Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 11/Astronomie, article 1

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ASTRONOMIE.

Observation faite à Strasbourg de l’éclipse de soleil
du 7 de septembre 1820 ;

Par M. Herrenschneider, professeur de physique à la
faculté des sciences.
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Lettre de M. le Professeur Kramp
Au Rédacteur des Annales ;
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Monsieur et très cher confrère,

L’extrait ci-joint a pour auteur M. le professeur Herrenschneider, mon collègue. Comme nous n’avons encore ici ni instrumens ni même de local, il faut bien user de moyens étrangers pour parvenir à notre but. L’observation de l’éclipse a été faite en présence d’un assez grand nombre de personnes plus ou moins illustres ; et en voici le récit officiel, tel qu’il a paru dans le Courrier du département du Bas-Rhin, le dimanche 10 septembre 1820.

« L’éclipse de soleil du jeudi, septembre dernier fut observée par le professeur Herrenschneider, dans le jardin attenant à sa demeure, rue St-Thomas, n.o 16, avec une lunette achromatique de quatre pieds de longueur grossissant 115 fois. Il se servit, pour observer le temps, d’une bonne montre à secondes, réglés sur l’horloge de la cathédrale[1]. Il lui manquait un instrument pour connaître exactement le temps par le moyen des hauteurs correspondantes. Le disque solaire, observé dans la matinée, et pendant l’éclipse, avec la même lunette, était entièrement pur et sans tache. Le commencement de l’éclipse eut lieu à Il arriva par un contact subit et fut exactement observé. Le soleil ayant pris, par le mouvement progressif de la lune, la forme de croissant, dont la largeur diminuait de plus en plus ; ses deux extrémités, qui en formaient les sommets, étaient arrondies et présentaient une courbure assez distincte. À mesure que la lune avançait, les deux bouts arrondis du croissant solaire se rapprochaient de plus en plus. Ayant atteint la distance de à peu près, on vit se former subitement entre eux une ligne circulaire lumineuse, qui n’augmentait pas en largeur et qu’on doit probablement attribuer à l’inflexion qu’éprouvait la lumière solaire, en rasant le bord de la lune. Enfin, la réunion subséquente de ces deux bouts indiqua le moment du commencement de l’apparence annulaire de l’éclipse qui arriva à L’apparence annulaire augmenta alors visiblement. Après la formation complète et régulière de l’anneau, au moment du milieu de l’éclipse, sa plus grande largeur fut estimée à doigts et la moindre à doigt. Le disque lunaire interrompant ensuite de nouveau l’apparence annulaire, la ligne lumineuse circulaire reparut également entre les deux bouts arrondis du croissant solaire, qui commençait à se former en sens opposé. La rupture de l’anneau arriva à mais la ligne lumineuse ne disparut qu’au moment où les deux bouts du croissant s’étaient séparés de à peu près. Depuis cette époque, l’éclipse alla en décroissant, et sa fin arriva à [2].

» L’observation de cette éclipse constate le résultat des calculs de M. le professeur Kramp, doyen de la faculté des sciences, qui avaient prouvé que l’éclipse serait annulaire pour la ville de Strasbourg ; ce qui était douteux, d’après les calculs d’autres astronomes. La durée annulaire de ce phénomène a été pour Strasbourg de et la durée totale de l’éclipse de

» Des nuages assez épais s’étaient amoncelés devant le soleil avant le commencement de l’éclipse ; mais des intervalles entièrement lucides ont permis d’en observer l’instant avec une grande précision. Les nuages disparurent vers le milieu de sa durée. Quelques nuages se formèrent de nouveau vers sa fin ; mais sans nuire, à l’observation.

» Le vent a varié entre N.E et E. Il soufflait avec un frais sensible.

» Le baromètre n’a pas discontinué de monter pendant tout le temps de l’observation. L’hygromètre de Saussure indiquait le même degré d’humidité que le jour précédent.

» Le thermomètre à mercure, exposé au soleil, montrait, au commencement de l’éclipse, uns température de , au milieu et à la fin Un second thermomètre correspondant, suspendu à côté du premier, et dont la boule était noircie, indiquait aux mêmes époques et

» L’affaiblissement de la clarté du jour était très-sensible. Celle qu’on aperçut au plus fort de l’éclipse ressemblait au clair d’une pleine lune. Elle était pâle et les couleurs des objets paraissaient ternes et sombres. Néanmoins, les étoiles ne parurent point, à l’exception de la planète de Vénus, qui fut visible près de l’horizon. »

Trente mille observateurs au moins ont vu cette éclipse : tous ont été témoins de son apparence annulaire, ainsi que des rapports entre les largeurs des deux bords.

L’endroit de l’écrit précédent « ce qui était douteux, d’après les calculs d’autres astronomes », regarde sur-tout M. Litrow, directeur de l’observatoire de Vienne. Il vient de publier un petit livre sons ce titre : Exposé de la grande éclipse de soleil du 7 septembre 1820, suivi de deux cartes (Pesth, 1820). Les deux cartes sont complètement fausses d’un bout à l’autre. Strasbourg s’y trouve hors de la limite qui sépare les endroits de la terre où l’éclipse doit paraître annulaire ; tandis que, d’après mes calculs, entièrement conformes aux observations, il devrait être dedans. Il y a grande apparence qu’il faut porter le même jugement des autres endroits marqués sur la carte.

Nous avons été extrêmement attentifs sur la prétendue athmosphère lunaire : nous n’avons rien trouvé qui l’indiquât. Il faudra en revenir à ce que dit M. Biot (Astron. phys., tom. II, pag. 413). « Ces circonstances physiques s’opposent à ce que la lune, dans son état actuel, puisse être habitée par des êtres animés, semblables à ceux qui peuplent la surface de la terre ; car ils ne pourraient y respirer, ni par conséquent y vivre. Tout doit être solide à la surface de cet astre, et il y règne sans doute un froid excessif. »

Agréez, etc.

Strasbourg ; le 12 septembre 1820.
  1. On ne nous dit pas sur quoi l’horloge de la cathédrale était réglée, ni comment on parvint à régler une montre à secondes sur une horloge publique. N’y a-t-il donc pas de méridienne solaire, à Strasbourg ? La montre à secondes a du moins pu faire à peu près connaître le temps relatif.
    J. D. G.
  2. Si les calculs donnés par M. Kramp, à la page 345 du VIII.e volume de ce recueil, sont exacts, l’horloge de la cathédrale de Strasbourg aurait été en avance d’environ Si l’on admet, au contraire, ceux qu’a donné M. B. Valz à la page 125 du IX.e volume, l’avance n’aurait été que d’environ secondes seulement.
    J. D. G.