Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 01/Géométrie analitique, article 8

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Par M. Tédenat, correspondant de la première classe de
l’Institut, recteur de l’académie de Nismes.
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Énoncé. Deux canaux rectilignes se coupent, sous une inclinaison déterminée, et une ville se trouve située, d’une manière connue, dans l’un des quatre angles formés par leur intersection.

On veut établir deux ponts sur ces canaux, et construire une route de communication de ces deux ponts à la ville pour l'usage de laquelle ils sont destinés.

Il s’agit de déterminer en quels lieux il faut établir ces deux ponts, et de quelle manière on doit diriger les branches de la route, pour que la longueur totale de celle-ci soit la moindre possible.

Considérations préliminaires. L’énoncé du problème ne statuant en aucune manière sur la disposition des diverses parties de la route à construire ; il faut, pour le résoudre complètement, ne s’assujétir à aucune condition qui ne soit rigoureusement nécessaire pour parvenir au minimum auquel on veut atteindre.

Or, comme il n’y a que trois points à unir, il ne peut y avoir au plus que trois branches de route, lesquelles doivent être rectilignes, et dont celles qui se terminent aux ponts doivent être respectivement perpendiculaires aux directions des canaux ; et, puisque ces branches de route doivent lier entre eux les points où elles aboutissent d’une part, il faut que de l’autre elles concourent en un même point.

À la vérité, il pourrait bien se faire, du moins dans certain cas, qu’il fallût moins de trois branches de route, pour obtenir un minimum de longueur totale ; mais c’est ce que le calcul doit indiquer, de soi-même, en donnant zéro pour la longueur de chacune des branches de route qui ne devront pas exister.

On voit, par ce qui précède, que tout se réduit à déterminer le point de concours des trois branches de route ; les ponts devant se trouver aux extrémités des perpendiculaires abaissées de ce point sur les directions des deux canaux. Occupons-nous donc du problème suivant :

PROBLÈME. Un point étant donné déposition entre les côtés d’un angle connu ; déterminer, dans cet angle, un nouveau point dont la somme des distances à ses deux côtés et au point donné soit un minimum.

Soient (fig. 3) l’angle donné, et le point donné ; il s’agit de déterminer dans cet angle un point tellement situé qu’en abaissant de ce point sur et les perpendiculaires et , et enjoignant le même point au point donné, par la droite , on ait minimum.

Solution. Soient pris le sommet de l’angle donné pour origine clef coordonnées rectangulaires, et le côté pour axe des , désignons par l’angle , par et les coordonnées du point , et par et celles du point  ; nous aurons alors

désignant donc par la somme des trois distances , , , nous aurons

Les variables et de cette équation étant absolument indépendantes, il faudra, pour obtenir les conditions du minimum, égaler séparément à zéro et , ce qui donnera

et telles sont les équations qui devraient donner le valeurs particulières des coordonnées et du point qui répondent au minimum.

Mais il est facile de voir qu’en général ces deux équations ne peuvent subsister à la fois, attendu qu’on en peut déduire, entre les seules données du problème, une équation de relation qui peut fort bien ne pas se vérifier. Si, en effet, on prend la somme de leurs quarrés, on obtiendra, toutes réductions faites,

Ainsi, si l’angle donné n’est pas de , il n’y aura, à proprement parler, ni maximum ni minimum ; c’est-à-dire, qu’en variant la position du point , la longueur croîtra ou décroîtra continuellement et pourra acquérir toutes les valeurs possibles depuis l’infini positif jusqu’à l’infini négatif[1].

Si, au contraire, l’angle donné est de , les deux équations étant alors équivalentes, on n’a, entre les coordonnées et du point , qu’une simple relation exprimée soit par l’une ou par l’autre de ces deux équations, soit par une équation résultant de leur combinaison ; il y a donc, dans ce cas, une infinité de points qui résolvent le problème.

Cherchons le lieu géométrique de tous ces points ; soient, pour cela, divisées l’une par l’autre les équations  ; on aura ainsi

c’est-à-dire,

telle est donc l’équation du lieu géométrique de tous les points qui résolvent alors le problème ; et l’on voit que ce lieu n’est autre chose qu’une parallèle, menée par le point donné, à la droite qui divise l’angle donné en deux parties égales.

Ainsi l’angle donné (fig. 4) étant de et la droite le divisant en deux parties égales ; si, par le point donné , on mène à une parallèle indéfinie  ; en quelque lieu qu’on établisse le point sur cette parallèle, la somme des trois distances sera toujours la même et moindre que si le point était hors de cette direction.

Il faut pourtant observer que comme, hors des limites et , le minimum n’a plus lieu que eu égard au changement du signe de quelqu’une des trois distances il est nécessaire que le point ne sorte pas de ces limites, si l’on veut, comme l’exige la question, que ce soit la somme de leurs valeurs absolues qui soit un minimum.

Si, analitiquement parlant, il ne peut y avoir de minimum, lorsque l’angle donné est différent de  ; c’est uniquement parce que l’analise suppose que le point cherché peut être quelconque sur le plan de l’angle donné, et qu’elle est obligée de faire entrer en considération les changemens qu’entraînent, dans les lignes des distances, leurs changemens de situation ; c’est parce qu’elle ne peut exprimer, ni que le point cherché ne doit point sortir de l’angle donné, ni que la somme des trois distances doit être prise indépendamment du signe qui peut affecter chacune d’elles. On conçoit en effet que, eu égard à ces limitations ; cette somme ne peut plus décroitre indéfiniment ; et comme, d’un autre côté, elle ne saurait être constante pour toutes les situations que peut prendre le point cherché sans sortir des limites qui lui sont assignées, elle doit alors être susceptible d’un minimum. Essayons de déterminer à quelle situation du point cherché il peut répondre.

Pour cela supposons d’abord que le point (fig. 3), au lieu d’être absolument indéterminé, soit assujéti, dans ses variations, à être constamment à une même distance connue du point donné, ou, ce qui revient au même, à être toujours sur la circonférence d’un cercle ayant le point pour centre et, pour rayon ; la valeur générale de deviendra alors

et l’on aura en outre

les conditions du minimum seront donc

équations entre lesquelles éliminant on se trouvera avoir, pour déterminer le point , les deux équations

Ainsi, le point se trouvera à l’intersection du cercle décrit du point comme centre, avec, pour rayon, et de la parallèle menée, par son centre, à la droite qui divise l’angle donné en deux parties égales ; le problème aura donc analitiquement deux solutions ; mais la situation du point la plus voisine du sommet de l’angle donné sera la seule admissible, dans l’hypothèse que nous considérons ici.

Cherchons, dans cette hypothèse, ce que devient l’expression de . Les deux équations qui doivent déterminer le point donnent, pour ce point

d’un autre côté, la valeur de peut être écrite ainsi :

aura donc, en substituant et réduisant,

Si actuellement nous supposons qu’on rende à son indétermination primitive, nous remarquerons que, la première partie de la valeur de étant constante, cette somme décroitra dans le même sens que ou en sens inverse, suivant que sera positif ou négatif, c’est-à-dire, suivant qu’on aura

ou

Ainsi, suivant que l’angle donné sera plus petit ou plus grand que il y aura de l’avantage à approcher ou à éloigner le point cherché du point donné ; d’où on peut déjà conclure que, lorsque l’angle donné est moindre que il faut que le point cherché se confonde avec le point donné, ce qui réduit la branche de route à zéro, comme on le voit (fig. 5).

Mais il faudrait bien se garder de conclure de ce qui précède que, lorsque l’angle donné est plus grand que il faut que le point se confonde avec le point (fig. 6) où est coupée par la parallèle menée du point à la droite qui divise l’angle donné en deux parties égales. Tout ceci, en effet, est subordonné à la supposition que le point cherché doit être établi sur  ; et, s’il est vrai qu’il serait plus avantageux de le mettre en qu’en tout autre point entre et , s’il est vrai aussi qu’il convienne mieux de le placer sur (que hors de sa direction à une pareille distance de  ; on conçoit qu’il pourrait bien y avoir, entre et , une situation du point cherché où le désavantage résultant de sa déviation de la direction se trouverait plus que compensé par une plus grande distance du point . Pour lever cette difficulté, proposons-nous le problème suivant :

PROBLÈME. Un point étant donné entre les côtés d’un angle connu ; déterminer, sur l’un des côtés de cet angle, un nouveau point dont la somme des distances à l’autre côté et au point donné soit un minimum ?

Soit (fig. 7) un angle donné, et un point donné entre les côtés de cet angle, il s’agit de trouver, sur le côté , un point tel qu’en le joignait au point par la droite et au côté par la perpendiculaire , on ait minimum.

Solution. En adoptant les mêmes conventions et dénominations que ci-dessus, et faisant la valeur de particulière à la question présente se déduira de sa valeur générale en y faisant on aura donc

égalant ensuite à zéro, il viendra

d’où

équation qui, combinée avec l’équation qui convient au point , peut prendre cette forme

le point n’est donc autre chose que l’intersection de avec une perpendiculaire abaissée sur d’un point dont les coordonnées sont et .

On construira donc comme il suit ; on abaissera du point sur la perpendiculaire que l’on prolongera au-delà du point d’une quantité abaissant alors du point sur la perpendiculaire coupant en , on aura minimum, comme il est facile de s’en assurer par des considérations géométriques ; de manière que le point sera le point cherché.

Toutes les fois donc (fig. 6) qu’on aura (et cela arrivera toujours lorsqu’on aura ), le point cherché devra être situé entre et , et construit comme il vient d’être expliqué (fig. 7), en sorte que sera zéro. Il y a cependant des exceptions que nous allons expliquer.

Soient toujours (fig. 8) l’angle donné, et le point donné, et soit mené  ; si l’on a , la construction expliquée (fig. 7) fera tomber le point cherché en  ; de manière que les deux distances et s’évanouiront.

Si l’on a (fig. 8) la construction expliquée (fig. 7) fera tomber le point cherché sur le prolongement de au-delà de  ; mais, comme alors la distance deviendra négative, cette solution ne pourra être admise ; il faudra donc, comme dans le cas précédent, laisser le point cherché en .

Si cependant, dans ce cas, l’angle est obtus (fig. 9), le point devra être établi à l’intersection de avec la perpendiculaire abaissée du point sur le prolongement de au-delà de . Alors, seulement sera nul, et tombera hors de l’angle

Résumons présentement les différens cas que nous venons d’analiser.

1.o Si l’angle , formé par les deux canaux, est moindre que (fig. 5), les deux ponts devront être les pieds et des perpendiculaires et abaissées de la ville sur leurs directions ; ces perpendiculaires elles-mêmes seront les directions des routes qui devront unir la ville aux deux ponts, et dont la longueur totale sera

2.o Si l’angle , formé par les directions des deux canaux, est de (fig. 4) ; en faisant passer par la ville une parallèle à la droite qui divise cet angle en deux parties égales, et prenant arbitrairement sur cette droite un point entre et , les ponts pourront être établis aux pieds et des perpendiculaires abaissées du point sur les directions des canaux, et ces perpendiculaires avec la droite seront les directions des branches de route qui joindront la ville aux deux ponts. La longueur totale de la route à construire aura encore ici pour expression, comme dans le premier cas,

et, comme on pourra établir le point en ou en , on pourra rendre nulle l’une des deux branches de route et .

3.o L’angle , formé par les directions des canaux, étant plus grand que  ; si la situation de la ville est telle (fig. 8) que l’on ait [2] ; il faudra (fig. 7) abaisser du point sur la perpendiculaire que l’on prolongera d’une quantité abaissant alors du point sur la perpendiculaire , coupant en , les ponts devront être établis en et , et on communiquera de la ville à l’un et à l’autre, par les routes et , dont la longueur totale sera

de manière que sera nulle.

4.o L’angle étant toujours plus grand que si la ville est tellement située (fig. 10) que l’angle soit droit, il ne faudra qu’un pont unique, lequel devra être établi à l’intersection des deux canaux, ou, si cela est impraticable, les deux ponts devront être établis le plus proche de qu’il se pourra. et seront alors nuls, et la longueur de la route unique sera

5.o Enfin, si la ville est tellement située (fig. 9) que l’angle soit obtus, en abaissant du point sur le prolongement de la perpendiculaire , coupant en  ; les points et seront ceux où il faudra établir les deux ponts ; sera alors nulle, et et ne formeront qu’une droite unique dont la longueur totale sera

Au surplus si, dans ce cas, on ne trouvait pas convenable d’établir un pont sur le prolongement du canal au-delà de , on se formerait alors à la solution du cas précédent[3].

  1. Il n’en serait pas ainsi, si l’angle donné, au lieu d’être rectiligne, était mixtiligne ou curviligne. Le problème, envisagé sous ce point de vue, reste encore à résoudre.
    (Note des éditeurs.)
  2. On suppose, dans ceci, que le côté de l’angle est celui duquel le point se trouve le plus voisin.
  3. Tout ce qui vient d’être dit prouve qu’un problème simple, en théorie, peut souvent se compliquer, lorsqu’il s’agit d’en obtenir une solution applicable à la pratique ; et ce, à raison de certaines conditions et limitations qu’on pourrait appeler en quelque sorte, extra-analitique, parce quelles ne peuvent être exprimées par des formules d’algèbre : conditions qui s’opposent à ce que les quantités cherchées soient soumises à la loi de continuité.

    Ceux qui écrivent pour les jeunes-gens, toujours portés à envisager les questions de géométrie et d’analise d’une manière trop abstraite, feraient sans doute une chose utile, en leur offrant quelquefois des modèles de solutions de ce genre.

    (Note des éditeurs.)