Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 13/Géométrie appliquée, article 1

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GÉOMÉTRIE APPLIQUÉE.

Petit traité de perspective linéaire ;

M. Gergonne.
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Supposons qu’un spectateur ayant devant les yeux un riant paysage, on interpose entre lui et les objets qu’il contemple une grande glace verticale, parfaitement transparente ; il est clair qu’il n’y aura absolument rien de changé pour lui dans le spectacle qui s’offrait d’abord à sa vue.

Considérons, en particulier, un point appartenant à l’un des objets dont ce spectacle se compose ; et concevons un fil tendu de ce point à l’œil du spectateur, et perçant la glace en quelque endroit ; cet endroit sera évidemment celui à travers duquel sera vu le point dont il s’agit.

Si donc, en cet endroit même, on appliquait sur la glace un point coloré et opaque, exactement de la teinte sous laquelle se montre l’autre, placé à l’extrémité du fil, ce dernier cesserait d’être visible ; et cependant rien, dans l’aspect des objets, ne serait changé pour le spectateur, puisqu’il recevrait toujours, dans les mêmes directions, les mêmes sensations de couleurs qu’auparavant.

Ce que nous venons de supposer pour un premier point des objets placés en vue du spectateur, nous pouvons le supposer pour un second, pour un troisième, pour dix, pour cent, pour mille, pour tous enfin ; c’est-à-dire, que nous pouvons remplacer chacun d’eux, par un point opaque convenablement coloré, et appliqué à l’endroit même de la glace à travers lequel il est aperçu. Cette glace, devenue ainsi tout-à-fait opaque, ne laissera plus rien voir des objets placés derrière elle ; et cependant le spectateur croira toujours apercevoir ces mêmes objets.

Que sera donc devenue la glace pour le spectateur, Elle sera devenue ce qu’on appelle un tableau. L’objet général de la perspective est d’enseigner à colorer ainsi une simple surface, de telle sorte qu’elle offre, pour un spectateur convenablement situé, le même aspect que lui offriraient des objets en relief distribués dans l’espace d’une manière déterminée.

Remarquons, avant d’aller plus avant, 1.o que, bien qu’on suppose communément, et que nous ayons nous-mêmes le dessein de supposer dans tout ce qui va suivre, que la glace destinée à devenir un tableau est une surface plane verticale, on pourrait, tout aussi bien, la supposer une surface plane inclinée, ou même une surface courbe quelconque ; 2.o que, bien qu’on suppose aussi que les objets qu’on a dessein de représenter sur le tableau sont situés derrière lui, relativement au spectateur, on pourrait également supposer qu’ils sont, en tout ou en partie, situés du même côté que lui, par rapport au tableau. Nous pensons même que des tableaux construits dans cette dernière hypothèse seraient quelquefois susceptibles d’un très-grand effet.

Le problème général de la perspective se subdivise tout naturellement en deux autres. On peut, en effet, se demander 1.o en quel point du tableau doit être représenté chacun des points des objets que l’on se propose d’y faire figurer ; 2.o quelle couleur il faut appliquer en ce point du tableau pour qu’il soit en effet la représentation fidèle du point dont il s’agit. L’art de résoudre cette dernière partie du problème a été appelé perspective aérienne, sans doute à cause de l’influence de l’air interposé entre l’œil et les objets sur la couleur apparente de ceux-ci. Bien que cette partie de la perspective soit, jusqu’à un certain point, susceptible de procédés rigoureux, cependant, comme ces procédés ne pourraient être déduits que de considérations physiques assez délicates, et dont l’application présenterait des difficultés de plus d’un genre, elle a été assez peu cultivée ; et la plupart des praticiens s’y laissent guider par le coup d’œil et une sorte d’instinct qui, comme on peut le croire, ne les sert pas toujours aussi heureusement qu’on pourrait le désirer. De là la distinction des écoles en école Flamande, école Française, école Italienne, etc. Il est évident que, si les vrais principes étaient mis en pratique, il n’y aurait plus qu’une école unique, celle de la nature.

Quant à la première partie du problème, comme elle est une conséquence fort simple des principes de la géométrie la plus rigoureuse, il y a long-temps que tout le monde est d’accord sur les résultats qu’on en doit obtenir, quoique ceux qui en ont écrit différent souvent dans le détail des procédés qu’ils prescrivent pour parvenir à ces résultats. Comme, dans cette partie, il suffit de tracer certaines lignes pour résoudre les diverses questions qu’elle peut offrir, on lui a donné le nom de perspective linéaire : c’est la seule dont il sera question ici.

Dans tout ce qui va suivre, nous ne nous occuperons constamment que du seul cas où le tableau est surface plane ; et, pour fixer les idées, nous supposerons aussi constamment que cette surface plane est verticale. Les objets à représenter sur ce tableau pourront d’ailleurs être indistinctement supposés en arrière ou en avant de lui, par rapport au spectateur.

Les objets à représenter seront dits les objets originaux, et leur représentation sur le tableau sera dite la perspective de ces mêmes objets.

D’après la notion que nous avons donnée de la perspective, on conçoit aisément que le même tableau ne peut représenter les mêmes objets originaux que pour un spectateur unique ; et encore faut-il supposer que ce spectateur n’a qu’un œil ouvert. À la vérité, si ce tableau représente des montagnes, des arbres, nuages, et en général des objets susceptibles de toutes sortes de formes, il arrivera seulement qu’il ne représentera pas, pour deux spectateurs, les mêmes montagnes, les mêmes arbres, les mêmes nuages, etc. ; mais si, au contraire, le même tableau représente des objets assujettis à des formes déterminées, des objets susceptibles de description rigoureuse, tels, par exemple, que des monumens d’architecture ; alors deux spectateurs non seulement ne pourraient voir, l’un et l’autre, ces objets à leur véritable place ; mais même ils pourront paraître tout-à-fait difformes pour l’un d’eux.

Toutefois, lorsque le spectateur s’éloigne peu du point où le peintre a supposé qu’il se placerait, la déformation n’est pas très-choquante, sur-tout lorsque le tableau est fait pour être vu d’un peu loin ; et voilà aussi comment il est possible d’exécuter un tableau qui fasse illusion à la fois à plusieurs spectateurs. Le peintre doit alors supposer son spectateur idéal au centre des moyennes distances des têtes de tous les spectateurs, afin que la déformation des objets ne soit pas trop choquante poux aucun d’eux. C’est, en particulier, ce que pratiquent les décorateurs de nos théâtres, qui supposent communément leur spectateur au centre du parterre.

Avant de se proposer de représenter sur un tableau la perspective de divers objets originaux, réels ou supposés, il est donc nécessaire de fixer le point de l’espace où l’on suppose le spectateur ; il ne l’est pas moins de fixer aussi, dans l’espace, la situation des objets que l’on se propose de représenter. On parvient au but, en rapportant l’œil et les objets, ainsi que la perspective de ces derniers, à certains plans, à certaines droites et à certains points que nous allons faire connaître.

Outre le tableau, on conçoit par l’œil deux autres plans ; fun vertical et perpendiculaire au plan du tableau, qu’on appelle, pour cette raison, le plan vertical ; et l’autre horizontal, et conséquemment perpendiculaire, comme le premier, au plan du tableau ; celui-ci est appelé le plan horizontal. Ces deux plans coupent le tableau suivant deux droites perpendiculaires l’une à l’autre, appelées respectivement la ligne verticale et la ligne horizontale, lesquelles se coupent en un point qui est évidemment la projection de l’œil sur le tableau, et qu’on appelle le point de vue. Enfin, On appelle rayon principal la distance de l’œil au point de vue, c’est-à-dire, la perpendiculaire abaissée de l’œil sur le tableau[1].

Toute surface étant composée de lignes et toute ligne de points, le problème fondamental de la perspective consiste à assigner la perspective d’un point original donné. Cela revient évidement à chercher en quel point le tableau est percé par la droite qui joint ce point à l’œil du spectateur.

Lorsqu’un point original est donné, on doit connaître sa projection sur le tableau et sa distance à cette projection. Pour que la situation de l’œil soit donnée, il faut pareillement connaître sa projection sur le tableau, que nous avons appelée le point de vue, et sa distance à cette projection, que nous avons nommée le rayon principal. Ces deux dernières données sont invariables pour tous les points originaux que l’on se propose de représenter sur le tableau.

Soient donc le tableau (fig. 1), et les lignes horizontale et verticale, se coupant au point de vue et soit le rayon principal, de telle sorte qu’en élevant au plan du tableau par le point une perpendiculaire égale à cette perpendiculaire aille se terminer à l’œil du spectateur.

Soient pareillement la projection sur le tableau de point original, dont on se propose d’assigner la perspective, et sa distance à cette projection, de telle sorte qu’en élevant au plan du tableau par le point du côté opposé à l’œil ou du même côté que lui, suivant que le point original est en arrière ou en avant de ce tableau, une perpendiculaire égale à cette perpendiculaire aille se terminer au point dont il s’agit. Ces choses ainsi entendues, soit menée sur le tableau, une droite du point de vue à la projection sur ce tableau du point original qu’on a dessein d’y représenter. Soit élevée à cette droite au point n’importe dans quel sens, une perpendiculaire d’une longueur égale au rayon principal. Soit ensuite élevé à la même droite, au point en sens contraire de ou dans le même sens, suivant que le point original est en arrière ou en avant du tableau, une perpendiculaire d’une longueur égale à la distance de ce point original au tableau. En menant coupant en ce point sera la perspective cherchée.

Si on conçoit, en effet que l’on fasse tourner le plan commun des deux triangles rectangles autour de la droite jusqu’à ce qu’il soit devenu perpendiculaire à celui du tableau, il est visible que, dans cette situation, le point se confondra avec l’œil du spectateur et le point avec le point original ; la droite sera donc alors celle qui va de l’œil à ce point, et qui doit conséquemment percer le tableau au point cherché. Puis donc que dans le mouvement, le point de cette droite ne quitte pas le tableau, il s’ensuit que ce point est le point cherché.

Ce procédé, comme l’on voit, est déjà fort simple ; cependant le grand nombre des perpendiculaires de directions différentes qu’il obligerait à mener, si l’on avait à représenter sur le tableau les perspectives de beaucoup de points, le rendrait d’une exécution un peu lente. On peut donc désirer de le simplifier, et c’est une chose extrêmement facile, comme on va le voir.

Il est connu que, lorsque deux triangles semblables ont leurs côtés homologues parallèles, les droites qui joignent leurs sommets homologues concourent en un même point. Tout étant donc d’ailleurs dans la figure 2, comme dans la figure 1, si l’on porte sur en et que du point on élève une verticale égale à en joignant et les triangles isocèles semblables et aurons leurs côtés homologues parallèles ; d’où il suit que le point cherché sera tout aussi bien déterminé par l’intersection de avec que par son intersection avec

Voici donc présentement à quoi se réduit le procédé (fig. 3). On prendra sur au-dessous du point de vue une longueur égale au rayon principal ; et le point se trouvera ainsi déterminé une fois pour toutes, et pour tous les points dont on pourra se proposer d’obtenir la perspective. Soit donc la projection de l’un de ces points sur le tableau ; on élèvera ou on abaissera en ce point, suivant que le point original sera en arrière ou en avant du tableau, une verticale égale à la distance de ce point original au tableau ; menant ensuite et , leur intersection sera la perspective cherchée.

La perspective d’une ligne droite ou courbe, plane ou à double courbure, est évidemment l’ensemble des perspectives de tous ses points ; c’est la suite des points où le tableau est percé par les droites menées de l’œil à tous les points de la ligne originale dont il s’agit ; c’est donc, en d’autres termes, l’intersection du plan de tableau avec une surface conique qui, ayant son sommet à l’œil, passe par cette ligne originale. La perspective d’une ligne est donc une autre ligne.

En particulier, lorsque la ligne originale est droite, la surface conique se réduit à un plan qui coupe le tableau suivant une autre droite. Ainsi, la perspective d’une ligne droite est elle-même une ligne droite ; de sorte qu’il suffit, pour la déterminer, d’assigner les perspectives de deux quelconques des points de la droite originale ; ce qui ramène le problème au précédent ; mais nous allons voir qu’on peut souvent parvenir au but d’une manière beaucoup plus simple.

D’abord, si une droite originale est parallèle au tableau, sa perspective lui sera parallèle ; car d’une part elle devra être avec elle dans un même plan passant par l’œil, et de l’autre elle ne pourrait rencontrer la droite originale sans que celle-ci ne rencontrât le tableau auquel on la suppose parallèle.

La perspective d’une droite originale parallèle au tableau est donc aussi parallèle à la projection de cette droite sur le tableau, projection qui est censée donnée ; de sorte que, pour obtenir la perspective demandée, il ne s’agit que d’assigner la perspective de l’un des points de la droite originale, et de mener ensuite par cette perspective, une parallèle à la projection de cette même droite sur le tableau.

On voit par là qu’en particulier si la droite dont il s’agit est horizontale ou verticale, et c’est le cas le plus ordinaire, sa perspective le sera également.

Supposons, présentement que la droite originale dont on veut obtenir la perspective ne soit point parallèle au tableau, elle percera ce tableau en un point qui sera à lui-même, sa perspective. Si ensuite an conçoit par l’œil une parallèle à cette droite, cette parallèle percera aussi le tableau en un point ; et il est encore aisé de voir que ce point sera aussi un des points de la perspective cherchée ; on aura donc cette perspective, en joignant ce second point au premier par une droite.

Il résulte de cette construction que les perspectives de tant de droites originales parallèles entre elles qu’on voudra, concourent toutes en un même, point, lequel n’est autre que celui où le tableau est percé par la parallèle commune à ces droites conduite par l’œil. Il ne s’agit donc, pour tracer ces perspectives, que de déterminer ce point, et de le joindre successivement, par des droites, avec ceux où les droites originales percent le tableau.

On voit qu’en particulier, lorsque les droites originales sont perpendiculaires au tableau, leurs perspectives concourent toutes au point de vue ; dans le cas contraire, le point où concourent ces perspectives est appelé point de vue accidentel.

Il n’est pas difficile, d’après ce qui précède, de déterminer la perspective d’un polygone ou d’une portion de polygone rectiligne, plan ou gauche ; puisqu’il ne s’agit pour cela que de joindre par des droites les perspectives de ses sommets ; ce qui donne un polygone ou portion de polygone plan rectiligne.

S’il s’agit de la perspective d’une courbe plane ou à double courbure ; on prendra sur elle des points assez voisins les uns des autres pour que les cordes menées consécutivement des uns aux autres se confondent sensiblement avec leurs arcs ; ce qui ramènera la question au cas précédent. Mais, lorsque la nature de la courbe originale est connue, on en profite pour simplifier la recherche de sa perspective. Si, par exemple cette courbe est un cercle, sa perspective devra être une section conique, dont il suffira de déterminer les quatre sommets pour être en état de la construire.

S’agit-il de la perspective d’un corps ; tout se réduit à assigner la perspective de la ligne qui sépare la portion visible de sa surface de sa portion invisible ; laquelle ligne pourra être un polygone rectiligne plan ou gauche, ou une courbe plane ou à double courbure, ce qui rentrera dans l’un des cas précédens. En particulier, si le corps est une sphère, cette ligne sera un cercle ; la perspective de la sphère est donc encore une section conique[2].

On suppose quelquefois, dans la pratique, que l’œil se trouve infiniment distant du tableau, sur une droite oblique au plan de ce tableau. Les perspectives des différens points originaux sont alors les points où le tableau est percé par les parallèles menées par ces points à la droite sur laquelle on suppose l’œil situé. On en use ainsi, en particulier, pour les figures de la géométrie à trois dimensions, pour les dessins de machines et d’appareils, ou pour ceux des monumens d’architecture isolés ; parce qu’en même temps que les procédés en deviennent plus simples, les représentations des objets en sont moins, altérées.

Tracer une carte de géographie, c’est tracer, sur une surface plane, la perspective d’une portion plus ou moins étendue de la surface d’un globe terrestre, réel ou purement idéal. Le tracé des cartes géographiques n’est donc qu’une simple application des principes de la perspective ; et, suivant les diverses situations que l’on suppose au plan de la carte et à l’œil du spectateur, par rapport au globe terrestre, on obtient différens systèmes de cartes. Dans le système de Ptolémée, par exemple, le plan du tableau est celui d’un grand cercle, et l’œil du spectateur est à l’un de ses pôles. Il en résulte de ce double avantage que les perspectives des cercles de la sphère sont elles-mêmes des cercles, et que les perspectives de deux cercles se coupent sous le même angle que ces cercles eux-mêmes[3].

L’art d’assigner la figure des ombres des corps, sur les surfaces où elles se projettent, ou ce que l’on appelle la théorie des ombres, est également une application de la perspective linéaire. On voit en effet que, pour résoudre les questions du domaine de cette théorie, il n’est question que de considérer la lumière comme l’œil du spectateur, le corps qui projette une ombre comme un objet original, et la surface sur laquelle cette ombre se projette comme le tableau. La recherche de l’ombre se réduira à celle de la perspective sur ce tableau de l’objet original.

Il arrivera seulement ici que les objets originaux seront constamment en avant du tableau, par rapport au spectateur. En particulier, s’il s’agit d’ombres solaires, à raison de l’excessive distance où nous sommes du soleil ; on retombera sur le cas où l’œil est infiniment éloigné.

S’il s’agit de figurer, dans un tableau, les ombres que projettent les corps qui y sont représentés, il faudra d’abord déterminer, par ce qui précède, quelles seraient les ombres effectives des objets originaux, et tracer ensuite la perspective de ces ombres ; on fera donc, dans ce cas, une perspective de perspective.

En un point quelconque d’une surface plane ou courbe, pris pour centre d’un cadran solaire que l’on se propose de tracer sur cette surface, soit fixé un style parallèle à l’axe du monde. En un quelconque des points de la direction de ce style, concevons qu’on lui élève, dans l’espace, perpendiculaires, faisant consécutivement, des angles égaux entre eux, et conséquemment de chacun en dirigeant d’ailleurs ces perpendiculaires de telle sorte que deux perpendiculaires opposées soient avec le style dans un même plan vertical.

Soit ensuite un point lumineux, placé sur le même style, au-delà du pied commun des perpendiculaires ; par l’effet de l’existence de ce point, celles-ci projetteront, sur la surface à laquelle le style est fixé, des ombres que l’on saura déterminer d’après ce qui précède ; or, ces ombres ne seront autre chose que les lignes horaires du cadran à construire. La gnomonique est donc une simple application de la théorie des ombres.

Ainsi, le tracé des cartes géographiques, la théorie des ombres et la gnomonique ne sont que des applications toutes simples de la perspective linéaire qui repose elle-même sur les notions les plus élémentaires de la géométrie.

On a écrit sur toutes ces choses, à l’usage des praticiens, des gros traités qui sont d’ordinaire précédés de quelques notions de géométrie. Peu de ces ouvrages sont utiles à ceux pour qui ils sont écrits, tant parce que les notions de géométrie qu’ils renferment sont superficielles et incomplètes, que parce qu’on ne saurait y considérer tous les cas ; de sorte que, lorsque les praticiens se trouvent dans des circonstances que leur livre n’a pas prévu, ils ne savent plus quel parti prendre. Aussi trouvent-ils toujours ces sortes d’ouvrages trop courts. Les véritables géomètres, au contraire, les trouvent trop longs, ou plutôt ne les lisent pas, parce qu’ils n’en ont pas besoin. Les praticiens feraient donc beaucoup mieux de laisser là leurs gros livres et d’étudier la géométrie ; car, en même temps que tout alors leur deviendrait aisé, ils posséderaient une science de plus, qu’ils pourraient appliquer à beaucoup d’autres choses.

On a vu autrefois des professeurs fatiguer leurs élèves, et leur faire consommer beaucoup de temps pour leur enseigner à résoudre péniblement, sans le secours de l’algèbre ou du calcul différentiel, des problèmes de géométrie qui auraient cédé sans effort à l’emploi des procédés de l’une ou de l’autre. Ils croyaient gagner du temps et ne voyaient pas qu’ils en perdaient réellement, et laissaient en même temps ignorer, à ceux qu’ils enseignaient, l’usage de deux leviers puissans, et d’un service très-étendu. Aujourd’hui même, dans nos collèges, on donne des leçons de cosmographie, de géographie et de cristallographie à des élèves qui n’ont pas les premières notions de la géométrie, qu’on a pourtant dessein de leur enseigner ensuite. On sent assez combien ces leçons peuvent leur être intelligibles et profitables.

Lorsqu’une science en domine ainsi un grand nombre d’autres, on ne saurait la placer trop près de l’entrée des cours d’étude ; et c’est sans doute le parti qu’on prendrait relativement à la géométrie, si ceux qui ont la direction suprême de l’enseignement n’étaient pas d’ordinaire trop attachés aux anciens usages, et trop peu soucieux de consulter, sur l’enchaînement des études, les hommes qui ont la main à l’œuvre.

  1. Outre les trois plans dont il vient d’être question, les praticiens en considèrent encore un quatrième horizontal qu’ils supposent être celui de terrain et qu’ils appellent plan géométral ; et ils donnent le nom de ligne de terre à l’horizontale suivant laquelle ce plan coupe le tableau ; mais ce plan et cette ligne sont de véritables superfluités, puisque trois plans suffisent pour fixer la situation des points de l’espace ; et d’ailleurs on ne sait plus où placer l’un et l’autre, lorsque le terrain n’est pas un plan horizontal, ainsi qu’il peut souvent arriver.
  2. Voyez, sur ce sujet, la page 311 du VII.e volume de ce recueil.
  3. Voyez, sur ce sujet, la page 156 du XI.e volume de ce recueil.