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Anthologie (Pierre de Coubertin)/IV/IX

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Anthologie (Pierre de Coubertin)/IV
AnthologieÉditions Paul Roubaud (p. 158-161).

Maximes et pensées.

On n’est pas dans ce monde pour vivre sa vie mais celle des autres. Les plus grandes joies d’ailleurs ne sont pas celles que l’on goûte mais celles que l’on procure.

La seule véritable indépendance est celle que donne une conscience satisfaite.

Le négociant qui ne relève pas chaque soir ses opérations de la journée et ne vérifie pas l’état de sa caisse marche vers la ruine. De même, celui qui néglige l’inventaire quotidien de son âme.

Il y a entre nos devoirs et nos droits la même disproportion qu’entre une montagne et une taupinière. C’est pourquoi aucune équivalence ne peut être invoquée entre les uns et les autres.

Nous devons d’autant mieux connaître l’intérieur de notre âme jusqu’en ses infimes détails que c’est la seule que nous puissions connaître. L’âme voisine la plus aimée et en apparence la plus cristalline, nous demeure pourtant fermée.

L’œuvre que l’adulte doit poursuivre sur lui-même est celle du sculpteur vis-à-vis du bloc déjà dégrossi que lui a livré le praticien. Impossible de modifier désormais la taille de la statue, son attitude, sa silhouette générale, mais le ciseau en s’attaquant sans cesse au détail le perfectionne peu à peu.

On peut ce qu’on veut à condition de le vouloir longtemps.

Si l’on se froisse chaque fois qu’un ami n’accomplit pas, à l’heure dite, le geste précis que l’on attend de lui, il n’y a pas d’amitié durable ni féconde.

On se montre beaucoup plus fort en reconnaissant une erreur qu’en y persévérant et en affectant d’ignorer qu’on s’est trompé.

Voir loin, parler franc, agir ferme : programme de philosophie individuelle pratique aussi bien que de politique générale.

Les jeunes français qui veulent se préparer à bien servir leur pays doivent interpréter ainsi que suit le monogramme de la République : R = Réfléchi, Robuste, Rapide. F = Franc, Fidèle et Fier. Ces six qualités composent l’idéal auquel doit tendre leur effort.

L’expérience de la vie enseigne que ceux qui ont peu le donnent et que ceux qui ont beaucoup le retiennent : cela suffit à montrer combien la richesse est un élément permanent de corruption vis-à-vis duquel il faut toujours se tenir sur une défensive vigilante.

L’ordre et la méthode établis par l’esprit réagissent sur le corps de même que l’hygiène et la tenue physiques réagissent sur l’esprit.

La moindre capitulation de conscience consentie par le jeune homme produit une répercussion dans l’âge mûr : la persistance du remords seule lui servira d’antidote.

En naissant l’être humain devient titulaire de trois professions que le développement de la culture lui permettra de mieux en mieux d’exercer : celles de mécanicien et de chimiste de son corps, celle d’archiviste-bibliothécaire de son esprit.

Pour que cent se livrent à la culture corporelle, il faut que cinquante soient des sportifs. Pour que cinquante soient des sportifs, il faut que vingt se spécialisent. Pour que vingt se spécialisent, il faut que cinq soient capables de prouesses étonnantes.

Tout pénètre dans nos lycées et rien n’en sort. Nous avons réalisé ce paradoxe que les murailles élevées pour préserver nos fils nous isolent d’eux sans les isoler de nous. Elles sont opaques de notre côté et transparentes du leur. Tandis que nous ignorons d’eux tout ce que nous devrions savoir, eux savent de nous tout ce qu’ils devraient ignorer (Revue bleue, 1898).

Les peuples sains comptent de rares contemplatifs qui, assis au penchant des montagnes, regardent la vie se dérouler à leurs pieds et analysent dans le calme le spectacle dont ils sont témoins. Lorsque les montagnes, se couvrent d’une foule de prophètes, d’esthètes et de discoureurs, on doit craindre que la pensée nationale ne soit gangrenée, qu’elle ne perde son équilibre et son harmonie. Alors règne le « critique », ce chambellan de la Médiocrité qui meuble son cerveau avec les idées des autres, tue le génie d’un mot et exalte l’insuffisance en deux phrases (Literature, Times 1898).

L’humanité qui se trouve libre de s’adonner au luxe de l’esprit ou à celui de la chair doit, sous peine d’une déchéance rapide et complète, se créer des jardins de bravoure et se plonger dans des piscines de rudesse. Libre à elle de les entourer de tout ce que l’art et la fortune y peuvent ajouter d’élégance et de raffinement, mais il faut qu’au centre se retrouvent les éléments de vigueur, de risque et de volonté qui forment notre hygiène morale et que rien ne saurait remplacer. (Figaro, 1902)

Chez l’escrimeur en garde, la main représente le pont-levis de la forteresse dans laquelle il s’abrite et d’où il opérera ses sorties. À l’intérieur, les forces sont mobilisées comme une armée : le bras constitue l’active ; les jambes, la réserve appelée en même temps, mais partant en seconde ligne ; le reste du corps, la territoriale. À toutes trois, il faut ménager constamment une retraite bien couverte et ordonnée. De là, les feintes, les pièges tendus, les « temps » marqués à propos, les attaques esquissées et brusquement modifiées.

Pour bien diriger les autres, il faut rester toujours méfiant vis-à-vis de soi-même et ne jamais le laisser voir.

Le travail est la loi universelle. L’effort est la joie suprême. Le succès n’est pas un but mais un moyen pour viser plus haut. L’individu n’a de valeur que par rapport à l’humanité ; il est fait pour agir avec acharnement et mourir avec résignation (Cosmopolis, 1897).

Quand une nation a d’elle-même plusieurs conceptions et que, selon la carrière qu’ils ont embrassée ou les préjugés en vogue dans le groupe social dont ils font partie, ses enfants entretiennent à son égard des espérances dissemblables et souvent contradictoires, l’unité ne peut exister (Revue des Deux-Mondes, 1899).

La paix issue de la guerre ne saurait être qu’une trêve ou une contrainte. La seule paix stable est celle qui repose sur l’équilibre, pour les individus comme pour les peuples.