de l’Église et de l’empire.

Ce Frédéric d’Autriche, souverain du Tyrol, s’enfuit de Constance. Son frère Ernest lui prend le Tyrol, et l’empereur met Frédéric au ban de l’empire. Tout s’accommode sur la fin de l’année. Frédéric reprend son Tyrol, et Ernest, son frère, s’en tient à la Stirie, qui était son apanage. Mais les Suisses, qui s’étaient saisis de quelques villes de ce duc d’Autriche, les gardent et fortifient leur ligue.

1417. L’empereur retourne à Constance ; il y donne avec la plus grande pompe l’investiture de Mayence, de la Saxe, de la Poméranie, de plusieurs principautés : investiture qu’il faut prendre à chaque mutation d’empereur ou de vassal.

Il vend son électoral de Brandebourg à Frédéric de Hohenzollern, burgrave de Nuremberg[8], pour la somme de quatre cent mille florins d’or, que le burgrave avait amassée ; somme très-considérable en ce temps-là. Quelques auteurs disent seulement cent mille, et sont plus croyables.

Sigismond se réserve, par le contrat, la faculté de racheter le Brandebourg pour la même somme, en cas qu’il ait des enfants.

Sentence de déposition prononcée dans le concile, en présence de l’empereur, contre le pape Pierre Luna, déclaré dans la sentence parjure, perturbateur du repos public, hérétique, rejeté de Dieu, et opiniâtre. La qualité d’opiniâtre était la seule qu’il méritât bien.

L’empereur propose au concile de réformer l’Église avant de créer un pape. Plusieurs prélats crient à l’hérétique, et on fait un pape sans réformer l’Église.

Vingt-trois cardinaux et trente-trois prélats du concile, députés des nations, s’assemblent dans un conclave. C’est le seul exemple que d’autres prélats que des cardinaux aient eu droit de suffrage, depuis que le sacré collége s’était réservé à lui seul l’élection des papes ; car Grégoire VII fut élu par l’acclamation du peuple.

On élit le 11 novembre Othon Colonne, qui change ce beau nom contre celui de Martin ; c’est de tous les papes celui dont la consécration a été la plus auguste. Il fut conduit à l’église par l’empereur et l’électeur de Brandebourg, qui tenaient les rênes de son cheval, suivis de cent princes, des ambassadeurs de tous les rois, et d’un concile entier.

1418. Au milieu de ce vaste appareil d’un concile, et parmi tant de soins apparents de rendre la paix à l’Église, et à l’empire sa dignité, quelle fut la principale occupation de Sigismond? celle d’amasser de l’argent.

Non content de vendre son électoral de Brandebourg, il s’était hâté, pendant la tenue du concile, de vendre à son profit quelques villes qu’il avait confisquées à Frédéric d’Autriche. L’accommodement fait, il fallait les restituer. Cet embarras, et la disette continuelle d’argent où il était, mêlaient de l’avilissement à sa gloire.

Le nouveau pape Martin V déclare Sigismond roi des Romains, en suppléant aux défauts de formalité qui se trouvèrent dans son élection à Francfort.

Le pape, ayant promis de travailler à la réformation de l’Église, publie quelques constitutions touchant les revenus de la chambre apostolique et les habits des clercs.

Il accorde à l’empereur le dixième de tous les biens ecclésiastiques d’Allemagne pendant un an, pour l’indemniser des frais du concile ; et l’Allemagne en murmura.

Troubles apaisés cette année dans la Hollande, le Brabant, et le Hainaut. Tout ce qui en résulte d’important pour l’histoire, c’est que Sigismond reconnaît que la province de Hainaut ne relève pas de l’empire. Un autre empereur pouvait ensuite admettre le contraire. Le Hainaut avait autrefois, comme on a vu[9], relevé quelque temps d’un évêque de Liége.

Comme le droit féodal n’est point un droit naturel, que ce n’est point la possession d’une terre qu’on cultive, mais une prétention sur des terres cultivées par autrui, il a toujours été le sujet de mille disputes indécises.

1419. De plus grands troubles s’élevaient en Bohême. Les cendres de Jean Hus et de Jérôme de Prague excitaient un incendie.

Les partisans de ces deux infortunés voulurent soutenir leur doctrine et venger leur mort. Le célèbre Jean Ziska se met à la tête des hussites, et tâche de profiter de la faiblesse de Venceslas, du fanatisme des Bohémiens, et de la haine qu’on commence à porter au clergé, pour se faire un parti puissant et s’établir une domination.

Venceslas meurt en Bohême presque ignoré, Sigismond a donc à la fois l’empire, la Hongrie, la Bohême, la suzeraineté de la Silésie ; et, s’il n’avait pas vendu son électoral de Brandebourg, il pouvait fonder la plus puissante maison d’Allemagne.

1420. C’est contre ce puissant empereur que Jean Ziska se soutient, et lui fait la guerre dans ses États patrimoniaux. Les moines étaient le plus souvent les victimes de cette guerre ; ils payaient de leur sang la cruauté des pères de Constance.

Jean Ziska fait soulever toute la Bohême. Pendant ce temps, il y a de grands troubles en Danemark au sujet du duché de Slesvick. Le roi Éric s’empare de ce duché ; mais la guerre des hussites est bien plus importante, et regarde de plus près l’empire.

Sigismond assiége Prague ; Jean Ziska le met en déroute, et lui fait lever le siége ; un prêtre marchait avec lui à la tête des hussites, un calice à la main, pour marquer qu’ils voulaient communier sous les deux espèces.

Un mois après, Jean Ziska bat encore l’empereur. Cette guerre dura seize années. Si l’empereur n’avait pas violé son sauf-conduit, tant de malheurs ne seraient pas arrivés.

1421. Il y avait longtemps qu’on ne faisait plus de croisades que contre les chrétiens. Martin V en fait prêcher une en Allemagne contre les hussites, au lieu de leur accorder la communion avec du vin.

Un évêque de Trêves marche à la tête d’une armée de croisés contre Jean Ziska, qui, n’ayant pas avec lui plus de douze cents hommes, taille les croisés en pièces.

L’empereur marche encore vers Prague, et est encore battu.

1422. Coribut, prince de Lithuanie, vient se joindre à Ziska, dans l’espérance d’être roi de Bohême. Ziska, qui méritait de l’être, menace d’abandonner Prague.

Le mot Ziska signifiait borgne en langue esclavonne, et on appelait ainsi ce guerrier comme Horatius avait été nommé Cocles. Il méritait alors celui d’aveugle, ayant perdu les deux yeux, et ce Jean l’Aveugle était bien un autre homme que l’autre Jean l’Aveugle[10], père de Sigismond. Il croyait, malgré la perte de ses yeux, pouvoir régner, puisqu’il pouvait combattre et être chef de parti.

1423. L’empereur, chassé de la Bohême par les vengeurs de Jean Hus, a recours à sa ressource ordinaire, celle de vendre des provinces. Il vend la Moravie à Albert, duc d’Autriche : c’était vendre ce que les hussites possédaient alors.

Procope, surnommé le Rasé, parce qu’il était prêtre, grand capitaine, devenu l’œil et le bras de Jean Ziska, défend la Moravie contre les Autrichiens.

1424. Non-seulement Ziska l’Aveugle se soutient malgré l’empereur, mais encore malgré Coribut, son défenseur, devenu son rival. Il défait Coribut après avoir vaincu l’empereur.

Sigismond pouvait au moins profiter de cette guerre civile entre ses ennemis ; mais dans ce temps-là même il est occupé à des noces. Il assiste avec pompe dans Presbourg au mariage d’un roi de Pologne, tandis que Ziska chasse son rival Coribut, et entre dans Prague en triomphe.

Ziska meurt d’une maladie contagieuse au milieu de son armée. Rien n’est plus connu que la disposition qu’on prétend qu’il fit de son corps en mourant. « Je veux qu’on me laisse en plein champ, dit-il ; j’aime mieux être mangé des oiseaux que des vers ; qu’on fasse un tambour de ma peau : on fera fuir nos ennemis au son de ce tambour[11]. »

Son parti ne meurt pas. Ce n’était pas Ziska, mais le fanatisme qui l’avait formé. Procope le Rasé succède à son gouvernement et à sa réputation.

1425-1426. La Bohême est divisée en plusieurs factions, mais toutes réunies contre l’empereur, qui ne peut se ressaisir des ruines de sa patrie. Coribut revient, et est déclaré roi. Procope fait la guerre à cet usurpateur et à Sigismond. Enfin l’empire fournit une armée de près de cent mille hommes à l’empereur, et cette armée est entièrement défaite. On dit que les soldats de Procope, qu’on appelait les Taborites, se servirent, dans cette grande bataille, de haches à deux tranchants, et que cette nouveauté leur donna la victoire.

1427. Pendant que l’empereur Sigismond est chassé de la Bohême, et que les étincelles sorties des cendres de Jean Hus embrasent ce pays, la Moravie et l’Autriche, les guerres entre le roi de Danemark et le Holstein continuent. Lubeck, Hambourg, Vismar, Stralsund, sont déclarées contre lui. Quelle était donc l’autorité de l’empereur Sigismond ? il prenait le parti du Danemark ; il écrivait à ces villes pour leur faire mettre bas les armes, et elles ne l’écoutaient pas.

Il semble avoir perdu son crédit comme empereur, ainsi qu’en qualité de roi de Bohême.

Il fait marcher encore une armée dans son pays, et cette armée est encore battue par Procope. Coribut, qui se disait roi de Bohême, est mis dans un couvent par son propre parti, et l’empereur n’a plus de parti en Bohême.

1426. On voit que Sigismond était très-mal secouru de l’empire, et qu’il ne pouvait armer les Hongrois. Il était chargé de titres et de malheurs. Il ouvre enfin dans Presbourg des conférences pour la paix avec ses sujets. Le parti nommé des orphelins, qui était le plus puissant à Prague, ne veut aucun accommodement, et répond qu’un peuple libre n’a pas besoin de roi.

1429-1430. Procope le Rasé, à la tête de son régiment de frères (semblable à celui que Cromwell forma depuis), suivi de ses orphelins, de ses taborites, de ses prêtres, qui portaient un calice, et qui conduisaient les calistins, continue à battre partout les Impériaux, La Misnie, la Lusace, la Silésie, la Moravie, l’Autriche, le Brandebourg, sont ravagés. Une grande révolution était à craindre. Procope se sert de retranchements de bagages avec succès contre la cavalerie allemande. Ces retranchements s’appellent des tabors. Il marche avec ces tabors ; il pénètre aux confins de la Franconie.

Les princes de l’empire ne peuvent s’opposer à ces irruptions ; ils étaient en guerre les uns contre les autres. Que faisait donc l’empereur ? il n’avait su que tenir un concile et laisser brûler deux prêtres.

Amurat II dévaste la Hongrie pendant ces troubles. L’empereur veut intéresser pour lui le duc de Lithuanie, et le créer roi ; il ne peut en venir à bout ; les Polonais l’en empêchent.

1421. Il demande encore la paix aux hussites ; il ne peut l’obtenir, et ses troupes sont encore battues deux fois. L’électeur de Brandebourg et le cardinal Julien, légat du pape, sont défaits la seconde fois, à Risemberg, d’une manière si complète que Procope parut être le maître de l’empire intimidé.

Enfin les Hongrois, qu’Amurat II laisse respirer, marchent contre le vainqueur, et sauvent l’Allemagne qu’ils avaient autrefois dévastée.

Les hussites, repoussés dans un endroit, sont formidables dans tous les autres. Le cardinal Julien, ne pouvant faire la guerre, veut un concile, et propose d’y admettre des prêtres hussites.

Le concile s’ouvre à Bâle le 23 mai[12].

1432. Les pères donnent aux hussites des sauf-conduits pour deux cents personnes.

Ce concile de Bâle, tenu sous Eugène IV, n’était qu’une prolongation de plusieurs autres indiqués par le pape Martin V, tantôt à Pavie, tantôt à Sienne. Les pères commencèrent par déclarer que le pape n’a ni le droit de dissoudre leur assemblée, ni même celui de la transférer, et qu’il leur doit être soumis sous peine de punition. Les conciles se regardaient comme les états généraux de l’Europe, juges des papes et des rois. On avait détrôné Jean XXIII à Constance ; on voulait, à Bâle, faire rendre compte à Eugène IV.

Eugène, qui se croyait au-dessus du concile, le dissout, mais en vain. Il s’y voit citer pour y comparaître plutôt que pour y présider ; et Sigismond prend ce temps pour s’aller faire inutilement couronner en Lombardie, et ensuite à Rome.

Il trouve l’Italie puissante et divisée. Philippe Visconti régnait sur le Milanais et sur Gênes, malheureuse rivale de Venise, qui avait perdu sa liberté, et qui ne cherchait plus que des maîtres. Le duc de Milan et les Vénitiens se disputaient Vérone et quelques frontières. Les Florentins prenaient le parti de Venise, Lucques, Sienne, étaient pour le duc de Milan. Sigismond est trop heureux d’être protégé par ce duc pour aller recevoir à Rome la vaine couronne d’empereur. Il prend ensuite le parti du concile contre le pape, comme il avait fait à Constance. Les pères déclarent sa sainteté contumace, et lui donnent soixante jours pour se reconnaître, après quoi on le déposera.

Les pères de Bâle voulaient imiter ceux de Constance. Mais les exemples trompent. Eugène était puissant à Rome, et les temps n’étaient pas les mêmes.

1433. Les députés de Bohême sont admis au concile. Jean Hus et Jérôme avaient été brûlés à Constance. Leurs sectateurs sont respectés à Bâle : ils y obtiennent que leurs voix seront comptées. Les prêtres hussites qui s’y rendent n’y marchent qu’à la suite de ce Procope le Rasé, qui vient avec trois cents gentilshommes armés ; et les pères disaient : « Voilà le vainqueur de l’Église et de l’empire. » Le concile leur accorde la permission de boire en communiant, et on dispute sur le reste. L’empereur arrive à Bâle ; il y voit tranquillement son vainqueur, et s’occupe du procès qu’on fait au pape.

Tandis qu’on argumente à Bâle, les hussites de Bohême, joints aux Polonais, attaquent les chevaliers teutons ; et chaque parti croit faire une guerre sainte. Tous les ravages recommencent ; les hussites se font la guerre entre eux.

Procope quitte le concile, qu’il intimidait, pour aller se battre en Bohême contre la faction opposée. Il est tué dans un combat près de Prague.

La faction victorieuse fait ce que l’empereur n’aurait osé faire : elle condamne au feu un grand nombre de prisonniers. Ces hérétiques, armés si longtemps pour venger la cendre de leur apôtre, se livrent aux flammes les uns les autres.

1434. Si les princes de l’empire laissaient leur chef dans l’impuissance de se venger, ils ne négligeaient pas toujours le bien public. Louis de Bavière, duc d’Ingolstadt, ayant tyrannisé ses vassaux, abhorré de ses voisins, et n’étant pas assez puissant pour se défendre, est mis au ban de l’empire ; et il obtient sa grâce en donnant de l’argent à Sigismond.

L’empereur était alors si pauvre qu’il accordait les plus grandes choses pour les plus petites sommes.

Le dernier de la branche électorale de Saxe, de l’ancienne maison d’Ascanie, meurt sans enfants. Plusieurs parents demandent la Saxe : et il n’en coûte que cent mille florins au marquis de Misnie, Frédéric le Belliqueux, pour l’obtenir. C’est de ce marquis de Misnie, landgrave de Thuringe, que descend la maison de Saxe, si étendue de nos jours.

1435. L’empereur, retiré en Hongrie, négocie avec ses sujets de Bohême. Les états lui fixent des conditions auxquelles il pourra être reconnu, et, entre autres, ils demandent qu’il n’altère plus la monnaie. Cette clause fait sa honte, mais honte commune avec trop de princes de ces temps-là. Les peuples ne se sont soumis à des souverains ni pour être tyrannisés, ni pour être volés.

Enfin, l’empereur ayant accepté les conditions, les Bohémiens se soumettent à lui et à l’Église. Voilà un vrai contrat passé entre le roi et son peuple.

1436-1437. Sigismond rentre dans Prague, et y reçoit un nouvel hommage, comme tenant nouvellement la couronne du choix de la nation. Après avoir apaisé le reste des troubles, il fait reconnaître en Bohême le duc Albert d’Autriche, son gendre, pour héritier du royaume. C’est le dernier événement de sa vie, qui finit en décembre 1437.


  1. Voyez année 1408.
  2. Voyez tome XI, page 548.
  3. Voyez tome XI, page 550.
  4. Voyez tome XII, page 3.
  5. Voyez tome XII, pages 4-5.
  6. Voyez ci-après, année 1538.
  7. Condamné le 30 mai 1416, Jérôme de Prague fut brûlé dans les premiers jours du mois suivant ; et ce fut encore Louis le Pieux qui présida à cette exécution. (Cl.)
  8. Ce burgrave est la souche de toute la maison actuelle de Brandebourg. (G. A.)
  9. Année 1252.
  10. Jean l’Aveugle était l’aïeul de Sigismond ; voyez la note, année 1348.
  11. Voyez, dans la Correspondance, les lettres des 16 novembre et 4 décembre 1744.
  12. Le 23 juillet, selon l’Art de vérifier les dates. La première session commença le 14 décembre suivant, et il ne finit qu’en mai 1443. Celui de Lausanne, en 1449, en fut la continuation.