Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 14/Géométrie analitique, article 3

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GÉOMÉTRIE ANALITIQUE.

Essai sur l’interprétation géométrique des équations
entre un nombre quelconque de variables ;

Par M. E. Péclet, professeur des sciences physiques
du collége royal et de la ville de Marseille.
≈≈≈≈≈≈≈≈≈
§. I.

Soit l’équation de forme quelconque

(A)

entre trois coordonnées et un paramètre variable Cette équation exprime une infinité de surfaces, dont chacune répond à une valeur particulière du paramètre

Ce paramètre variant d’une manière continue depuis jusqu’à la surface (A) variera ou du moins pourra varier à la fois de situation, de forme et même de nature, mais toujours par des degrés continus ; de manière à ne jamais passer brusquement d’une nature à une autre, et à prendre nécessairement une forme intermédiaire entre celle qu’elle quitte et celle qu’elle doit acquérir.

On peut remarquer, en effet, que l’équation étant développée et ordonnée par rapport aux trois variables le paramètre entrera dans tout ou partie des coefficiens ; et tant que, par la variation de ce paramètre, ces coefficiens ne changeront pas de signe, la surface ne changera pas de nature. Il faudra donc nécessairement, pour qu’elle passe d’une nature à une autre, que la variation de fasse changer les signes d’un ou de plusieurs de ces coefficiens, ce qui, comme l’on sait, ne pourra avoir lieu qu’autant qu’ils passeront par zéro ou par l’infini.

Ainsi, par exemple, l’équation

tant que est positif, exprime un ellipsoïde dont les diamètres dirigés suivant les axes des et des sont constans et égaux à et tandis que le diamètre dirigé suivant l’axe des est variable et croît sans cesse à mesure que devient plus petit. Si, au contraire, est négatif, cette même équation exprime un hyperboloïde à une nappe, dont les élémens ont une courbure inverse de celle des élémens de l’ellipsoïde. Mais, entre ces deux cas, se trouve le cas intermédiaire de pour lequel l’équation exprime une surface cylindrique, qui est aussi intermédiaire aux deux systèmes de surfaces, et leur sert de lieu commun.

Les surfaces exprimées par l’équation peuvent se succéder de telle sorte que chacune d’elles touche dans tous ses points celle qui lui est consécutive ; et alors elles pourront occuper la totalité de l’espace, comme il arriverait pour un plan perpendiculaire à une droite, dont la distance variable à un point de cette droite serait ou pour une sphère dont le rayon variable serait égal à [1] ou bien elles n’occuperont qu’une portion limitée, finie ou infinie, de cet espace, comme il arriverait pour un plan perpendiculaire à une droite, dont la distance variable à un point fixe de cette droite serait ou pour une sphère dont le rayon variable serait Mais, ni dans l’un ni dans l’autre cas, une même surface ne pourra toucher à la fois toutes les surfaces exprimées par l’équation proposée, de manière que ces surfaces n’auront point une enveloppe commune.

Mais, généralement parlant, les surfaces consécutives se coupent les unes et les autres, et alors la totalité de ces surfaces n’embrasse qu’une portion limitée de l’espace, portion qui peut être d’ailleurs finie ou infinie. Si, par exemple, il s’agit d’une série de sphères de même rayon ayant leurs centres sur une même droite, la portion de l’espace qu’elles occuperont sera une surface cylindrique indéfinie ; ce sera au contraire une surface conique indéfinie, si les rayons sont variables et proportionnels aux distances des centres à un point fixe de la droite qui les contient tous ; ce sera enfin une portion annulaire finie de l’espace, si, le rayon étant constant, les centres se trouvent sur la circonférence d’un cercle, ou plus généralement sur une courbe fermée, plane ou à double courbure quelconque.

On pourra donc dire, dans ce dernier cas, que l’équation exprime un corps, c’est-à-dire une portion limitée, finie ou infinie, de l’espace indéfini, en ce sens que tous les points et les seuls points de cette portion de l’espace seront tels que leurs coordonnées satisferont à cette équation, pourvu que l’on détermine le paramètre d’une manière convenable ; c’est-à-dire, pourvu que la valeur qu’on lui donnera fasse devenir l’équation celle d’une surface passant par le point que l’on aura considéré en particulier[2].

S’il existait un second paramètre variable ; c’est-à-dire si l’équation était de la forme

en vertu des variations de ce nouveau paramètre, le système de surfaces résultant des variations du premier, et par suite la surface limite ou enveloppe de ces surfaces varierait de forme et de situation dans l’espace, et le système des surfaces limites pourrait lui-même avoir une limite qui serait la surface au-delà de laquelle ne pourraient jamais se trouver des points satisfaisant à l’équation proposée, de quelque manière d’ailleurs qu’on déterminât les deux paramètres. On pourrait donc dire que l’équation proposée exprime le corps terminé par cette surface.

Il est aisé de concevoir qu’ici la limite des surfaces limites sera susceptible de deux modes de génération suivant celui des deux paramètres que l’on voudra considérer comme variant le premier. Supposons, par exemple, que, pour des valeurs déterminées de et la proposée exprime une sphère, qu’en vertu de la seule variation de le centre de cette sphère décrive un cercle, et qu’ensuite en vertu de la variation de le centre de ce cercle décrive une droite perpendiculaire à son plan ; la limite des sphères provenant de la seule variation de sera un anneau, et la limite des anneaux provenant de la variation de sera le système de deux cylindres concentriques, comprenant entre eux le corps exprimé par l’équation proposée.

Mais, si l’on fait d’abord varier le centre de la sphère décrira une droite ; et, en faisant ensuite varier cette droite fera une révolution autour d’un axe qui lui sera parallèle. La limite des sphères provenant de la variation de sera un cylindre, et la limite des cylindres provenant de la variation de sera de nouveau le système des deux cylindres concentriques auquel nous étions déjà parvenus par le premier mode de génération[3].

Il en irait de même s’il y avait dans la proposée un plus grand nombre de paramètres variables, et l’on voit qu’en général l’équation

exprime un corps solide terminé par une surface susceptible de modes de générations, si désigne le nombre des paramètres.

§. II.

La variation d’un seul paramètre donne, comme nous l’avons dit, naissance à un système de surfaces dont l’ensemble occupe dans l’espace un certain lieu, circonscrit par une surface particulière ; c’est la détermination de cette surface, enveloppe ou limite de toutes les autres, qui va présentement nous occuper.

Remarquons d’abord qu’en général les surfaces consécutives du système se coupent toutes deux à deux, suivant des courbes qui sont elles-mêmes consécutives et qui sont en même temps les lignes de contact de ces surfaces avec l’enveloppe cherchée ; d’où il suit que l’ensemble de ces courbes forme l’enveloppe elle-même[4].

Soit, par exemple, l’équation

elle représente évidemment un système de sphères du rayon dont les centres sont situés sur une circonférence tracée sur le plan des ayant son centre à l’origine et son rayon égal à chacune de ces sphères coupe celle qui lui est consécutive suivant un cercle dont le rayon est dont le centre est sur le plan des à une distance de l’origine, et dont le plan passe par l’axe des . Le lieu de toutes les intersections est une surface annulaire, enveloppe de l’espace occupé par toutes les sphères.

Soit, en général,

l’équation commune à toutes les surfaces enveloppées. On sait que l’intersection de l’une quelconque de ces surfaces avec celle qui lui est consécutive, intersection qu’avec Monge nous appellerons à l’avenir la Caractéristique de la surface limite, sera donnée par le système des deux équations

et que l’élimination de entre ces deux équations donnera une équation

en seulement qui sera l’équation de l’enveloppe du système de surfaces exprimé par l’équation proposée.

S’il existait un second paramètre il se retrouverait dans et alors l’équation de l’enveloppe résultant des variations de et serait donnée par l’élimination de entre les deux équations

et il faudrait poursuivre ainsi, pour parvenir à l’enveloppe finale, quel que pût être le nombre des paramètres variables.

Parvenus donc à l’équation de l’avant-dernière enveloppe, équation que nous représenterons par ne renfermant plus qu’un seul paramètre si l’on écrit

l’ensemble des deux premières équations appartiendra aux caractéristiques de l’enveloppe finale ; de sorte que l’élimination de entre elles, donnera l’équation de cette enveloppe. Si l’on élimine entre les trois premières, on obtiendra deux équations en qui appartiendront à l’arête de rebroussement de l’enveloppe et si enfin on élimine entre toutes les quatre, les trois équations résultantes en appartiendront aux points de rebroussement de cette arête[5].

Si, d’après ces principes, on veut parvenir à l’équation de l’enveloppe des sphères exprimées par l’équation

on la différentiera d’abord par rapport au paramètre ce qui donnera

et le système de cette équation et de la précédente appartiendra aux caractéristiques de l’enveloppe cherchée.

De la dernière on tirera ensuite

valeurs qui, substituées dans la première, donneront pour l’équation de l’enveloppe

équation que l’on reconnaîtra facilement pour celle de la surface annulaire, lieu de toutes les caractéristiques.

Mais la détermination de l’équation de l’enveloppe, au moyen de l’élimination de entre les deux équations

communes à toutes les caractéristiques, peut offrir diverses circonstances particulières, sur lesquelles il est bon d’être prévenu.

Et d’abord il pourrait se faire que la dernière de ces deux équations ne renfermât plus aucune des coordonnées auquel cas son premier membre serait une quantité constante ou une simple fonction de dans le premier cas, cette équation serait absurde, d’où il suit qu’il n’y aurait alors ni caractéristiques ni enveloppes. La proposée devrait être, dans ce cas, de la forme

et il est aisé de voir qu’elle exprimerait tous les points de l’espace ; puisque, quelque valeur qu’on donnât à on trouverait toujours une valeur réelle pour du moins en supposant, comme nous le faisons, que l’équation ne renferme point de radicaux. Ce serait, par exemple, le cas des plans exprimés par l’équation

lesquels seraient tous parallèles, ou des sphères exprimées par l’équation

lesquelles seraient toutes concentriques.

Si le premier membre de la seconde équation se réduisait à une simple fonction de on ne pourrait, dans la recherche des caractéristiques, donner à dans la première équation, que les valeurs données par celle-ci ; toutes les caractéristiques devraient donc se trouver sur un nombre déterminé de surfaces comprises dans la proposée ; ces surfaces ne se couperaient donc pas consécutivement, c’est-à-dire, en d’autres termes, qu’il n’y aurait pas de caractéristiques ni conséquemment de surface enveloppe proprement dite. On voit d’ailleurs que l’équation en serait satisfaite, quelque valeur que l’on attribuât à pourvu qu’on y fît, égal à l’une quelconque de ces valeurs ; d’où l’on voit qu’alors cette équation exprimerait toutes les surfaces imaginables ; de sorte qu’alors les caractéristiques seraient toutes les courbes tracées à volonté sur les surfaces individuelles dont il a été question ci-dessus.

On peut remarquer que, dans le cas dont il s’agit, l’équation proposée ne saurait être que de la forme

qu’alors sa différentielle, par rapport à étant simplement doit donner pour les valeurs qui répondent aux maxima et minima de la fonction et conséquemment des surfaces comprises dans l’équation proposée. Il n’y a donc ici qu’une ou plusieurs surfaces qui bornent l’espace occupé par toutes les autres, mais qui les enveloppe sans les toucher. C’est, en particulier, le cas des sphères comprises dans l’équation

lesquelles se trouvent toutes comprises entre une sphère dont le rayon est nul et une autre dont le rayon est

Il pourrait aussi se faire que la différentielle par rapport à fût de la forme

c’est-à-dire, indépendante, de ce qui ne pourrait avoir lieu qu’autant que la proposée serait de la forme

dans ce cas, le système des deux équations se réduirait au système de ces deux-ci :

il n’y aurait donc alors qu’une caractéristique unique, suivant laquelle se couperaient toutes les surfaces du système qui n’auraient point d’enveloppe et embrasseraient l’espace entier ; attendu que tout système de valeurs de donnerait pour une valeur réelle. C’est, par exemple, le cas d’une suite de plans passant par la même droite.

Enfin l’équation obtenue par la différentiation du paramètre pourrait être de la forme

elle pourrait alors être satisfaite des deux manières

ce qui offrirait la combinaison de deux des cas précédens. Ainsi on aurait à la fois ici une caractéristique unique, sans enveloppe proprement dite, et une ou plusieurs surfaces circonscrivant l’espace occupé par toutes les autres, mais sans les toucher.

Lorsque le système est de nature à être terminé par plusieurs enveloppes, l’équation résultant de l’élimination de entre la proposée et sa différentielle prise par rapport à ce paramètre, se décompose en facteurs rationnels fonctions de ou du moins de quelques-unes de ces variables ; et ces facteurs égalés séparément à zéro donnent les équations des diverses enveloppes.

Par exemple, si la proposée appartient à une suite de cylindres droits de même rayon, dont les axes, situés dans un même plan, passent tous par un même point de ce plan, le corps engendré sera limité d’une part par une sphère ayant même rayon que ces cylindres et son centre au point commun à leurs axes, et d’une autre, par deux plans parallèles à celui des axes, et distans de part et d’autre de celui-là d’une quantité égale à ce même rayon.

Le plan des axes étant le plan des et leur point commun étant l’origine, si est le rayon commun, l’équation commune à tous les cylindres sera

dont la différentielle par rapport à sera

éliminant donc entre l’une et l’autre, il viendra

équation qui est satisfaite par ces trois-ci :

qui appartiennent en effet à deux plans et à une sphère.

§. III.

Nous venons de voir qu’une équation entre trois coordonnées et tant de paramètres variables qu’on voudra est en général satisfaite par les coordonnées d’une suite continue de points en nombre infini dont le système forme dans l’espace un certain corps que l’on peut dire être exprimé par cette équation, et nous avons enseigné ce qu’il fallait faire pour déterminer la surface par laquelle ce corps est terminé. Renversons présentement le problème et proposons-nous de déterminer l’équation d’un corps au moyen de celle de la surface qui le termine[6].

Soit l’équation de la snrface donnée ; d’après ce que nous avons déjà dit, l’équation cherchée devra renfermer avec autant de paramètres variables que l’on voudra admettre de mouvemens différens dans la génération du corps terminé par la surface donnée. De plus, cette équation devra être telle qu’en éliminant un premier paramètre entre elle et sa différentielle prise par rapport à ce paramètre, puis un second paramètre entre l’équation résultante et sa différentielle prise par rapport à celui-ci, et ainsi de suite, on parvienne enfin, après l’élimination du dernier paramètre, à l’équation donnée

On voit donc que le problème est d’abord indéterminé à raison du nombre des paramètres variables qu’on peut admettre dans la composition de la fonction mais, lors même qu’on a statué sur le nombre de ces paramètres, il demeure encore indéterminé relativement à la forme de cette fonction qu’où peut choisir telle qu’on voudra, sous la seule condition d’y admettre, avec un coefficient arbitraire, un terme que les différentiations successives ne fassent pas disparaître, et dont on déterminera finalement le coefficient, en égalant le résultat de la dernière élimination à

Cette grande indétermination du problème tient à ce qu’un corps peut être engendré d’une infinité de manières par une infinité de surfaces différentes. Ainsi, pour n’en citer qu’un exemple, si l’on a une série de surfaces toutes inscriptibles à un même cylindre, et si on les fait avancer dans l’espace suivant la droite qui, passant par chacune d’elles, se confondrait avec l’axe du cylindre, si elles lui étaient inscrites, quelque différence qu’il y ait d’ailleurs entre ces mêmes surfaces, leur mouvement engendrera également ce cylindre auquel chacune d’elles est inscriptible.

Si l’on exigeait simplement que l’équation fût celle d’une limite du corps enveloppant l’espace occupé par toutes les surfaces cherchées, sans les toucher toutes, et conséquemment sans en être une enveloppe proprement dite, on parviendrait bien simplement au but en choisissant l’équation commune à toutes ces surfaces de la forme

On voit, en effet, sur-le-champ, que cette équation satisfait à la condition demandée. Nous prenons l’exposant de pair, parce qu’autrement l’équation appartiendrait à tous les points de l’espace.

Ainsi, par exemple, l’équation d’un corps sphérique, rapporté à des axes rectangulaires qui passent par son centre, pourra être choisie de la forme

équation qu’il est d’ailleurs facile d’interpréter, à priori ; car, mise sous la forme

on voit qu’elle appartient à une suite d’enveloppes sphériques concentriques ayant des rayons croissant, sans interruption, de à d’où il suit qu’elle sera satisfaite par tous les points et par les seuls points de l’intérieur d’une sphère ayant son centre à l’origine et son rayon égal à

Si, au lieu d’avoir ajouté nous l’eussions retranché, l’équation aurait appartenu à une suite d’enveloppes sphériques concentriques ayant leurs rayons croissant, sans interruption, de à l’infini ; d’où il suit qu’elle aurait été satisfaite par tous les points et par les seuls points de l’espace extérieurs à une sphère ayant son centre à l’origine et son rayon égal à [7].

Lorsqu’on peut connaître directement l’enveloppe et les lois de sa génération, on peut facilement en déduire l’équation du corps enveloppé, mais souvent sous une forme plus compliquée. Si, par exemple, une sphère d’un rayon égal à fait une révolution autour de l’une quelconque de ses tangentes, elle engendrera une surface annulaire qui, faisant à son tour une révolution autour d’une perpendiculaire quelconque, menée à cette tangente par son point de contact, donnera naissance à une nouvelle sphère d’un rayon égal à et voici la manière la plus simple d’obtenir l’équation du corps terminé par celle-ci.

On considérera pour cela que notre surface sphérique est l’enveloppe de la portion de l’espace occupée par toutes les sphères d’un rayon égal à qui passeraient constamment par son centre. Prenant donc ce centre pour origine, et désignant par les coordonnées variables du centre de la sphère mobile, l’équation du corps dont il s’agit sera

mais ne seront point indépendantes et devront être assujetties à la condition

ce qui réduira d’abord notre équation à

Tirant ensuite de l’équation de condition la valeur de pour la substituer dans celle-ci, elle deviendra

puis, en chassant le radical,

équation équivalente à l’équation

bien qu’elle soit beaucoup plus compliquée[8].

Par des considérations analogues, on parviendrait à former l’équation des corps terminés par deux ou un plus grand nombre de surfaces dont les équations seraient données ; il suffirait pour cela de faire coexister les équations des corps auxquels appartiendraient ces diverses surfaces. Ainsi, généralement parlant, un corps sera exprimé par autant d’équations qu’il y aura de surfaces indépendantes qui lui serviront de bornes. Cependant si la nature de ces surfaces est telle qu’elles puissent toutes résulter d’un même mode de génération, le corps sera exprimé par une équation unique.

Si, par exemple, il s’agit d’une sphère creuse dont les surfaces intérieure et extérieure soient concentriques et données par les deux équations

on remarquera que ces deux surfaces sont les enveloppes de l’espace occupé par une infinité de sphères égales d’un rayon dont les centres seraient sur une sphère ayant pour équation

En désignant donc par les coordonnées variables des centres de ces sphères, l’équation unique du corps dont il s’agit serait

équation dans laquelle les trois paramètres seraient liés entre eux par la condition

Cette condition réduirait d’abord l’équation à

et ensuite, par l’élimination de à

[9]

On peut aussi considérer ce même corps comme composé d’une suite de sphères concentriques dont les rayons croissent d’une manière continue de à son équation sera alors simplement

qui ne renferme plus qu’un seul paramètre variable.

§. IV.

On voit, par tout ce qui précède, qu’une équation

renfermant paramètres variables, appartient en général à un corps solide, terminé par une surface dont l’équation peut être déduite de celle-là ; et qu’à l’inverse, cette dernière équation étant donnée, on peut toujours en conclure l’équation du corps limité par la surface à laquelle elle appartient, avec cette seule différence que, tandis que le premier problème est déterminé, l’autre au contraire est susceptible d’une infinité de solutions, et peut toujours, en particulier y être résolu par une équation ne renfermant qu’un seul paramètre variable.

Il suit donc de là qu’une équation qui renferme paramètres variables peut être remplacée par une équation équivalente n’en renfermant qu’un seul. Mais, pour exécuter cette transformation, il n’est pas nécessaire de remonter jusqu’à l’équation de la dernière enveloppe, pour en conclure ensuite celle du corps enveloppé ; car le corps engendré par la surface primitive en vertu de l’existence de paramètres l’est aussi par la première enveloppe, en vertu de l’existence des paramètres restans, ou par la seconde, en vertu de l’existence des paramètres qui suivent les deux premiers, et ainsi de suite, et par conséquent par l’avant-dernière enveloppe, en vertu de l’existence du dernier paramètre ; d’où il suit que l’équation de la surface primitive est équivalente à toutes celles qui la suivent, excepté la dernière.

Si quelques-unes des équations différentielles successives tombaient dans les cas d’exception que nous avons discutés ci-dessus (§. II), le résultat de l’élimination donnerait une surface limite qui ne serait pas proprement une enveloppe ; mais tout ce qui précède serait encore applicable à ce cas ; car la détermination des surfaces limites est assujettie aux mêmes procédés que la détermination des enveloppes,

§. V.

Tout ce que nous avons dit jusqu’ici de la géométrie de l’espace et des équations entre trois coordonnées et un nombre quelconque de paramètres variables, peut être appliqué, sans aucune restriction à la géométrie plane et aux équations entre deux coordonnées et un nombre quelconque de paramètres variables ; c’est-à-dire que de telles équations expriment toujours, quel que soit d’ailleurs le nombre des paramètres, une portion limitée finie ou infinie du plan des coordonnées ; et que l’on peut toujours soit descendre de ces équations à celles des courbes qui terminant les surfaces planes qu’elles expriment, soit remonter de celles-ci aux premières ; mais tandis que le premier de ces deux problèmes est déterminé, l’autre, au contraire, est susceptible d’une infinité de solutions.

Ainsi, pour n’en donner qu’un exemple simple, l’équation

étant satisfaite par tous les points et par les seuls points de l’intérieur d’une couronne circulaire qui ayant son centre à l’origine a ses rayons intérieurs et extérieurs égaux à et on peut dire, en ce sens, que cette équation exprime la surface de cette couronne[10].

On voit par là que, si dans l’équation

d’une surface courbe, au lieu de considérer comme une troisième coordonnée, on veut le considérer comme un paramètre variable, cette équation exprimera tous les points et les seuls points de la projection, finie ou infinie, de la surface courbe sur le plan des

Et ce que nous disons ici de la géométrie à deux dimensions et des équations entre deux coordonnées et un nombre quelconque de paramètres variables, peut encore être appliqué à la géométrie à une dimension et aux équations entre une seule ordonnée et tant de paramètres variables qu’on voudra ; c’est-à-dire que de telles équations expriment toujours, quel que soit d’ailleurs le nombre des paramètres, une portion limitée, finie ou infinie, de la droite indéfinie sur laquelle se comptent les ordonnées ; et qu’on peut toujours soit descendre de ces équations à celles des points qui terminant les portions de droites qu’elles expriment, soit remonter de celles-ci aux premières ; mais, dans ce dernier cas, le problème est indéterminé.

Ainsi, par exemple, l’équation

étant satisfaite par tous les points et par les seuls points de l’axe des compris entre les limites et on peut dire que cette équation exprime toute la portion de cet axe comprise entre ces mêmes limites[11].

On voit par là que si, dans l’équation

d’une courbe plane, au lieu de considérer comme un ordonnée, on la considère comme un paramètre variable, cette équation exprimera tous les points et les seuls points de la projection, finie ou infinie, de la courbe sur l’axe des

§. VI.

On voit donc, en résumé, que toute équation, entre un nombre quelconque de variables, a toujours une signification géométrique, et peut indistinctement être considérée comme exprimant ou un corps terminé par une surface courbe, ou une surface plane terminée par une ligne courbe, ou enfin une ligne droite comprise entre des points donnés ; et c’est tout ce que nous avons en vue d’établir dans l’essai que l’on vient de lire[12].

  1. L’espace entier peut également être exprimé par l’équation qui est évidemment satisfaite quels que soient et .
    J. D. G.
  2. On peut aussi très-simplement exprimer un corps, fini ou infini, par une inégalité entre les seules variables en ce sens que cette inégalité est satisfaite par tous les points et par les seuls points de ce corps. Ainsi par exemple, l’inégalité exprime une sphère ; l’inégalité exprime un cône ; l’inégalité exprime un cylindre, et l’inégalité

    exprime un anneau. Nous avons déjà fait cette remarque ailleurs (Annales tom. II, page 194).

    J. D. G.
  3. Le corps infini compris entre ces deux cylindres peut, sans le secours d’aucun paramètre, être exprimé par le système des deux inégalités

    ou par l’inégalité unique équivalente

    On pourrait également exprimer une sphère creuse, dont les rayons intérieur et extérieur seraient et par l’inégalité

    J. D. G.
  4. C’est à Monge qu’on doit la considération de l’enveloppe des surfaces déduites d’une même équation contenant un paramètre variable. Cet illustre géomètre y a été conduit en cherchant à interpréter les solutions singulières des équations différentielles partielles du premier ordre, lesquelles résultent, comme on le sait, de l’élimination de la constante arbitraire entre l’intégrale générale et sa différentielle par rapport à cette constante. Monge a encore considéré le cas de plusieurs paramètres variables ; mais, en les supposant liés par tel nombre de relations qu’il n’en reste qu’un seul d’indépendant. On voit que le point de vue sous lequel nous considérons ici les équations à paramètres variables est fort différent du sien.
    (Note de l’auteur.)
  5. On peut voir, à la page 361 du III.e volume du présent recueil, comment toutes ces choses peuvent être nettement démontrées sans le secours des infiniment petits ou des limites, ou de tout autre genre de considérations métaphysiques équivalentes.
    J. D. G.
  6. Si, comme nous l’avons proposé ci-dessus, on veut employer à cela des inégalités, la chose deviendra extrêmement facile ; l’équation d’une surface étant l’inégalité du corps qu’elle termine sera ou suivant qu’on voudra que le corps soit situé d’un côté ou de l’autre de la surface dont il s’agit.
    J. D. G.
  7. Tout ceci rentre exactement dans le contenu de la précédente note, car la double équation dans laquelle est une quantité réelle indéterminée, équivaut évidemment à la double inégalité
    J. D. G.
  8. Cette différence paraît tenir à ce que l’une des équations exprime chacun des points du corps une infinité de fois, tandis que l’autre ne l’exprime qu’une fois seulement. Il est évident en effet que, dans le premier mode de génération, il peut passer par un même point une infinité de sphères de la série, tandis que, dans le second, il n’en peut passer qu’une seule par ce point.
    J. D. G.
  9. Il a déjà été remarqué que, sans le secours d’aucun paramètre, cette sphère creuse peut être exprimée par sa seule inégalité
    J. D. G.
  10. La surface de cette même couronne peut aussi être très-simplement exprimée, sans le secours d’aucun paramètre par l’inégalité

    On peut faire plus encore et on peut, par le système d’une équation et d’une inégalité, exprimer une portion limitée, finie ou infinie, d’une surface courbe. Ainsi, par exemple, le système

    exprime évidemment la surface d’une calotte sphérique qui, ayant son centre à l’origine et son rayon égal à aura son pôle sur l’axe des et le rayon de sa base égal à

    J. D. G.
  11. On peut exprimer cette portion de l’axe, sans le secours d’aucun paramètre variable, par la simple inégalité

    On peut faire plus encore et on peut, par le système d’une équation et d’une inégalité, exprimer une portion limitée, finie ou infinie, d’une courbe plane. Ainsi ; par exemple, le système

    exprime un arc de cercle dont le centre est à l’origine et le rayon égal à ayant son milieu sur l’axe des et sa corde parallèle à l’axe des et égale à

    J. D. G.
  12. Nous croyons devoir saisir cette occasion d’indiquer un autre usage très-important des paramètres variables, dans les équations entre des coordonnées, et qui serait d’une merveilleuse utilité dans les recherches physico-mathématiques.

    Jusqu’ici la géométrie a fait abstraction de toutes les propriétés physiques de l’étendue et n’a considéré les points qui la compose comme ne différant les uns des autres que par leur situation seulement ; mais il est clair que, si l’on a une équation de la forme

    dans laquelle est un paramètre variable, cette équation peut être considérée comme exprimant un milieu hétérogène, et, comme exprimant l’intensité d’une propriété physique de ce milieu en chacun de ses points propriété qui pourra être indistinctement sa densité, son état hygrométrique, sa température, son pouvoir réfringent, sa tension électrique, etc., suivant la nature des questions qu’on aura à traiter.

    Nous savons très-bien que souvent les géomètres ont fait usage de semblables équations, mais seulement dans des cas particuliers ; tandis que, quelle que puisse être la cause d’hétérogénéité d’un milieu donné, ce milieu, en sa seule qualité de milieu hétérogène doit avoir des propriétés générales qu’il serait intéressant de découvrir une fois pour toutes, et de réduire en formules.

    Certes, avant l’invention de la géométrie analitique, les géomètres avaient souvent déterminé les plans tangens, les normales, les surfaces osculatrices, etc., des surfaces individuelles qu’ils avaient à considérer ; mais il leur fallait, à chaque nouvelle recherche de ce genre, tirer leurs formules de la considération des propriétés particulières des surfaces dont ils s’occupaient, tandis qu’aujourd’hui, ils n’ont, pour parvenir au même but, que des substitutions à faire dans des formules construites à l’avance.

    Ce que nous désirerions donc, parce que nous pensons qu’il en résulterait une très-grande simplification dans la recherche des propriétés physiques des corps, ce serait qu’il existât des traités de géométrie analitique de l’étendue hétérogène, dans lesquels on exposerait toutes les propriétés générales dont jouit cette espèce d’étendue ; car certainement, de même que toute surface courbe, quelle qu’en soit la nature, a en tous ses points deux courbures principales, maximum et minimum, perpendiculaires l’une à l’autre, un milieu dont la densité varie suivant une loi mathématique quelconque, doit avoir en tous ses points quelque propriété indépendante de la nature particulière de cette loi.

    Nous ne donnons ceci, au surplus, que comme un exemple, et la géométrie nouvelle que nous concevons et dont nous désirons voir composer des traités aurait bien d’autres objets à embrasser.

    J. D. G.