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Anthologie (Pierre de Coubertin)/V/I

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Anthologie (Pierre de Coubertin)/V
AnthologieÉditions Paul Roubaud (p. 165-166).
appel
pour la création
d’un enseignement universitaire ouvrier
(1890)

Je viens vous prier de vouloir bien assister à une réunion restreinte et privée qui se tiendra le — novembre 1890, à neuf heures du matin.

M. le v.-recteur de l’Académie de Paris a mis à notre disposition pour cette réunion la salle du conseil académique de la Sorbonne.

Voici en très peu de mots ce dont il s’agit : des signes certains annoncent, dans toutes les parties du monde civilisé, l’avènement du « quatrième État » sinon au gouvernement des nations, du moins à la vie politique. Laissant à d’autres le soin de découvrir la formule qui pourrait « se substituer aux injustices anciennes sans s’appuyer sur des injustices nouvelles », n’ayant pas à examiner s’il y a lieu d’« unir des résistances » ou de « raisonner des concessions », nous constatons seulement que le Quatrième État n’est pas prêt pour le rôle que les circonstances peuvent lui assigner dans un avenir proche.

Il y a là un véritable danger national auquel les Anglais ont sans doute paré dans une certaine mesure en créant l’University Extension. Mais, jusqu’ici, en France, on s’est borné à prêcher aux travailleurs la résignation et ceux qui se sont occupés de leur instruction n’ont cherché à les instruire qu’au point de vue technique et professionnel. Un tel enseignement est à coup sûr fort utile mais il n’élève pas les âmes. Il ne donne pas, suivant la belle expression du pasteur Wagner, « accès à la vie supérieure ». Il ne met pas l’ouvrier en contact avec ce qu’en ce temps d’indifférence et d’incroyance, il honore et respecte par dessus tout : la science désintéressée.

Or, nous avons, pour accomplir chez nous l’œuvre nécessaire, des éléments précieux. Nous avons l’Université de France avec ses immenses réserves d’intelligence, de désintéressement et de bonne volonté. Elle peut devenir la pierre angulaire de l’avenir. Elle n’est pas atteinte par les haines sociales et n’est pas menacée par la révolution que ces haines pourraient un jour déchaîner S’il est besoin d’un trait d’union entre hier et demain, c’est elle qui saurait le mieux en tenir lieu.

Il y a donc un grand intérêt à poursuivre avec elle et par elle l’entreprise à laquelle nous reconnaissons une très haute portée. C’est pourquoi nous vous prions de nous apporter votre précieux concours afin d’y parvenir. Résumer et formuler nettement notre idée — rechercher par une enquête approfondie les réalisations partielles qui ont pu être déjà tentées dans tel ou tel centre ouvrier — étudier l’organisation la plus pratique et la moins dispendieuse en vue d’une réalisation plus générale ; — examiner enfin quelles sont les matières qu’il conviendrait d’inscrire au programme de cet enseignement universitaire ouvrier, telle sera la première partie de notre tâche

La réunion convoquée fut ajournée puis contremandée par suite des hostilités qui surgirent : MM. Georges Picot, Jules Siegfried, E.-M. de Vogüé, Ferdinand Buisson, Lavisse, Jaurès, le P. Didon, le pasteur Wagner… se trouvaient parmi les premiers adhérents.