Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 04/Arithmétique, article 2

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Texte établi par Joseph Diez Gergonne (4p. 123-132).

QUESTIONS RÉSOLUES.

Solution du problème d’Arithmétique proposé à la
page 384 du 3.me volume de ce recueil ;
Par un Abonné.
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Énoncé. Étant donné le produit de la multiplication d’un nombre de plusieurs chiffres par un autre nombre, dont les chiffres ne sont que ceux du premier, écrits dans un ordre rétrograde trouver les deux facteurs ?

Le premier moyen qui s’offre à l’esprit, pour résoudre le problème proposé, est d’écrire, sur une même ligne, tous les diviseurs du nombre donné ; de former une seconde ligne des quotiens obtenus en divisant le nombre donné par les nombres de la première ligne, et de comparer enfin les nombres correspondans dans les deux lignes. Il est clair, en effet, que tous ceux de la seconde ligne qui ne différeront de leurs correspondans dans la première qu’en ce que les mêmes chiffres y seront écrits dans un ordre rétrograde, pourront, avec ces correspondans, être pris pour les deux facteurs cherchés.

Il est même aisé de voir qu’on peut n’écrire dans la première ligne que ceux des diviseurs du nombre proposé qui n’excèdent pas sa racine quarrée et borner de même ceux de la seconde ligne aux quotiens que ceux-ci fourniront, puisqu’on les prolongeant plus loin l’un et l’autre, on ne ferait que répéter, dans la ligne inférieure, des nombres déjà écrits dans la ligne supérieure, et vice versa.

Exemple. Soit le produit donné 252.

La racine quarrée de 252 tombant entre 15 et 16, on bornera la première ligne aux nombres inférieurs à ce dernier, ce qui donnera

d’où on conclura que les facteurs cherchés sont 12 et 21, dont le produit est en effet 252 ; et qu’ainsi le problème n’a qu’une solution.

Mais cette méthode, bonne tout au plus pour de très-petits nombres, deviendrait, pour ainsi dire, impraticable par sa longueur, si l’on voulait l’appliquer à des nombres tant soit peu considérables. Il faut donc en chercher une autre qui n’ait point cet inconvénient. Pour y parvenir plus facilement, proposons-nous d’abord le problème que voici :

PROBLÈME. Étant donné le produit d’un polynôme ordonné par rapport à une lettre quelconque, par un autre polynôme du même degré, ordonné par rapport à la même lettre, et ayant pour ses coefficiens les coefficiens du premier, écrits dans un ordre rétrograde ; trouver les deux facteurs ?

Limites du problème. Pour que le problème soit possible, le polynôme donné doit être d’un degré pair ; et ce polynôme doit être réciproque ; c’est-à-dire, que ses termes, à égale distance des extrêmes, doivent avoir les mêmes coefficiens.

Mode général de solution. Soit le polynôme donné

(1)

on supposera que les deux facteurs cherchés sont

(2)

dont le produit est

(3)

exprimant donc que ce produit est identique avec le polynôme (1), on obtiendra les équations

lesquelles seront en nombre suffisant pour déterminer les coefficiens qui sont ici les inconnues du problème.

Remarques. Comme le produit (1) ne change pas en changeant les signes de ses facteurs, il s’ensuit qu’à chaque valeur de chacun des coefficiens il doit nécessairement en répondre un autre qui n’en diffère que par le signe. Cette circonstance doit donc doubler le degré des équations du problème.

De plus, l’échange des facteurs entre eux ne devant pas changer le produit, et un même coefficient se trouvant dans l’un occuper le même rang, en allant de gauche à droite, qu’il occupe dans l’autre, en allant de droite à gauche ; il s’ensuit que les coefficiens également distans des extrêmes, dans l’un quelconque des facteurs, doivent être donnés, tous deux, par la même équation : circonstance qui doit encore, comme la première, doubler le degré des équations du problème.

Il faut pourtant remarquer que, lorsque est un nombre pair, il y a un coefficient du milieu, qui occupe le même rang dans les deux facteurs ; et auquel conséquemment la considération à laquelle nous venons de nous arrêter n’est point applicable ; ce coefficient doit donc alors être déterminé par une équation moins élevée de moitié que celles qui déterminent les autres.

Ainsi ; en résumé, la recherche de l’un quelconque des coefficiens devra généralement conduire à une équation ne renfermant que des puissances paires de ce coefficient, et dont le degré sera quadruple du nombre des solutions proprement dites que le problème pourra admettre ; mais le coefficient du milieu, lorsque le nombre des coefficiens sera impair, sera donné par une équation d’un degré moitié moindre,

Il est aisé, au surplus, d’éviter l’embarras des équations de degrés trop élevés, et d’en avoir dont le degré soit précisément égal au nombre des solutions du problème. Il ne s’agit, pour cela, que de substituer aux inconnues primitives les inconnues . Il est évident, en effet, que ces nouvelles inconnues sont à la fois indifférentes et aux signes des facteurs et au renversement de leurs coefficiens.

Éclaircissons présentement ces généralités par la considération de quelques cas particuliers, de plus en plus compliqués.

Premier cas.

Soit le produit proposé

En posant ce produit égal à

on aura, pour déterminer et les deux équations

ajoutant et retranchant successivement à la seconde le double de la première et extrayant ensuite la racine quarrée des deux membres, il viendra

d’où

Ainsi le produit donné, décomposé en facteurs, sera

Application. Si le produit donné est

on aura

et ce produit décomposé sera

Deuxième cas.

Soit le produit proposé

En posant ce produit égal à

on aura, pour déterminer les trois équations

Si, à la troisième équation, on ajoute le double de la première il viendra

mais la seconde donne

on aura donc, par l’égalité de ces deux valeurs,

d’où, en négligeant le double signe de

d’un autre côté, en retranchant le double de l’équation de l’équation et extrayant ensuite la racine quarrée, il vient

et puisqu’on a d’ailleurs

on trouvera

au moyen de quoi tout sera connu, dans les deux facteurs du produit donné.

Application. Si le produit donné est

on aura d’où ou ou ou

le produit décomposé sera donc

ou bien

Troisième cas.

Soit le produit proposé

En posant ce produit égal à

on aura, pour déterminer les quatre équations

en y joignant les quatre suivantes

(1)(3)
(2)(4)

elles deviendront

en prenant successivement le produit et la somme des quarrés des équations (6), (7), et ayant égard aux équations (1), (2), (3), (4), il vient

(9) (10)

éliminant et entre les équations (5), (9), (10), il viendra

chassant enfin de cette équation, au moyen de l’équation (8), elle deviendra

Telle est l’équation qu’il faudra résoudre pour avoir la valeur de  ; on aura ensuite

et enfin

Application. Si le produit donné est

on aura  ; en conséquence, l’équation en sera

Cette équation a deux racines réelles positives, dont l’une entière qui est et l’autre incommensurable, comprise entre 84 et 85 ; les deux autres racines sont imaginaires. En ne conservant que la seule racine nous aurons

le produit décomposé sera donc

On voit aisément ce qu’il y aurait à faire pour des produits de degrés plus élevés.

Tout nombre pouvant être considéré comme un polynôme ordonné par rapport aux puissances de la base du système de numération, le problème d’arithmétique qui a été proposé ne diffère uniquement de celui qui vient de nous occuper qu’en ce que, dans les multiplications numériques, les dixaines de chaque ordre vont continuellement se joindre, comme unités, avec les unités de l’ordre immédiatement supérieur ; et en ce qu’on ne peut admettre, pour les inconnues, que des valeurs entières et positives moindres que 10.

Ce problème se résoudrait donc de la même manière que l’autre, si l’on parvenait à faire rentrer dans chaque ordre les dixaines qu’on en a fait sortir ; or, c’est là une chose très-aisée, ainsi que nous l’allons voir.

Exemple I. Soit le produit donné

Ce produit devant être un polynôme d’un nombre impair de termes, le nombre de ses termes doit être trois et le terme le plus élevé, qui doit avoir deux chiffres, doit être compris dans 22 ; mais comme l’autre terme extrême, auquel celui-là doit être égal, est terminé par 89 il s’ensuit que l’un et l’autre doivent être égaux à 18, d’où il est aisé de conclure que celui du milieu est 45, ce qui, en effet, complète le produit total, ainsi qu’on le voit ici

 ;

le problème revient donc au cas où il serait question du polynôme  ; on trouvera donc, par la première application ci-dessus

Exemple II. Soit le produit donné =132192.

On voit d’abord que les deux produits extrêmes sont égaux à 12, ce qui donne

 ;

décomposant de même le nombre 1218 on trouvera 8 pour chacun des produits extrêmes, ce qui donnera

 ;

il s’agira donc de décomposer le polynôme ce qui donnera, par la seconde application,

Exemple III. Soit le produit

Ce produit se décomposant comme il suit

 ;

on trouvera, par le troisième cas,