Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 14/Géométrie élémentaire, article 5

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QUESTIONS RÉSOLUES.

Démonstration du théorème de géométrie élémentaire
énoncé à la page
 28 du présent volume ;

Par M. Querret, chef d’institution à St-Malo.
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Pour rendre d’un abord plus facile la démonstration du théorème dont il s’agit, nous le convertirons en problème, en nous proposant la question suivante :

PROBLÈME. Quel est le lieu des points du plan d’un triangle desquels abaissant des perpendiculaires sur les directions de ses trois côtés, l’aire du triangle formé par les droites qui joindront deux à deux les pieds de ces trois perpendiculaires soit constante et égale à celle d’un quarré donné ?

Solution. Soient les trois sommets du triangle donné ; les angles qui leur répondent respectivement, et les côtés respectivement opposés. Soit pris le sommet pour origine des coordonnées rectangulaires, auxquelles nous supposerons d’ailleurs une direction quelconque ; et soient alors les coordonnées du sommet et celles du sommet en prenant pour symboles des coordonnées courantes, les équations des trois côtés du triangle seront, savoir :

Pour

Pour

Pour

Désignant ensuite respectivement par les perpendiculaires abaissées sur les directions de ces côtés d’un point quelconque du plan du triangle que pourtant, pour fixer les idées, nous supposerons d’abord dans son intérieur, et donc nous supposerons les coordonnées et nous aurons


En désignant donc par les pieds de ces perpendiculaires, se rappelant que l’aire d’un triangle est la moitié du produit de deux de ses côtés et du sinus de l’angle compris, et remarquant en outre

on trouvera

En prenant la somme de ces résultats, on obtiendra l’aire du triangle dont il s’agit, qu’on trouvera être, en développant, réduisant et ordonnant,

Cette aire peut être positive ou négative, suivant la situation du point mais son signe n’étant ici d’aucune considération, il suffira, pour que ce point résolve le problème, que, prise en plus ou en moins, elle soit équivalente à un quarré donné ou, ce qui revient au même, il suffira que, prise telle qu’elle est, elle soit égale à ce qui établira entre et la double équation

équation commune à deux cercles concentriques.

En posant

d’où

cette équation deviendra

et pourra ensuite être mise sous cette forme

équation commune à deux cercles concentriques dont le centre commun a pour coordonnées et Mais il est connu, et il est d’ailleurs facile de s’assurer que et sont aussi les coordonnées du centre du cercle circonscrit au triangle proposé d’où il suit qu’en représentant par le rayon de ce dernier cercle, on doit avoir D’un autre côté, en représentant par l’aire de ce même triangle, on a

d’où

et

ce qui donnera, en substituant

En désignant donc par et les rayons des deux cercles dont les circonférences résolvent le problème proposé, on aura

d’où

et

Remarquons présentement que

d’où

on a d’ailleurs

donc en divisant

et par suite

De plus, si l’on représente par la corde du cercle dont le rayon est tangente à celui dont le rayon est et par la corde du cercle dont le rayon est tangente à celui dont le rayon est on aura

donc finalement

De tout cela résulte le théorème suivant :

THÉORÈME. Si deux cercles concentriques au cercle circonscrit à un triangle, l’un intérieur et l’autre extérieur à celui-là, sont tels que la tangente à l’intérieur terminée de part et d’autre au circonscrit soit égale à la tangente au circonscrit terminée de part et d’autre à l’extérieur de quelque point de la circonférence de l’un ou de l’autre de ces deux cercles qu’on abaisse des perpendiculaires sur les directions des trois côtés du triangle, le triangle qui aura ses sommets aux pieds de ces trois perpendiculaires aura toujours la même surface, laquelle sera égale au quarré de la tangente dont il vient d’être question multiplié par les moitiés des sinus des angles du triangle proposé.

Quelque grand que soit d’ailleurs le rayon d’un cercle concentrique au cercle circonscrit à un triangle donné ; de quelque point de la circonférence du premier de ces deux cercles qu’on abaisse des perpendiculaires sur les directions des trois côtés de ce triangle, le triangle qui aura ses sommets aux pieds de ces perpendiculaires aura toujours une aire constante, et d’autant plus grande que le rayon de ce cercle aura été pris plus grand ; mais si ce rayon est plus grand que la diagonale du quarré construit sur le rayon du cercle circonscrit, il n’y aura plus de cercle intérieur qui puisse donner naissance à un triangle de pareille surface.

En particulier, de quelque point de la circonférence du cercle circonscrit à un triangle qu’on abaisse des perpendiculaires sur les directions de ses trois côtés, le triangle dont les sommets seront les pieds de ces perpendiculaires aura une aire nulle, c’est-à-dire que ces trois points seront en ligne droite[1].

Séparateur

Autre démonstration du même théorème ;

Par M. Ch. Sturm.
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Soient les trois angles du triangle donné, et le rayon du cercle circonscrit ; il est aisé de voir que les côtés respectivement opposés à ces angles seront

Si d’un point situé comme on voudra dans l’intérieur du triangle on abaisse des perpendiculaires sur les directions de ses trois côtés, ces perpendiculaires seront les hauteurs de trois triangles ayant pour bases les trois côtés du premier et leur sommet commun au point les aires de ces triangles seront respectivement

et la somme de ces aires sera l’aire du triangle donné. Mais on sait qu’on obtient aussi cette dernière en divisant le produit des trois côtés du triangle par le quadruple du rayon du cercle circonscrit ; ce qui donne

ou

on aura donc, en divisant par

(1)

Le triangle qui a ses sommets aux pieds des trois perpendiculaires est lui même décomposé, par ces perpendiculaires en trois autres ; et, en remarquant que les angles que forment ces perpendiculaires deux à deux sont les supplémens respectifs des trois angles du triangle donné, nous aurons, pour les aires de ces triangles partiels,

de sorte qu’en désignant par l’aire du triangle total, on aura

(2)

Pour rendre cette dernière équation appliquable à toutes les situations du point que nous avons d’abord supposé intérieur au triangle donné, il faudra avoir égard aux signes des perpendiculaires qu’il faudra prendre positives ou négatives, suivant qu’en partant de leurs pieds elles se dirigeront vers l’intérieur ou vers l’extérieur de ce triangle. Cette circonstance pourra quelquefois rendre négatif, ce qui, géométriquement parlant ne sera d’aucune conséquence, attendu que, dans la géométrie proprement dite, toutes les grandeurs sont supposées absolues ; mais lorsqu’au contraire on voudra envisager les choses sous le point de vue analitique, il faudra avoir égard au signe de

Cela posé, cherchons quel doit être le lieu des divers points qui rendent constante l’aire à du triangle qui a ses sommets aux pieds des trois perpendiculaires. Eliminons d’abord entre les équations (1) et (2), nous trouverons ainsi

(3)

Mais, si l’on désigne par les trois côtés du triangle donné, on aura

ou en mettant pour les trois côtés leurs valeurs et divisant par

En introduisant donc cette valeur dans l’équation (3) elle deviendra

(4)

Rapportons présentement le point aux deux côtés de l’angle pris pour axes des coordonnées, c’est-à-dire, aux deux côtés du triangle donné sur les directions desquels tombent les perpendiculaires et le premier étant pris pour axe des et l’autre pour axe des En représentant par et les deux coordonnées du point parrallèles à ces axes, nous aurons

valeurs qui, substituées dans l’équation (4) donneront, en réduisant,

équation qui appartient évidemment à un cercle et qui peut facilement être mise sous cette forme


les coordonnées du centre de ce cercle sont donc

longueurs indépendantes de ce qui nous montre que, pour les diverses valeurs de la circonférence, lieu des points ne varie que de rayon et conserve toujours le même centre.

Mais, lorsqu’on suppose l’équation, sous sa première forme, perd son terme tout connu ; elle exprime donc alors un cercle passant par l’origine, c’est-à-dire, par un quelconque des sommets du triangle donné, et par conséquent par ses trois sommets. Ainsi le lieu de tous les points, est alors le cercle circonscrit au triangle donné lui-même ; puis donc que les lieux du point répondant aux diverses valeurs de sont des cercles concentriques, ils ont tous pour centre commun le centre du cercle circonscrit au triangle donné. On voit de plus que le lien des points est ce cercle lui-même, lorsque

Si présentement nous nous rappelons que peut être pris indistinctement en plus ou en moins, nous en conclurons qu’en représentant par le rayon du cercle qui, pour une certaine valeur de résout le problème, on doit avoir

d’où l’on voit qu’en général, pour une même valeur donnée de les points qui résolvent le problème sont sur deux circonférences concentriques avec celle du cercle circonscrit au triangle donné. Nous disons en général ; car, si excédait une certaine limite, l’une des deux valeurs de deviendrait imaginaire, de sorte que le problème ne pourrait plus être résolu que par les points d’une circonférence unique.

Si l’on désigne par et les rayons des deux cercles, on aura

ce qui donne

ou encore

d’où l’on voit d’abord que l’un des deux cercles est toujours extérieur au cercle circonscrit au triangle donné, tandis que, autre lui est intérieur, tellement que la corde du cercle circonscrit tangente à l’intérieur est égale à la corde de l’extérieur tangente au circonscrit.

Pour que le plus petit des deux cercles se réduise à un point, il faut qu’on ait

d’où

ou bien

or, le numérateur de cette expression est le produit des trois côtés du triangle donné, d’où il est aisé de conclure que cette valeur de est le quart de l’aire de ce triangle. Il faut bien en effet qu’il en soit ainsi ; car, lorsque du centre du cercle circonscrit à un triangle on abaisse des perpendiculaires sur les directions de ses trois côtés, les pieds de ces perpendiculaires sont les milieux de ces mêmes côtés, et par conséquent le triangle qui a ses sommets à ces pieds est le quart du premier.

On voit aussi, par ce qui précède, 1.o que, tant que le diamètre du cercle extérieur est moindre que la diagonale du quarré circonscrit au cercle circonscrit au triangle donné, il y a un cercle extérieur et un cercle intérieur qui résolvent le problème ; 2.o que, lorsque le diamètre du cercle extérieur est précisément égal à cette diagonale, le cercle intérieur se réduit à un point ; 3.o qu’enfin lorsque le diamètre du cercle extérieur est plus grand que cette diagonale, il n’y a plus de cercle intérieur.

Il résulte aussi de ce qui précède que, lorsque le cercle extérieur se confond avec le cercle circonscrit au triangle donné, le cercle intérieur se confond aussi avec lui. L’aire du triangle qui a ses sommets aux pieds des trois perpendiculaires étant alors nulle, ces trois points doivent ainsi être en ligne droite. C’est le cas particulier déjà démontré (Annales, tom. IV, pag. 251.)

Après avoir ainsi démontré de tous points le théorème énoncé, nous allons généraliser un peu la propriété qu’il exprime. Par le point soient menées aux trois côtés du triangle donné des obliques faisant dans le même sens des angles égaux avec les trois perpendiculaires . Soient fait des pieds de ces obliques les sommets d’un triangle inscrit dont nous représenterons l’aire par  ; En raisonnant, comme nous l’avons fait ci-dessus, pour paryenir à l’équation (2), nous aurons

(5)

Mais on a

(6)

substituant donc, nous aurons

ou, en vertu de l’équation (2),

Ainsi, l’aire du nouveau triangle sera égale à celle du triangle dont les sommets sont les pieds mêmes des perpendiculaires, divisée par le quarré du cosinus de l’angle que forment les obliques avec elles. Donc, pour que l’aire de ce premier triangle soit constante, il est nécessaire et il suffit que l’aire de l’autre le soit, et conséquemment le lieu des points, qui rempliront cette condition sera encore ici, comme dans le premier cas, une circonférence concentrique à celle du cercle circonscrit.

On voit, en particulier, que, si de l’un quelconque des points de la circonférence du cercle circonscrit à un triangle, on abaisse, sur les directions de ses côtés, des obliques également inclinées dans le même sens sur ces mêmes côtés, les pieds de ces obliques appartiendront tous trois à une même ligne droite.

Nous terminerons par observer qu’en général le lieu des points du plan d’un polygone quelconque desquels abaissant des perpendiculaires sur les directions de ses côtés, le polygone inscrit au premier, dont les sommets consécutifs sont les pieds de ces perpendiculaires, a une aire constante, est une ligne du second ordre.

En effet, en désignant toujours par l’un des points dont il s’agit et par et ses coordonnées, sur le plan du polygone dont il s’agit, l’aire du second polygone sera la somme algébrique des aires d’une suite de triangles ayant leur sommet commun en et dont les côtés adjacens à ce sommet sont les perpendiculaires dont il s’agit. Or, l’aire de chacun de ces triangles sera la moitié du produit des deux côtés qui partent de ce sommet commun, multiplié par le sinus de l’angle que comprennent entre eux ces mêmes côtés. Or, cet angle est indépendant de la situation du point par la nature même de la question ; et les côtés qui le comprennent sont des fonctions linéaires des coordonnées et du point l’expression de l’aire de chacun de ces triangles sera donc une fonction entière du second degré de et de il en sera donc de même de l’expression de l’aire du polygone somme des aires de ces triangles. Si donc on égale l’aire de ce polygone à une surface constante, l’équation résultante sera celle d’une ligne du second ordre, lieu de tous les points

Il est aisé de voir que les mêmes choses auraient lieu encore si, au lieu de perpendiculaires, on abaissait du point des obliques également inclinées dans le même sens sur les côtés du polygone donné.


Séparateur

  1. Cette dernière partie du théorème avait déjà été démontrée, tom. IV, pag. 251.