Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 09/Analise algébrique, article 7

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ANALISE ALGÉBRIQUE.

Sur le nombre des racines imaginaires des équations ;
en réponse aux articles de MM. Tédenat et Servois,
insérés aux pages 215 et 223 de ce volume ;

Par M. Bérard, professeur de mathématiques, membre
de plusieurs sociétés savantes.
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Le problème de la détermination du nombre des racines imaginaires des équations est un des plus importans et des plus difficiles de l’analise. Ce problème est résolu depuis long-temps pour les quatre premiers degrés, parce que, pour ces degrés, la forme des racines étant connue, il a été possible d’assigner les conditions de leur réalité.

De Gua donna ensuite une très-belle méthode pour parvenir aux conditions de réalité de la totalité des racines, dans une équation de degré quelconque[1] ; mais cette méthode n’apprend rien sur le nombre des racines imaginaires, dans le cas où les conditions de réalité ne sont pas toutes satisfaites.

Lagrange résolut depuis, au moyen de son équation aux quarrés des différences, le problème qui était échappé à de Gua, et dont même il avait pour ainsi dire désespéré.

Enfin, M. Cauchy, ayant repris la méthode de de Gua et les observations consignées dans la note VIII de la Résolution des équations numériques de Lagrange, en a déduit une solution générale du problème où il s’agit d’assigner le nombre des racines réelles et imaginaires, positives et négatives qu’une équation quelconque peut renfermer[2]. Malheureusement cette solution est si compliquée qu’elle n’est guère applicable à la pratique. Les racines nulles ou égales qui se rencontrent dans les équations auxiliaires la mettent en défaut ; et il faut alors avoir recours à des artifices particuliers d’analise. Aussi n’a t-il pas fallu à l’auteur moins de 91 pages in-4.° de recherches pénibles pour surmonter complètement les difficultés que son sujet lui avait présentées[3].

J’ai cherché à mon tour une méthode qui fût plus simple que celle de MM. Cauchy. J’ai cru l’avoir trouvée dans mon théorème énoncé à la page 36 de ce volume. À la page 60, un abonné a donné un semblable théorème, sous une forme un peu plus concise, et en a tenté la démonstration pour les quatre premiers degrés.

C’est ce même théorème que MM. Tédenat et Servois ont examiné, pages 215 et 223 du même volume ; et qu’ils ont trouvé en défaut dès le 4.me degré.

Je ne viens point contester l’exactitude des calculs de ces deux savans géomètres : je confesse qu’en effet mon théorème est en défaut dans les cas qu’ils ont énoncés et dans un grand nombre d’autres. Que ce soit de ma part précipitation ou défaut de lumières ; c’est un point assez indifférent à discuter. Il est d’ailleurs permis de se consoler d’une erreur, quand, on songe que les plus grands géomètres ne s’en sont point toujours su entièrement garantir ; et, qu’en particulier, l’illustre Lagrange lui-même s’est mépris sur le sujet dont il s’agit, ainsi qu’on le verra plus loin[4]. Mais, ce qu’il n’est pas indifférent de faire voir, c’est que mon théorème, tout imparfait qu’il est, fournit encore, au moyen de certaines modifications, une solution, moins simple, en effet, que je ne l’avais pensé, mais du moins préférable, pour la facilité, à celle de M. Cauchy, la seule praticable que je connaisse.

Il faut, au surplus, distinguer, en mathématiques, trois sortes de propositions, 1.o celles qui sont toujours vraies, ou qui n’admettent ni restrictions ni exceptions ; telles, par exemple, que celle-ci : La somme des trois angles de tout triangle rectiligne vaut deux angles droits ; 2.o celles qui, reposant sur un faux principe, ne peuvent en aucune sorte être admises. Par exemple, dans ses Sections coniques, n.o 172, Besout dit que si est négatif, dans l’équation celle équation n’exprime aucune ligne possible ; tandis qu’il est évident qu’alors elle exprime une parabole qui s’étend du côté des négatifs ; 3.o enfin, celles qui, bien qu’appuyées sur des principes vrais, admettent néanmoins, dans certains cas, des restrictions ou exceptions.

Les premières sont sans doute les plus précieuses : celles de la seconde sorte doivent, au contraire, être soigneusement bannies ; mais quant aux dernières, quoiqu’elles ne puissent pas prétendre au rang des premières, elles ont néanmoins leur degré d’utilité ; aussi les ouvrages de mathématiques en sont-ils remplis ; et les géomètres en font journellement usage, sans le moindre scrupule : en voici des exemples.

Les formules qui, dans certains cas, deviennent ne font rien connaître et sont conséquemment en défaut pour ces mêmes cas ; mais, par des considérations particulières, on leur rend leur utilité. C’est, en particulier, le cas de la formule lorsque et cependant cette formule n’en est pas moins employée, et même considérée comme fondamentale dans le calcul intégral.

Plusieurs des formules de la trigonométrie sphérique offrent des cas douteux : la trigonométrie rectiligne elle-même n’en est point exempte. Si représentent deux quelconques des côtés d’un triangle, et les angles opposés ; on a cette formule présente un cas douteux, que quelques auteurs seulement ont signalé (V. Trig. rect. de Bezout, n.o 267) : l’angle peut être aigu ou obtus et il faut une considération particulière pour lever le doute. Ce n’est pas tout : l’incertitude cesse, et il n’y a plus qu’une solution dans trois cas, savoir ; 1.o si l’angle est droit ou obtus ; 2.o si étant aigu est droit ; 3.o enfin, si étant aigu n’est pas moindre que Je rapporte ce dernier exemple, de préférence à d’autres, parce que la discussion à laquelle il donne lieu ne se trouve dans aucun de nos traités élémentaires, où cependant elle mériterait de trouver place[5].

Ces exemples suffisent pour prouver qu’on ne doit point confondre un théorème faux avec un théorème sujet à restriction. D’Alembert a dit quelque part : Les exceptions confirment la règle, loin de la détruire[6]. Lagrange a dit (Résolution des équations numériques, dernière édition, note IX, page 105) : Ce principe est généralement vrai ; mais j’ai remarqué depuis qu’il était sujet à de exceptions qui pouvaient mettre la démonstration précédente en défaut[7].

J’espère prouver que mon théorème est de l’espèce de ceux qui, bien qu’ils soient vrais, en général, sont néanmoins sujets à des exceptions. Il ne me restera plus alors que le tort, encore assez grave, je l’avoue, de n’avoir pas fait connaître ces exceptions[8] ; mais du moins mon théorème ne méritera plus la peine de mort prononcée contre lui par M. Tédenat.

Qu’on me permette encore, avant d’entrer en matière, de relever à mon tour certaines maximes avancées par M. Tédenat, et qui me paraissent, tout aussi bien que mon théorème, sujettes à quelques restrictions.

M. Tédenat dit : Pour prouver qu’une démonstration est fausse, il suffit simplement de la trouver en défaut dans un cas particulier. On voit, par ce qui précède, que cette maxime n’est rien moins que certaine[9].

Il ajoute plus loin : Il faut soigneusement se garder de toute précipitation, et bien mûrir ses idées avant de les faire éclore. Ce conseil est fort bon ; car il est certain que le plus sûr moyen de ne pas tomber est de ne pas marcher du tout[10] ; mais ce principe, s’il n’était restreint, serait-il bien favorable au progrès des lumières ? On peut regarder les savans comme une société de voyageurs, parcourant à l’envi, et dans toutes sortes de directions, les champs immenses de la science. Les découvertes les plus précieuses sont souvent faites, les mines les plus riches sont souvent rencontrées par les plus heureux et non par les plus habiles. Ce qu’il y a de faux est bientôt séparé de ce qui est bon ; et les erreurs même ne sont pas sans quelque utilité, parce qu’elles provoquent d’intéressantes discussions. Ces erreurs n’ont pas d’ailleurs, en géométrie, les mêmes dangers qu’elles pourraient offrir en politique[11].

PROBLÈME I. Trouver les conditions de réalité de toutes les racines d’une équation de degré quelconque ?

Solution. La première solution de ce problème est due à de Gua. Soit la proposée : la courbe serpente de part et d’autre de l’axe des ses points d’intersection avec cet axe déterminent les racines réelles ; on observe deux espèces de sommets : les uns qui tournent leur concavité vers l’axe, et pour lesquels est un maximum : les autres qui tournent au contraire leur convexité vers le même axe, et pour lesquels, par conséquent, cette ordonnée est un minimum.

Cela posé, deux conditions sont nécessaires pour la réalité de toutes les racines ; 1.o il faut que tous les sommets soient réels ou apparens, et par conséquent au nombre de et cette première condition est évidemment remplie, si la dérivés a toutes ses racines réelles et inégales.

2.o Il faut de plus que tous les sommets soient concaves vers l’axe des ou que tous les de ces sommets soient maxima. Or, on sait que, quand est maximum, sa seconde dérivée a un signe contraire au sien ; donc, si l’on pose et qu’on élimine entre cette dernière équation et on obtiendra une équation en dont toutes les racines devront être négatives et qui conséquemment n’aura que des permanences ; c’est-à-dire, une équation dont tous les termes seront positifs.

La première condition exigera, à son tour, pour la réalité des racines de deux conditions semblables ; d’où l’on conclut que, pour la réalité des racines de il faut que les auxiliaires successives au nombre de aient toutes tous leurs termes positifs.

En formant ces auxiliaires sur des équations littérales, on en déduit, en fonction des coefficiens de la proposée, les conditions, de réalité de ses racines, conditions qui sont au nombre de

La méthode de Lagrange exige la formation de son équation aux quarrés des différences des racines, laquelle, dans le cas dont il s’agit, ne doit avoir que des variations de signes[12].

La méthode de Lagrange n’exige, comme l’on voit, qu’une auxiliaire ; mais cette auxiliaire est du degré celle de de Gua en exige un nombre mais la plus élevée n’est que du degré et les calculs en sont moins difficiles. Au reste, elles conduisent toutes deux au même nombre de conditions. Lagrange s’étonne (Résol. des équat. numériq., dernière édition, note VIII, pag. 165) de ce résultat ; mais je ferai voir que, parmi ces conditions, il s’en trouve qui sont comportées par le système des autres[13] ; et que, par exemple, pour le cinquième degré, ce nombre, qui devrait être dix, se réduit à ou à cinq.

Il résulte de la théorie de de Gua ce beau théorème : savoir, que Quand toutes les racines de sont réelles, si l’on fait disparaître l’un quelconque de ses termes, autre que les termes extrêmes, les deux termes entre lesquels celui-ci se trouverait, s’il n’était pas nul devront être de signes contraires ; d’où il suit que, quand cette condition n’a pas lieu, la proposée a nécessairement des racines imaginaires[14]. (Résolut. des équat. numériq., dernière édition, note VIII, pag. 169).

On peut parvenir, par des moyens plus élémentaires, au résultat de la méthode de Lagrange. Si, en effet, n’a que des racines réelles ; en la divisant par le facteur essentiellement réel

dans lequel est supposé positif ; on aura un reste composé de termes en et des termes sans En égalant séparément à zéro la somme des uns et celle des autres, on aura deux équations en et entre lesquelles éliminant l’équation résultante en ne devra avoir que des variations, puisque ne doit avoir que des valeurs positives. Cette équation sera d’ailleurs du degré nombre des diviseurs du second degré de l’équation

PROBLÈME II. Déterminer le nombre des racines imaginaires d’une équation d’un degré quelconque ?

Solution. Ce second problème est beaucoup plus difficile que le premier, qui n’en est, au surplus, qu’un cas particulier. Il est résolu depuis long-temps, pour les degrés inférieurs au cinquième, soit par des considérations fondées sur la forme racine des racines, soit par la discussion de l’équation appelée réduite. On peut encore le résoudre, pour les mêmes degrés, soit par l’équation aux quarrés des différences de Lagrange (Voyez les numéros 37, 38, 39 de son ouvrage), soit par la méthode de de Gua. Voici les conditions auxquelles on parvient par ces diverses méthodes.

Premier degré. L’équation ne saurait, dans aucun cas, admettre des racines imaginaires.

Deuxième degré. Soit la proposée Ses deux racines seront réelles si l’on a positives ; elles seront égales si cette quantité est nulle, et imaginaires si elle est négative. Ce sont là les trois seuls cas que ce degré soit susceptible d’offrir[15].

Troisième degré. Soit la proposée elle aura ses trois racines réelles, si la quantité est négative ou nulle dans ce dernier cas, deux de ses racines seront égales ; et, si cette même quantité est positive, l’équation aura deux racines imaginaires[16].

Je ferai, à ce sujet, une remarque qui ne sera pas inutile : c’est que Lagrange s’est trompé en croyant que deux conditions distinctes étaient nécessaires pour la réalité des racines du 3.me degré. Après avoir donné ces deux conditions (Voyez n.o 38 de son ouvrage), il ajoute même formellement : si l’une de ces conditions manque, l’équation aura deux racines imaginaires. Il est pourtant évident que, pour que les trois racines soient réelles, il suffit que le radical du second degré qui entre dans leurs expressions soit imaginaire ; ce qui ne fournit qu’une condition unique. Cette condition, que je viens de donner, est précisément l’une de celles de Lagrange ; d’où l’on doit conclure que l’autre doit y être implicitement comprise[17].

Quatrième degré. Soit la proposée Les quatre racines seront réelles, si les trois conditions suivantes sont satisfaites

Les quatre racines seront imaginaires si l’une ou l’autre des deux premières ou toutes les deux ne sont point remplies.

Enfin, deux racines seront réelles et les deux autres imaginaires, si la dernière condition n’est point satisfaite[18].

Cinquième degré. Soit la proposée Sa réciproque sera ou, pour abréger,

D’après la méthode de de Gua, exposée plus haut, aura toutes ses racines réelles, si a toutes ses racines réelles, et si, en même temps, résultat de l’élimination de entre et n’a que des permanences.

On a d’abord qui donne et

D’après cela devient, en divisant par

(1)

La racine étant mise dans (1) donne d’abord cette première valeur de savoir ou

Si ensuite on substitue dans (1), autant de fois qu’on le pourra, pour sa valeur tirée de en posant, pour, abréger,

on aura

(2)

éliminant enfin, entre (2) et et posant, pour, abréger,

il vient

(3)

Réunissant le facteur trouvé plus haut, à l’équation (3), on a enfin, pour l’équation

Pour que la proposée ait toutes ses racines réelles, il faudra

1.o Que n’ait que des permanences, c’est-à-dire qu’on devra avoir, à la fois,

2.o Qu’en outre ait toutes ses raeines réelles, ce qui exige qu’on ait

La proposée n’aura que trois racines réelles dans deux cas, savoir d’abord si, ayant toutes ses racines réelles, a une variation ; ensuite, si ayant deux racines imaginaires, n’a point de variations ou en a deux seulement.

Enfin, la proposée aura quatre racines imaginaires dans deux cas, savoir d’abord si, ayant ses trois racines réelles, a deux variations ; ensuite, si, ayant deux racines imaginaires, a une ou trois variations.

Pour comprendre ce qui vient d’être dit, relativement aux cas de deux ou de quatre racines imaginaires dans la proposée, il faut faire attention que nous l’avons délivrée de son pénultième terme, pour faciliter l’élimination, et, en même temps, pour que la courbe aie toujours quatre sommets ou deux, et jamais aucun. Si l’on donne à l’axe des toutes les positions dont il est susceptible, on se rendra facilement compte des conditions que nous avons assignées pour les trois cas de racines imaginaires.

On voit, au reste, que les conditions de réalité de toutes les racines sont ici au nombre de ou et non pas au nombre de ou comme l’a trouvé Lagrange, dans l’ouvrage déjà cité (note III)[19]. Il est même à présumer, par ce qui a lieu pour le 3.me degré, que ce nombre de peut encore être réduit.

Degrés supérieurs au cinquième. Les équations qui nous ont servi pour le 5.me degré, ne suffisent plus pour tous les cas au-delà de ce degré. Mais, avant d’aller plus loin, fixons bien les idées sur la signification de nos diverses équations.

donne les abscisses des sommets de la courbe résultat de l’élimination de entre ces deux-là donne les ordonnées de ces mêmes sommets ; ses racines réelles positives ou ses variations indiquant les sommets en dessus de l’axe des et les négatives ou les permanences indiquant les sommets en dessous du même axe. L’auxiliaire résultat de l’élimination de entre et fait connaître, par ses racines réelles positives ou par ses variations, le nombre des sommets convexes vers l’axe des et par ses racines négatives ou par ses permanences, le nombre des sommets concaves vers le même axe ; enfin, chaque variation vraie, ou chaque sommet convexe, répond à un couple de racines imaginaires dans

Lorsqu’on demande le nombre des racines imaginaires de du degré on est censé savoir déterminer le nombre de celles d’une équation d’un degré inférieur. La courbe a un nombre de sommets réels, suivant que a racines imaginaires.

La courbe a des formes diverses, qu’on peut classer par le nombre des sommets apparens. Ainsi, pour le 4.me degré, il y a deux formes possibles : la première qui offre trois sommets, et la seconde qui n’en offre qu’un seul. Dans toutes deux, l’axe peut être placé de manière à laisser un sommet en dessus, en sorte que a une variation dans les deux cas ; mais, dans le premier, l’axe coupant les quatre branches, il en résulte quatre racines réelles ; tandis que, dans le second, l’axe ne rencontrant aucune branche, les quatre racines sont imaginaires. Voilà donc un cas douteux, dont l’incertitude ne saurait être levée par l’équation c’est le cas de l’équation de M. Servois ; mais on voit en même temps que le doute est levé par la dérivée car, suivant que celle-ci aura ou n’aura pas ses trois racines réelles, la proposée aura zéro ou quatre racines imaginaires.

Dans le cinquième degré, la courbe a ou sommets. Le cas de quatre sommets se subdivise en deux, dont l’un présente deux sommets concaves en dessus et deux en dessous, tandis que l’autre offre deux sommets, l’un concave et l’autre convexe, tant en dessus qu’en dessous. Ce dernier cas est celui de l’équation de M. Tédenat ; a deux variations et deux permanences, et a toutes ses racines réelles ; de sorte qu’on ne sait si doit avoir ou racines imaginaires. Pour lever le doute, il faut recourir à La proposée aura cinq ou une racines réelles, suivant que aura ou permanences. C’est ce qu’on vérifie facilement sur l’équation de M. Tédenat, pour laquelle on trouve deux valeurs positives et deux valeurs négatives de

Première méthode générale. À mesure que le degré de l’équation s’élève, le nombre des cas douteux s’accroit aussi. J’ai trouvé, par voie d’induction, que les seuls cas certains sont ceux qui répondent à variations de pour les degrés impairs, et à variations, pour les degrés pairs ; en sorte qu’il n’y a que quatre cas certains dans les degrés impairs, et trois seulement dans les degrés pairs. Dans ces cas, le théorème contesté[20] donnera, avec certitude le nombre cherché des racines imaginaires : dans les autres, il faudra lever le doute, en consultant les équations Il est même quelque cas douteux où ces deux équations ne suffiront pas.

Deuxième méthode. Si l’on connaissait le nombre des racines réelles positives de ce serait aussi le nombre des sommets convexes de la courbe, dont chacun indique deux racines imaginaires dans Donc, en appelant le nombre des racines imaginaires de celui des imaginaires de lequel est le même pour on aurait la relation Ce principe a aussi été employé par M. Cauchy (Journ. de l’école polytech., cahier XVII, pag. 462).

La question est donc ramenée à celle-ci : étant donné une équation dont on connaît le nombre des racines imaginaires ; trouver le nombre de ses racines réelles positives ?

J’ai donné une solution de ce problème préliminaire dans mon ouvrage (Méthodes nouvelles, etc., pag. 71). Les calculs en sont prolixes ; mais j’ai trouvé (pag. 65) un théorème qui fournit une solution très-simple pour les douze premiers degrés.

Remarquons d’abord qu’un facteur imaginaire du 2.me degré multipliant un polynôme réel le produit ne peut acquérir que deux variations ou deux permanences de plus que n’en avait et jamais une variation et une permanence. Ainsi, par exemple, dans une équation du 3.me degré, il y a toujours ou trois variations ou trois permanences, ou deux variations et une permanence, ou enfin une variation et deux permanences ; or, dans le 3.me cas, c’est la permanence qui indique la racine réelle, tandis que les variations répondent aux racines imaginaires : dans le 4.me cas c’est l’inverse.

En combinant ce lemme avec la règle de Descartes, on peut assigner le nombre des racines réelles positives de et celui des négatives ; à l’exception de certains cas douteux, pour desquels il faut recourir au théorème suivant.

Lorsque, dans une équation

on connaît le nombre des racines imaginaires, s’il arrive que, par la règle de Descartes, combinée avec le lemme précédent, on ne puisse discerner complètement le nombre des racines réelles positives et celui des négatives, en sorte qu’il en reste deux douteuses, qui soient toujours de mêmes signes, alors ces racines douteuses seront toutes deux négatives ou routes deux positives, suivant que la fonction

(F)

sera positive ou négative.

Soit, par exemple, l’équation

qui revient à

et dans laquelle nous supposons qu’on ait reconnu deux racines imaginaires. Comme elle a deux variations et cinq permanences, nous en conclurons, par le précédent lemme, qu’elle doit avoir au moins trois racines réelles négatives ; mais que, si elle en a davantage, elles doivent être alors au nombre de cinq ; cette équation a donc deux racines réelles de même signe, douteuses par rapport à leur signe commun, parce que le facteur imaginaire du second degré a pu également introduire ou deux variations ou deux permanences ; mais le doute est complètement levé par l’inspection du signe de (F) qui, dans cet exemple, vaut ce qui indique deux racines positives. La proposée, outre ses deux racines imaginaires, a donc trois racines réelles négatives et deux positives, comme on le voit d’ailleurs par sa seconde forme.

Revenons présentement au problème principal. Ayant trouvé, comme nous venons de le faire, le nombre des racines positives de on aura le nombre des racines imaginaires de par l’équation Ainsi, dans l’exemple précédent, on a

Au surplus, rien ne sera plus facile que de construire, pour chaque degré, une table des valeurs de qui répondent aux diverses valeurs de et du nombre des variations de Nous avons construit, pour les douze premiers degrés, une semblable table, qui ne nous a coûté que quelques heures de travail, et que nous plaçons à la suite de ce mémoire. Les cases blanches se rapportent aux cas impossibles ; et celles qui renferment deux nombres se rapportent aux cas douteux, et pour lesquels on prend le plus petit ou le plus grand des deux nombres, suivant que (F) est positif ou négatif. On trouve une seule case qui renferme trois nombres ; et c’est dans le 12.me degré. Ce cas échappe donc à la méthode, puisqu’alors le signe de (F) ne suffit plus pour lever le doute. Il est à croire que le nombre de ces cas se multiplierait, à mesure que le degré de l’équation s’élèverait, et c’est pour cela que nous nous sommes arrêtés au 12.me .

Pour donner une idée de la manière de construire cette table, prenons le cas particulier ou On tracera au crayon, ou, mieux encore, on formera, avec un fil métallique flexible, la courbe en lui donnant successivement tous les aspects qu’elle peut avoir ; alors,

1.o Pour le cas où les six sommets sont apparens, c’est-à-dire, où on placera un axe mobile de manière à produire successivement sommets convexes ; et l’on reconnaîtra que les valeurs correspondantes de sont

2.o On fera ensuite c’est-à-dire qu’on ne laissera à la courbe que quatre sommets seulement ; on donnera à l’axe mobile toutes les situations dont il pourra être susceptible ; et on se rappellera que chaque sommet convexe, ou chaque variation de vaut deux imaginaires dans et que le nombre des intersections de l’axe avec la courbe étant retranché de donne Ainsi, quand l’axe coupe toutes les cinq branches, on a ou bien on a cinq intersections ; et Quand c’est-à-dire, lorsqu’on n’a qu’un sommet convexe, on a Quand on a deux sommets convexes réels ou aucun ; parce que les deux variations peuvent être imaginaires ; et on a ou ce qui forme un cas douteux ; et voilà pourquoi la case relative à ce cas contient ces deux nombres. On fait ensuite c’est-à-dire qu’on présente à l’axe un seul sommet convexe ; parce que deux variations sont nécessairement imaginaires ; attendu que la courbe n’en peut plus offrir que deux au plus ; on a donc Enfin, pour on a nécessairement imaginaire, ce qui donne

3.o On fait c’est-à-dire que la courbe n’a plus que deux sommets apparens ; et l’on discute les différentes positions de l’axe comme nous venons de le faire.

4.o Enfin, on fait c’est-à-dire que la courbe n’a plus de sommets, et l’on raisonne comme dans les cas précédens.

Voyons donc, en résumé, ce qu’il y aura à faire pour détermiaer le nombre des racines imaginaires d’une équation, du moins jusqu’au douzième degré. La proposée étant on écrira ses dérivées en s’arrêtant à celle qui sera du 5.me degré seulement. On formera les auxiliaires en éliminant successivement entre et entre et entre et la dernière de ces auxiliaires sera également du 5.me degré.

étant le nombre des imaginaires de et celui des dérivées, ainsi que des auxiliaires, on opérera comme il suit ;

Supposons, pour fixer les idées, que la proposée soit du 8.me degré. On déterminera, par les formules rapportées (Prob. II), le nombre des racines imaginaires de la dérivée et de l’auxiliaire lesquelles ne seront que du 5.me degré. Par le moyen de et du nombre des variations de on déterminera nombre des imaginaires de la dérivée et de l’auxiliaire Par le moyen de et du nombre des variations de on déterminera nombre des imaginaires de la dérivée et de l’auxiliaire Enfin, par le moyen de et du nombre des variations de on déterminera le nombre des imaginaires de la proposée. Dans toutes ces recherches, la table dont il vient d’être question ci-dessus sera d’un très-utile secours.

Au reste, il arrivera des cas où la méthode sera en défaut : ce sont ceux où, devenant zéro, les signes de ne peuvent plus fournir de solution. Ces cas arriveront lorsque quelques-unes des racines des auxiliaires deviennent nulles ou égales. Par exemple, si la proposée était on aurait et d’où Éliminant entre cette dernière et on aura simplement

On élude la difficulté en multipliant la proposée par un facteur connu qui complète ses termes, et alors la méthode devient applicable. Au reste, la première méthode n’est point en défaut dans cet exemple.

M. Cauchy emploie deux espèces d’auxiliaires, qui ont une signification différente des miennes : leur nombre est ainsi, pour ce nombre est tandis que, pour la même valeur de il ne m’en faut que seulement. En second lieu, les racines égales ou nulles mettent la méthode de M. Cauchy plus souvent en défaut que celle-ci ; et il faut alors recourir à des artifices de calcul très-embarrassans, et beaucoup plus pénibles que ceux qui suffisent à la nôtre[21]. Nous pensons donc que ceux qui prendront la peine de comparer les deux méthodes n’hésiteront point à trouver celle-ci plus simple et moins laborieuse.

Au reste, il ne faut pas se dissimuler que la méthode de M. Cauchy, et même la mienne, sont plus précieuses en théorie qu’en pratique[22]. Les calculs deviennent tout à-fait rebutans, quand le degré est un peu élevé. Le moyen qui est alors le plus expéditif consiste à tracer la courbe Il peut se faire, à la vérité, que même le tracé de cette courbe laisse incertain si deux racines sont imaginaires ou seulement réelles et très-voisines ; mais, dans ces circonstances, assez rares d’ailleurs, on peut facilement lever l’incertitude, par la méthode que j’ai donnée pour l’approximation des racines réelles des équations numériques (Méthodes nouvelles, etc., chapitre III).

CONCLUSION.

1.o J’ai fait voir qu’une formule déduite de principes exacts, d’après une figure géométrique, peut, lorsque la figure change, par le changement des données, se trouver en défaut, et donner lieu à des cas douteux ; et qu’alors il n’est pas exact de dire que la formule est fausse[23]. À cette occasion, j’ai rectifié le sens de la formule [24].

2.o En rapportant les conditions connues de la réalité des racines pour les 2.me , 3.me , 4.me degrés, j’ai relevé la méprise de l’illustre Lagrange, relative au 3.me degré[25].

3.o J’ai donné, pour le 5.me degré, des conditions analogues à celles que l’on connaissait déjà pour les trois précédens. Ces conditions ne se sont trouvées qu’au nombre de cinq, et non au nombre de dix, comme l’avait cru Lagrange[26]. Ces formules me paraissent préférables à tout ce que l’on connaissait[27].

4.o J’ai donné, pour les degrés de à deux méthodes. Par la première, j’emploie, comme moyen principal, l’auxiliaire dans trois ou quatre cas favorables de chaque degré. Mon théorème contesté fournit pour ces cas la solution la plus simple qu’on puisse espérer. Dans les autres, il y a du doute entre deux combinaisons, mais le doute peut être levé par des moyens que j’indique.

Dans la deuxième méthode, j’emploie un nombre d’auxiliaires, et une table dont l’usage est très-facile, ainsi qu’un théorème nouveau sur les signes des racines réelles. Cette seconde méthode méritera, je pense, l’attention des géomètres ; et je remercie MM. Tédenat et Servois de m’avoir provoqué à de nouveaux efforts par leur judicieuse critique[28].

Ce mémoire aurait exigé plusieurs figures pour en faciliter l’intelligence, et en rendre l’exposé plus clair ; mais les géomètres sauront les suppléer. Un reproche plus fondé sera celui de n’avoir pas suffisamment approfondi certains points et démontré certains autres[29]. Mais je prie le lecteur de considérer que ce sont plutôt des vues que je propose qu’un traité que je prétends faire. Si elles sont jugées utiles, je n’aurai pas perdu ma peine, et les développemens deviendront faciles[30].


  1. Mémoires de l’académie des sciences, pour 1741.
  2. Journal de l’école polytechnique, XVII.e cahier, pag. 457.
  3. Oui, mais aussi que de choses dans ces 91 pages ! et quelle large et exposition !
    J. D. G.
  4. On verra là en quoi consiste cette grave méprise.
    J. D. G.
  5. Nous prendrons la liberté d’observer à M. Bérard que ces exemples ne nous paraissent pas très-heureusement choisis relativement à ce qu’il se propose d’établir. De même, en effet, qu’on ne saurait réputer meilleur celui qui se tait à certaines questions qu’on lui adresse ; on ne saurait dire pareillement qu’une formule n’est pas généralement vraie, parce que, dans certains cas, elle devient puisqu’alors même elle ne cesse pas d’être vraie. On dit bien que, pour de tels cas, elle se trouve en défaut ; mais il n’en demeure pas moins évident que, pour ces mêmes cas, elles ne sauraient induire en erreur celui qui les consulte.

    Quant à la formule elle n’est jamais en défaut. Ce n’est point, en effet, l’angle qu’elle est destinée à faire connaître, mais seulement son sinus ; et ce sinus, elle le donne toujours tel qu’il doit être. Mais, comme ce même sinus répond à deux angles distincts ; lorsque nous voulons passer de lui à l’angle auquel il répond, nous nous trouvons dans le même cas que si nous voulions résoudre une équation du second degré ; c’est-à-dire, dans le même cas où se trouve celui qui interrogeant quelqu’un en reçoit pour réponse : ce que vous me demandez est telle chose ou telle autre ; et certes, il n’y a encore rien là de contraire à la vérité.

    J. D. G.
  6. Il est peu de maximes plus dangereuses, et en même temps plus fréquemment employées, que celles dont M. Bérard cherche ici à s’étayer. Que peut, en effet, signifier cette maxime, si l’on veut lui donner un sens raisonnable ? sinon que les hommes n’établissent des exceptions que là seulement où ils ont posé des règles ; et il est très-vrai de dire qu’alors l’existence de l’exception prouve celle de la règle. Que, par exemple, l’on soit en doute, dans deux mille ans d’ici, si, au dix-huitième siècle, on pouvait être admis, à l’âge de 19 ans, à l’académie des sciences de Paris ; et qu’alors on découvre l’acte de l’autorité royale qui autorise une exception en faveur de Clairaut ; n’ayant encore que cet âge ; dès-lors le doute disparaîtra, et il sera vrai de dire que l’exception prouve la règle, loin de la détruire. Mais, si quelqu’un soutenait que les français ne sont pas propres à l’étude des sciences exactes, et qu’on lui objectât l’exemple de M. Bérard ; je le demande à M. Bérard lui-même, serait-il fondé à répondre que l’exception confirme la règle. Il ne peut donc être ici question que d’institutions humaines, et non de principes naturels ou métaphysiques. Autrement, autant voudrait dire que pour démontrer un théorème, il ne s’agit que de prouver qu’il est faux dans certains cas ; et que ce qui prouve invinciblement que tous les nombres sont pairs, c’est qu’il y en a une multitude qui ne sont point divisibles par deux ; ce qui n’est certainement pas la pensée de M. Bérard.
    J. D. G.
  7. L’autorité de Lagrange, que M. Bérard invoque ici, nous paraît, au contraire, prononcer contre lui. Il s’agit, en effet, en l’endroit cité, d’une démonstration de Foncenex que Lagrange rejette, uniquement parce que, quoiqu’exacte en général, elle est néanmoins sujette à certaines exceptions. Et, ce qui est très-remarquable, c’est que ces exceptions ne portent que sur la démonstration elle-même, et non sur le principe qui n’en souffre aucune.
    J. D. G.
  8. Il nous paraît que le tort de M. Bérard ne serait pas tant de n’avoir point fait connaître les exceptions nombreuses auxquelles son théorème est sujet que de l’avoir donné comme n’en souffrant aucune.
    J. D. G.
  9. M. Tédenat dit : Pour prouver qu’une proposition est fausse, il suffit de la trouver en défaut dans un cas particulier quelconque ; ce qui est un peu différent. C’est exactement comme si M. Tédenat avait dit : Pour prouver que les nombres ne sont pas tous pairs, il suffit d’en trouver un seul qui ne soit point divisible par deux ; et nous ne voyons rien, dans ce qui précède qui puisse infirmer cette proposition.

    Au surplus, en admettant même la version de M. Bérard, M. Tédenat aurait encore pour lui l’autorité de Lagrange, qui rejette une démonstration de Foncenex, uniquement parce qu’elle ne s’étend pas à tous les cas.

    J. D. G.
  10. Est-ce donc que ce serait ne pas marcher du tout que de chercher si une proposition que l’on soupçonne être vraie, l’est en effet ? Qui empêche d’ailleurs de publier, pour ce qu’elle vaut, une proposition dont on n’a pu parvenir à se démontrer ni la vérité ni la fausseté ?
    J. D. G.
  11. Chacun ici bas agit suivant son caractère et avec son caractère. Ainsi, tandis que M. Bérard ne déguise que difficilement quelque peu d’humeur contre M. Tédenat, qui pourtant avait poussé le sentiment des convenances jusqu’à ne pas proférer son nom dans l’article où il le réfutait ; à peine cet article a-t-il été connu de l’anonyme qui avait aussi rencontré le théorème en discussion, qu’il s’est empressé de nous adresser des réflexions tendant à corroborer les raisonnement de M. Tédenat contre la vérité de ce théorème.
    J. D. G.
  12. Il nous paraît que cette méthode n’est point de Lagrange, mais bien de Waring, comme cet illustre géomètre en convient lui-même, avec sa modestie accoutumée. (Résolut. des équat. numériq., dernière édition, note III, pag. 110.)
    J. D. G.
  13. C’est ce que Lagrange avait déjà insinué à la fin de la note III de l’ouvage cité.
    J. D. G.
  14. Cette dernière partie du théorème se déduit d’une manière tout autrement simple de la règle de Descartes. On en déduit, plus généralement, 1.o que toute équation dans laquelle il manque termes consécutifs, entre deux termes de mêmes signes, a nécessairement au moins racines imaginaires ; 2.o que toute équation dans laquelle il manque termes consécutifs, a nécessairement au moins ou racines imaginaires, suivant que est pair ou impair ; 3.o enfin, que toute équation qui présente, en plusieurs endroits, de telles circonstances a au moins la totalité des racines imaginaires annoncées par chacune d’elles en particulier.
    J. D. G.
  15. Il nous paraît de beaucoup préférable d’admettre un coefficient au premier terme, et de prendre pour la proposée la condition de réalité des racines est alors Or, sous cette forme elle présente divers avantages précieux ; car d’abord on peut y supposer entiers, ce qui facilite les substitutions dans les cas particuliers, sur-tout lorsque les coefficiens sont polynômes. En second lieu, les erreurs de calcul ou de copie dans l’équation de condition sont beaucoup plus faciles à découvrir, attendu que, d’une part, cette équation devient homogène, et que de l’autre, les coefficiens également distans des extrêmes doivent y entrer symétriquement. Enfin, sa forme symétrique la rend plus facile à graver dans la mémoire, ce qui n’est pas à négliger.
    J. D. G.
  16. Pour les mêmes raisons que dans la précédente note, il nous paraît préférable de mettre l’équation sous la forme

    la condition de réalité des racines se trouve alors très-symétriquement exprimée par l’inégalité

    ce qui revient à dire qu’il faut que l’équation du second degré

    ait ses deux racines imaginaires.

    J. D. G.
  17. M. Bérard donne cinq conditions pour la réalité des racines d’une équation du cinquième degré, en ayant soin d’observer que peut-être elles se réduisent, à un moindre nombre. Si donc demain quelqu’un, ayant trouvé que ces conditions peuvent être réduites à quatre ou à un moindre nombre, s’en autorisait pour dire grossièrement que M. Bérard s’est trompé, M. Bérard aurait justement le droit de s’en plaindre.

    C’est précisément là le cas de Lagrange ; d’une part, en donnant deux conditions pour le troisième degré, il a pu dire quelque chose de superflu, mais du moins il n’a rien dit de faux. En outre, il a observé qu’en général plusieurs des conditions pouvaient rentrer dans les autres ; il a donc prévenu le reproche que lui adresse M. Bérard.

    Au surplus, lorsqu’on entreprend de redresser un homme tel que Lagrange, il faudrait du moins ne pas faire les choses à demi ; et en particulier, en cette rencontre, il eut été assez convenable de montrer qu’en effet sa première condition se trouve comportée par la seconde : voici comment on peut s’en assurer.

    Suivant nos notations, les deux conditions assignées par Lagrange deviennent

    Or, la dernière peut être mise sous cette forme

    et l’on voit facilement alors qu’elle ne saurait être satisfaite qu’autant que la première sera remplie, puisqu’autrement la somme de deux quantités positives devrait être négative.

    On pourrait également mettre cette seconde condition sous la forme

    et on en conclurait que la première de Lagrange peut être remplacée par celle-ci

    J. D. G.
  18. En prenant l’équation et posant, pour abréger,

    la dernière condition devient

    et la première

  19. Mais, encore un coup, Lagrange ajoute, à la fin de la même note : Il est possible que quelques-unes de ces conditions se trouvent renfermées dans le système des autres, ce qui en diminuerait le nombre, comme nous l’avons vu pour le quatrième degré.
    J. D. G.
  20. Personne n’a jamais prétendu contester la vérité du théorème de M. Bérard, pour des cas particuliers. Ce que MM. Tédenat et Servois ont fait un peu plus que de contester, c’est l’universalité que, dans son ouvrage, M. Bérard avait cru devoir attribuer à ce théorème.
    J. D. G.
  21. D’accord. Mais la méthode de M. Cauchy conduit à des formules générales pour des équations littérales, tandis que celle-ci ne saurait guère s’appliquer, telle qu’elle est, qu’à des équations numériques. Mais la méthode de M. Cauchy conduit au but, dans tous les cas ; tandis que celle-ci, en la supposant même inattaquable, sous le point de vue théorique, se trouve en défaut dès le 12.me degré.
    J. D. G.
  22. En ce cas, ce n’est point la peine de chercher querelle à la méthode de M. Cauchy, et de lui reprocher la prolixité des calculs qu’elle exige. Dès qu’en effet il ne s’agit que de théorie, c’est là un objet de peu d’importance ; et c’est alors la considération de la généralité et de la pureté des principes qui doit régler les rangs entre les méthodes. Or, s’il en est ainsi, nous ne voyons rien de préférable pour la détermination du nombre des racines imaginaires des équations numériques, que le recours à l’équation dont les racines sont les quarrés des différences des siennes prises deux à deux.
    J. D. G.
  23. C’est aussi la doctrine que nous avons professée au commencement de cet article. Pour les points singuliers des courbes, par exemple, la formule est en défaut, parce qu’elle se tait ; mais, par cela même qu’elle se tait, on ne saurait dire qu’elle soit fausse dans ce cas. Il n’en est pas de même du théorème de M. Bérard ; son tort à lui est de parler dans les cas même où il devrait se taire, et de tromper ainsi ceux qui l’interrogent.
    J. D. G.
  24. Nous croyons avoir prouvé que cette formule n’a pas besoin de rectification, et qu’elle est toujours parfaitement exacte.
    J. D. G.
  25. C’est pour la troisième fois que M. Bérard revient là-dessus ; et l’on serait presque tenté d’en inférer que c’est là la partie de son mémoire à laquelle il attache le plus d’importance.

    On a vu plus haut à quoi se réduit cette grave méprise, et quelles peuvent en être les dangereuses conséquences. Certainement la plupart de ceux qui ont lu la Résolution des équations numériques, ont remarqué cette méprise tout aussi bien que M. Bérard ; car tous savent aussi bien que lui qu’une seule condition est nécessaire pour la réalité des racines d’une équation du 3.me degré, comme, en particulier, maints endroits de ce recueil pourraient en faire foi ; mais loin de songer à se prévaloir d’une distraction, très-innocente d’ailleurs, de la part d’un homme si digne de leur respect, à l’exemple des pieux et pudiques enfans de Noë, ils se sont empressés, au contraire, de détourner leurs yeux. Que si pourtant quelqu’un d’entre eux avait pu croire que, dans l’intérêt de la science, il pouvait être bon de signaler cette petite inadvertance, il l’aurait fait sans ostentation, et se serait bien gardé sur-tout d’attendre une telle conjoncture pour accoler l’épithète d’illustre au nom du grand homme dont ils auraient eu à relever la faute.

    J. D. G.
  26. Non, encore un coup, Lagrange n’a point cru cela ; il a dit formellement, au contraire, que sans doute ces conditions devaient être en moindre nombre.
    J. D. G.
  27. D’accord ; mais qui répondra que M. Bérard n’a pas commis ici une méprise pareille à celle de l’illustre Lagrange, et que ces cinq conditions sont toutes nécessaires ? Sa méprise porterait alors sur tous les degrés, puisqu’il les ramène tous au cinquième.
    J. D. G.
  28. Qu’est-ce pourtant qu’une méthode qui, de l’aveu même de l’auteur, est à peu près inexécutable dans la pratique ; et qui, de son aveu aussi, échoue en théorie dès le 12.me degré.
    J. D. G.
  29. C’est là, à ce qu’il paraît, un péché d’habitude chez M. Bérard ; il voit pourtant combien sont graves les désagrémens qu’il entraîne.
    J. D. G.
  30. À la bonne heure. Si M. Bérard parlait toujours sur ce ton, son mérite, que personne ne lui conteste, paraîtrait dans un jour beaucoup plus brillant. On peut dire du talent ce qu’on a dit de l’esprit : celui qu’on veut montrer fait tort à celui qu’on a ; et, d’ordinaire, les autres nous refusent des louanges, même méritées, en proportion de la part que nous nous en faisons nous-mêmes.
    J. D. G.