Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 07/Variétés, article 1

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VARIÉTÉS.

Essai se dialectique rationnelle ;

Par M. Gergonne.
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Dans un ouvrage qui ne porte certainement pas l’empreinte de la timidités des opinions ; l’auteur, qui n’avait jamais fait profession de beaucoup de ménagement pour les doctrines reçues, et qui écrivait d’ailleurs dans des circonstances bien propres à dégager sa pensée de toute contrainte : Condorcet, dans son Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, s’exprime, au sujet de la Dialectique d’Aristote, de la manière suivante :

« Aristote, dans sa logique, réduisant les démonstrations à une suite d’argumens assujettis à la forme syllogistique, divisant ensuite toutes les propositions en quatre classes qui les renferment toutes, enseigne à reconnaître, parmi toutes les combinaisons possibles de ces quatre classes, prises trois à trois, celles qui répondent à des syllogismes concluans, et qui y répondent nécessairement. Par ce moyen, l’on peut juger de la justesse ou du vice d’un argument, en sachant seulement à quelle combinaison il appartient ; et l’art de raisonner juste est soumis, en quelque sorte, à des procédés techniques ».

« Cette idée ingénieuse est restée inutile jusqu’ici[1], mais peut-être doit-elle un jour devenir le premier pas vers un perfectionnement que l’art de raisonner et de discuter semble encore attendre ».

À l’époque où Condorcet écrivait ceci, il y avait déjà plus d’un demi-siècle que la dialectique d’Aristote, enseignée pourtant encore dans quelques établissemens gothiques, était tombée, parmi les gens du bon ton, dans le discrédit le plus complet, et le petit nombre des partisans qu’alors elle pouvait encore compter, l’entendaient eux-mêmes assez mal, comme on en peut juger par ce que la plupart en ont écrit.

Mais, par l’effet de l’une des fluctuations si fréquentes dans les opinions des hommes, cette même dialectique a semblé, dans ces derniers temps, avoir repris un peu de faveur ; non pas probablement parce que les principes en sont sains, et encore moins sans doute parce que Condorcet en a parlé d’une manière assez favorable ; mais apparemment parce qu’elle s’enseignait au bon temps passé, et que, depuis plusieurs années, Retour aux vieilles doctrines est le cri de ralliement d’un certain public[2].

Entraîné, dans ces circonstances, à faire des cours de logique dans une école publique, j’ai dû répugner d’autant moins à me prêter au goût qui commençait à se manifester de nouveau en faveur de la dialectique de nos pères, qu’au fond le plus grave reproche que l’on pourrait lui faire, serait peut-être, comme le dit Condorcet, de n’être qu’une sorte de pierre d’attente dans l’édifice de nos connaissances ; et que, dans ce cas même, la recherche de ses règles, pourvu qu’on n’y consommât pas trop de temps et de soins, n’en offrirait pas moins un exercice utile, et un modèle de plus de la méthode à suivre dans la recherche de la vérité.

Mais, en me déterminant à développer ces règles, j’ai dû chercher s’il ne serait pas possible de perfectionner et de compléter d’avantage l’exposition qu’on en fait communément. Une idée mise en avant par Euler, mais de laquelle il paraît n’avoir point tiré tout le parti qu’elle semblait offrir, m’a singulièrement aidé dans mon dessein, et j’en ai fait une des bases principales du petit écrit que l’on va lire. Clarté, rigueur et brièveté : tel est le triple but que j’ai eu constamment en vue, et dont je désirerais bien ne m’être point trop écarté.

Si l’on s’étonnait de rencontrer de telles matières dans un recueil de la nature de celui-ci ; j’observerais, pour ma justification, que d’abord les sciences exactes sont, pour ainsi dire, les seules dans lesquelles les procédés de la dialectique rationnelle soient rigoureusement applicables ; et qu’ensuite la doctrine que j’expose, et plus encore la forme sous laquelle je la présente, ne saurait guère être bien saisie que par des géomètres, ou du moins par ceux qui possèdent l’esprit géométrique ; et voilà apparamment pourquoi la plupart des partisans et des adversaires de cette doctrine la louent ou la dénigrent uniquement sur parole ; ce qui, pour le dire en passant, ne me paraît pas extrêmement raisonnable.

Au surplus, ces matières sont aujourd’hui tellement perdues de vue, qu’à défaut de tout autre mérite, l’essai qu’on va lire pourrait presque prétendre à celui de la nouveauté. Si d’ailleurs il n’est point proprement nouveau pour le fond ; on le jugera peut-être tel quant à la forme.

§. I.
Des idées et de leur étendue.

1. Avoir l’idée d’une chose, c’est en être simplement affecté, soit par l’effet de sa présence effective, soit par le souvenir qu’on en a, soit enfin par un acte de l’imagination. C’est ainsi que j’ai actuellement l’idée de la plume qui trace ces lignes, celle de la ville de Berlin, celle du cheval Pégaze.

2. Les idées sont dites individuelles ou particulières, lorsque, comme dans ces exemples, elles ne se rapportent qu’à des individus. Elles sont dites, au contraire, générales ou universelles, lorsqu’elles conviennent, à la fois, à plusieurs objets ; et telles sont, par exemple, les idées de plume, de ville et de cheval. Ces dernières sont aussi appelées abstraites, parce que nous les formons en négligeant les différences entre les objets auxquels elles se rapportent, pour ne les envisager uniquement que sous le rapport de ce qu’ils ont de commun.

3. De même que la considération des caractères communs à plusieurs individus donne naissance à une idée abstraites, la considération des caractères communs à plusieurs idées abstraites en fait naître de plus abstraites, lesquelles peuvent, à leur tour, donner naissance à d’autres qui le soient davantage encore, et ainsi indéfiniment. C’est par une suite de pareilles opérations que, par exemple, nous nous élevons progressivement aux notions abstraites de cerisier, d’arbre, de végétal, de corps et d’être.

4. Dans cette progression de notions abstraites, les plus générales sont dites contenir celles qui le sont moins, lesquelles, à l’inverse, sont dites contenues dans les premières ; c’est de là que naît la notion de l’étendue relative de deux idées. Une idée ne peut donc être dite plus étendue qu’une autre qu’autant que cette dernière fait partie de la première. C’est, par exemple, dans ce sens que l’on peut dire que l’idée de rose est moins étendue que celle de fleur. Mais, bien que les éléphans soient incomparablement moins nombreux que les mouches, on ne serait pas mieux fondé à dire que l’idée d’éléphant est moins étendue que celle de mouche, qu’on pourrait l’être à dire que cette dernière idée est moins étendue que la première, parce qu’il n’y a là ni idée contenue, ni idée contenante.

5. Examinons présentement quelles sont les diverses circonstances dans lesquelles deux idées, comparées l’une à l’autre, peuvent se trouver relativement à leur étendue. Cette question revient évidemment à demander quelles sont les diverses sortes de circonstances dans lesquelles deux figures fermées quelconques, deux cercles, par exemple, tracés sur un même plan, peuvent se trouver l’un par rapport à l’autre ; l’étendue de chaque cercle représentant ici celle de chaque idée. Or,

1.o De même que ces deux cercles peuvent être totalement hors l’un de l’autre ; il peut se faire aussi que deux idées soient tout-à-fait étrangères l’une à l’autre, sous le rapport de leur étendue ; et c’est, par exemple, le cas des idées de Polonais et d’Espagnol ; c’est également le cas des idées de thermomètre et de microscope. Nous représenterons à l’avenir ce genre de relation par (H). On reconnaît qu’elle a lieu entre deux idées, toutes les fois qu’il est évidemment impossible d’en trouver une troisième qui soit à la fois contenue dans l’une et dans l’autre.

2.o De même que deux cercles peuvent simplement se couper l’un et l’autre ; il peut aussi se faire que deux idées se conviennent dans une partie seulement de leur étendue ; de sorte que, outre la partie commune, chacune d’elles ait, de plus, une partie étrangère à l’autre ; et c’est, par exemple, le cas des idées de vieillard et de médecin, c’est encore celui des idées de gentilhomme et de savant. Nous représenterons à l’avenir ce second genre de relation par (X). On reconnaît qu’elle a lieu entre deux idées, toutes les fois que l’on peut d’abord en trouver une troisième, contenue à la fois dans l’une et dans l’autre, et qu’en outre chacune de ces deux idées peut en contenir quelqu’une qui soit tout à fait étrangère à l’autre.

3.o De même que deux cercles peuvent se confondre l’un et l’autre ; il peut se faire aussi que deux idées se conviennent exactement, sous le rapport de leur étendue, auquel cas elles ne pourront différer au plus que par l’expression ; et c’est, par exemple, le cas des idées de Batave et de Hollandais, c’est encore celui des idées de Pallas et de Minerve. Nous représenterons à l’avenir ce troisième genre de relation par (I). On reconnaît qu’elle a lieu entre deux idées, lorsqu’il est à la fois impossible qu’une idée contenue dans l’une ne le soit pas aussi dans l’autre, et qu’une idée étrangère à l’une ne le soit pas également à l’autre.

4.o Enfin, de même que deux cercles inégaux peuvent être tellement situés, l’un par rapport à l’autre, que le plus petit soit totalement renfermé dans le plus grand ; deux idées peuvent pareillement être telles que l’une, moins étendue, soit entièrement contenue dans l’autre, qui le sera d’avantage ; et c’est, par exemple, le cas des idées de Français et d’Européen ; c’est encore celui des idées de sculpteur et d’artiste. Nous représenterons à l’avenir cette dernière sorte de relation par (C) ou par (), suivant des circonstances qui seront expliquées plus loin. On reconnaît qu’elle a lieu entre deux idées lorsque, ne pouvant trouver aucune idée contenue dans la première qui ne le soit en même temps dans la seconde, on peut, au contraire, en trouver qui soient contenues dans celle-ci, sans avoir rien de commun avec l’autre.

6. Et, de même qu’il est impossible de concevoir, entre deux cercles situés sur un même plan, d’autres sortes de situations respectives que celles qui viennent d’être signalées ; il doit être également impossible de concevoir, entre deux idées, d’autres relations d’étendue que celles que nous venons de faire connaître.

7. Nous avons choisi les symboles caractéristiques de ces relations de la manière qui nous a paru la plus propre à bien lier le signe à la chose signifiée ; et c’est une attention qui, toute puérile qu’elle peut sembler d’abord, nous paraît de quelque importance. La lettre (H), initiale du mot Hors, désigne le système de deux idées absolument l’une hors de l’autre, comme le sont les deux jambes verticales de cette lettre. Ces deux jambes peuvent être ensuite considérées comme s’étant croisées pour former la lettre (X), destinée à rappeler le système de deux idées qui, en effet, se croisent ou se coupent en quelque sorte l’une et l’autre. Ces mêmes jambes peuvent enfin être considérées comme s’étant confondues pour former la lettre (I), que nous employons à représenter le système de deux idées qui coïncident exactement l’une avec l’autre ; cette lettre est d’ailleurs l’initiale du mot Identité, qui est aussi la dénomination qui convient au genre de relation dont il s’agit. On peut remarquer, de plus, que les trois lettres (H, X, I), tout comme les relations qu’elles sont destinées à rappeler, sont symétriques, et conséquemment non susceptibles de changer d’aspect par leur renversement. Mais il n’en est plus ainsi de la lettre (C) qui, par son renversement, se change en () ; aussi avons-nous destiné cette lettre à rappeler une relation dans laquelle les deux idées ne jouent pas le même rôle, une relation qui n’est point réciproque. Cette lettre est d’ailleurs l’initiale commune des deux mots Contenante et Contenue, qui expriment en effet l’état relatif des deux idées[3].

§. II.
Théorie des propositions.

8. La perception d’un rapport d’étendue entre plusieurs idées, simultanément présentes à la pensée, est ce qu’on appelle un jugement et ce jugement, manifesté par des signes sensibles, prend le nom de proposition. La proposition est dite simple lorsqu’elle n’est relative qu’à deux idées seulement ; c’est la seule dont il sera question ici.

9. Toute proposition doit, au moins implicitement, présenter trois parties ; savoir : 1.o le sujet ou petit terme, qui est l’idée que l’on dit être ou n’être pas, en tout ou en partie, contenue dans l’autre ; 2.o l’attribut ou grand terme, qui est, au contraire, l’idée de laquelle on dit que le sujet fait ou ne fait point partie ; 3.o enfin, la copule qui exprime la nature du rapport entre les deux termes de la proposition. Nous représenterons constamment à l’avenir le sujet ou petit terme par P, et l’attribut ou grand terme par G  ; et nous nous conformerons à l’usage universel des logiciens, qui est d’énoncer ou d’écrire d’abord le sujet, ensuite la copule, puis enfin l’attribut[4].

10. Une proposition est dite affirmative ou négative, suivant qu’elle énonce que le sujet est ou n’est point contenu, en tout ou en partie, dans l’attribut. Cette différence entre les propositions détermine ce qu’on appelle leur qualité.

11. Une proposition est dite universelle ou particulière, suivant que le jugement qu’elle énonce se rapporte à tout le sujet ou seulement à une partie indéterminée de ce sujet. Cette différence entre les propositions détermine ce qu’on appelle leur quantité.

12. En ayant donc égard, à la fois, à la quantité et à la qualité, nous aurons à distinguer, en tout, quatre sortes de propositions ; et, comme dans tout ce qui va suivre, nous aurons continuellement besoin de les mentionner, nous leur affecterons des signes abréviatifs. Voici ces signes, ainsi que les formules générales des propositions qui leur répondent respectivement :

Il faudra donc avoir le soin de substituer mentalement aux caractères A, N, a, n, lorsque nous les emploirons, les propositions dont ils sont les symboles abrégés ; en se rappelant bien, 1.o que les grandes lettres (A, N) désignent des propositions universelles, et les petites (a, n) des propositions particulières ; 2.o que les (A, a) désignent des propositions affirmatives et les (N, n) des propositions négatives[5].

13. La recherche la plus importante à faire, dans la théorie des propositions, est, sans contredit, celle des caractères propres à reconnaître si une proposition donnée est vraie ou fausse. Avant de nous occuper de cette recherche, observons d’abord que, bien que les relations d’étendue entre deux idées que l’on compare ne puissent être (6) qu’au nombre de quatre seulement ; le nombre de ces relations s’élève néanmoins à cinq, lorsque les deux idées sont considérées comme termes de proposition ; la raison en est qu’alors, dans le quatrième cas, G peut tantôt contenir P et tantôt être contenu en lui. À l’avenir, pour distinguer ces deux cas l’un de l’autre, nous désignerons constamment par (C) celui où le sujet ou petit terme P sera contenu dans l’attribut ou grand terme G ; et nous représenterons au contraire par () le cas où ce sera, à l’inverse, le sujet ou petit terme, qui contiendra l’attribut ou grand terme G.

14. Cette convention ainsi établie, si nous examinons, pour chacun de nos cinq cas, quelles sont celles de nos quatre propositions A, N, a, n, qui peuvent être énoncées avec vérité, P étant constamment sujet et G attribut, nous pourrons renfermer les résultats de cet examen dans le tableau suivant :

Ce tableau nous apprend que, par exemple, si les deux termes sont dans le cas (C), c’est-à dire, si l’attribut G contient le sujet P, on pourra dire certainement et uniquement

(A) Tout P est G,
(a) Quelque P est G[6].

15. Nous pouvons ensuite ordonner au contraire, ce tableau par rapport aux quatre sortes de propositions, ce qui donnera celui qu’on voit ici :

Ce tableau résout la question inverse de la précédente ; il montre, par exemple, que ; si la proposition

Quelque P n’est pas G,

est vraie, tout ce qu’on pourra certainement en conclure, c’est que ses deux termes se trouvent nécessairement et uniquement dans quelqu’un des trois cas H, X,  ; c’est-à-dire, qu’ils sont tout-à-fait étrangers l’un à l’autre ou qu’ils ont seulement une partie de leur étendue qui leur est commune, ou bien, encore que G est entièrement contenu dans P ; mais ils ne peuvent se trouver dans aucun des deux cas I, C ; c’est-à-dire qu’ils ne pourront se confondre, et que G ne pourra contenir P. Ce serait l’inverse, si cette même proposition était connue comme fausse[7].

16. Les divers cas qui répondent à chaque sorte de proposition présentent, au surplus, un caractère commun et exclusif, aussi aisé à apercevoir qu’utile à signaler ; on voit, en effet,

1.o Que le caractère commun est exclusif des deux cas I, C, qui seuls répondent à la proposition (A), est que le sujet n’a aucune partie de son étendue hors de l’étendue de l’attribut ;

2.o Que le caractère exclusif du cas H, qui seul répond à la proposition (N), est que les deux termes n’ont aucune portion de leur étendue qui leur soit commune ;

3.o Que le caractère commun et exclusif des quatre cas X, I, C, qui seuls répondent à la proposition (a), est que les deux termes ont au moins une partie de leur étendue qui leur est commune ;

4.o Qu’enfin le caractère commun et exclusif des trois cas H, X, , qui seuls répondent à la proposition (n), est que le sujet a au moins une partie de son étendue hors de l’étendue de l’attribut[8].

17. De là résultent évidemment les théorèmes que voici :

I. Pour qu’une proposition universelle affirmative soit vraie, il est nécessaire et il suffit que le sujet n’ait aucune partie de son étendue hors de l’étendue de l’attribut.

II. Pour qu’une proposition universelle négative soit vraie, il est nécessaire et il suffit que ses deux termes n’aient aucune partie de leur étendue qui leur soit commune.

III. Pour qu’une proposition particulière affirmative soit vraie, il est nécessaire et il suffit que ses deux termes aient au moins une partie de leur étendue qui leur soit commune.

IV. Enfin, pour qu’une proposition particulière négative soit vraie, il est nécessaire et il suffit que le sujet ait au moins une partie de son étendue hors de l’étendue de l’attribut.

Il est évident que ces quatre théorèmes donnent en même temps les caractères de fausseté des propositions[9].

18. Le sujet et l’attribut étant les mêmes dans deux propositions ;

1.o Si elles diffèrent à la fois en quantité et en qualité, comme (A, n) ou (N, a), elles sont dites Contradictoires.

2.o Si elles diffèrent uniquement en qualité, ou elles sont universelles, comme (A, N), auquel cas elles sont dites contraires ; ou bien elles sont particulières, comme (a, n), et alors elles sont appelées sub-contraires.

3.o Enfin, lorsqu’elles diffèrent uniquement en quantité, comme (A, a) ou (N, n), les particulières sont dites subalternes des universelles.

19. Or, en consultant toujours notre tableau du n.o 15, on voit sur-le-champ, 1.o que deux propositions contradictoires embrassent ensemble tous les cas, sans en avoir aucun qui leur soit commun ; 2.o que deux propositions contraires n’ont également aucun cas qui leur soit commun, mais ne les embrassent pas tous ; 3.o qu’à l’inverse, deux propositions sub-contraires, non seulement embrassent tous les cas, mais en ont de plus qui leur sont communs ; 4.o qu’enfin la subalterne d’une proposition embrasse les mêmes cas qu’elle, mais en a d’autres en outre qui lui sont particuliers.

20. De tout cela résultent évidemment les théorèmes que voici :

I. Deux propositions contradictoires ne sauraient être ni en même temps vraies ni en même temps fausses ; de sorte que de la vérité de l’une quelconque résulte inévitablement la fausseté de l’autre, tout comme de la fausseté de l’une quelconque résulte nécessairement la vérité de l’autre.

II. Deux propositions contraires ne sauraient être vraies en même temps, mais elles peuvent fort bien être fausses l’une et l’autre. Ainsi, la vérité de l’une quelconque entraîne bien inévitablement la fausseté de l’autre ; mais la fausseté de l’une quelconque n’entraîne pas nécessairement la vérité de l’autre.

III. Deux propositions. sub-contraires ne sauraient être fausses en même temps, mais elles peuvent fort bien être vraies l’une et l’autre. Ainsi, la fausseté de l’une quelconque entraîne bien inévitablement la vérité de l’autre ; mais la vérité de l’une quelconque n’entraîne pas nécessairement la fausseté de l’autre.

IV. Enfin, lorsque deux propositions sont subalternes l’une de l’autre, la vérité de la proposition universelle entraîne bien celle de la proposition particulière, tout comme la fausseté de celle-ci entraîne aussi la fausseté de l’autre ; mais la fausseté de la proposition universelle n’entraîne pas celle de la proposition particulière, tout comme la vérité de celle-ci n’entraîne pas celle de l’autre.

21. On appelle inverse ou réciproque d’une proposition une autre proposition, de mêmes quantité et qualité, entre les mêmes termes, ne différant uniquement de celle-là qu’en ce que le sujet y a pris la place de l’attribut et l’attribut celle du sujet ; d’où il suit que, lorsqu’une proposition est réciproque d’une autre, celle-ci est, à son tour, réciproque de la première ; c’est-à-dire, en d’autres termes, que la réciproque de la réciproque d’une proposition est cette proposition elle-même.

22. On appelle converse d’une proposition une autre proposition dans laquelle l’attribut de la première est devenu sujet et son sujet attribut ; mais qui a en outre la quantité et la qualité requises pour être une conséquence nécessaire de cette première proposition.

23. La converse d’une proposition en est dite la converse simple, lorsqu’elle en est en même temps la réciproque ; c’est-à-dire, lorsqu’elle n’en diffère uniquement que par la transposition des termes ; dans le cas contraire, elle en est dite la converse par accident.

24. On peut, à ce sujet, se proposer la question suivante : une proposition étant donnée, découvrir si elle a quelques converses, et quelles elles peuvent être ? C’est l’art de résoudre cette question qui est appelé, en logique, conversation des propositions, dont il nous reste présentement à découvrir les règles.

25. Nous avons ici deux classes distinctes de propositions à comparer ; dans celles de la première, P est constamment sujet et G attribut ; nous continuerons à les représenter par les caractères, (A, N, a, n) : dans celles de la seconde, au contraire, G devient sujet et P attribut ; puis donc que les termes y sont renversés, il se présente naturellement de leur affecter les mêmes caractères renversés, c’est-à-dire, ().

26. Cela posé, en continuant de représenter constamment par (C) le cas où G contient P, et par () celui où, au contraire, c’est P qui contient G ; formons, pour les propositions (), un tableau semblable à celui que nous avons formé (15), pour les propositions (A, N, a, n), et plaçons ce second tableau en regard

du premier, ainsi qu’il suit :

27. Or, en comparant ces deux tableaux, on voit aisément, 1.o que les cas (I, C), qui répondent à A dans le premier, ne se trouvent tous deux que vis-à-vis de dans le second ; 2.o que le cas (H), qui répond à N dans le premier, se trouve à la fois vis-à-vis de et dans le second ; 3.o que les cas (X, I, C, ), qui répondent à dans le premier, ne se trouvent répondre tous quatre qu’à dans le second, 4.o qu’enfin les cas (H, X, ), qui répondent à dans le premier, ne se trouvent répondre tous trois à aucune proposition du second.

28. De là résultent évidemment les règles de conversion que voici :

I. La proposition universelle affirmative a une converse unique particulière affirmative.

II. La proposition universelle négative a deux converses, l’une universelle négative et l’autre particulière négative[10].

III. La proposition particulière affirmative, a une converse unique particulière affirmative.

IV. La proposition particulière négative n’a point de converse[11].

29. On voit donc, 1.o que la proposition universelle négative et la proposition particulière affirmative sont seules susceptibles de conversion simple ; 2.o qu’en outre, toute proposition universelle, soit affirmative soit négative, est susceptible de conversion par accident, laquelle s’opère en changeant sa quantité.

30. Il suit de là que les propositions universelles négatives et particulières affirmatives ont seules leurs réciproques pour converses ; ce sont donc aussi les seules de la vérité desquelles on puisse conclure avec certitude celle de leur réciproque. Et, comme les réciproques de ces réciproques sont les propositions même dont il s’agit, il s’ensuit qu’une proposition et sa converse simple sont deux propositions tout-à-fait équivalentes, ne disant absolument ni plus ni moins l’une que l’autre, et pouvant toujours conséquemment, sans aucune sorte d’inconvénient, être substituées l’une à l’autre dans le raisonnement.

31. On voit enfin qu’il n’est utile de bien discerner ce qui est sujet et ce qui est attribut, et de ne point prendre l’un pour l’autre, que dans les seules propositions universelles affirmatives et particulières négatives. Ce sont donc aussi les seules dont la vérité n’entraîne pas nécessairement celle de leurs réciproques, et dont conséquemment les réciproques ne doivent être admises qu’autant qu’on les a prouvées comme ces propositions elles-mêmes.

32. Les principes que nous venons d’établir (20, 28) peuvent souvent trouver d’utiles applications dans la recherche de la vérité. Nous ne saurions, en effet, à raison des bornes étroites de notre intelligence, nous promettre de parvenir toujours facilement à nous assurer, d’une manière directe, de la vérité ou de la fausseté d’une proposition donnée ; tandis qu’à l’aide de ces principes, il pourra souvent nous être permis de substituer à la proposition à examiner quelque autre proposition d’un abord plus facile, et dont la vérité ou la fausseté, une fois reconnue, nous mettra en état de prononcer, en toute confiance, sur la vérité ou sur la fausseté de la première.

33. Ainsi, par exemple, pour prouver que A est fausse, il suffira de prouver que N ou est vraie, ou bien que a ou , est fausse ; et, pour prouver que a est vraie, on pourra se contenter de prouver que A, ou est vraie, ou bien que N, , n, ou est fausse. Il ne serait pas difficile de dresser un tableau complet de ces diverses sortes de relations ; et c’est pour cela que nous croyons devoir en laisser le soin au lecteur.

§. III.
Théorie du syllogisme.

34. Il est peu de propositions dont la vérité ou la fausseté puisse être immédiatement aperçue d’une manière certaine ; et, le plus souvent, les idées qu’une proposition a pour but de comparer n’ont pas entre elles une liaison assez prochaine, un rapport assez apparent, pour qu’il nous soit permis de saisir nettement, d’une première vue, la convenance ou la disconvenance qui existe entre elles.

35. L’artifice qu’on emploie, pour vaincre cette difficulté, consiste à insérer, entre les deux idées que l’on a dessein de comparer, un nombre plus ou moins grand d’idées intermédiaires, dont les relations, tant entre elles qu’avec les idées extrêmes, soient plus facilement perceptibles, et mettent ainsi mieux en évidence la convenance ou la disconvenance entre celles-ci[12].

36. Mais, de même qu’un calcul, entre un grand nombre d’élémens, peut toujours être décomposé en une suite d’autres calculs tels que, dans chacun d’eux, deux élémens seulement doivent concourir à former un résultat, qui doit, à son tour, entrer comme élément dans quelqu’un des calculs subséquens ; on sent que pareillement, dans le sujet qui nous occupe présentement, tout se réduit à savoir assigner une relation d’abord inconnue entre deux idées, au moyen de leurs relations connues avec une troisième. C’est-à-dire, en d’autres termes, qu’il s’agit de savoir déduire de deux propositions, qui ont un terme commun, une troisième proposition entre leurs termes non communs.

37. Le système de trois pareilles propositions forme ce qu’on appelle un syllogisme. Les deux propositions données sont dites les prémisses du syllogisme, et celle qu’on en déduit en est appelée la conclusion. Dans le syllogisme simple, le seul dont il sera question, ici, les prémisses et la conclusion sont toutes trois des propositions simples ; ce syllogisme ne renferme donc que trois termes, répétés chacun deux fois, et tellement répartis que deux quelconques des trois propositions ont toujours un terme commun, lequel ne paraît point dans la troisième.

38. Le sujet ou petit terme de la conclusion d’un syllogisme est dit aussi le petit terme du syllogisme ; son attribut ou grand terme est pareillement appelé le grand terme du syllogisme ; et ces deux termes en sont dits, d’un nom commun, les termes extrêmes ; enfin, le terme commun aux deux prémisses, lequel conséquemment est étranger à la conclusion, est dit le moyen terme en syllogisme. Nous continuerons de désigner respectivement par G et P le grand et le petit terme d’un syllogisme, et son moyen terme sera représenté par M.

39. On voit donc que, des deux prémisses d’un syllogisme, l’une contient le grand et le moyen termes ; et c’est celle-là qu’on appelle la majeure du syllogisme. L’autre, qui contient le moyen et le petit termes, en est dite la mineure. Nous nous conformerons ici à l’usage constant des logiciens, qui est d’écrire et d’énoncer d’abord la majeure, ensuite la mineure, et enfin la conclusion. Pour faire sentir la liaison entre ces trois propositions, il est d’usage de faire respectivement procéder la mineure et la conclusion des conjonctions or et donc.

40. La quantité et la qualité des propositions qui composent un syllogisme en constituent ce qu’on appelle le mode ; de sorte que, pour que deux syllogismes puissent être dits de même mode, il est nécessaire et il suffit que la majeure, la mineure et la conclusion de l’un soient respectivement de mêmes quantité et qualité que la majeure, la mineure et la conclusion de l’autre.

41. La manière dont le moyen terme d’un syllogisme se trouve disposé dans ses deux prémisses en constitue ce qu’on appelle la figure ; de sorte que, pour que deux syllogismes puissent être dits appartenir à la même figure, il est nécessaire et il suffit que, dans la majeure et dans la mineure de l’un, le moyen terme soit respectivement aux mêmes places qu’il occupe dans la majeure et dans la mineure de l’autre. Nous nous conformerons ici à l’usage presque universel des logiciens qui est d’appeler

Première figure, celle où le moyen terme, sujet dans la majeure, est attribut dans la mineure ;

Deuxième figure, celle où le moyen terme, attribut dans la majeure, est sujet dans la mineure ;

Troisième figure, celle où le moyen terme est attribut dans les deux prémisses ;

Quatrième figure, celle où ce moyen terme est à la fois sujet dans l’une et dans l’autre[13].

42. Puisqu’un syllogisme est formé de trois propositions, dont chacune peut être de quatre sortes différentes ; il s’ensuit que, si tous les modes syllogistiques pouvaient être admis, leur nombre s’élèverait à et, puisqu’à chaque mode peuvent répondre quatre figures différentes, le nombre total des formes syllogistiques s’élèverait ainsi à Mais nous verrons bientôt que le nombre des formes vraiment concluantes est incomparablement moindre.

43. Nous continuerons, à l’avenir, de représenter par quelqu’une des quatre lettres (A, N, a, n) soit la conclusion d’un syllogisme, soit la majeure, lorsqu’elle aura pour attribut ou grand terme le grand terme du syllogisme, soit enfin la mineure, lorsqu’elle aura pour sujet ou petit terme le petit terme du syllogisme. Nous emploîrons, au contraire, quelqu’une des lettres () pour désigner, soit la majeure, lorsqu’elle aura pour sujet ou petit terme le grand terme du syllogisme, soit la mineure, lorsqu’elle aura pour attribut ou grand terme le petit terme du syllogisme.

44. Au moyen de cette convention, rien ne sera plus facile que de représenter, d’une manière aussi abrégée qu’expressive, un syllogisme quelconque, concluant ou non ; il suffira pour cela d’écrire de suite, les unes à côté des autres, et dans leur ordre, de gauche à droite, les lettres qui représentent respectivement la majeure, la mineure et la conclusion. Ainsi, par exemple, le syllogisme que voici :

sera représenté par le symbole NAn. On voit, d’après cela, que la troisième lettre ne sera jamais renversée ; qu’il en sera de même des deux premières, dans la première figure ; qu’elles le seront toutes deux, dans la seconde, que la première le sera seule, dans la troisième ; et qu’enfin ce sera, au contraire, la seconde qui le sera dans la quatrième. On voit qu’à l’inverse ; trois de nos huit caractères, écrits de suite, exprimeront toujours un syllogisme, concluant ou non, pourvu toutefois que le dernier ne soit point une lettre renversée.

45. Les cinq caractères H, X, I, C, , continueront d’ailleurs à indiquer les relations d’étendue entre deux quelconques des trois termes d’un syllogisme ; et toutes les conventions faites jusqu’ici, à l’égard de ces signes, continueront d’avoir lieu, lorsque les termes comparés seront les termes extrêmes, c’est-à-dire, les termes P et G de la conclusion. Mais nous emploîrons le caractère C pour exprimer, soit que le grand terme G contient le moyen M, soit pour exprimer que ce dernier contient le petit P ; tandis que nous emploîrons au contraire le caractère pour exprimer que le petit terme P contient le moyen M, ou que ce dernier, contient le grand G.

46. Nous convenons enfin que trois de ces cinq lettres, écrites consécutivement, indiqueront l’état relatif des trois termes d’un syllogisme, pris deux à deux ; le premier de ces caractères indiquant la relation entre le grand et le moyen termes, c’est-à-dire, entre les deux termes de la majeure ; le second indiquant la relation entre le moyen et le petit termes, c’est-à-dire, entre les deux termes de la mineure ; et enfin le troisième indiquant la relation entre le grand et le petit termes, c’est-à-dire, entre les deux termes de la conclusion. Ainsi, par exemple, le symbole CHX signifiera que le grand terme contient le moyen, que celui-ci est tout-à-fait étranger au petit ; et que ce dernier a une partie commune avec le grand.

47. Avant d’aller plus loin, il est essentiel de remarquer que, dans la théorie qui nous occupe présentement, on ne doit aucunement s’occuper de la vérité ou de la fausseté effectives des propositions dont les syllogismes se composent, mais simplement de la liaison de la conclusion avec les prémisses. Ainsi, un syllogisme formé de trois propositions d’une fausseté manifeste sera réputé exact, si, les prémisses étant admises comme vraies, la conclusion s’ensuit inévitablement ; tandis qu’au contraire le défaut de cette liaison, entre la conclusion et les prémisses, rendra vicieux un syllogisme même composé de trois propositions évidente. En un mot, le but final de la théorie du syllogisme est la résolution de la question suivante : Deux propositions qui ont un terme commun étant supposées vraies, et aucune autre notion que celles qu’elles peuvent fournit n’étant supposée acquise sur l’étendue relative des trois termes dont ces propositions se composent ; découvrir s’il en résulte nécessairement quelque proposition entre leurs termes non communs, et quelle est cette proposition ? Telle est donc aussi la question qui doit présentement nous occuper[14].

48. Notre premier soin, dans cette recherche, doit être d’examiner scrupuleusement les différens cas dans lesquels peuvent se trouver, les uns par rapport aux autres, sous le rapport de leur étendue, les trois termes dont un syllogisme se compose. Cette question revient évidemment à demander de combien de manières trois figures fermées quelconques, trois cercles par exemple, désignés par peuvent être disposés, les uns par rapport aux autres, sur un même plan ; et le moyen le plus propre à le découvrir est de placer d’abord deux d’entre eux, et par exemple, dans chacune des cinq situations que nous savons déjà (6) être les seules possibles ; et d’examiner ensuite successivement, pour chacune d’elles, les diverses situations que peut avoir, par rapport à ces deux cercles, un troisième cercle Afin de n’omettre aucun cas, on fera bien de consulter le tableau suivant, dressé à l’avance, et dans, lequel la première lettre de chaque assemblage désigne la relation de avec tandis que la seconde désigne la relation de avec  :

sur quoi il est essentiel d’observer que, suivant la relation supposée entre et il y aura tels systèmes de relation de avec et compris dans ce tableau, qui ne seront point réalisables, et qu’il faudra conséquemment rejeter. Ainsi, par exemple, si la relation entre et est c’est-à-dire, si ces deux idées ont simplement une partie de leur étendue qui leur soit commune, et que chacune d’elles ait d’ailleurs une partie de son étendue étrangère à l’autre, il sera impossible que soit hors de l’une et contienne l’autre ; de sorte qu’à on ne pourra accoler aucune des deux combinaisons HC et H.

49. Avec ces attentions, on parviendra, sans aucune peine, à remplir le tableau suivant, qui présente le résultat de notre recherche :

Relat. de M avec G et P
Relat. entre G et P

Dans ce tableau, chacune des lettres écrites après le trait vertical à droite est censée écrite à la droite de chacune des combinaisons de deux lettres qui se trouvent à gauche, sur la même ligne qu’elle.

On voit donc que le nombre total des cas s’élève à cinquante-quatre.

50. On voit d’après cela que, puisque, par exemple, la combinaison HX fait partie de ce tableau, il est possible que, le grand et le moyen termes étant absolument étrangers l’un et l’autre, le moyen soit entièrement contenu dans le petit, et que ce dernier ait seulement une partie commune avec le grand ; mais, comme la combinaison XH en est exclue, on en doit conclure qu’il est impossible que, le moyen terme n’ayant qu’une partie commune avec le grand et étant contenu dans le petit, ce dernier soit tout-à-fait étranger au grand.

51. Ce même tableau suffirait, à la rigueur, pour nous faire découvrir, dans tous les cas, si deux prémisses données admettent ou n’admettent point de conclusion, et pour nous apprendre en même temps, dans la première de ces deux hypothèses, quelles sont les sortes de conclusions qu’elles peuvent admettre. Soit, par exemple, le système des prémisses  ; on sait (26) que la majeure peut répondre, et ne peut répondre uniquement qu’aux seuls cas I, , et que la mineure répond et ne peut répondre qu’au seul cas H ; d’où il résulte que, dans la supposition présente, le système de relations de avec et ne peut être que IG ou H ; or, le tableau (49) prouve que, dans l’une et l’autre hypothèses, la relation entre G et P peut être et ne peut être que H ; d’où il suit (26) qu’on peut conclure certainement et uniquement ou n ; ce qui donne les deux syllogismes concluans N, n ; c’est-à-dire, en développant,

52. Si, au contraire, on donne le système de prémisses A ; la majeure A annoncera (26) que G et M ne peuvent se trouver, l’un par rapport à l’autre, que dans l’un des cas I, C ; et la mineure fera connaître que la relation entre M et P ne peut être que H de sorte que les systèmes de relation de M avec G et P pourront être indistinctement et uniquement IH ou CH ; or (49), on voit que, si ce système était IH, la relation entre G et P ne pourrait être que H ; mais que, si, au contraire, ce système était CH, cette relation pourrait être indistinctement H, X ou C ; tout ce que nous apprend donc l’existence de prémisses A, c’est que la relation entre G et P peut être indistinctement et uniquement H, X ou C ; or, il n’en faut pas davantage pour voir qu’il ne peut y avoir ici aucune conclusion certaine ; car, si la relation était H, on ne pourrait conclure ni A ni a ; et, si, au contraire, cette relation était C, la conclusion ne pourrait être ni N ni n ; ainsi, la combinaison A ne peut former les prémisses d’aucun syllogisme concluant ; c’est-à-dire, en d’autres termes, que des deux propositions

on ne saurait conclure certainement aucune proposition dont P soit le sujet et G l’attribut.

53. On pourrait se conduire de la même manière dans tous les cas, et conséquemment notre tâche se terminerait ici, si nous n’avions le dessein de former, une fois pour toutes, le tableau complet de tous les syllogismes concluans.[15] À la vérité, nous pourrions procéder de la même manière à leur recherche ; mais on sent que le nombre total des systèmes de prémisses possibles s’élevant à 64, il serait beaucoup trop long de les soumettre tous successivement à une semblable discussion ; tâchons donc de parvenir à notre but par une marche un peu plus rapide.

54. La conclusion d’un syllogisme ne peut être que A, N, a, n. Or,

1.o Pour que cette conclusion soft A, il est nécessaire et il suffit (26) que G et P ne se trouvent uniquement que dans l’un ou l’autre des deux cas I et C ; donc les relations de M avec G et P ne peuvent être alors que celles qui, dans le tableau (49), se trouvent répondre à l’un ou à l’autre des cas I, C, de la dernière colonne, ou même à tous les deux, sans répondre à aucun des autres cas H, X, de cette même colonne.

2.o Un raisonnement semblable prouvera que, pour une conclusion N, les systèmes de relation de M avec G et P ne peuvent être que quelques-uns de ceux qui répondent à H, sans répondre à aucun des quatre autres cas X, I, C, , de la dernière colonne du même tableau.

3.o Pareillement, les systèmes de relation de M avec G et P qui pourront donner lieu à la conclusion a seront ceux-là seulement qui se trouveront répondre à quelqu’un des cas X, I, C, de la dernière colonne, sans répondre au cas H de cette colonne.

4.o Enfin, les systèmes de relations de M avec G et P qui pourront donner lieu à la conclusion n seront ceux-là seulement qui se trouveront répondre à quelqu’un des cas H, X, de la dernière colonne, sans répondre à aucun des cas I, C de cette même colonne.

55. À l’aide de ces observations, rien ne sera plus aisé que de conclure de notre tableau (49) le tableau suivant :

Relat. de M
avec G et P.
Conclusions.

Ce tableau montre que, par exemple, une conclusion N peut être admise, lorsque le moyen terme, étranger au grand, contient le petit ; car, vis-à-vis de HC on rencontre N ; mais il montre en même temps qu’on ne saurait conclure a dans le même cas ; puisque la combinaison HC ne se trouve point vis-à-vis de cette lettre.

56. Cela posé, et eu égard aux tableaux (26),

1.o En ordonnant ainsi les combinaisons qui répondent à A ;

on voit que, soit que les deux termes de la majeure soient dans le cas I ou dans le cas C, les seuls où ils puissent se trouver pour cette conclusion, il faut toujours que ceux de la mineure se trouvent dans l’un des cas I et C ; il faut donc que cette mineure soit A ; et, comme la majeure ne peut alors se trouver elle-même que dans l’un des deux cas I et C, il faut aussi que cette majeure soit A ce qui donne le seul système de prémisses

AA.

2.o En ordonnant ainsi les combinaisons qui répondent à N

on voit que, si les deux termes de la majeure sont dans le cas H ; ceux de la mineure ne pourront être que dans l’un des deux cas I et C, en sorte que cette mineure sera A ; et que, si les deux termes de la mineure sont dans le cas H, ceux de la majeure ne pourront être que dans l’un des deux cas I et , en sorte que cette majeure sera  ; et, comme le cas H, considéré isolément, ne peut répondre qu’à N et ; il s’ensuit que nous aurons uniquement ici les systèmes de prémisses

NA, A, N, .

3.o En disposant ainsi les combinaisons qui répondent à a

on voit d’abord que, si les deux termes de la majeure se trouvent dans l’un ou l’autre des deux cas I, C, c’est-à-dire, si cette majeure est A, les termes de la mineure devront être dans quelqu’un des quatre cas X, I, C, , c’est-à-dire, que cette mineure devra être A, a, ou  ; on voit de plus que, si les deux termes de la mineure se trouvent dans l’un des deux cas I, c’est-à-dire, si cette mineure est , ceux de la majeure devront être dans quelqu’un des quatre cas X, I, C, , c’est-à-dire que cette majeure devra être A, a, ou . On aura donc, pour la conclusion a, les systèmes de prémisses

AA, Aa, A, A, , a, .

4.o Enfin, en disposant ainsi les combinaisons qui répondent à n

on voit, 1.o que, les termes de la majeure étant dans le cas H, ceux de la Mineure ne pourront être que dans quelqu’un des cas X, I, C, , c’est-à-dire que cette mineure devra être A ; a, ou  ; 2.o que, les termes de la majeure étant dans le cas X, ceux de la mineure ne pourront être que dans quelqu’un des cas I, , en sorte que cette mineure sera nécessairement  ; 3.o que, les termes de la majeure étant dans le cas I, ceux de la mineure ne pourront être que dans quelqu’un des cas H, X, , c’est-à-dire que cette mineure devra être N, n ou , 4.o qu’enfin les termes de la majeure étant dans le cas , ceux de la mineure ne pourront être que dans quelqu’un des cas H, X, I, de manière que cette mineure devra être N, n, , . On voit donc, 1.o que, la mineure étant A, a ou , la majeure devra se trouver dans le cas H, et sera conséquemment ou N ; 2.o que la mineure étant N, n ou , la majeure devra être dans l’un des cas I, , et devra conséquemment être  ; 3.o qu’enfin la mineure étant , la majeure devra être dans quelqu’un des cas H, X, de sorte que cette majeure sera N, n ou . On aura donc ainsi, pour cette dernière sorte de conclusion, les systèmes de prémisses

NA, Na, N, A, a, , N, n, , N, n,

57. En rassemblant toutes ces diverses observations, et rétablissant les conclusions ; on aura donc, pour le système complet des formes syllogistiques concluantes,

AAA,
NAN, AN, NN, N ;
AAa, Aaa, Aa, aa, a, a ;
NAn, An, Nn, n, Nn, nn, n, nn, Nan, Nn, an, n.

58. Si présentement, pour nous conformer à l’usage constant des logiciens, nous classons ces diverses formes syllogistiques, suivant les figures auxquelles elles se rapportent, nous obtiendrons le tableau que voici :

1.re Figure … AAA, NAN, AAa, Aaa, NAn, Nan ;

2.me Figure … N, a, a, n, n, n ;

3.me Figure … AN, NN, Nn, nn, An, an ;

4.me Figure … Aa, aa, Aa, Nn, nn, Nn.

Il répond donc six modes à chaque figure, ce qui fait vingt-quatre formes en tout[16].

59. Un examen attentif de ces vingt-quatre formes, et l’exclusion qu’elles donnent nécessairement à toutes celles qui leur sont étrangères, conduisent aux huit théorèmes généraux que voici, dont les quatre premiers sont indistinctement relatifs à toutes les figures, tandis que les quatre autres sont spécialement propres à chacune d’elles.

I. Une seule des prémisses peut être négative ; et, dans ce cas, la conclusion l’est aussi.

II. Une seule des prémisses peut être particulière ; et, dans ce cas, la conclusion l’est aussi.

III. Une majeure particulière ne saurait être suivie d’une mineure négative.

IV. Une conclusion négative ne saurait résulter de deux prémisses affirmatives.

V. Dans la première figure, la majeure est universelle, et la mineure affirmative.

VI. Dans la seconde figure, si la majeure est affirmative, la mineure est universelle ; si l’une des prémisses est négative, la majeure est universelle ; enfin, si la mineure est affirmative, la conclusion est particulière.

VII. Dans la troisième figure, une prémisse est négative et la majeure est universelle.

VIII. Dans la quatrième figure, la mineure est affirmative, et la conclusion particulière.

Pour compléter ces huit règles, il est essentiel d’ajouter qu’elles sont, à la fois, nécessaires et suffisantes, c’est-à-dire, en d’autres termes, qu’un syllogisme qui ne pèche contre aucune d’elles ne saurait être rejeté ; tandis qu’au contraire on ne peut admettre, comme concluant, celui qui pèche-contre une seule d’entre elles.

60. Ces règles peuvent donc, dans la pratique, remplacer tout ce qui les précède ; et nous allons voir en effet qu’elles suffisent à elles seules pour reproduire les vingt-quatre seules formes syllogistiques concluantes.

D’abord, abstraction faite de toute distinction de figures, les systèmes de prémisses, concluantes ou non concluantes, ne sauraient être qu’au nombre de seize que voici :

mais (I) exclut les systèmes NN, nN, Nn, nn ; (II) exclut, en outre, les systèmes aa, na, an ; (III) exclut encore aN ; de sorte que nos recherches ne doivent plus porter que sur les huit systèmes

AA, AN, NA, Aa, An, Na, aA, nA ;

or, les systèmes aA, AN, An, sont exclus (V) de la première figure ; les systèmes Aa, An, nA le sont (VI) de la seconde ; les systèmes AA, Aa, aA, nA le sont (VII) de la troisième ; et les systèmes AN, An le sont (VIII) de la quatrième ; de sorte que les systèmes de prémisses qui seuls peuvent répondre à chaque figure sont tels qu’on le voit ici :

1.re Figure … AA, NA, Aa, Na ;

2.me Figure … , , , ,  ;

3.me Figure … N, A, n, a ;

4.me Figure … A, N, A, N, a, n.

Cela posé ;

Dans la première figure on ne pourra former

De AA (IV) que AAA, AAa,

De NA (I) que NAN, NAn,

De Aa (II, IV) que Aaa,

De Na (I, II) que Nan.

Dans la deuxième figure on ne pourra former

De (IV, VI) que a,

De (I) que N, n,

De (I, VII) que n,

De (I, II) que n,

De (II, IV) que a.

Dans la troisième figure on ne pourra former

De N (I, VII) que NN, Nn,

De A (I, VII) que AN,An,

De n (I, II, VII) que nn,

De a (I, II, VII) que an.

Enfin, dans la quatrième figure on ne pourra former

De A (IV, VIII) que Aa,

De N (I, VIII) que Nn,

De A (IV, VIII) que Aa,

De N (I, VIII) que Nn,

De a (IV, VIII) que aa,

De n (I, VIII) que nn.

Ce qui reproduit exactement nos vingt-quatre formes[17].

61. Si ces vingt-quatre formes sont seules concluantes et le sont toutes, elles ne sont point néanmoins toutes nécessaires. Il en est, en effet, parmi elles, qui sont absolument équivalentes ; et il en est aussi que d’autres renferment implicitement ; de sorte qu’un raisonnement présenté sous une de ces formes peut, très-souvent, sans rien perdre de sa rigueur, être reproduit sous une ou plusieurs autres. L’art de réduire les formes syllogistiques au plus petit nombre possible, aux formes essentiellement distinctes, est ce qu’on appelle, en logique, la Réduction des syllogismes. Cette réduction est fondée sur les considérations suivantes :

62. 1.o Si quelqu’une des prémisses d’un syllogisme est une proposition susceptible de conversion simple, comme N, , a, , on n’altérera aucunement la nature du syllogisme (30), en y remplaçant cette prémisse par sa converse simple.

2.o Si la conclusion d’un syllogisme est elle-même susceptible de conversion simple, comme N, a, on pourra également (30) ; sans en changer la nature, y remplacer cette conclusion par sa converse simple. Mais, comme alors le grand terme sera devenu petit terme et réciproquement ; la majeure sera aussi devenue mineure et réciproquement ; et en outre, dans les deux prémisses, ce qui était grand terme du syllogisme en sera devenu petit terme et réciproquement. Il suit de là que la conversion de la conclusion devra entraîner la permutation des prémisses, ainsi que le renversement des lettres par lesquelles elles se trouvent respectivement représentées.

3.o Un syllogisme concluant, dont la conclusion est universelle, comme A ou N doit l’être, à plus forte raison (20), en y remplaçant cette conclusion par sa subalterne a ou n.

4.o Enfin, un syllogisme concluant, dont quelque prémisse est particulière, comme a, n, ou , doit demeurer tel, à plus forte raison, en y remplaçant cette prémisse par la proposition A, N, ou , dont elle est la subalterne.

63. En vertu de la première observation, on voit sur-le-champ que

Nn, an, n sont équivalents à Nan ;
Que NN l’est à N ;
Que Nn l’est à n ;
Que An l’est à NAN ;
Que Aaa l’est à Aa ;
Que An l’est à NAn ;
Que aa l’est à a ;
Que n l’est à Nn.

Voilà donc dix formes qui peuvent être supprimées, comme superflues, ce qui en réduit le nombre aux quatorze suivantes :

Nan, N, n, NAN, Aa, NAn, a,
Nn, AAA, AAa, nn, Aa, nn, a.

Mais ; en vertu de la seconde observation,

a équivaut à Aaa ou Aa ;
a équivaut à AAa ;
N équivaut à NAN.

Voilà donc encore trois formes superflues ; et conséquemment les formes essentiellement distinctes se réduisent aux onze que voici :

Nan, n, NAN, Aa, NAn, Nyn, AAA, AAa, nn, Aa, nn.

64. Présentement, en vertu de la troisième observation,

NAn est contenu dans NAN ;
AAa est contenu dans AAA ;

et, en vertu de la quatrième,

Nn est contenu dans nn ;
Nn est contenu dans nn ;
Aa est contenu dans Aa ;

voilà donc encore cinq formes qui peuvent être supprimées, comme contenues implicitement dans cinq autres. Il n’importe donc de conserver que les six seules formes

AAA, NAN, Aa, Nan, nn, nn ;

et encore allons-nous voir, qu’à la rigueur, les deux premières peuvent remplacer les quatre qui les suivent ; c’est-à-dire qu’on peut prouver les conclusions de celles-ci, à quelqu’un qui en admet les prémisses, en n’employant que des syllogismes des deux premières formes.

65. Cela est fondé sur ce principe évident, savoir : qu’un syllogisme est concluant, toutes les fois qu’avec la contradictoire de sa conclusion et l’une de ses prémisses, on peut former un syllogisme concluant, dont la conclusion soit la contradictoire de son autre prémisse.

66. Supposons, en effet, 1.o qu’accordant les prémisses A du syllogisme Aa, on prétende en refuser la conclusion a ; on se trouvera alors forcé d’admettre (20) la contradictoire N de cette conclusion. Prenant donc G pour moyen terme, et formant un syllogisme dont la majeure soit la converse simple de cette contradictoire, et dont la mineure soit la majeure du premier ; ce syllogisme se trouvera être de la forme NAN ; et sa conclusion se trouvera être précisément la contradictoire de la mineure qu’on avait admise.

2.o Supposons qu’accordant les prémisses Na du syllogisme Nan, on prétende en refuser la conclusion n ; on sera contraint d’admettre la contradictoire A de cette conclusion. Prenant donc G pour moyen terme, et formant un syllogisme qui ait pour mineure cette contradictoire, et pour majeure la converse simple de la majeure du premier ; ce syllogisme se trouvera encore être de la forme NAN, et sa conclusion N sera justement la contradictoire de la mineure a qu’on avait admise.

3.o Supposons qu’accordant les prémisses n du syllogisme nn, on prétende en refuser la conclusion n ; on sera contraint (20) d’admettre la contradictoire A de cette conclusion. Prenant donc G pour moyen terme, et formant un syllogisme dont la mineure soit cette contradictoire et dont la majeure soit celle du premier ; ce syllogisme sera de la forme AAA, et sa conclusion A sera justement la contradictoire de la mineure n qu’on avait admise.

4.o Supposons enfin qu’accordant les prémisses n du syllogisme nn, on prétende en rejeter la conclusion n ; on sera contraint (20) d’admettre la contradictoire A de cette conclusion. Prenant donc P pour moyen terme, et formant un syllogisme dont la majeure soit cette contradictoire, et dont la mineure soit celle du premier ; ce syllogisme sera encore de la forme AAA, et sa conclusion A sera justement la contradictoire de la majeure n qu’on avait admise[18].

67. L’expérience a prouvé que, parmi les diverses formes syllogistiques, celles de la première figure sont les seules généralement propres à convaincre les hommes même les moins au courant des règles de la dialectique ; ce qui paraît tenir principalement à ce que, dans ces sortes de syllogismes, la disposition des termes extrêmes est, dans la conclusion, la même que dans les prémisses. On fera donc bien, dans la pratique, de profiter des précédentes observations, pour employer de préférence les syllogismes de cette figure.

68. Ce qui précède offrirait une théorie complète du mécanisme du raisonnement, si l’on n’employait jamais dans le discours que des propositions simples ; mais malheureusement nos langues en emploient d’une multitude d’autres sortes ; et il paraît également difficile soit d’en restreindre le nombre, soit de donner une théorie qui embrasse toutes celles dont on peut faire usage[19].

  1. Il eût été fort à désirer pour l’esprit humain, qu’elle n’eût été que cela ; mais c’est malheureusement sur elle que s’est élevée, sous le nom pompeux de Métaphysique, une vaine et contentieuse science ; une science toute de mots, dans laquelle on a vainement cherché à masquer, sous la sévérité des formes, le vide absolu du fond. Il est, au surplus, fort douteux que la manie d’Analise des facultés de l’ame qui, depuis plusieurs années, tourmente certains adeptes en France, doive produire des fruits beaucoup plus précieux. Ils prétendent avoir découvert que penser c’est sentir ; mais, en admettant même qu’il y ait à quelque chose de plus qu’une extension nouvelle et arbitraire donnée à la signification du mot sentir, on ne conçoit pas trop quel parti peut tirer de cette maxime, celui qui se trouve arrêté dans quelque recherche un peu épineuse. il en est à peu près de nos facultés intellectuelles comme de nos facultés physiques ; elles se perfectionnent beaucoup moins par l’analise que par l’exercice.
  2. Il y a eu un temps, en France, où il suffisait à une doctrine d’être nouvelle, pour être favorablement accueillie : aujourd’hui c’est tout le contraire. On avait certes grand tort alors ; mais a-t-on moins tort aujourd’hui ?
  3. Tout ce qui va suivre étant absolument subordonné à la signification que nous venons d’attacher à chacune de ces lettres ; il est essentiel, avant d’aller plus loin, de se la rendre bien familière. Ce doit être une chose très-facile, d’après les explications dans lesquelles nous venons d’entrer.
  4. Les dénominations de grand et de petit termes tirent leur origine de ce que d’ordinaire l’attribut a plus d’étendue que le sujet ; je les conserve ici, parce qu’elles me seront utiles.
  5. À la rigueur, toute proposition affirmative peut, sans changer de sens, être rendue négative et réciproquement ; il ne s’agit pour cela que de substituer à l’attribut un mot qui en soit l’exacte négation, comme on le voit dans cet exemple : Lagrange est mort ; Lagrange n’est point vivant. Mais on ne saurait, sans en altérer le sens, rendre particulière une proposition universelle, ni universelle une proposition particulière ; et cela à cause de l’indétermination que doit nécessairement avoir le sujet, dans les propositions particulières.
  6. Il est essentiel de remarquer qu’en logique une proposition particulière est admise, lors même que la proposition universelle entre les mêmes termes est vraie. Ainsi, par exemple, la proposition Quelques Hommes sont mortels ; qui, dans le discours ordinaire, semblerait inepte, est néanmoins reçue en logique.
  7. Il n’est aucune langue connue dans laquelle une proposition exprime précisément et exclusivement dans lequel de nos cinq cas se trouvent les deux termes qui la composent ; une telle langue, si elle existait, serait bien plus précise que les notres ; elle aurait cinq sortes de propositions ; et sa dialectique serait toute différente de celle de nos langues.
  8. Tout ce qui précède deviendra d’une évidence manifeste si, à la manière d’Euler, on prend la peine de tracer les systèmes de cercles qui répondent aux cinq cas, en marquant, dans chaque système l’un des cercles d’un P et l’autre d’un G.
  9. On demandera sans doute comment il arrive que, tandis que la vérité et la fausseté des propositions semblent si faciles à reconnaître, les hommes sont néanmoins si peu d’accord sur un grand nombre d’entre elles ? En écartant même ce que l’intérêt, l’ignorance et les passions diverses peuvent exercer d’influence sur nos jugemens ; on peut, je crois, assigner à ce phénomène deux causes principales : la première est que, par paresse ou par précipitation, nous formons souvent des jugemens sur des idées que nous n’avons pas pris le soin de bien circonscrire : la seconde consiste en ce que, très-fréquemment, nous attachons différens noms aux mêmes idées, ou le même nom à des idées différentes ; d’où il résulte que, d’un côté, une même proposition n’a point le même sens pour tout le monde, et que d’un autre, deux propositions, très-différentes, quant à l’expression, peuvent, à l’inverse, signifier la même chose, dans la pensée de ceux qui les énoncent.

    Aucun de ces inconvéniens ne se rencontre dans les sciences mathématiques ; et voilà pourquoi elles ont été jusqu’ici les seules sciences exactes. Pour que les autres sciences devinssent telles, il faudrait donc qu’à l’exemple de celles-là, elles fixassent, d’une manière précise, par des définitions, le sens des mots qu’elles emploient. Mais cela est-il généralement possible ? Il est, je crois, permis d’en douter.

  10. Les logiciens ne tiennent compte que de la première de ces deux converses, en se fondant sur ce que l’autre s’y trouve implicitement contenue, comme subalterne, Cela est vrai, mais, suivant la définition, est, tout aussi bien que converse de N.
  11. Quelques logiciens donnent à n une converse qu’ils appellent converse par contra position, mais il résulte clairement de notre analise que cette prétendue converse n’existe pas.
  12. Condillac, dans une note de sa Logique (1.re partie, chap, VII), tente de jeter du ridicule sur cette méthode. Il serait pourtant difficile d’en imaginer d’autres. C’est, en particulier, celle des géomètres qui, depuis vingt siècles qu’ils l’emploient, ont fait, par son moyen, un assez bon nombre de découvertes ; et dont les erreurs, durant ce long intervalle, peuvent facilement être comptées.
  13. Aristote et ses commentateurs, considérant la seconde figure comme un renversement de la première, n’en admettaient que trois seulement ; mais il paraît beaucoup plus exact et plus régulier d’en admettre quatre, avec Galien, Port-royal, ’S Gravesande, Euler, etc.
  14. On répète sans cesse, qu’il ne faut raisonner que sur des objets dont on a une idée bien nette ; et cependant rien n’est souvent plus faux. On raisonne en effet, avec des mots, tout comme en algèbre on calcule avec des lettres ; et, de même qu’on peut exécuter avec exactitude un calcul algébrique, sans se douter seulement de la signification des symboles sur lesquels on opère, on peut pareillement suivre un raisonnement, sans connaître aucunement la signification des termes dans lesquels il est exprimé, ou sans y songer aucunement, si on la connait. Et, pour ne pas anticiper sur ce qu’il nous reste encore à dire, il est évident, par exemple, qu’il n’est point nécessaire de connaître la nature des termes d’une proposition, pour en déduire sa converse ou sa subalterne, lorsqu’elle en admet une. Il est sans doute indispensable de bien connaître des idées sur lesquelles on veut immédiatement former quelque jugement ; mais cela n’est point nécessaire pour conclure un jugement de plusieurs autres, que l’on sait d’ailleurs être exacts.
  15. On ne doit jamais perdre de vue que le comble de la perfection des méthodes est de nous mettre en mains les moyens de parvenir mécaniquement, et sans le secours d’aucune sorte de raisonnement, au but que nous nous proposons d’atteindre.
  16. Les logiciens ont réduit jusqu’ici le nombre de ces formes à dix-neuf ; en se fondant sur ce que les cinq qu’ils négligent s’y trouvent implicitement comprises. Cela est vrai mais ils n’en ont pas moins commis une inconséquence. Parmi ces dix-neuf formes, il en est en effet, comme nous le verrons bientôt, de plus proprement équivalentes que ne le sont celles-ci avec les cinq qu’ils mettent à l’écart.
  17. Les traités de dialectique, même les plus complets, ont à peu près tous négligé de prouver, à la fois, nettement, 1.o que ces vingt-quatre formes sont toutes concluantes ; 2.o quelles sont les seules qui puissent l’être. C’est pourtant en ceci le point capital.
  18. Dans les traités de logique, on se contente de ramener les vingt-quatre formes syllogistiques concluantes aux quatre premières de la première figure ; mais on voit qu’elles peuvent, à la rigueur, être réduites aux deux premières seulement. On peut même remarquer que, d’après la note du n.o 14, la forme NAN rentre dans la forme AAA, qui est ainsi la seule d’où toutes les autres dérivent.

    Les commentateurs d’Aristote, pour faciliter le, souvenir des formes syllogistiques concluantes, les avaient rapportées à quatre vers techniques, dont chaque mot rappelait une de ces formes, et montrait en outre, par les lettres dont il était composé, à quel mode de la première figure le syllogisme se réduisait, et ce qu’il fallait faire pour l’y ramener. Le grand nombre des conditions auxquelles on avait cherché à satisfaire, dans la composition de ces vers artificiels, aurait peut-être dû en faire excuser un peu la dureté, qui a été dans ces derniers temps le sujet d’une multitude de plaisanteries assez mauvaises. Les vers des méthodes latine et grecque de Port-Royal, ceux de la Géographie de Buffier, etc., qui ont été plus épargnés, ne méritaient peut-être guère plus de faveur.

  19. Les bornes étroites dans lesquelles nous avons cherché à resserrer cet essai, peuvent en rendre une première lecture un peu difficile ; mais nous pensons qu’en y revenant à plusieurs fois, on finira par n’y plus rencontrer de difficultés sérieuses.