Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 07/Arithmétique élémentaire, article 1

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ARITHMÉTIQUE.

Théorie de la règle de trois ;

Par M. Gergonne,
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Définition I. J’appelle effet tout ce qui est ou peut être considéré comme produit, tout ce qui ne renferme pas uniquement en soi la raison de son existence.

Définition II. J’appelle cause tout ce qui produit ou concourt à produire un effet.

Ainsi, par exemple, une somme d’argent que je reçois d’un banquier est un effet, qui peut, à la fois, avoir pour causes un capital antérieurement placé entre ses mains, le temps qu’il y est demeuré, et l’intérêt dont je suis convenu avec lui.

Définition III. Un effet est dit simple lorsqu’il résulte ou qu’il est considéré comme résultant d’une cause unique. Dans le cas contraire, l’effet est dit composé.

Il est bien peu d’effets dans la nature qui, à proprement parler, puissent être réputés simples ; mais on regarde souvent comme tels des effets composés dont une seule cause varie, tandis que toutes les autres sont supposées demeurer constamment les mêmes. Ainsi, par exemple, quoique la quantité d’argent qu’il faut donner pour obtenir un morceau de drap d’une certaine longueur ne dépende pas seulement de cette longueur ; mais encore de la largeur et de la qualité du drap, on considère néanmoins communément cette quantité d’argent comme dépendant uniquement de la longueur du morceau de drap ; parce qu’on suppose tacitement que sa largeur et sa qualité demeurent invariables.

Définition IV. On dit qu’un effet est en raison directe de sa cause, ou de l’une de ses causes, lorsque, toutes choses égales d’ailleurs, la cause devenant un certain nombre de fois plus grande ou plus petite, l’effet devient précisément le même nombre de fois plus grand ou plus petit.

C’est dans ce sens, par exemple, que l’on dit que le prix qu’on donne d’une denrée est en raison directe de la quantité qu’on en achète.

Définition V. On dit qu’un effet est en raison inverse de sa cause, ou de l’une de ses causes, lorsque, toutes choses égales d’ailleurs, la cause devenant un certain nombre de fois plus grande ou plus petite, l’effet devient précisément le même nombre de fois plus petit ou plus grand.

C’est dans ce sens, par exemple, que l’on dit que le temps qu’un homme emploie à parcourir une route d’une longueur déterminée est en raison inverse de la vitesse avec laquelle il la parcourt.

PROBLÈME I. Une cause unique ayant produit un effet déterminer l’effet que produira une autre cause homogène avec

Solution. Soit l’effet cherché ; cet effet devant être homogène avec devra conséquemment être égal à multiplié par un nombre abstrait[1], lequel ne pourra être qu’une fonction de et  ; et, comme on ne peut faire un nombre abstrait avec et qu’en les divisant l’un par l’autre, nous pourrons écrire

Cela posé, il peut se présenter deux cas : peut être en raison directe de ou bien il peut être en raison inverse de cette quantité.

1er Cas. Si l’on suppose en raison directe de il faudra (Déf. IV) qu’en supposant on ait aussi La substitution de ces valeurs dans l’équation ci-dessus donnera, en plifiant et renversant,

et conséquemment, en changeant en

donc

2.me Cas. Si l’on suppose au contraire que est en raison inverse de  ; il faudra (Déf. V) qu’en supposant on ait La substitution de ces valeurs dans notre équation donne, en simplifiant et renversant,

ou, en changeant en

donc

PROBLÈME II. Un effet produit par le concours de plusieurs causes, est en raison directe de quelques-unes de ces causes, et en raison inverse des autres On suppose que d’autres causes respectivement homogènes aux premières, doivent concourir à la production d’un second effet, homogène à  ; et l’on demande l’expression de ce nouvel effet ?

Solution. Soit l’effet cherché ; cet effet devant être homogène avec devra conséquement être égal à multiplié par un nombre abstrait, lequel ne pourra être qu’une fonction des autres données du problème ; et, comme on ne peut faire des nombres abstraits avec ces données qu’en divisant, respectivement les unes par les autres, celles qui sont de même nature, on doit avoir

Or, si l’on supposait toutes les causes correspondantes, excepté et égales de part et d’autre, on devrait avoir (Probl. 1)

donc, dans le cas contraire, on doit avoir

et, comme ce qu’on dit ici de et peut se dire également de et et on aura

Présentement, si l’on suppose toutes les causes correspondantes, excepté et égales de part et d’autre, on devra avoir (Prob. I)

donc, dans l’hypothèse contraire, on doit avoir

et, comme ce qu’on dit ici de et peut s’appliquer également à et et il s’ensuit qu’on a finalement

Remarque. Le problème que nous venons de nous proposer est connu vulgairement sous le nom de Règle de trois composée, et renferme, comme cas particulier, la Règle de trois simple. Dans ces sortes de questions, il n’y a jamais qu’une seule inconnue ; et les données, au nombre de trois au moins, sont toujours en nombre impair. Une seule de ces données est de même espèce que l’inconnue, et les autres données, toujours en nombre pair, sont deux à deux de même espèce. La manière de résoudre ces sortes de questions se trouve donc renfermée dans la règle pratique que voici :

L’inconnue est égale à la seule quantité connue de même espèce qu’elle, multipliée par une suite de fractions dont les termes respectifs sont les quantités connues de même espèce.

Il ne restera donc plus d’embarras que pour savoir, relativement à chaque fraction ; quel terme doit être numérateur et quel terme doit être dénominateur ; c’est ce qu’on parviendra facilement à découvrir, au moyen de la seconde règle que voici :

Le numérateur de chacune des fractions par lesquelles on doit multiplier le nombre connu de même espèce que celui qu’on cherche, pour en conclure celui-ci, doit être plus grand ou plus petit que son dénominateur, suivant qu’en supposant égaux entre eux les termes de toutes les autres fractions, c’est-à-dire, en supposant la règle de trois simple à nombre cherché devrait être plus grand ou plus petit que le nombre connu de même espèce que lui.

On peut, au surplus, dès les élémens d’arithmétique, parvenir à ces règles pratiques, par la discussion de quelques questions particulières ; et c’est ainsi que j’en use depuis long-temps, en écartant absolument la théorie des proportions ; théorie devenue aujourd’hui tout-à-fait superflue, et qui, il faut l’espérer, finira par ne plus appartenir uniquement qu’à l’histoire de la science.

En général, soit l’inconnue d’un problème ; et soient les quantités connues de même espèce qu’elle, on devra nécessairement avoir

étant des nombres abstraits fonctions des autres données de ce problème. Ces données doivent donc être de nature à se combiner entre elles de manière à former des nombres abstraits. Il serait important d’accoutumer les commençans à reconnaître cette loi générale de construction ; dans toutes les formules algébriques.


Séparateur

  1. Je dis multiplié, et non pas multiplié ou divisé, parce que toute division peut être mise sous forme de multiplication.