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Anthologie (Pierre de Coubertin)/IV/VIII

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Anthologie (Pierre de Coubertin)/IV
AnthologieÉditions Paul Roubaud (p. 157-158).

Abîmes sidéraux.

… Ce ne sont pas seulement les poètes mais parfois aussi les hommes de science auxquels il advient de parler de l’espace peuplé d’astres. Cela fait image… l’image pourtant est défectueuse, fausse même Considérons par exemple l’étoile α du Centaure ; de toutes les étoiles, elle est la plus proche de nous, c’est-à-dire du système solaire dont nous faisons partie, et la lumière qui parcourt la bagatelle de 299.000 kilomètres par seconde et de ce train-là, ne met que quelques minutes à nous parvenir de notre soleil, met quatre ans et quatre mois pour nous arriver de l’étoile α du Centaure. De Sirius elle nous parvient en près de neuf ans ; d’Altaïr, en quatorze ans ; de Vega en vingt-sept ans. Si Arcturus s’éteignait en ce moment, nous n’en serions avertis que dans trente-quatre ans, laps de temps nécessaire à son dernier rayon pour venir jusqu’à nous.

Voilà nos voisins du firmament ; car ces étoiles sont les plus à portée. L’espace, vous l’avouerez, n’est guère « peuplé » par des astres entre lesquels s’étendent de pareilles distances.

La vérité est tout autre. Elle s’exprime en cette parole terrible prononcée par un grand astronome : les astres ne sont que des accidents de lumière et de chaleur à travers l’immensité : l’état habituel du monde, c’est le vide, le froid, le silence et l’obscurité…

Et voici une seconde donnée qu’il faut également nous résigner à admettre. C’est que la vie à la surface des planètes, la vie organisée telle que nous la sentons en nous et la voyons palpiter autour de nous ne représente qu’une brève étape, une sorte de moisissure momentanée entre les périodes bien autrement longues de la formation ignée et de la matière refroidie et desséchée : moisissure dont nous ne sommes même pas certains que tous les astres bénéficient, car il semble en être que le volcanisme peut détruire sans laisser le temps à la vie de s’y épanouir… Et tout cela représente des centaines de milliers d’années.

Nous voici donc en présence des deux notions fondamentales de temps et d’espace, ces deux assises de l’esprit critique, cette double norme de l’intelligence et du jugement — et d’une troisième notion qui, celle-là, nous dépasse : la notion de l’infini. L’astronomie nous la rend tangible et, pourtant, nous n’arrivons pas à la comprendre. Peut-on imaginer un endroit cesse l’espace ? Mais pouvons-nous concevoir un espace qui n’a point de limite ? Le nombre des astres peut, doit être limité ; c’est un nombre ; tandis qu’au delà de l’espace, il ne peut y avoir qu’encore l’espace !

Ainsi l’astronomie nous rend absolument présente — bien qu’incompréhensible — l’idée d’infini tout au moins en son apparente certitude. Il nous suffit, pour la saisir, de lever les yeux vers le ciel étoilé ; et, en ramenant nos regards sur nous-mêmes, nous constatons les bornes effectives de notre intelligence.

Conférences ouvrières 1919.