Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 01/Géométrie analitique, article 9

La bibliothèque libre.

ANNALES
DE MATHÉMATIQUES
PURES ET APPLIQUÉES.

PROSPECTUS.

Cest une singularité assez digne de remarque que, tandis qu’il existe une multitude de journaux relatifs à la Politique, à la Jurisprudence, à l’Agriculture, au Commerce, aux Sciences physiques et naturelles, aux Lettres et aux Arts ; les Sciences exactes, cultivées aujourd’hui si universellement et avec tant de succès, ne comptent pas encore un seul recueil périodique qui leur soit spécialement consacré[1], un recueil qui permette aux Géomètres d’établir entre eux un commerce ou, pour mieux dire, une sorte de communauté de vues et d’idées ; un recueil qui leur épargne les recherches dans lesquelles ils ne s’engagent que trop souvent en pure perte, faute de savoir que déjà elles ont été entreprises ; un recueil qui garantisse à chacun la priorité des résultats nouveaux auxquels il parvient ; un recueil enfin qui assure aux travaux de tous une publicité non moins honorable pour eux qu’utile au progrès de la science.

Frappés des nombreux avantages que pouvait présenter la publication d’un tel ouvrage, les rédacteurs de ces Annales, long-temps avant qu’ils songeassent à s’en occuper, en avaient conçu le plan et désiré l’existence. Ils avaient même fait, auprès de quelques personnes plus à portée et mieux en état qu’eux de l’exécuter, des démarches pressantes pour les solliciter à l’entreprendre ; et le non succès de ces démarches a seul pu les enhardir à s’en charger eux-mêmes. Ils osent croire que tous ceux qui aiment et cultivent les sciences exactes applaudiront à leur zèle et s’empresseront de seconder leurs efforts ; et que les savans même qui pourraient le mieux se passer des secours qu’un ouvrage de la nature de celui-ci est susceptible d’offrir, ne dédaigneront pas néanmoins d’accorder leur encouragement honorable à une entreprise dont le succès ne peut que contribuer encore à l’avancement de ces mêmes sciences qui, en échange de tant de méthodes précieuses et de vérités importantes dont ils les ont enrichies, leur ont procuré un si haut degré d’illustration.

Les Rédacteurs des Annales sentent fort bien tout ce que la distance où ils se trouvent du centre des lumières peut ajouter de difficultés à leur entreprise ; mais, plus jaloux de leur réputation et de l’estime des savans que soigneux de leurs intérêts pécuniaires, ils sont résolus de faire tomber sur eux seuls tous les sacrifices auxquels la position peu commode où ils se trouvent doit inévitablement les exposer ; et de n’épargner aucun soin, aucune dépense, pour que leur recueil ne soit ni moins soigné ni plus coûteux qu’il pourrait l’être, s’il partait du sein même de la capitale.

Ces Annales seront principalement consacrées aux Mathématiques pures, et sur-tout aux recherches qui auront pour objet d’en perfectionner et d’en simplifier l’enseignement. Le titre de l’ouvrage annonce assez d’ailleurs que, si l’on n’y doit rien rencontrer d’absolument étranger au Calcul, à la Géométrie et à la Mécanique rationnelle, les rédacteurs sont néanmoins dans l’intention de n’en rien exclure de ce qui pourra donner lieu à des applications de ces diverses branches des sciences exactes. Ainsi, sous ce rapport, l’Art de conjecturer, l’Économie politique, l’Art militaire, la Physique générale, l’Optique, l’Acoustique, l’Astronomie, la Géographie, la Chronologie, la Chimie, la Minéralogie, la Météorologie, l’Architecture civile, la Fortification, l’Art nautique et les Arts mécaniques, enfin, pourront y trouver accès. On aura soin, au surplus, de consulter, à cet égard, le vœu du plus grand nombre des souscripteurs, et de s’y conformer scrupuleusement.

Avec les matériaux qu’ils ont amassés depuis long temps, les Rédacteurs des Annales pourraient aisément fournir seuls, durant plusieurs années, à la composition de leur recueil ; mais ils comptent beaucoup moins sur leurs propres ressources que sur les secours que voudront bien leur fournir leurs abonnés et correspondans. Ils se feront même une loi de n’occuper le public de leurs travaux personnels, qu’autant que l’intérêt que ces travaux pourront offrir, ou l’insuffisance des autres matières, pourra leur servir d’excuse.

Chaque numéro des Annales offrira un ou plusieurs Théorèmes à démontrer, un ou plusieurs Problèmes à résoudre. Les Rédacteurs, dans le choix de ces théorèmes et problèmes, donneront la préférence aux énoncés qui pourront leur être indiqués par leurs correspondans ; et ils consigneront, dans leur recueil, les démonstrations et solutions qui leur seront parvenues ; ils espèrent ainsi provoquer chez les jeunes géomètres une utile et louable émulation. Personne n’ignore d’ailleurs combien ces sortes de défis ont ajouté de perfectionnement à l’analise, au commencement du dernier siècle ; et il n’est point déraisonnable de penser qu’en les renouvelant, on peut, peut-être, lui préparer encore de nouveaux progrès.

Par les mêmes motifs, les Rédacteurs des Annales auront soin d’insérer dans leur recueil les programmes des prix proposés par les diverses sociétés savantes de l’Europe : toutes les fois du moins que les concours ouverts auront pour objet des questions relatives aux sciences exactes, ou aux diverses applications dont elles peuvent être susceptibles.

Enfin, un objet auquel on se propose de donner, dans ces Annales, une attention toute particulière, à raison de l’extrême utilité que le public peut en retirer, c’est l’annonce et l’analise des ouvrages nouveaux, tant nationaux qu’étrangers, relatifs aux sciences mathématiques et aux autres sciences qui en dépendent. Ici deux extrêmes sont également à éviter, savoir : une censure maligne et décourageante qui ferait redouter aux auteurs de confier aux Rédacteurs des Annales le soin de faire connaître leurs productions ; et une condescendance non moins coupable qui, en donnant le change sur le mérite réel de ces productions, tromperait l’attente du public, et manquerait ainsi totalement le but. Heureusement, la nature même des ouvrages dont on aura à rendre compte dans ce recueil, permet de tenir facilement, entre l’un et l’autre extrêmes, un milieu convenable : ces sortes d’ouvrages valent en effet, généralement parlant, beaucoup plus par le fond des idées que par la manière dont elles sont présentées ; et si l’indication pure et simple des matières dont se compose un ouvrage de goût et d’imagination, et de la liaison qui règne entre elles, n’en peut donner qu’une idée très-imparfaite, une pareille indication suffit, le plus souvent, pour mettre les savans en mesure d’asseoir leur opinion sur un traité de géométrie ou d’analise. Les Rédacteurs des Annales s’attacheront donc principalement à présenter, des ouvrages qui leur seront adressés, un compte parfaitement exact, et d’une étendue proportionnée à leur importance, en se rendant très-sobres, d’ailleurs, tant de louanges que de blâme ; et ils espèrent concilier ainsi ce qu’ils doivent aux auteurs, au public et à eux-mêmes. En un mot, les Rédacteurs feront tous leurs efforts pour que ce recueil soit exactement tel qu’ils eussent pu désirer de le trouver, si d’autres qu’eux en avaient entrepris la rédaction.


Séparateur

  1. On ne saurait, en effet, considérer comme tels, le Journal de l’école polytechnique, non plus que la Correspondance que rédige M. Hachette : recueils très précieux sans doute, mais qui, outre qu’ils ne paraissent qu’à des époques peu rapprochées, sont consacrés presque uniquement aux travaux d’un seul établissement.