Annales de pomologie belge et étrangère/de l’Abricotier

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de l’Abricotier

Armeniaca. — Famille des Rosacées.



L’abricotier est au nombre des arbres d’origine asiatique, dont les cultures européennes s’enrichirent par suite des conquêtes des armées romaines en Orient. Les Lucullus, les Pompée, les Crassus, au milieu des préoccupations de la guerre, ne négligeaient pas le luxe de leurs tables, dont ils rendirent tributaires toutes les productions de l’ancien monde ; les exploits de ces hommes célèbres, l’immense empire qu’ils crurent consolider pour toujours, ne sont plus qu’un souvenir historique, tandis que nous jouissons encore de leurs conquêtes plus pacifiques en arboriculture.

L’abricotier, ainsi que l’indique son nom latin, fut trouvé primitivement en Arménie. Pline, dont l’Histoire naturelle date de l’an 80 de notre ère, rapporte que les Romains ne possédaient l’abricot que depuis 30 ans ; il en signale deux variétés. « C’est, dit-il, un fruit innocent qu’aiment les malades ; il y en a eu de vendus jusqu’à 30 sesterces (6 fr. 30 c). Aucun fruit n’a été payé davantage, chose étonnante, car il n’y en a point qui passe plus vite. »

Cultivé d’abord en Grèce et en Italie, contrées dont le climat est plus en rapport avec le pays dont il est originaire, l’abricotier s’est propagé dans toutes les parties tempérées de l’Europe, où il a produit diverses variétés assez tranchées.

Les recherches des voyageurs modernes ont constaté qu’il est indigène dans plusieurs pays de l’Asie centrale, notamment dans le Népaul et la vallée de Cachemire. Lors du séjour de Victor Jacquemont sur le revers septentrional de l’Hymalaya, de 1829 à 1830, on lui apportait en abondance des abricots très-petits et inférieurs en mérite, dit-il, à nos variétés cultivées. Louis Noisette, qui fit venir l’espèce du Népaul, il y a environ 25 ans, la décrit d’une manière identique. C’est à peine si cet abricot atteint un pouce de diamètre ; son goût et son parfum diffèrent essentiellement de ceux de nos bonnes variétés cultivées. Cependant, quand on réfléchit à l’influence d’une longue culture sur la plupart des végétaux, on peut supposer, avec assez d’apparence, que le type primitif, trouvé en Arménie, ne diffère pas de celui du Népaul. Il serait intéressant de chercher à résoudre cette question au moyen de semis de cette dernière espèce. D’un autre côté, sir Alexandre Burns, cet intrépide voyageur anglais, qui parcourut l’Asie centrale dans toute son étendue, depuis Calcutta jusqu’à Teheran et le pays des Turcomans, en passant par Lahore, le Caboul, le Kandahar, etc., rapporte avoir vu l’abricotier dans plusieurs de ces contrées. Dans les vastes ruines de Balk, il a vu et mangé des abricots d’une beauté et d’un parfum supérieurs aux variétés cultivées en Europe. À Herat, dans un climat où cependant le froid est souvent plus intense, il reconnut encore que ce fruit est supérieur à ceux dont on fait le plus de cas en Angleterre.

L’abricotier, arbre de moyenne grandeur, s’élève peu et présente beaucoup d’analogie avec le prunier et le pêcher, sur lesquels on peut le greffer. De même que ce dernier, il forme des boutons à fruits en une seule séve ; il a des yeux simples, doubles, triples et même rassemblés par groupes beaucoup plus nombreux. Son bois est lisse, ordinairement brun rougeâtre du côté du soleil ; les feuilles sont alternes, cordiformes, plus ou moins grandes, pointues et dentées, suivant la variété ; leur pétiole faible, assez long, soutient mal la feuille.

Les fleurs sont composées d’un calice, de cinq pétales blancs creusés en cuiller, de 20 à 30 étamines et d’un pistil qui repose sur l’ovaire. Celui-ci devient un fruit arrondi ou ovale, charnu, divisé dans le sens de sa hauteur par une rainure et attaché à l’arbre par un pédoncule très-court, placé dans une cavité assez profonde.

La peau qui recouvre l’abricot est mince, adhérente à la chair, très-peu velue ; le centre est occupé par un noyau dur, ligneux, renflé vers le milieu, aplati sur les bords, relevé sur un des côtés par des arêtes saillantes, et contenant une amande composée de deux lobes, dont le germe est à la pointe. Le noyau de ce fruit se détache bien de la chair.

L’abricotier, transplanté depuis si longtemps dans nos climats du Nord, continue à se ressentir de son origine méridionale : il devance les autres arbres fruitiers, et ses fleurs s’ouvrent aux premiers rayons du soleil printanier. Cette floraison précoce compromet fréquemment la production, qui, dans ce genre de fruit, est très-chanceuse.

Les abricots cultivés en haut-vent sont, comme on sait, d’une qualité supérieure à ceux que l’on récolte sur des espaliers ; mais ils sont plus exposés aux effets des gelées tardives, et ne donnent des résultats convenables que dans des positions exceptionnelles, par exemple, des cours abritées. Dans les jardins exposés aux vents du nord ou de l’ouest, nous en avons connu qui, pendant douze à quinze ans, n’ont donné aucun fruit.

On peut invoquer un autre motif contre la culture de l’abricotier en haut-vent, c’est que cet arbre exige, comme le pêcher, une taille suivie, afin d’obtenir du jeune bois, et de maintenir le centre bien garni de rameaux à fruit. Si on le néglige sous ce rapport, on voit de longues branches se dénuder entièrement et présenter le plus triste aspect.

Ces divers inconvénients font donner, en Belgique, la préférence à la culture en espalier.

Les amateurs qui possèdent des situations favorables et abritées peuvent cultiver l’abricotier en pyramide, mais cette forme offre des difficultés. Celle en vase ou buisson, si souvent appliquée en France aux fruits à pepins, paraîtrait convenir assez à l’abricotier, à en juger par l’essai que nous suivons depuis trois ans.

Il est d’usage de placer les abricotiers en espalier au midi ou au levant ; ce sont les meilleures expositions sous quelques rapports, mais on trouvera un avantage réel à en planter également à l’ouest et au nord : c’est le moyen de mieux assurer et de prolonger la production. Depuis vingt ans, nous avons garni de cette manière un mur exposé au nord-est ; ces abricotiers nous procurent des récoltes aussi abondantes que régulières ; et il arrive parfois qu’ils portent encore des fruits à la fin de septembre et dans les premiers jours d’octobre.

Si l’on choisit dans ce but des variétés de premier ordre, un peu tardives, telles que l’abricot de Nancy et celui de Moulins, les résultats n’en souffriront pas ; car, même au nord, ces variétés sont bonnes. Ce mode de culture était déjà recommandé il y a deux siècles par Merlet, qui s’exprime ainsi :

« Pour en avoir toutes les années, il faut en mettre des arbres à toutes les expositions ; celle du nord donne, le fruit plus tardif et moins coloré, qui est le plus propre à faire des confitures, et comme cette exposition est froide, la fleur, plus tardive presque d’un mois, paraît quand les frimas sont passés, qui ont souvent perdu et gâté les fleurs exposées en plein midi. »

Ce précepte de Merlet offre aussi l’avantage de prolonger la saison de chaque variété, en retardant l’époque de la maturité. Si le vent du nord menace de la gelée au moment de la floraison de l’abricotier, on le garantit au moyen d’abris, tels que paillassons, toiles, etc. Nous aimons néanmoins tout autant les garnir de branches de genêts ou autres ramilles, ce qui donne un résultat analogue et laisse circuler l’air dans les branches. L’essentiel est d’empêcher les rayons solaires de frapper trop brusquement sur le givre qui reste attaché aux branches le matin.

Parfois, les fruits nouent en si grande abondance, qu’il est nécessaire d’en abattre une bonne partie dès qu’ils atteignent le volume d’une grosse noisette ; si l’on néglige cette précaution, les abricots restent petits, sans saveur, et l’arbre est compromis.

La saison de ce fruit commence au mois de juillet et se prolonge jusqu’en septembre pour quelques variétés. La maturité s’annonce par le changement de couleur, qui commence par le côté exposé au soleil : on s’assure si les autres parties du fruit ont également jauni. L’abricot ne s’améliore pas au fruitier, comme la pêche. Si l’on compare entre eux ces deux fruits, le dernier obtiendra souvent la prééminence, mais l’abricot présente l’immense avantage de se prêter à un grand nombre d’usages économiques, et de fournir d’amples ressources à l’art du confiseur et du pâtissier. Les marmelades et autres conserves d’abricots, tant sèches que liquides, sont des plus recherchées. C’est une véritable calamité pour le commerce et les amateurs quand ce fruit manque complétement ; il serait donc avantageux de cultiver l’abricotier en grand, et dans les conditions les plus propres à en assurer les récoltes.

Cet arbre prospère dans tous les terrains ; toutefois, il préfère un sol meuble un peu léger ou sablonneux. On le multiplie par semis, moyen qu’il conviendrait d’employer davantage, afin d’obtenir des variétés rustiques ou mieux acclimatées. Les noyaux doivent être stratifiés avant d’être semés ; on les place en terre à environ deux pouces de profondeur. Si le semis se fait à l’automne, il est prudent de le couvrir de feuilles ou d’un paillis.

Les variétés existantes se multiplient par la greffe en écusson, sur le prunier de Damas. En France, on emploie aussi l’amandier et le prunier de Saint-Julien ; mais ces derniers plants conviennent peu en Belgique, où ils seraient trop exposés, lorsque l’hiver est rigoureux. Depuis quelques années, on emploie avec succès dans les pépinières royales de Vilvorde, le prunier Myrobolan, qui donne des sujets plus rustiques et moins sujets à la gomme.

On peut aussi se servir de la greffe en fente pour l’abricotier ; nous en avons fait un excellent usage pour rabattre des arbres dont le fruit ne convenait pas. Il faut avoir soin, alors, de couper les rameaux en janvier, et de s’en servir aussitôt que la température le permet, c’est-à-dire vers la fin de février, quelquefois même plus tôt.

Nous terminerons cet article en indiquant, d’après l’un de nos collègues, d’excellents principes sur la conduite de cet arbre[1].

« On taille l’abricotier, quant aux branches de la charpente, d’après les mêmes principes que le pêcher, sur lequel il a l’avantage de repousser bien plus parfaitement du vieux bois. Il faut le tailler de bonne heure, et surtout avant l’épanouissement des fleurs. Il importe de répartir exactement la séve dans toutes les parties de la charpente, et de la débarrasser du bois mort, en coupant dans le vif bien au-dessous du point où elle s’arrête, parce qu’elle a une tendance à descendre assez rapidement de proche en proche. Il est utile de couvrir chaque coup, de cire à greffer. Le pincement et l’ébourgeonnement très-suivis évitent la multiplicité des amputations à la taille, ce qui est une bonne chose. Les branches charpentières doivent être plus rapprochées que dans le pêcher, parce que les branches fruitières des arêtes prennent moins de développement.

» L’ébourgeonnement doit porter essentiellement sur les bourgeons doubles et triples. Le pincement doit se faire soigneusement sur les deux ou trois bourgeons qui avoisinent de plus près le terminal de chaque rameau. Ce pincement les met ordinairement à fruits pour l’année suivante ; mais son principal but est d’empêcher que leurs yeux terminaux se convertissent en petites brindilles de 5 à 15 centimètres de longueur et qui se garnissent d’yeux et de boutons. Ces brindilles, qui se forment dans les abricotiers vigoureux vers la fin de juillet, n’ont pas le temps de s’aoûter et périssent pendant l’hiver. Il en résulte que l’arbre se dénude dans sa partie supérieure.

» Dans l’abricotier, il n’est pas question, pour les branches à fruits, de l’opération du remplacement. Elles fructifient plusieurs fois, mais il ne faut pas attendre qu’elles cessent de pousser, pour les rapprocher sur un œil à bois près de leur insertion.

» Au reste, il est difficile d’obtenir de l’abricotier une régularité de forme pareille à celle qu’on donne au pêcher, son bois poussant peu parfois et rarement droit. Le palissage doit tendre à le redresser le plus possible, ce qui facilite la circulation de la séve, et prévient d’autant mieux l’envahissement de la gomme. Nous avons dit que l’abricotier reperce facilement sur le vieux bois ; aussi obtient-on à volonté de jeunes rameaux pour renouveler, au besoin, les branches qui succombent. Cette faculté concourt encore à lui assurer une longue existence, que l’on prolonge par plusieurs ravalements et recepages. »


  1. Traité théorique et pratique de la taille des arbres fruitiers, etc, par L. de Bavay.