Anthologie (Pierre de Coubertin)/II/XXXVII

La bibliothèque libre.
Anthologie (Pierre de Coubertin)/II
AnthologieÉditions Paul Roubaud (p. 95-97).

La naissance des États-Unis.

Rien n’égale l’étrangeté du spectacle que présente l’Amérique du Nord au début du xviiie siècle. Nul assurément ne saurait deviner la grandeur des destinées qu’un avenir très prochain lui réserve. Sur la côte est depuis le Canada où la France domine jusqu’à la Floride que l’Espagne possède, dix colonies s’échelonnent entre lesquelles il serait difficile d’apercevoir au premier abord un lien commun, sauf peut-être, l’esprit d’intolérance qui règne dans la plupart d’entre elles. L’unité n’existe, bien plus, l’unification ne semble réalisable ni entre les races ni entre les croyances, ni entre les formes de gouvernement, ni même entre les intérêts.

Il y a d’abord le Massachussetts de fondation puritaine, englobant les modestes pêcheries du Maine et du New-Hampshire et ayant absorbé depuis peu la colonie de Plymouth, la première en date, celle que les « pélerins » du May Flower fondèrent le 22 décembre 1620. Viennent ensuite Rhode-Island et le Connecticut, deux sécessions du Massachussetts. Le territoire de Rhode-Island a été donné par les Indiens à Roger Williams, ce jeune pasteur que les puritains chassèrent de chez eux parce qu’il prêchait l’égalité des religions et leur déniait le droit de prescrire ou d’interdire telle ou telle forme de culte. Le Connecticut a été fondé par les habitants de Boston qui trouvaient à redire au puritanisme de leurs concitoyens. La liberté de conscience pourtant n’y est pas respectée.

Non loin du Connecticut s’ouvre la baie merveilleuse où les Hollandais depuis 1614 font avec les Indiens le commerce des pelleteries. Leur Colonie de New-Amsterdam vient de passer sous la domination anglaise et d’échanger son nom pour celui de New-York ; mais elle demeure très cosmopolite. Les Hollandais y ont introduit des travailleurs allemands. D’autre part des huguenots français s’y sont réfugiés. Ils domineront même, à un moment par le nombre et la richesse.

De l’autre côté de l’Hudson, dans le New-Jersey, de formation toute récente, des Écossais font souche implantant les idées presbytériennes ! C’est un pays de fermage. Le Delaware au Sud du New-Jersey était une colonie suédoise issue d’un projet grandiose de Gustave-Adolphe qu’après la mort du monarque le chancelier Oxenstiern réalisa. Les suédois du Delaware sont il est vrai, tombés sous le joug hollandais et maintenant que la Hollande se retire du nouveau monde, leur territoire dépend, en fait, des Pensylvaniens, leurs puissants voisins. La Pensylvanie touche au Maryland ; l’une et l’autre de ces colonies mentent à leur origine. William Penn, le quaker, ayant obtenu ces belles terres du roi Charles ii en paiement d’une créance, les avait offertes à ses frères persécutés. Il avait présidé à leur installation, leur donnant des lois et des conseils puis s’en était retourné en Angleterre. Lorsqu’il est revenu quinze ans plus tard la prospérité de sa fondation n’a pu le consoler de l’échec subi par ses conceptions si génialement utopiques. Il achève à présent de mourir, dans sa première patrie, obscur et délaissé. Quant au Maryland, lord Baltimore l’avait acquis plus anciennement encore en vue d’en faire l’asile des catholiques anglais et ceux-ci l’avaient généreusement ouvert à tous les chrétiens. Ç’avait été avec Rhode-Island, le seul coin de terre sur les rives de l’Atlantique où l’on put prier et penser à peu près librement.

Là, aux confins de la Virginie, commence ce qu’on appelle encore aujourd’hui le Sud, et déjà sont posés devant l’avenir les termes du redoutable problème qui recevra près de deux siècles plus tard une sanglante solution. Dès 1619, un vaisseau hollandais débarquait sur le sol virginien une vingtaine d’esclaves noirs. Les planteurs se les étaient partagés et en avaient fait venir d’autres. Jusque là, ils n’avaient eu que des serviteurs d’occasion, aventuriers ou jail-birds, échappés du bagne ; il leur fallait une main d’œuvre pour la culture du tabac qui prenait une rapide extension et cette marchandise humaine avait été la bienvenue. Ils ont calmé leurs consciences en songeant que l’esclavage n’est pas condamné par la Bible.

La Caroline, la dernière des dix colonies appartient à quelques grands seigneurs anglais ; mais c’est du roi de France, Charles ix, qu’elle tient son nom. Jean Ribaut en 1562, Laudounière un peu après y ont créé sous l’inspiration de Coligny deux villages huguenots. Après la révocation de l’Édit de Nantes beaucoup y émigrent. Ils créeront par la suite à Charleston, une société rigide, mais polie, raffinée et distinguée. La Caroline demeurera longtemps la plus méridionale des colonies. En 1732, seulement un officier anglais fonda avec l’appui de George ii la Géorgie où des protestants de Salzbourg et d’autres villes d’Allemagne trouvèrent aussitôt un refuge contre les persécutions. Cette même année devait naître celui auquel était réservé l’honneur d’unir tous ces éléments disparates pour en faire une nation : George Washington.