Anthologie (Pierre de Coubertin)/V/II

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Anthologie (Pierre de Coubertin)/V
AnthologieÉditions Paul Roubaud (p. 166-168).

discours d’ouverture
de la
conférence consultative des arts, lettres et sports
prononcé au Foyer de la Comédie Française, à Paris
le 23 Mai 1906

Messieurs, nous sommes assemblés dans cette demeure unique au monde afin d’y célébrer une cérémonie singulière. Il s’agit d’unir à nouveau par les liens d’un légitime mariage, d’anciens divorcés : le Muscle et l’Esprit. Je risquerais quelque entorse à la vérité si j’avançais qu’une ardente inclination les incite à reprendre dès aujourd’hui la vie conjugale. Leur entente, sans doute, dura longtemps et fut féconde, mais séparés par des circonstances adverses, ils en étaient venus à s’ignorer totalement ; l’absence avait engendré l’oubli. Or, voici qu’Olympie, leur demeure essentielle d’autrefois, a été rétablie ou plutôt rénovée sous des formes différentes puisque modernes, pénétrées pourtant d’une ambiance similaire. Ils peuvent donc réintégrer leur domicile et il nous appartient, en attendant, d’y préparer leur retour. C’est pourquoi cette Conférence consultative a été convoquée à l’effet d’étudier « dans quelle mesure et en quelle forme les Arts et les Lettres pourraient participer à la célébration des Olympiades modernes et, en général, s’associer à la pratique des sports pour en bénéficier et les ennoblir ». Donc un double objet : d’une part organiser la retentissante collaboration des Arts et des Lettres aux Jeux Olympiques restaurés et de l’autre, provoquer leur collaboration quotidienne, modeste et restreinte aux manifestations locales de l’activité sportive. Ne doutons pas, Messieurs, d’y parvenir ; ne doutons pas non plus qu’il n’y faille beaucoup de temps et de patience.

Un premier point de notre programme sur lequel nous solliciterons vos avis et vos conseils, ce sera la création projetée de cinq concours d’architecture, de sculpture, de peinture, de musique et de littérature destinés à couronner tous les quatre ans des œuvres inédites directement inspirées par l’idée sportive. Au début, peut-être, la participation à de telles compétitions risque de paraître menue en quantité et même pauvre en qualité. C’est qu’ils ne tenteront d’abord, sans doute, que des artistes et des écrivains personnellement adonnés à la pratique des sports. Même le sculpteur, pour bien interpréter la tempête musculaire que l’effort soulève dans le corps de l’athlète, ne devrait-il pas en avoir ressenti quelque chose dans son propre corps ? Mais quoi ! allons-nous nous laisser arrêter par ce préjugé sans fondement et déjà désuet de l’incompatibilité du sport avec certaines professions ? La puissance et l’universalité acquises en si peu de temps par la renaissance sportive nous protègent contre une pareille crainte. La génération prochaine connaîtra des travailleurs de l’esprit qui seront en même temps des sportifs. N’y en a-t-il pas déjà parmi les escrimeurs ?

En cela le temps agit avec nous et pour nous. Il y aurait imprudence à trop attendre de lui pour ce qui concerne l’alliance à conclure entre athlètes, artistes et spectateurs. Là, tout est à faire ; car on a désappris l’eurythmie. La foule d’aujourd’hui est inapte à associer les jouissances d’art d’ordre différent. Ces jouissances, elle s’est accoutumée à les émietter, à les sérier, à les spécialiser. La laideur et la vulgarité des cadres ne l’offusquent pas. De belle musique la fait vibrer mais qu’elle résonne au centre d’une noble architecture la laisse indifférente. Et rien ne semble se révolter en elle devant ces décorations misérablement routinières, ces cortèges ridicules, ces cacophonies détestables et tout cet attirail dont se compose ce qu’on nomme de nos jours une fête publique, fête à laquelle un invité manque toujours : le goût.

C’est ici, par excellence, la maison du goût. Elle est reconnue pour telle par le monde entier. La première pierre de l’édifice que nous cherchons à poser ne pouvait être taillée ailleurs avec autant de gages de succès. Au nom du Comité International Olympique, je remercie M. Jules Claretie, administrateur de la Comédie Française, ainsi que Mme Bartet et M. Mounet-Sully, ses illustres doyens, d’avoir bien voulu participer à cette séance et je souhaite en même temps la bienvenue aux éminentes personnalités qui ont répondu à notre appel. On me reprochait tout à l’heure d’en avoir trop restreint la liste. Je crois volontiers à la solidité des entreprises qui débutent discrètement. Soyons de bons guides, sachons poser ici et là des jalons opportuns et l’opinion obéira à l’impulsion que nous aurons donnée.

Le programme soumis aux délibérations de la Conférence consultative était le suivant :

Architecture : Conditions et caractéristiques du gymnase moderne. — Cercles de plein air et cercles urbains, piscines, stands, manèges, clubs nautiques, salles d’armes — matériaux, motifs architecturaux — Dépenses et devis.

Art dramatique : Représentations en plein air. Principes essentiels — Les sports sur la scène.

Chorégraphie : Cortèges, défilés, mouvements groupés et coordonnés — Danses rythmiques.

Décoration : Tribunes et enceintes — Mats, écussons, guirlandes, draperies, faisceaux — Fêtes de nuit ; les sports aux flambeaux.

Lettres : Possibilité d’établir des concours littéraires olympiques : conditions de ces concours — L’émotion sportive, source d’inspiration pour l’homme de lettres.

Musique : Orchestres et chœurs de plein air — Répertoire — Rythmes et alternances — Fanfares — Conditions d’un concours musical olympique.

Peinture : Silhouettes individuelles et aspects d’ensemble — Possibilité et conditions d’un concours olympique de peinture — Aide apportée à l’artiste par la photographie instantanée.

Sculpture : Attitudes et gestes athlétiques dans leurs rapports avec l’art — Interprétation de l’effort — Objets donnés en prix : statuettes et médailles.