Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 09/Analise algébrique, article 6

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Examen du même théorème, pour les quatre premiers degrés ;

Par M. Servois, conservateur du Muséum d’artillerie.[1]
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On ne saurait se refuser à regarder le théorème énoncé aux pages 36 et 71 du présent volume des Annales, comme étant d’une importance tout-à-fait majeure ; et, s’il était vrai, son invention ferait époque dans l’histoire de la résolution des équations numériques ; car, malgré la longueur des calculs qu’il nécessite, il réduit à les conditions de réalité des racines d’une équation du degré tandis que Lagrange, par deux voies différentes, trouve que le nombre de ces conditions est

J’élimine entre et  : le résultat, est, sans contredit, une équation dont les racines sont les ordonnées des différent sommets (points auxquels la tangente est parallèle à l’axe des ) de la courbe parabolique qu’exprime l’équation points dont les abscisses sont les racines de l’équation

Supposons que les racines de soient toutes réelles ; celles de l’équation seront toutes réelles aussi ; ainsi que celles de qui, dans ce cas, seront alternativement positives et négatives. Supposons ensuite que les racines de ne soient pas toutes réelles : celles de seront ou ne seront pas toutes réelles. Dans le premier cas, la discussion que présente le mémoire de la page 60 est lumineuse et me satisfait ; ainsi j’admets le théorème jusqu’ici.

Dans le second cas, c’est-à-dire, lorsqu’à la fois la proposée et sa dérivée ont toutes deux des racines imaginaires, la chose me semble encore problématique, pour ne pas dire plus.

1.o Quand a des racines imaginaires, généralement parlant, en a aussi et autant qu’elle ; car à des sommets imaginaires doivent répondre en général des coordonnées imaginaires[2].

2.o L’application du Théorème de Descartes à une équation suppose, comme l’on sait, que cette équation a toutes ses racines réelles ; on s’impose donc ici le travail d’induction ou de démonstration à priori qui puisse établir la correspondance entre les cas de réalité de toutes les racines de et ceux de la non réalité de tout ou partie de ces mêmes racines : c’est un travail de la première sorte que paraît avoir commencé l’auteur du mémoire déjà cité : suivons le un instant.

Au troisième degré supposons que ait deux racines imaginaires ; et admettons d’abord que ait ses deux racines réelles ; il est visible que aura ses deux racines réelles et de même signe, c’est-à-dire, toutes deux positives ou toutes deux négatives ; et par conséquent, par le théorème de Descartes ou deux variations ou deux permanences. Si, au contraire, les deux racines de l’équation sont imaginaires, celles de le seront aussi, et parce que l’équation est de degré pair, son dernier terme sera positif ; on n’aura donc, pour la succession des signes de ses termes, que les deux formes possibles

qui donnent encore deux variations ou deux permanences, comme dans le cas des racines réelles de donc le théorème vaut pour le troisième degré.

Au quatrième degré. Supposons d’abord que ait deux racines imaginaires, et admettons en outre que ait ses trois racines réelles ; aura aussi ses trois racines réelles, deux positives et une négative, ou bien trois négatives ; ce qui sera indiqué par deux variations et une permanence, ou bien par trois permanences ; si, au contraire, nous admettons que ait deux racines imaginaires ; en aura en même nombre ; mais sa racine réelle est négative ; et, comme d’ailleurs le produit des deux racines imaginaires est positif, le produit de ses trois racines sera négatif ; le dernier terme de doit donc être positif, ce qui ne permet, pour la succession des signes de ses termes, que les quatre formes suivantes

trois permanences ;
deux variations et une permanence ;

donc encore le théorème a lieu jusqu’ici.

Supposons présentement que ait ses quatre racines imaginaires, et admettons que a ses trois racines réelles : celles de le seront aussi et seront de plus toutes trois positives, ce qui correspond à trois variations, et justifie conséquemment le théorème. Admettons ensuite deux racines imaginaires dans Il y en aura également deux dans et sa racine réelle sera positive ; ce qui exige que son dernier terme soit négatif ; on aura donc, pour les formes possibles ; dans la succession des signes de ses termes

une variation et deux permanences ;
trois variations.

Ces indices sont donc plus étendus que ceux du cas précédent ; car le premier, une variation et deux permanences est celui de la réalité des quatre racines de la proposée  ; donc, si je ne m’abuse (et je désire que cela soit) le théorème est en défaut dès le quatrième degré. Du moins est-il certain que l’induction qui est l’objet du mémoire côté n’est ni assez développée ni assez prolongée, et qu’elle n’arrache pas l’assentiment du lecteur pour le cas général[3].

Au surplus, il me semble que le théorème serait encore assez important quand on lui imposerait pour limite ou condition de vérité la réalité des racines de l’équation car je crois qu’on pourrait traiter comme la proposée, par le moyen de et ainsi de suite ; et recueillir de l’ensemble des résultats les caractères de réalité des racines de la proposée ; cette voie serait encore plus courte que celle que propose Lagrange, d’après de Gua, dans la note VIII de la Résolution des équations numériques[4].

  1. Ceci est extrait d’une lettre de M. Servois au Rédacteur des Annales et n’avait point été destiné pour l’impression.
    J. D. G.
  2. Il ne pourrait guère y avoir d’exception que pour le cas où l’équation ne renfermant que des puissances paires de , l’équation aurait quelques racines imaginaires de la forme mais, en posant on ferait sortir l’équation de ce cas d’exception, et l’on en ramènerait la discussion à celle d’une équation d’un degré moitié moindre.
    J. D. G.
  3. Tout se réduit évidemment, dans cette question, à savoir si les trois premières formes sont purement hypothétiques, ou si, au contraire, quelqu’une d’entre elles peut réellement s’offrir au calculateur ; or, pour cela, il suffit d’un seul exemple ; car c’est ici, et ici seulement qu’il est permis de s’appuyer des faits, et d’invoquer en sa faveur le témoignage de l’expérience.

    Soit donc prise l’équation

    qui revient à

    ou encore à

    et qui a ainsi, bien certainement ses quatre racines imaginaires ; sa dérivée est

    ou

    ou encore

    Les abscisses des sommets de la courbe parabolique dont l’équation est

    sont donc

    d’où l’on conclura, pour les ordonnées des mêmes sommets

    l’équation sera donc ici

    ou

    ou enfin

    équation qui répond à la troisième des quatre formes du texte, et d’où, par l’application du théorème, on se trouverait faussement induit à conclure que la proposée a ses quatre racines réelles.

    Il demeure donc avéré que le théorème dont il s’agit ici ne saurait même se soutenir au-delà du troisième degré.

  4. Malheureusement il demeure établi par la discussion à laquelle s’est livré M. Tédenat, dans le précédent article, que, même avec cette limitation, le théorème ne saurait être admis au-delà du quatrième degré.