Anthologie de la littérature japonaise : des origines au XXe siècle/03

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III. — ÉPOQUE DE HÉIAN

I. — LA POÉSIE

A. LE KOKINNSHOU

Le Kokinnshou, ou « Recueil de poésies anciennes et modernes », est, en date comme en importance, le premier des recueils de vers qui parurent durant l’époque de Héian.

Sa Préface, qu’on trouvera plus loin, nous raconte comment il fut rédigé, d’ordre impérial, par Ki no Tsonrayouki[1] et trois autres poètes [2]. Depuis le Manyôshou, et pendant presque un siècle après l’établissement de la capitale à Kyoto, la poésie japonaise avait été négligée pour les vers chinois ; mais, à la fin du ixe siècle et au commencement du xe on vit se produire une belle renaissance : c’est de cette nouvelle floraison surtout que fut tirée, vers 922, la gerbe du Kokinnshou.

Comme le Manyôshou, le Kokinnshou est divisé en 20 livres ; mais il ne comprend que 1,100 morceaux. En revanche, ces poésies sont groupées suivant une classification rationnelle : Printemps, Eté, Automne, Hiver, Congratulations, Séparations, Voyages, Amour, et la suite. Presque toutes sont de « brèves poésies », les « longs poèmes » étant depuis longtemps délaissés. Partant, plus de larges envolées, comme dans le Manyôshou ; mais, dans le cadre étroit que le goût japonais s’était choisi, de légères esquisses, fines et ingénieuses, d’autant plus Page:Revon - Anthologie de la littérature japonaise, 1923.djvu/115 Page:Revon - Anthologie de la littérature japonaise, 1923.djvu/116

IV. — LE BONZE KICENN

Ma hutte
Est au sud-est de la capitale :
Ainsi je demeure.
Et les hommes disent
Que le monde est une Montagne de mélancolie[3] !

(XVIII, Divers, 2. — H.-i., nº 8.)

V. — ONO NO KOMATCHI

La couleur de la fleur
S’est évanouie,
Tandis que je contemplais
Vainement
Le passage de ma personne en ce monde[4] ;

(II, Printemps, 2. — H.-i., nº 9.)

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Quand je mettais, si familière était
La femme que je possède !
De combien loin l’aller
De ce voyagel Voilà ma pensée[5].

À cette composition, tous laissèrent tomber leurs larmes sur le repas et se lamentèrent[6].

Ils allaient, ils allaient, et ils parvinrent au pays de Sourouga[7]. Arrivés au mont Outsou, le chemin qu’ils voulurent prendre était sombre et étroit ; cisses et kazoura y étaient denses[8]; leurs cœurs devinrent minces, et ils voyaient déjà quelque aventure redoutable. Sur ces entrefaites, ils rencontrèrent un pèlerin, qui leur demanda : « Pourquoi êtes-vous venus sur ce chemin ? » Et à le regarder, c’était un homme qu’il avait connu ! Alors il écrivit cette lettre, pour une personne de la capitale :

Auprès du mont Outsou
Dans Sourouga,
Eveillé
Ou en songe, personne
À rencontrer[9] !

Quand il contempla le mont Fouji au dernier jour de la lune des pousses hâtives[10], la neige tombait, toute blanche :

Celle qui ne connaît pas le temps,
C’est la cime du mont Fouji !
Quand donc,

Tachetant [cette cime] comme la peau du cerf,
La neige tombera-t-elle[11] ?

Cette montagne semble vingt fois plus grande que le mont Hiéi[12] ; la forme en est pareille à un tas de sel[13]. Ils allaient toujours. Entre les pays de Mouçashi et de Shimoça, il y a une grande rivière : on l’appelle la rivière Soumida[14]. S’étant assis au bord de cette rivière, ils pensaient : « Comme nous sommes venus loin ! » Le passeur leur dit : « Embarquez-vous promptement : le soleil va se coucher. » Ils s’embarquèrent donc pour traverser. Tous étaient tristes, ayant laissé quelque personne à la capitale. Un grand oiseau blanc, au bec et aux pattes rouges, se jouant à la surface de l’eau, mangeait des poissons. Cet oiseau étant inconnu dans la capitale, nul ne savait ce que c’était. Ils le demandèrent au passeur ; et apprenant qu’il s’appelait « l’oiseau de la capitale[15]», on composa :

Puisque tu en portes le nom,
Allons ! je vais te demander une chose,
Oiseau de la capitale !
La personne à qui je pense
Existe-t-elle ou n’est-elle plus ?

Et à cette composition, tous ceux qui étaient dans le bateau pleurèrent[16].

YAMATO MONOGATARI

Les « Contes du Yamato », c’est-à-dire de la province qui fut pour ainsi dire le cœur même du Japon et dont le nom s’étendit ensuite à tout l’empire, peuvent avoir reçu ce titre, soit dans un sens local comme les « Contes d’Icé », soit plutôt dans le sens général de « Contes du Japon », par opposition aux histoires indochinoises qui remplissaient tant d’autres ouvrages. Ils ne sont d’ailleurs qu’une imitation des « Contes d’Icé » ; mais ils s’en distinguent, quant à la forme, par un style à la fois plus moderne et plus confus, et quant au fond, par le fait qu’ils ne se trouvent pas groupés autour d’un même personnage, mais qu’ils constituent autant de récits distincts. Voici l’un des plus populaires[17].

le tombeau de la jeune fille d’ounaï[18]

Il était autrefois une jeune fille qui demeurait dans le pays de Tsou. Cette jeune fille était recherchée par deux jeunes gens. L’un, habitant du même pays, s’appelait Oubara ; l’autre, habitant du pays d’Izoumi, s’appelait Tchinou. Ces deux hommes étaient pareils comme âge, comme figure, comme extérieur et comme manières. Elle pensait bien à agréer celui qui aurait eu le plus d’amour ; mais leur amour aussi était semblable. Quand la nuit tombait, ils venaient tous deux ; quand ils lui faisaient des cadeaux, ces cadeaux étaient de même nature. On n’eût pu dire que l’un d’eux surpassait l’autre ; et la jeune fille était dans une grande détresse de cœur. Si l’ardeur de ces jeunes gens n’avait pas été intense, la jeune fille n’aurait accepté les vœux ni de l’un, ni de l’autre ; mais comme, après des jours et des mois, l’un et l’autre venaient toujours devant sa porte, et qu’ils manifestaient leur amour de toutes façons, elle ne savait que devenir. Bien qu’elle ne voulût pas accepter leurs présents, ils en apportaient sans cesse. Elle avait ses parents, qui lui disaient : « C’est pitié que les mois et les années se passent ainsi, sans penser aux lamentations des autres. Si tu en épousais un, l’amour de l’autre s’éteindrait. » La jeune fille : « Moi aussi, je le pense ; mais, leur amour étant pareil, je suis bien désemparée ! »

Or, en ce temps-là, il y avait des plates-formes avancées sur la rivière Ikouta[19]. Les parents firent venir les deux prétendants, et leur dirent « Votre amour pour notre fille étant pareil, elle se trouve dans un pénible embarras. Mais nous voulons décider cette question, aujourd’hui, par n’importe quel moyen. L’un de vous est venu d’un pays lointain ; l’autre est un habitant d’ici, mais il a montré un amour incommensurable. Vous nous inspirez tous deux une grande pitié. » Ils étaient pleins de joie. Les parents continuèrent : « Tirez de vos ares contre l’oiseau aquatique qui flotte sur cette rivière. Nous offrirons notre fille a celui qui l’aura atteint. » Tous les deux dirent ; « Excellente idée ! » Et ils tirèrent leurs flèches. Mais l’une perça la tête, l’autre la queue ; de sorte qu’on ne pouvait décider de la victoire. Alors la jeune fille, désemparée :

Lasse de vivre,
Je veux jeter mon corps !
Du pays de Tsou
La rivière Ikouta
N’est qu’un nom[20] !

Et à ces mots, de la plate-forme avançant sur la rivière, elle se précipita, tsoubouri[21]! dans cette rivière. Tandis que les parents, effrayés, poussaient des cris, les deux amoureux plongèrent au même endroit ; l’un la saisit par le pied, l’autre par la main ; et tous deux moururent avec elle.

Les parents se lamentèrent violemment ; ils recueillirent son corps et l’ensevelirent, avec des larmes. Les parents des jeunes hommes vinrent aussi. Mais quand ils voulurent les enterrer aux côtés du tombeau de la jeune fille, les parents du jeune homme du pays de Tsou dirent : « Il est naturel que l’homme du même pays soit enterré au même endroit ; mais l’homme d’un pays étranger ne devrait pas reposer dans cette terre. » Alors les parents du jeune homme d’Izoumi apportèrent dans un bateau de la terre du pays d’Izoumi, et ils purent enfin l’ensevelir. C’est ainsi qu’existent encore les deux tombeaux des jeunes gens, à gauche et à droite du « Tombeau de la jeune fille[22] ».


b. — LE ROMAN DE COUR GHENNJI MONOGATARI

Après les anciens contes, où le genre narratif s’était déjà distingué par une originalité si riche en promesses, le roman paraît enfin, dans toute son ampleur, avec le Ghennji Monogatari de Mouraçaki Shikibou.

MOURAÇAKI SHIKIBOU

Mouraçaki Shikibou est une des plus touchantes figures de l’histoire japonaise, en même temps que la plus illustre entre les femmes d’esprit qui brillèrent à la cour de l’an 1000. Pourtant, chose curieuse pour une époque qu’elle-même nous a fait connaître jusqu’en ses moindres détails, nous ne savons ni quel était son vrai nom, ni quand elle naquit ou quand elle mourut, ni même en quelle année parut le grand roman qui devait la rendre immortelle et qui, étant resté comme le plus fameux produit, non seulement de la littérature féminine, mais aussi de toute la littérature classique, peut donc être considéré, pour qui se place au point de vue indigène, comme le chef-d’œuvre de la littérature japonaise en général.

Le nom de Mouraçaki Shikibou, sous lequel on connaît cette femme célèbre, est le surnom élégant qu’elle reçut à la cour[23]. Si le mot Shikibou, qui exprime l’idée de « cérémonies[24] » fut appliqué à la jeune femme, c’est sans doute en raison de fonctions que son père aurait remplies à cet égard. Comme d’autres dames d’honneur se trouvaient sûrement dans des conditions analogues, on précisa davantage en ajoutant le mot Mouraçaki, qui veut dire « violet[25] ». Mais pourquoi ce dernier nom ? D’après les uns, parce que telle est la couleur de la glycine, fouji, premier élément du nom de la grande famille de Foujiwara, « champ de glycines », à laquelle elle appartenait ; et de fait, on l’appelle aussi Tô Shikibou, tổ étant la prononciation chinoise du caractère qui se lit fouji en japonais. D’autres pensent que ce nom lui fut plutôt donné par une comparaison flatteuse avec une exquise figure, Mouraçaki no Oué[26], qui, dans son roman, personnifie la modestie, la douceur et toutes les vertus féminines. Je ne serais pas éloigné de croire que les deux explications sont vraies en même temps, les Japonais ayant toujours aimé à trouver dans un seul mot des symboles multiples. En somme, on pourrait traduire ce nom de Mouraçaki Shikibou par : « la Violette du Protocole ».

C’est à une branche cadette des Foujiwara que se rattachait sa lignée, du côté paternel comme du côté maternel. Son père Tamétoki, érudit de quelque réputation, était petit-fils du poète Kanéçouké, qui lui-même avait pour arrière-grand-père un auteur connu, Fouyoutsougou[27] ; et si l’hérédité n’est pas un vain mot, peut-être est-il permis de penser que cette ascendance ne fut étrangère ni aux instincts d’érudition, ni aux dons de poésie qui devaient s’unir chez Mouraçaki. Cette fille de savants et de lettrés, douée par surcroît d’une étonnante mémoire, reçut l’éducation solide qui était d’usage dans son milieu. Toute jeune encore, quand l’aîné de ses trois frères, Nobounori, étudiait dans le Shiki l’histoire chinoise, assise auprès de lui, elle écoutait sa lecture et retenait pour toujours ce qu’il avait déjà oublié. Le père soupirait : que n’était-elle un garçon ! Bientôt les classiques chinois n’eurent plus de secrets pour elle, non plus que les annales japonaises ; au point que, plus tard, l’empereur lui-même devait lui donner un troisième nom : Nihonnghi no Tsouboné, « la Camériste des Chroniques du Japon ». Quand elle eut fait ainsi ses « humanités », elle étudia les meilleurs écrivains japonais du xe siècle. De ce mélange allait sortir un style dont les critiques européens ne peuvent sentir tout le charme, mais que les Japonais ne se lassent pas d’admirer [28]. Son éducation achevée, elle épousa un Foujiwara, Noboutaka, de qui elle eut deux filles, Daïni no Sammi et Benn no Tsouboné ; la première devait se faire connaître à son tour, comme auteur probable du Sagoromo Monogatari[29]. Par malheur, Mouraçaki perdit bientôt son époux ; elle se retira alors dans la solitude, pour se consacrer au travail et à la méditation[30]. Cependant, après de longues années de retraite, elle se laissa ramener à la cour comme dame d’honneur de l’impératrice Akiko, plus connue sous le nom posthume bouddhique de Jôtô Moninn, laquelle était aussi une Foujiwara et une femme curieuse des choses de l’esprit. Le Mouraçaki Shikibou Nikki[31] date de cette dernière période. Mouraçaki repose à Kyôto, la vieille capitale où elle avait vécu tant d’heures de gloire ou de deuil, et où se passent les principales scènes de son chef-d’œuvre.

LE GHENNJI MONOGATARI

C’est pendant sa retraite de veuve qu’elle avait commencé le Roman de Ghennji, publié aux environs de l’an 1000. Une poétique légende nous la représente, un soir d’été, sur une terrasse du temple d’Ishiyama, accoudée à sa table devant le lac Biwa dont la nappe argentée réfléchit la lune étincelante : la poétesse contemple ce paysage divin et, la sérénité des choses entrant dans son cœur, elle écrit, d’un pinceau tranquille et inspiré, un des plus beaux chapitres de son ouvrage. Qui n’a vu ce tableau exquis sur quelque encrier laqué d’or ? Par malheur, le terrible Motoori a prouvé que cette légende n’était pas de l’histoire. On en peut dire autant des pieuses traditions qui veulent entourer ce roman d’une atmosphère religieuse. Pour les uns, c’est sur la demande de la grande-vestale d’Icé, désireuse de voir paraître un monogatari moins grossier que ceux qu’on avait lus jusqu’alors, que l’impératrice aurait prié sa suivante de composer une œuvre plus délicate ; et c’est par une contemplation fervente que cette dernière s’y serait préparée, au temple d’Ishiyama. D’autres prétendent que la poétesse, fidèle de la secte Tenndaï[32], aurait voulu montrer à ses contemporains la vanité des choses humaines ; en sorte que ses libres peintures n’auraient été étalées que pour dégoûter les lecteurs. Enfin, si vous visitez, au monastère d’Ishiyama, la à chambre du Ghennji (Ghennji no ma), le bonze vous montrera, outre l’encrier même de Mouraçaki, un manuscrit de son propre pinceau : au moment où l’inspiration l’avait saisie, elle aurait noté en hate ses pensées au dos d’un rouleau bouddhique, traduction chinoise d’un sutra, et plus tard, en expiation de ce sacrilège, elle aurait voulu recopier elle-même le texte ainsi profané ; ce qui peut sembler bien scrupuleux, si son intention première avait été de faire de son roman un sermon. Ces histoires édifiantes, inventées tantôt par de pieux bouddhistes, tantôt par des pédagogues qui se désolent de ne pouvoir donner en exemple à la jeunesse un ouvrage si bien écrit, ne sauraient nous voiler le caractère essentiel de ce livre de bonne foi, écrit par une femme honnête, mais dénuée de toute pruderie : je veux dire le réalisme parfait d’un récit qui n’a de fictif que la composition générale, dont les scènes, infiniment variées, ne visent tout au contraire qu’à livrer fidèlement au lecteur un véritable trésor d’observations sur les mœurs du temps, et dont les moindres détails, toujours précis, vivants, saisissants, évoquent cette vieille société de Kyôto, à l’aube du xie siècle, avec une sincérité telle qu’un Français, ayant étudié le Ghennji, porte désormais en son cerveau une image aussi nette de la cour d’Itchijo que de celle de Louis XIV.

Le Ghennji Monogatari comprend 54 chapitres, qui, dans l’édition Koghetsoushô, représentent 4234 pages. Cette édition consacre 80 pages à la seule énumération généalogique des personnages, empereurs, princes, hauts fonctionnaires et la suite, qui s’entremêlent dans le récit. L’ouvrage se compose de deux parties, d’importance et de longueur inégales. La première (chapitres 1 à 44) nous conte toute la vie du prince Ghennji, c’est-à-dire la série de ses aventures amoureuses. La seconde (chapitres 45 à 54) concerne un fils putatif de Ghennji, le prince Kaorou ; c’est ce qu’on appelle « les dix chapitres d’Ouji », la scène se passant alors, non loin de Kyôto d’ailleurs, dans le village de ce nom. Il faudrait un volume pour analyser cette œuvre complexe où, sur un fond d’exquises descriptions empruntées à tout ce que la nature, la vie sociale et l’existence de la cour pouvaient offrir de plus charmant à une romancière poėte, nous voyons se détacher en pleine lumière, autour de la physionomie centrale d’un don Juan peu moral, mais plein de tendres délicatesses, un groupe très varié de figures féminines dont la psychologie se révèle à travers mille incidents. Voici seulement, à grands traits, la ligne direttrice qui permettra au lecteur de se retrouver dans les extraits qui vont suivre.

Ghennji est le fils d’un empereur et d’une favorite, Kiri-tsoubo no Koï, « la Concubine de la Chambre des paulownias ». Cette dernière, qui est fille d’un premier vice-ministre, mais qui n’appartient pas au clan des Foujiwara, est bientôt persécutée de mille façons, malgré son extrême douceur ; par la jalousie de ses compagnes. Ces coups d’épingle finissent par la tuer : elle tombe malade et meurt, alors que son enfant était âgé de trois ans à peine. Le jeune prince, que l’empereur désolé a pris sous sa protection, au Palais même, grandit en beauté et en distinction ; si bleh que son entourage l’appelle Hikarou Għennji no Kimi, « le Brillant prihce Ghendji ». Lorsqu’il atteint douge ans, l’empereur fait célébrer son ghemmboukou[33] avec une magnificence particulière et, à cette occasion, le marie avec Aoï no Oué, la fille d’un de ses ministres. Mais Ghennji n’aimait pas cette femme, un peu plus âgée que lui et qu’il n’avait pas choisie, tandis que, depuis quelque temps déjà, il avait tourné ses regards vers Fouji-tsoubo (« Chambre des Glycines »), une nouvelle concubine que l’empereur avait prise parce qu’elle lui rappelait la pauvre Kiri-tsoubo. Incapable de maîtriser sa passion, Ghennji finit par avoir avec elle des rapports d’où naît un fils, que l’empereur croit légitime, et qu’il désigne comme prince héritier lorsqu’il abdique en faveur d’un demi-frère aîné de Ghennji. Cependant, Aoï no Oué étant morte, Ghennji se remarie avec une nièce de Fouji-tsoubo, l’idéale Mouraçaki no Oué. Mais, la perfection même ne pouvant le fixer, il fait bientôt la cour à Oboro-zouktyo, une concubine du jeune empereur, ce qui entraîne sa disgrâce ; il s’exile alors à Souma, village situé au bord de la mer, à trente lieues de la capitale, puis, sur la même côte, à Akashi, où un prêtre, ancien gouverneur de la province, lui offre sa fille, Akashi no Oué ; enfin, on l’autorise à rentrer à la cour. Là-dessus son fils naturel devient à son tour empereur. Instruit de sa naissance, il nomme Ghennji premier ministre et le comble d’autres honneurs. Mais, par un juste retour des choses, un certain Kashiwaghi séduit la princesse Nyoçan, sa concubine préférée, laquelle met au monde un fils, le prince Kaorou, qui passe pour le fils de Ghennji. Sur ces entrefaites, Mouraçaki no Oué, que son époux volage n’a pourtant jamais cessé d’aimer, meurt après une longue maladie. Ghennji, désespéré, se retire loin du monde, et succombe à son tour, dans sa cinquante et unième année. Le chapitre xli, qui eût dû raconter sa mort, ne se compose que du titre : Koumogakouré, « la Disparition dans les nuages[34] ». — Le prince Kaorou et le prince Nïo-ou, petit-fils de Ghennji par Akashi no Oué, sont les héros de la dernière partie du roman. Kaorou, moins heureux que son père putatif, ne peut faire la cour à une femme sans que Nïo-ou la lui enlève. Pourtant, il arrive à supplanter son rival auprès d’une certaine Oukifouné ; mais Nïo-ou se glisse de nuit chez cette dernière, qui le prend pour Kaorou, et qui, s’apercevant trop tard de son erreur, veut d’abord se noyer, en est empêchée par un bonze, et entre enfin dans un monastère où Kaorou, qu’elle aime cependant toujours, se heurte à sa ferme volonté de ne plus revoir le monde des vivants[35]. — On pourra trouver que ce récit dépeint une société peu morale. Nul doute sur ce point ; mais il ne faudrait pas juger l’ouvrage sur quelques faits brièvement rapportés. Mouragaki Shikibou, fille, épouse et mère sans tache, a voulu, dans le domaine littéraire, nous faire un tableau exact de son temps ; elle n’a donc pas caché le caractère général des mœurs qu’elle voyait autour d’elle. Il n’en est pas moins vrai que, par la finesse de son esprit comme par la décence de son style, elle a su décrire les plus étranges situations avec une délicatesse toute féminine ; si bien que dans ses pages, comme le dit fort justement M. Aston[36], « on trouverait malaisément une phrase destinée à amener une rougeur sur la joue d’une jeune fille ».

KIRI-TSOUBO[37]

Je ne me rappelle plus en quel temps, parmi les nombreuses nyôgo et kôï[38] du Palais, il y en avait une qui, bien que n’étant pas née d’une famille noble, était aimée du mikado plus que toute autre. Les diverses femmes qui s’étaient présentées (à la cour) dans la pensée qu’elles seraient préférées s’accordaient toutes à la jalouser. Celles d’entre les kôi qui lui étaient inférieures ne se montraient pas plus satisfaites ; et, profitant de chaque occasion pendant leur service du matin et du soir, elles disaient sans cesse des choses destinées à émouvoir contre elle le cœur des hommes. Peut-être par l’effet de ces jalousies accumulées, elle tomba malade, et son état empira ; de sorte qu’elle était souvent obligée de passer les jours chez elle, le cœur épuisé… L’empereur, cependant, depuis qu’elle était malade, n’en avait que plus de pitié pour elle ; et sans prêter l’oreille aux calomnies des autres, il l’aimait d’un amour qu’on eût pu donner en exemple à la postérité.

Même les kanndatchimé et les ouébito[39] n’osaient la regarder en face ; et elle était respectée de tous les autres En Chine, pour une cause analogue, il y avait eu des troubles terribles dans le monde ; c’est pourquoi elle devenait ; sous le ciel, un sujet d’inquiétudes pour bien des gens, qui comparaient son cas à celui de Yo Kihi[40]. Mais quoiqu’elle fût ainsi mal accueillie de son entourage, s’appuyant sur la rare faveur du souverain, elle se montrait toujours aimable avec les autres femmes.

(Chap. I, Kiri-tsoubo.)

MORT DE KIRI-TSQUBO[41]

Dans l’été de cette année-là[42], Madame la miyaçoudokoro[43] fut atteinte d’une maladie qui semblait légère. Elle voulut se retirer de la cour. L’empereur refusait, disant qu’elle était un peu faible, à son ordinaire, mais qu’elle devait rester encore, essayer des médicaments. Cependant, quelques jours après, son état devint plus grave. Sa mère demanda, avec des larmes, et obtint enfin qu’elle fût autorisée à partir. Alors, pour laisser son souvenir, la jeune femme ne prit pas avec elle l’enfant impérial. Elle quittait le palais, regardant en arrière. L’empereur était désespéré ; mais il ne pouvait la retenir davantage. Il se demandait ce qu’elle allait devenir après son départ. Il regrettait de la voir, naguère si belle, maintenant maigre et pâle. Pour elle, s’efforçant de cacher sa douleur, elle causait encore avec lui comme si elle n’avait éprouvé aucune souffrance. Lui, pensait au présent et à l’avenir. Il lui parlait avec tendresse : « Le chemin de ma vie, comme le vôtre, est limité ; je n’aurais pas voulu que vous y avanciez sans moi ; partirez-vous donc ainsi ? » Elle répondit :

« Il est triste
Que ce chemin nous sépare ;
C’est la destinée !
Je voudrais pourtant vivre
Cette vie (avec vous) ! »

Elle improvisa ces vers avec courage ; mais sa respiration était entrecoupée : elle paraissait souffrir beaucoup. L’empereur ordonna à des prêtres éminents de commencer le jour même un exorcisme[44]. Cela fait, il prit congé d’elle et rentra dans ses appartements. Étendu sur sa couche, il se sentait la poitrine lourde et n’arrivait pas à s’endormir. À plusieurs reprises, il envoya aux nouvelles. Un peu après minuit, un messager arrive en pleurant « Madame vient d’expirer. » L’empereur demeura dans sa chambre. Il ne savait que faire. L’enfant, ne comprenant pas ce qui se passait, voulait sortir pour embrasser sa mère. Toute la suite impériale, touchée de ce spectacle, versait des pleurs. Mais on ne pouvait se laisser aller à des larmes sans fin. Alors, on la mit au cercueil, suivant la règle bouddhique. Toute séparation est lamentable, et celle-ci l’était singulièrement.

La mère suivit les funérailles. Elle aurait voulu disparaître avec sa fille, dans une même fumée[45]. Une voiture[46], où elle se trouvait avec d’autres dames, les conduisit jusqu’au cimetière d’Atago ; et en cette circonstance où tout le monde était triste, on peut s’imaginer leur douleur. Tant que le corps exista, on put croire que la jeune femme était encore de ce monde ; mais lorsqu’il fut réduit en cendres, on comprit qu’elle était allée dans l’autre vie. La mère essayait de se montrer vaillante ; pourtant, écrasée par le chagrin, elle serait tombée de voiture si d’autres dames ne l’avaient retenue. Au cours de la cérémonie, un envoyé impérial lut un décret élevant Kiri-tsoubo au rang de sammi[47] : regrettant de n’avoir pas donné, de son vivant, le titre de nyôgo à cette femme distinguée, il voulait au moins lui conférer aujourd’hui ce rang d’honneur ; et en entendant ce décret, on se lamenta encore davantage…

Après les funérailles, bien des jours passèrent. Les divers services mortuaires furent célébrés avec grand soin. Lorsque le vent d’automne se mettait à souffler et qu’on sentait le froid du soir, les souvenirs de l’empereur devenaient plus vifs que de coutume. Il envoya (chez la mère de Kiri-tsoubo) une dame d’honneur, Youghéi, qui partit au moment où la lune brillait d’un vif éclat. L’empereur s’assit, en contemplation devant l’astre resplendissant. À pareille heure, quand il avait un festin, son amie jouait de la harpe[48]d’une manière merveilleuse, mieux que toute autre ; même ses moindres paroles étaient plus distinguées que celles de ses compagnes. Il se rappelait toutes ces choses qui ajoutaient à sa beauté ; et dans l’obscurité, il croyait voir encore son visage.

La dame d’honneur, en arrivant chez la mère, était déjà saisie de tristesse au moment d’ouvrir la porte. La vieille dame vivait solitaire ; elle n’avait qu’une servante ; mais cet intérieur de femme était bien tenu. Elle s’était déjà couchée, à cause de son grand age. Dans le jardin, des mauvaises herbes, ravagées par le vent d’automne, et qu’éclairait la lumière de la lune, seule visiteuse de cette demeure éloignée. La mère, regardant la figure de la dame d’honneur sous la lueur lunaire, ne put d’abord prononcer une parole. « Je suis toute confuse, dit-elle enfin, qu’une messagère de l’empereur soit venue ici, à travers la rosée de ce jardin abandonné. » Et elle éclata en sanglots.

(Chap. Ier.)

LA CONVERSATION D’UNE NUIT DE PLUIE[49]

C’était un soir de la saison des pluies[50]. Comme la pluie tombait toujours, le palais était presque désert, et même les appartements de Ghennji étaient plus calmes qu’à l’ordinaire. Lui, s’occupait à lire sous la lampe. À un certain moment, il prit dans un meuble toutes sortes de papiers et de lettres. Le Tô no Tchoujo[51] marqua un vif désir d’y jeter un coup d’œil. « Tu peux en lire quelques-unes, dit Ghennji ; mais il en est d’autres que je ne puis te montrer. Ce sont justement celles-ci que je voudrais voir ! Les lettres banales ne m’intéressent pas. Celles qui valent la peine d’être lues, ce sont celles qui, par exemple, expriment une ardente jalousie ou les langueurs passionnées de l’heure du crépuscule. » Cédant à ses instances, Ghennji lui permit de les parcourir. Sans doute n’étaient-ce pas, au demeurant, des lettres particulièrement secrètes, puisqu’il les avait laissées dans un meuble ordinaire ; les autres, on les cache avec grand soin, et celles-ci n’étaient donc apparemment que d’une importance relative. « Quelle variété ! » dit le Tô no Tchoujo ; et il voulut deviner par qui elles avaient été écrites[52]. « Celle-ci est sans doute d’une telle ? Celle-là, de telle autre ?… » Parfois il tombait juste ; d’autres fois, il essayait des conjectures. Ghennji souriait, mais parlait peu, s’en tenant à des réponses évasives. « Mais toi, dit Ghennji, tu dois aussi en avoir une collection. Ne veux-tu pas m’en laisser voir quelques-unes ? Ma petite armoire pourrait alors s’ouvrir plus volontiers. Je crois, répondiț le Tò no Tchoujô, que les miennes n’offriraient guère d’intérêt pour toi. J’ai enfin découvert combien il est difficile de trouver en ce monde une femme dont on puisse dire : « Celle-ci est la honne : voilà la perfection ! » Il en est beaucoup, d’une sensibilité médiocre, qui sont promptes à écrire et, à l’occasion, habiles à la riposte[53] ; mais combien peu seraient admissibles en ce qui touche la sincérité ! On regrette de les voir, profitant de leurs talents supérieurs, provoquer sans cesse les autres personnes[54]. Il en est d’autres dont les parents sont trop fiers et qu’ils gardent toujours sous leur surveillance. Tant qu’elles restent derrière le store qui borne leur existence, elles peuvent faire impression sur le cœur des hommes qui ne les connaissent guère que par ouï-dire. Elles seront souvent jeunes, aimables, modestes ; et souvent aussi elles seront devenues habiles aux arts d’agrément. Mais leurs amis dissimuleront leurs défauts, tandis qu’ils mettront leurs qualités en lumière. Comment les juger sans aucun indice, se dire que ces louanges ne sont pas la vérité ? Or, si nous y croyons, nous ne manquerons pas d’avoir ensuite une désillusion. » Cela dit, le Tô no Tchoujo s’arrêtą, comme honteux d’avoir parlé trop vite. Ghennji sourit, pensant à quelque observation personnelle analogue. « Mais, dit-il, elles ont bien chacune leurs bons côtés ? — Sans doute, reprit le Tô no Tchoujo ; car autrement, qui se laisserait séduire ? Il y a aussi peu de femmes assez disgraciées pour ne mériter aucune attention que de femmes assez supérieures pour entraîner une admiration sans réserves. Celles qui sont nées dans une grande famille sont entourées d’amis qui cachent leurs points faibles, de sorte qu’elles peuvent sembler parfaites en apparence. C’est chez celles de la classe moyenne, plus libres de montrer leur originalité, que nous pouvons le mieux la distinguer. Quant à celles de la basse classe, inutile de s’en préoccuper. »

Ghennji, qu’amuse l’expérience précoce de l’orateur, est en train de lui demander dans quelle catégorie de sa classification il rangera les femmes qui tombent d’un rang élevé ou les parvenues qui y arrivent, lorsque surviennent deux autres joyeux amis, un chef de bureau des Ecuries impériales et un secrétaire du Protocole, qui se mêlent à la discussion ; et cette conversation psychologique, illustrée de souvenirs personnels, se poursuit pendant des heures entre les quatre jeunes gens, qui, constatant enfin que, pour avoir la femme idéale, il faudrait épouser une déesse[55], concluent par un éclat de rire général. (Chap. II, Hahaki-ghi.)

GHENNJI VOIT POUR LA PREMIÈRE FOIS MOURAÇAKI NO OUR[56]

En cette saison, les jours étaient fort longs. Comme il s’ennuyait, Ghennji sortit du monastère ; et sous le brouillard du soir, il alla vers un bâtiment qu’une petite haie entourait. De toute sa suite, il n’avait conservé avec lui que Korémitsou[57]. Ils regardèrent à travers la haie. Au côté ouest du bâtiment, il y avait une religieuse qui faisait ses dévotions devant une statue du Bouddha. Elle souleva le store et offrit des fleurs. Puis, elle se plaça près du pilier central, et, posant un kyô[58] sur un support, elle se mit à le lire d’une voix triste. Cette religieuse semblait avoir dépassé la quarantaine. Elle avait quelque chose de distingué. Elle était plutôt maigre, avec une peau trop blanche. Sa chevelure, pour avoir été coupée[59], n’avait rien perdu de sa beauté. Deux suivantes, de visage aimable, la servaient. Plusieurs enfants jouaient, entrant dans la salle ou en sortant.

Parmi eux, une petite fille, d’une dizaine d’années ou un peu plus. Elle portait un vêtement de soie blanche, avec des dessins couleur de kerrie[60]. Elle ne ressemblait ni aux suivantes, ni aux autres enfants, mais se distinguait par sa beauté admirable. Sa chevelure ondulait en vagues, étalée comme un éventail[61]. Mais elle avait les yeux rouges. La religieuse, relevant la tête, lui demanda : « Qu’y a-t-il ? Tu t’es disputée avec les enfants ? » En voyant le visage de la religieuse, Ghennji pensa qu’elle était sans doute sa fille[62]. « Inouki, répondit celle-ci d’un ton plaintif, a lâché le petit moineau que j’avais mis dans un panier[63]. » Une des suivantes : « Ce méchant garçon n’en fait jamais d’autres et il ennuie tout le monde ! Où est allé le moineau, maintenant ? Lui qui grandissait si bien, ces derniers jours ! Je crains qu’un corbeau ne l’aperçoive. » Et ce disant, elle sortit. Cette femme avait une longue chevelure flottante. Elle était de mine fort agréable. Les autres l’appelaient « Nourrice Shônagon[64] », et elle semblait chargée de surveiller la petite fille.

La religieuse dit à l’enfant : « Tu es bien jeune et tu fais trop de sottises. Sans songer que ma vie même peut disparaître aujourd’hui ou demain, tu ne penses qu’à ton moineau et tu commets un péché en le gardant captif[65]. Ce n’est pas bien. Allons, viens ! » La petite fille s’avança, d’un air tout triste, les sourcils comme voilés d’un nuage. Son front était charmant ; sa coiffure d’enfant, pleine de grâce. Les yeux de Ghennji étaient attirés vers elle, et il pensait combien elle serait jolie plus tard. Elle ressemblait fort à une personne[66] à qui, naguère, il avait donné son cœur, et dont le souvenir lui fit verser des larmes. La religieuse, caressant la chevelure de la petite fille, lui dit : « Tu n’aimes pas qu’on te coiffe ; et pourtant ta chevelure est bien belle ! Je suis triste quand je pense que tu es encore si enfant. À ton âge, certaines petites filles sont tout autres. Quand ta feue mère avait douze ans, elle était infiniment plus raisonnable. Mais si je devais te quitter maintenant, que deviendrais-tu ? » Elle se mit à sangloter ; et à cette vue, Ghennji fut ému de sympathie. La petite fille, toute jeune qu’elle fût, la regarda, puis, baissant les yeux, pencha la tête ; en sorte que sa chevelure, étalée, apparut dans toute sa splendeur[67].

La religieuse reprit :

Il ne faut pas que disparaisse
La rosée[68] qui nourrit
La jeune herbe,
Qui ne sait où sera la demeure
Où elle croîtra !

« C’est bien vrai, » dit l’autre suivante[69] ; et avec des larmes, elle répondit :

Tant qu’elle ignore
Quelle sera la fin de la croissance
De la jeune pousse d’herbe,
Comment la rosée
Pourrait-elle disparaître ?

À ce moment arriva l’évêque[70] : « Vous êtes exposées aux regards de tout le monde. En cet endroit, vous êtes vraiment trop en vue. Je viens d’apprendre que Ghennji, le général de la garde, s’est rendu chez le sage d’à côté[71] pour subir un exorcisme. Comme il est venu incognito, je ne savais pas qu’il fût si près, et je ne suis pas encore allé le saluer. En effet, dit la religieuse, il serait hon- teux qu’on nous vit en cet état négligé ! » Et elle bätssa le store. « Je vais donc, dit l’évêque, voir ce brillant prince Ghennji, dont on parle tant. Même pour un bonze qui a renoncé au monde, c’est une de ces choses qui font oublier les tristesses de la vie et qui rajeunissent. » Il se leva. En entendant le bruit de ses pas, Ghennji revint au monastère[72].

(Chap. V, Waka-Mouraçaki.)

c. — CONTES POPULAIRES

LE KONNJAKOU MONOGATARI

Les anciens contes du xe siècle avaient été, avant tout, des récits pour les délicats : le Takétori Monogatari, malgré le caractère étranger de son merveilleux, se passait à Kyôto, entre gens de la cour ; le Icé Monogatari n’était guère qu’un tissu de poésies élégantes ; le Yamato Monogatari lui-même, avec ses vieilles légendes du pays, était destiné à des lettrés. Ce genre aristocratique avait atteint son point culminant, sur la limite du xe et du xie siècle, avec le Ghennji Monogatari. Le Konnjakou Monogatari, paru en plein xie siècle, nous offre maintenant des contes populaires, à un double titre : car, d’une part, ils font une place à la vie des bourgeois et du peuple, et d’autre part, ils sont écrits, sans aucune recherche, dans la langue vulgaire qu’on parlait alors.

Le Konnjakou Monogatari est un recueil de « Contes d’il y a longtemps[73] », composé par Minamoto no Takakouni (1004-1077)[74], qu’on connaît aussi sous le nom d’Ouji Daînagon, le « premier sous-secrétaire d’État d’Ouji », parce qu’il possédait une villa en cet endroit[75]. Très corpulent, il s’y réfugiait toujours avec bonheur pour fuir les chaleurs de l’été ; et là, dit-on[76], caché dans une auberge voisine, derrière un paravent, il s’amusait à noter toutes les histoires que racontaient les passants. Son recueil n’en contient pas moins nombre de récits livresques : sur une trentaine de volumes, un tiers sont consacrés pour moitié à des fables hindoues, où interviennent notamment des animaux, pour une autre moitié à des légendes chinoises. Mais le resto de l’ouvrage, où revivent les classes inférieures du pays, renferme maints détails précieux pour l’histoire, surtout en ce qui touche les superstitions du temps. Le récit suivant va nous narrer une anecdote bien connue, souvent illustrée par l’art japonais[77].

hiromaça visite sémimarou

Il y a bien longtemps, vivait un homme du nom de Minamoto no Hiromaça Açon[78], qui était fils du ministre de la guerre, prince Yoshi-akira, lui-même fils de l’empereur de l’ère Enngi[79]. Il était versé en toutes sortes de choses, surtout dans la musique ; il jouait fort bien du luth[80], fort bien de la flûte. Il fut un des dignitaires admis au Palais[81]sous l’empereur Mourakami[82]. À la même époque, près de la Barrière d’Ohçaka, dans une hutte qu’il s’était bâtie, demeurait un aveugle du nom de Sémimarou[83]. Il était au service du ministre des cérémonies, prince Atsoutané. Ce prince, fils de l’ex-empereur devenu bonze[84], Ouda, était extrêmement habile à l’art musical ; en sorte que Sémimarou, en l’écoutant souvent jouer du luth, parvint lui-même à y exceller.

Hiromaça, qui désirait se perfectionner dans cet art, apprenant qu’il y avait à la Barrière d’Ohçaka un aveugle très fort au luth, aurait voulu l’entendre ; mais comme ce dernier avait une demeure si extraordinaire, il lui envoya dire par un messager : « Pourquoi restez-vous en cet endroit ? Venez demeurer à la capitale ! » L’aveugle, en entendant cela, ne donna point de réponse, mais dit :

En ce monde,
De n’importe quelle façon
On peut passer la vie,
Puisqu’au palais comme à la chaumière,
Il n’y a pas de fin[85] !

Le messager lui ayant rapporté la chose, Hiromaça, en l’apprenant, se sentit de l’estime pour cet aveugle, et il pensa dans son cœur : « Comme j’aime beaucoup cet art, j’aurais été bien heureux de le voir. Mais je ne sais s’il vivra encore longtemps, et ma vie aussi est incertaine. Dans la musique pour le luth, il y a deux airs, la « Fontaine qui coule » et les « Coups contre l’arbre[86]», qui doivent disparaître de ce monde, car, seul, cet aveugle les connaît. Je voudrais bien l’entendre jouer ces airs. » Pensant ainsi, il alla un soir à la Barrière d’Ohçaka ; mais Sémimarou ne joua pas ces airs Ensuite, pendant l’espace de trois ans, chaque nuit, il se rendait auprès de la hutte de l’aveugle d’Ohçaka ; et il écoutait debout, secrètement, dans l’attente de ces airs ; mais l’aveugle ne les jouait pas.

Dans la nuit du quinzième jour du huitième mois de la troisième année, la lune était un peu obscurcie par les nuages et le vent soufflait doucement. Hiromaça se dit « Ah ! qu’il fait beau, ce soir ! C’est sûrement cette nuit que l’aveugle d’Ohçaka jouera les airs de la « Fontaine qui coule » et des « Coups contre l’arbre » ! Il partit pour Ohçaka, et il écouta. L’aveugle, en pinçant son luth, semblait rêver à la mélancolie des choses. Hiromaça, heureux, l’écoutait. Alors l’aveugle, plein d’enthousiasme, se mit à chanter :

Malgré la violence
De la tempête à la Barrière
D’Ohçaka,
Je me suis résigné à y demeurer
Pour passer ma vie !

Et il commença de jouer du luth. Hiromaça, en l’écoutant, versait des larmes, et il était ému de pitié. L’aveugle dit : « Comme il fait beau, ce soir !… Que je voudrais avoir, cette nuit, un ami ayant le même cœur que moi, pour m’entretenir avec lui ! » Entendant cela, Hiromaça s’adressa à lui, en disant : « Un homme de la capitale, du nom de Hiromaça, est venu ici » L’aveugle lui demanda : « Qui êtes-vous, vous qui parlez ainsi ? » Hiromaça répondit : « Je suis tel et tel Comme j’aime beaucoup cet art, je suis venu pendant trois ans auprès de votre hutte, et je suis bien heureux de vous voir cette nuit. » Hiromaça entra alors dans la hutte et s’entretint avec l’aveugle. Il le pria de lui faire entendre les airs de la « Fontaine qui coule » et des « Coups contre l’arbre ». L’aveugle lui dit : « Le prince qui n’est plus aimait à les jouer » ; et il les lui enseigna. Hiromaça, n’ayant pas de luth, les apprit seulement par la parole. Il remercia à maintes reprises, et, au matin, il rentra chez lui[87].

D. LES LIVRES D’IMPRESSIONS

LE MAKOURA NO SÔSHI


À la différence des nikki, journaux intimes où l’auteur procède par ordre chronologique, les ouvrages connus sous le nom de sôshi ou de zouïhitsou, c’est-à-dire de « notes » écrites « au courant du pinceau », ne suivent aucun ordre quelconque. Ce sont des livres d’impressions qui ne relèvent que de la fantaisie personnelle, des mélanges qui tiennent à la fois de nos a Essais », de nos « Pensées », de nos « Caractères », de mot « Mémoires ». et où triomphe, comme on pouvait s’y attendre, l’art délicat des Japonais. On en va juger tout de suite par le Makoura no Sôshi de Soi Shônagon.


SEI SHÔNAGON

Sei Shônagon mérite une étude particulière, d’abord parce qu’elle fut un type de femme très intéressant, ensuite parce que le genre qu’elle inaugura atteignit du premier coup, avec son livre d’esquisses, une excellence que ne devait égaler aucun des impressionnistes postérieurs.

La date de sa naissance peut se placer vers l’an 968[88]. On suppose, sans preuves décisives, que son nom véritable était Takoushi ou Akikb. Son surnom s’explique, comme celui de Mouragaki Shikibou, par la combinaison d’un nom de famille avec un titre décoratif, Shônagon désignant un troisième sous-secrétaire d’État, et Sei étant la prononciation chinoise du caractère qui forme le premier élément du mot Kiyowara (« Champ pur »), nom de la famille à laquelle elle appartenait. En effet, son père n’était autre que le poète Kiyowara no Motoçouké, un des rédacteurs du Gocennshou[89], qui descendait lui-même du prince Tonéri, le compilateur du Nihonnghi. D’après une autre version, elle Serait née d’un certain Akitada, gouverneur de Shimôça, et Motoçouké l’aurait seulement adoptée, en lui donnant par suite le nom de famille qui apparaît dans son surnom. Peu importe d’ailleurs : à défaut d’une hérédité certaine, nous savons tout au moins qu’elle grandit dans une famille dont se » propres écrits allaient refléter bientôt la culture historique et le talent littéraire ; car, si elle fut moins docte que Mouraçaki Shikibou, si elle eut en revanche plus de verve spontanée, elle devait ressembler à son émule par le même heureux mélange de l’érudition et du goût. La situation de son père, adoptif ou non, lui permit de devenir dame d’honneur de Sadako, l’épouse préférée de l’empereur Itchijô. Entrée à la cour, vers 990) comme une jeune fille modeste et timide[90], Sei Shônagon s’y fit bientôt remarquer par nn esprit trop vif pour n’être pas quelquefois mordant ; on raconte que les courtisans, qui redoutaient ses plaisanteries, pâlissaient à sa seule approche. Ces qualités d’enfant terrible ne la firent que mieux aimer de la douce impératrice qui l’avait prise sous sa protection. Mais, peu d’années après, l’ambitieux Mitchinaga[91], voulant imposer sa fille, Jôtô Mon-inn, à l’empereur, parvint à faire écarter Sadako. Sei Shônagon, dont le cœur valait peut-être l’esprit, resta fidèle à l’abandonnée et consola ses derniers moments. À sa mort, en l’an 1000, elle se fit religieuse, ne vivant plus que d’aumônes, errant tantôt dans l’île de Shikokou, tantôt aux alentours de la capitale, où elle s’éteignit enfin et où se trouve son tombeau.

Les Japonais, avec leur délicat symbolisme, comparent volontiers Mouraçaki Shikibou à une fleur de prunier, chaste, culée, Sei Shônagon à une fleur de cerisier, plus jolie, moins belle et d’une teinte rosée moins pure. Si nous traduisons ces poétiques images par des faits, nous constatons, à la vérité, que Mouraçaki Shikibou eut une conduite irréprochable, tandis que Sei Shônagon, d’allures plus libres, paraît bien avoir connu l’amour sans s’être jamais mariée. Nous observons aussi, chez Mouraçaki, une élévation d’idées et de sentiments, une douceur de caractère, une indulgence surtout qu’ignorèrent toujours les victimes de Sei Shônagon, moqueuse, provocante, inexorable à toute sottise qui passait, vaniteuse à l’excès de cette merveilleuse présence d’esprit qui étonnait son entourage, mais dont elle tirait trop souvent des traits blessants pour les plus estimables dignitaires de la cour. Il est toujours bon de faire de l’esprit, excepté sur le dos des autres ; or Sei Shônagon trouvait un certain plaisir à ennuyer son prochain. Rien d’étonnant si ceux qui jalousaient son talent profitèrent de ces imprudences pour ne pas le lui pardonner, et pour répandre sur elle des bruits injurieux qu’il ne faut accueillir qu’avec une extrême prudence. Je ne crois pas, pour ma part, que Sei Shônagon ait été la femme lourde au physique et méprisable au moral que nous dépeignent certains de ses biographes[92]. Si elle n’avait pas été distinguée de sa personne, elle n’aurait pas raillé comme elle fait lestypes vulgaires qui excitaient son dégoût ; et si elle n’avait pas eu quelques dons du cœur, elle n’aurait pas gagné la profonde affection que lui voua son impératrice. Je ne crois pas non plus qu’elle ait jamais été l’espèce d’ivrognesse qu’on nous décrit : en ce cas, elle n’aurait pas représenté les buveurs commodes êtres détestables[93].

Je ne crois pas enfin que ces vices qu’on suppose l’aient fait chasser honteusement de la cour : autrement, on l’aurait su, et Mouraçaki Shikibou, qui n’aimait pas cette rivale de mœurs trop libres et d’une fantaisie trop siugulière, qui a même tracé d’elle[94] une esquisse peu flatteuse où elle va jusqu’à l’accuser de ne pas savoir écrire correctement, ne nous aurait certes pas laissé ignorer un événement d’une telle importance[95]. À ces caricatures, opposez le portrait d’une de ces Françaises de l’ancien régime, hardies, garçonnières et spirituelles, qui scandalisèrent parfois la cour et la ville, mais qui n’en furent pas moins, au fond, des femmes plus sérieuses qu’on ne croirait, et vous vous ferez une plus juste idée de ce que fut jadis, au palais de Kyoto, leur lointaine sœur japonaise.

MAKOURA NO SÔSHI[96]

Le Makoura no Sôshi, écrit par Sei Shônagon alors qu’elle était dame d’honneur, dut paraître sans doute dans les toutes premières années du xie siècle[97], à peu près en même temps que le Ghennji Monogatari. On peut traduire ce titre par « Notes de l’oreiller », l’auteur désignant par là, comme il ressort de son Épilogue[98], une liasse de papier blanc où elle jetait ses pensées intimes comme elle les eût confiées à son oreiller, un cahier où elle consignait ses impressions, aux heures de loisir, dans le secret de sa chambre, peut-être bien le soir, près de cet oreiller même, bref, une sorte de carnet de chevet. L’ouvrage est donc un recueil d’observations, d’anecdotes, de réflexions inscrites l’une après l’autre, au hasard des rencontres quotidiennes et sans aucun plan concerté. Si, à ce caractère général des zouïhitseu, on ajoute cette circonstance particulière que le manuscrit de Sei Shônag’on, en raison surtout de ses critiques contre maints personnages vivants, était destiné d’abord à rester secret ou à ne circuler qu’en cachette, on comprendra que le Makoura no Sôshi représente fatalement un pêle-mêle d’une oenfusion merveilleuse, et que le lecteur fatigué des procédés habituels de l’art littéraire soit heureux d’entrer dans cette forêt vierge pour en explorer le délicieux fouillis.

Pour mettre en relief le caractère de l’ouvrage, il me suffira de rapprocher, après les personnes mêmes de Mouraçaki Shikibou et de Sei Shônagon, les deux chefs-d’œuvre qu’elles produisirent Le Ghennji Monogatari était l’expression d’une intelligence noble et passionnée, d’une imagination tout à la fois réaliste et romanesque, d’un esprit viril par sa force en même temps que porté d’instinct aux plus touchantes analyses des faiblesses, des souffrances et des attendrissements du cœur Immain. C’était, en second lieu, un roman d’une composition savante et raffinée, le travail d’un auteur qui sait choisir et ordonner avec art les diverses scènes d’un long récit. C’était enfin l’œuvre d’un pinceau savant, habile à manier les phrases et à combiner les mots en vue d’une perpétuelle élégance littéraire. Le Makoura no Sôshi, étranger à toute idée de gravité et de pompe, est l’invention légère d’une âme gaie et sémillante qui s’amuse de toutes les choses curieuses qu’elle perçoit, qui tantôt exprime de fines impressions devant les aspects changeants de la nature, tantôt contemple avec un sens esthétique non moins profond les belles cérémonies de la cour, tantôt se souvient avec bonheur de quelque histoire ou un chambellan, un prédicateur, un amant, un fanfaron, un fâcheux a joué un rôle ridicule, tantôt se rappelle un trait railleur qu’elle a décoché avec art dans une circonstance chère à son amour-propre, et raconte tout cela, sentiments, anecdotes, réflexions sur les mœurs, remarques de toute espèce, avec un parfait abandon. De composition, point : du moins pour qui considère le plan désordonné des chapitres, ou même l’incohérence fréquente de leur contenu ; mais çà et là, au milieu d’une longue série de menus propos isolés les uns des autres, ou même de simples énumérations (j’en ai compté jusqu’à quatre-vingts) où se trouvent cataloguées et classées les impressions les plus fugitives[99], un morceau plus étendu apparaît, on l’art se montre et qui fait voir que l’auteur de ces esquisses peut, à l’occasion, peindre un tableau brillant, un pprtrait acheyé, ou mener à bonne fin une anecdote soutenue. Quant au style, tantôt d’une concision voulue et tantôt d’un cours facile, presque négligé, il sait prendre le ton des sujets les plus divers avec une admirable souplesse. Même contraste enfin pour les vers qui, çà et là, étincellent dans la prose de Mouraçaki ou de Sei. Ceux du Ghennji sont si parfaits que les critiques indigènes déclarent n’en trouver aucun qui soit inférieur aux autres ; ceux du Makoura no Sôsbi, tout en faisant apparaître en pleine lumière la solide érudition, de l’auteur, reposent cependant plus volontiers sur quelque improvisation ou quelque adaptation ingénieuse que sur une réelle inspiration, et si les lettrés japonais aiment à rapprocher les essais de Sei Shônagon des poésies chinoises qui en furent les modèles, ils ne songent guère à comparer ces jeux d’esprit aux nobles vers de la grande poétesse[100]. Où les deux chefs-d’œuvre se rencontrent, pourtant, c’est d’abord dans le réalisme, si précieux, qui nous permet de voir à travers leurs pages toute la civilisation japonaise du xe siècle ; et c’est aussi dans l’expression qu’ils nous donnent des sentiments humains les plus généraux. À cet égard, le Makoura no Sôshi vaut le Ghennji et parfois même le surpasse. En lisant telles maximes concises où Sei Shônagon, femme du monde hardie qui pousse la franchise jusqu’au cynisme, marque d’un trait mordant quelque vice hypocrite, on songe à La Rochefoucauld ; et quand on voit surtout tant de pages profondes où la terrible rieuse, si prompte à saisir tous les ridicules de la ville et de la cour, a mis en se jouant une pensée que signerait le meilleur des moralistes ou un portrait qui dresse devant nous l’image d’un caractère éternel, on ne peut s’empêcher de penser que le vieux Japon a eu aussi son La Bruyère.

Le Makoura no Sôshi comprend 157 chapitres, distribués en 12 livres[101]. Pour donner une idée aussi complète que possible de ce petit chef-d’œuvre japonais, je vais mettre ici, en traductions ou en analyses, les quatre premiers livres, c’est-à-dire le tiers de l’ouvrage entier[102].

LIVRE PREMIER

i. — l’aurore du printemps[103]

Ce qui me charme, au printemps, c’est l’aurore. Sur les monts, tandis que tout s’éclaire peu à peu, de fins nuages violacés flottent en bandes allongées. — En été, c’est la nuit. Naturellement, le clair de lune ! Mais aussi la nuit obscure, où les lucioles s’entre-croisent çà et là. Et même quand la pluie tombe, cette nuit me semble belle. — En automne, c’est le soir. Le soleil couchant, r lançant ses brillants rayons, s’approche de la crête des montagnes. Les corbeaux, qui se hâtent vers leurs nids, volent par trois, par quatre, par deux : c’est d’une tristesse ravissante. Et surtout, quand les longues files d’oies sauvages apparaissent toutes petites, quoi de plus joli ? Puis, quand le soleil a disparu, le bruit du vent, le chant des insectes, tout cela encore est d’une mélancolie délicieuse. — En hiver, de bonne heure, il vu de soi que la chute de neige est charmante. Et l’extrême candeur de la gelée blanche ! Mais, plus simplement, un très grand froid : vivement, on allume le feu, et on apporte le charbon de bois incandescent ; c’est ce qui convient à la saison. Cependant, à l’approche de midi, le froid se relâche ; et si le feu des brasiers se transforme alors en cendres blanches, voilà ce qui est mauvais !

II. — LES ÉPOQUES

Comme époques, le premier mois, le troisième mois, les quatrième et cinquième mois, le septième mois, les huitième et neuvième mois, le dixième mois et le douzième mois, tous ont leur charme dans l’année[104].

III. — LE NOUVEL AN

C’est au premier de l’an surtout que l’aspect du ciel est vraiment serein et neuf. Une légère brume blanche. Tous les hommes, renouvelant leur costume, leur visage et leur cœur, font leurs souhaits au Prince, comme aussi à eux-mêmes. C’est bien amusant.

Suit une évocation de diverses fêtes et occupations du premier mois, de l’éveil du printemps, etc.

IV. — CHOSES PARTICULIÈRES

Langage de bonze. — Langage d’homme et langage de femme[105]. — Langage des gens de la basse classe : leurs mots ont toujours une syllabe de trop.

Faire un bonze de l’enfant qu’on aime, c’est bien dommage. La chose est féconde en espérances[106] ; mais qu’on en fasse aussi peu de cas que d’un simple bout de bois, voilà ce qui est regrettable. Après un méchant repas d’abstinence, on trouve mal que le bonze veuille dormir. Si le jeune prêtre éprouve quelque curiosité (et comment ne regarderait-il pas, sans en avoir l’air, du côté où sont des femmes ?), on l’accuse encore. Et la vie de l’exorciste[107], combien n’est-elle pas plus dure ! Tandis qu’il voyage à Mitaké, à Koumano, à toutes les saintes, montagnes, il doit subir de terribles ennuis. Si sa réputation commence à se répandre, on l’appelle de toutes parts, et, plus, il réussit dans ses oures, moins il a de tranquillité. Auprès d’un malade gravement attpint, comme il ne lui est pas facile de dompter le mauvais esprit, il tombe de fatigue et de sommeil ; alors, on dit de lui : « Il ne fait que dormir ! » Quelle situation embarrassante ! — Mais tout cela, e’était le vieux temps. Les habitudes d’aujourd’hui semblent plus faciles[108].

L’Impératrice étant allée visiter le daïjinn Narimaça[109], sa voiture entra par la porte de l’Est, si large entre ses quatre piliers ; mais nous[110] préférâmes tourner par la porte du Nord, où il n’y a point de gardes. Certaines, dont la coiffure était en désordre, se disaient, dédaigneuses : « Comme npus serons conduites jusqu’à la porte intérieure, inutile de prendre tant de soins ! » Par malheur, la voiture, couverte de palmes[111], ne put entrer, prise dans l’étroit portail. On disposa donc un chemin de nattes, et on nous pria de descendre, à notre grand dépit. Il n’y avait pas moyen de faire autrement ; mais nous n’en étions pas moins ennuyées de nous voir dévisagées, en passant devant la salle de garde, par les courtisans et les domestiques. Arrivées devant Sa Majesté, comme nous lui racontions la chose, elle rit : « Mais, ici pareillement, il y a des gens qui vous regardent ! Pourquoi avez-vous été si négligentes ? — Sans doute, répondis-je ; mais comme chacun ici est habitué à nous voir, on s’étonnerait si nous paraissions trop soigneuses de notre extérieur. Comment un tel palais peut-il avoir une porte si étroite qu’une voiture n’y peut passer ! Je vais bien me moquer du daïjinn, quand je le verrai. » Un instant après, il entra, portant un encrier et ce qu’il faut pour écrire. « Voilà, lui dis-je, qui est bien mal. Pourquoi donc votre habitation a-t-elle une porte si petite ? — Ma maison, répondit-il avec un sourire, est appropriée à ma condition. — Et pourtant, j’ai entendu parler de quelqu’un qui avait une porte très haute. — C’est effrayant ! s’écria-t-il, étonné. Vous voulez parler de Ou Téikokou[112]. Mais il n’y a que les vieux savants qui soient au courant de ces choses-là ! Bar fortune, comme je me suis hasardé dans oette voie d’études, je puis comprendre votre allusion. — Votre voie n’est vraiment pas fameuse ! Votre chemin de nattes a fait tomber tout le monde, et c’était un beau désordre ! — Comme il pleuvait, le chemin ne deyait pas être bon. Mais allez-vous encore m’embarrasser ?… » Et il s’en alla. « Quelle affaire dit l’Impératrice. Narimaça était tout intimidé ! — Oh ! ce n’est rien ! Je lui disais seulement comment notre voiture n’avait pu entrer. » Sur ce, je me retirai.

Viennent ensuite d’autres anecdotes, un peu lestes, où le pauvre Narimaça est pareillement raillé par la terrible dame d’honneur. Puis, elle nous raeonte avec esprit l’histoire du chien Okinamaro, qui, pour avoir attaqué Miyobou no Omoto, l’auguste chatte d’honneur dont Sa Majesté avait fait une dignitaire du cinquième rang, fut l’objet d’un décret de bannissement à Tile des Chiens, mais revint un jour au Palais et obtint sa grâce par des larmes de repentir auxquelles, plus tard, Sei Shôna’gon ne pensait jamais sans avoir envie de pleurer elle-même. Après quoi, elle reprend le cours de ses impressions, en se. demandant soudain quel est l’état du temps qui convient aux « cinq fêtes[113] » :

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reprit l’autre vieillard, je suis content de vous rencontrer. C’est une grâce du Bouddha. Depuis plusieurs années, je n’étais pas allé au prêche des divers temples ; par hasard, aujourd’hui, je suis venu y assister : j’en suis bien heureux. Et celle qui est à vos côtés, c’est sans doute une personne de ce temps-là ? — Non, répondit Shighéki : ma première femme étant morte très jeune, celle-ci est la seconde. Mais, et votre femme ? — Ma femme, dit Yotsoughi, est celle d’autrefois[115]. Nous comptions venir ensemble ; mais comme c’est le jour des frissons de sa fièvre intermittente, elle a eu le regret de ne pouvoir m’accompagner. » Et en se disant ces choses mélancoliques, ils versaient quelques larmes.

Ainsi, tandis qu’on attendait le prédicateur, comme tous s’ennuyaient, moi et les autres, nous écoutions parler ces vieillards. L’un d’eux dit : « Nous sommes tristes ; causons donc des choses anciennes pour les personnes qui sont ici, et faisons-leur connaître ce qu’était la vie d’autrefois. Oui, reprit l’autre, ce sera intéressant. Cherchez dans votre mémoire : de temps en temps Shighéki vous donnera quelques indications[116]. » Ils semblaient vouloir commencer le récit, et tous les écoutaient avec attention. Beaucoup de gens étaient là, qui tendaient l’oreille ; mais, plus que tous les autres, le samouraï s’approcha pour mieux entendre. « La vie, dit Yotsoughi, est pleine de choses captivantes. Les vieillards gardent le souvenir du passé. Autrefois, de sages empereurs faisaient rechercher dans tout le pays les vieilles gens pour leur demander l’état de la vie ancienne ; et c’est en tenant compte de leurs dires qu’ils gouvernaient le peuple. Les vieillards sont donc des êtres vénérables. Ne vous moquez pas, jeunes gens ! » Et il se mit à rire, en cachant son visage derrière son éventail de papier jaune à neuf nervures[117] noires.

    cette poésie repose sur un jeu de mots qui s’adresse à l’oreille d’abord, mais aussi, je crois, à l’imagination visuelle. En effet, arashi, « têmpête », évoque l’idée d’araki, « sauvage ». « Tourmente » est le seul mot français qui puisse rendre un peu cette impression. D’autre part, arashi s’écrit avec un caractère chinois qui se compose des deux clefs « montagne » et « vent » ; ce qui exprimé bien la nature de ce « Vent de la montagne ».

  1. Ki no Tsonrayouki naquit probablement en 883. Sa généalogie le rattachait à la famille impériale. Il fut un noble de cour très recherché pour son talent littéraire. À part cela, sa vie n’est guère connue que par la liste des fonctions qu’il exerça à Kyôlô et en province (voir le Toça Nikki, ci-dessous, p. 152). Il mourut en 946.
  2. Ki no Tomonori (dates incertaines), neveu de Tsourayouki ; Ohshikôtchi no Hitsouné (854?-903) ; et Hibou no Tadaminé (866-965). Pour leurs titres, voir Préface du Kokinnshou, ci-dessous, p. 149.

  3. Ces vers justifient à merveille la réputation d’obscurité que
    Tsourayouki a faite à Kicenn (voir plus bás, Préface du Kokinnshou,
    p. 148 et p. 149, n. 1). On peut les entendre, en effet, de deux façons
    entièrement opposées. Le fondement de la poésie est une allusion « la
    Montagne ď’Ouji, dont le nom évoque, si l’on veut, l’idée de tristesse,
    de dégoût du monde, de mélancolie (oushi). Mais, ceci posé, le poète
    a pu vouloir dire deux choses. Ou bien, dans un sens optimiste :
    « Je me suis installé sur la Montagne d’Ouji : a, je ris tranquille et
    heureux ; pourquoi s’obstiner à soutenir que ce monde est une
    Vallée de larmes ? » ou bien, dans un sens pessimiste : « Je me suis
    retiré sur la Montagne d’Ouji : c’est là que j’ai cherché un refuge
    pour oublier le monde, avec ses douleurs ; et le nom même de ca
    lieu me les rappelle ! » La première interprétation me semble d’ailleurs
    préférable, « ainsi je demeure » étant une expression que les
    Japonais ont coutume de prendre en bonne part.

  4. One no Komatchi (834-880), femme aussi célèbre par sa beauté
    que par son talent poétique. Sa tannka justement exprime avec un
    art admirable les regrets que lui cause la perte de cette beauté, rendue
    inutile par son orgueil. D’un bout à l’autre, une métaphore se
    poursuit, où la destinée de la fleur est associée à celle de la poétesse
    et cette métaphore éclate, aux deux derniers vers, en des jeur de

  5. « Vêtement de Kara » (nom générique pour la Chine ou la
    Corée), est un mot-oreiller du verbe « mettre ».
  6. Ces larmes sembleraient ridicules si on ne se rappelait que, dans la poésie japonaise, les jeux de mots ont un caractère aussi sérieux que les rimes riches dans la nôtre.
  7. Le pays du Tokaido dont Shizouoka est la capitale.
  8. Tsouta (Cissus Thunbergii), une ampélidée analogue à notre vigne vierge. Kazoura : voir ci-dessus, p. 115, n. 1.

  9. Jeu de mots sur Outsou, nom géographique, et la « réalité »,
    par opposition au « songe ». — La rencontre fortuite d’un homme
    qu’il avait connu attire justement l’attention du voyageur sur ce
    fait que, jusqu’à présent, il n’a rencontré aucun ami.
  10. Voir p. 286, n. 5.

  11. Devant cette chute de neige sans fin, le poète se demande si
    jamais les pentes de la fameuse montagne seront seulement tachetées
    de points blancs, comme la peau des jeunes cerfs.
  12. Voir ci-dessus, p. 136, n. 2.
  13. C’est-à-dire à un cône dont la base est très large. Tout le monde connaît la silhouette du Fouji.
  14. C’est la Seine de Tokyo. Nos voyageurs sont sur l’emplacement, alors désert, de la capitale actuelle.
  15. Miyakodori, oiseau du genre hématope, représenté chez nous par l'huîtrier-pie de mer. Aujourd'hui même, les bonnes gens qui vont admirer, au bord de la rivière, les cerisiers fleuris du faubourg de Moukojima, achètent pour un centime de petites effigies en porcelaine de cet « oiseau de la capitale » ancienne.
  16. Ce petit chapitre montre bien le caractère général de l’ouvrage : le récit n’est pour ainsi dire qu’un fil léger auquel l’auteur attache, de province en province et de paysage en paysage, les poésies de son héros.
  17. Le récit qui va suivre n’est, en effet, que le développement en prose d’un très vieux thème déjà illustré par trois poèmes du Manyoshou (les deux premiers au vol. IX, part. 2, le dernier au vol. XIX, part. 2).
  18. Nom d’un district de la province de Settsou, dont Ohçaka est la ville principale. Dans ce district était le village d’Ashinoya, où aurait vécu l’héroïne de la légende.
  19. Sans doute des cabanes dont la partie antérieure était bâtie sur pilotis. Mais le cours d’eau qui porte aujourd’hui ce nom, près de Kobé, n’est qu’un petit torrent à moitié desséché.

  20. Ikouta signifie « champ vivant ».
  21. Bruit d’un corps qui tombe dans l’eau. En japonais, ces onomatopées n’ont rien de vulgaire.
  22. Otomé-zouka. On montre encore ce tombeau, non loin de Kôbé.
  23. Les noms de femmes illustres de la littérature japonaise ne sont pas des noms de famille ou des prénoms, mais des pseudonymes comme les nôtres (gô), ou des surnoms de fantaisie (yobi-na) qu’elles reçurent de leur entourage, parfois même de l’empereur, et qui très souvent se rapportaient, soit au titre ou à la fonction de leur père, soit à ceux de leur mari, un peu comme chez nous, en ce dernier cas, a la Ministresse » ou « la Presidente ». Je me contente de faire ici une observation d’ensemble sur ce point, dont nous avons déjà rencontré et dont nous verrons encore maints exemples.
  24. Shikibou-shồ, ministère des cérémonies ; shikibou-kyó, ministre des cérémonies, etc.
  25. Couleur tirée de la racine d’une espèce de lithosperme.
  26. Oué, mot qui implique l’idée de « supériorité », était employé comme titre honorifique ; on pourrait le traduire, à peu près, par « Madame ».
  27. Principal rédacteur du Bounkwa-shourei-shou, « Recueil des plus exquises fleurs de la littérature » (818).
  28. C’est sans doute pour ce motif qu’un ouvrage si goûté au Japon est si maltraité en Europe. M. Georges Bousquet appelle Mouraçaki : cette ennuyeuse Scudéry japonaise ». Le mot a fait fortune : M. Chamberlain déclare qu’elle mérite abondamment » cette définition (Things Japanese, p. 265). M. Aston (p. 97) et M. Florenz (p. 211) se sont montrés moins sévères pour elle. En réalité, je crois qu’il serait difficile de trouver dans les littératures occidentales, jusqu’à une époque assez récente, des pages de psychologie aussi fines que celles dont le Ghennji est pour ainsi dire semé.
  29. « Le Roman de Sagoromo », ainsi intitulé parce que le héros, un brillant jeune homme imaginé suivant le type de Ghennji, s’appelle Sagoromo no Taïsho. L’ouvrage n’est d’ailleurs qu’une imitation constante du Ghennji lui-même. Pour Daini no Sammi, voir ci-dessus, p. 123, n. 1.
  30. Voir ci-dessus, p. 122, n. 3.
  31. Dans ce « Journal », Mouraçaki Shikibou fait surtout le tableau de la cour lors de la naissance de deux fils de sa maîtresse, les futurs empereurs Go-Itchijo (en 1008) et Go-Shoujakou (en 1009).
  32. Secte importée de Chine au commencement du ixe siècle. (Pour tout ce qui concerne le bouddhisme japonais, voir surtout les diverses études de M. A. Lloyd, professeur à l’Université de Tôkyò, dans les Transactions de l’Asiatic Society of Japan.)
  33. Cérémonie consistant à raser les cheveux de devant d’un jeune garçon, pour indiquer qu’il passait à l’âge adulte. D’ordinaire, elle avait lieu à quinze ans.
  34. Expression employée pour désigner la mort d’un empereur ou de quelque autre grand personnage.
  35. Cette simple analyse suffit à montrer que la dernière partie du roman ne se lie guère à la précédente. Gbenoji mort, le récit ne présente plus d’intérêt. Il est donc fort possible que ce supplément final ne soit pas de Mouraçaki, mais de quelque fidèle admiratrice de son style. Dans sa fameuse imitation du Ghennji (ci-dessous, p. 338), Tanékiko passera sous silence toutes ces aventures de Kaorou.
  36. Hist. of Jap. Lit., p. 98.
  37. La page qui suit est le début du roman. — Suivant un usage déjà inauguré dans l’Outsoubo Monogatari (ci-dessus, p. 164, n. 1), tous les chapitre du Ghennji ont un titre particulier, souvent assez pittoresque, et emprunté d’ordinaire soit au nom d’un personnage du roman ou d’un lieu où se passe la scène, soit à quelque événement de la vie de cour, soit à une des poésies enchâssées dans le texte. Par exemple, le chap. 1er  est intitulé Kiri-tsoubo (nom de la favorite impériale), et le chap. V, Waka-Mouraçaki (« la Jeune Violette », Mouraçaki no Oué) ; le chap. XII, Souma, et le chap. XIII, Akashi (endroits où Ghennji fut exilé) ; le chap. VIII, Hana no Enn (« le Festin [à l’occasion] des fleurs »), et le chap XVII, E-awacé (« le Concours de peintures », un des salons annuels de l’époque) ; le chap. II, Hahaki-ghi (« l’Arbre-balai », cet arbre intervenant dans une poésie à la fin du chapitre), etc.
  38. Les kồi, dont Kiri-soubo faisait partie, étaient des concubines impériales naturellement très honorées, mais néanmoins d’un rang inférieur à celui des nyógo.
  39. Les premiers étaient les courtisans du 3e rang (le plus élevé auquel on pût arriver dans la pratique) ; les seconds, ceux des 4e et 5e rangs. Ils se distinguaient des courtisans de rangs inférieurs en ce qu’ils avaient le droit de monter au Palais.
  40. Célèbre favorite d’un empereur chinois du viiie siècle qui, après vingt années de sage gouvernement, devint sur son déclin un houveau Salomon, se fit amener de force cette jeune princesse, puis oublia pour elle tous les soins de l’administration, opprima le peuple, dispensa honneurs et châtiments contre toute justice, et finalement, après une rébellion formidable, se vit contraint de la faire décapiter pour conserver son empire.
  41. Ce passage est connu des lettrés japonais sous le titre de Kiri-tsoubo kot no Sokkyo, « Le trépas (sokkyo n’étant employé que dans un sens noble) de la concubine impériale Kiri-tsoubo ».
  42. Celle où, le petit prince Ghennji ayant atteint sa troisième année, on avait célébré en grande pompe son hakamaghi, la « prise de pantalons » qui marquait le passage de la première à la seconde enfance. Cette cérémonie avait lieu, d’ordinaire, quand l’enfant avait cinq ans ; à la cour, elle était avancée.
  43. Titre assez honorifique pour qu’on puisse l’appliquer, de nos jours, à l’épouse d’un prince du sang.
  44. Comp. p. 188, 202, 210, 213, etc.
  45. La crémation avait été introduite, à la suite du bouddhisme, vers l’an 700. On mettait simplement le cercueil sur un bûcher.
  46. Les voitures étaient toujours traînées par des bœufs. Comp. p. 161, 208, 209, 214, 216, 217, 251, etc.
  47. Troisième rang à la cour. — Cet usage de conférer des rangs posthumes s’explique très bien si l’on considère que le pouvoir de l’empereur, dieu vivant, était regardé comme se prolongeant jusque dans le monde des esprits. Le Fils du Soleil accordait aux dieux eux-mêmes des promotions de ce genre ; par exemple, au ixe siècle, Souça-no-wo et Oh-kouni-noushi (ci-dessus, p. 42 et p. 52) furent élevés au troisième rang de la hiérarchie officielle. À plus forte raison était-il naturel d’octroyer ces honneurs à des êtres humains. Aujourd’hui même, une curieuse coutume est celle qui consiste à retarder, par une fiction bienveillante, la mort d’un personnage qui a bien mérité de l’Etat on le suppose en vie pendant quelques jours encore, on lui donne l’avancement qui accroîtra le renom et la pension de sa famille, et c’est seulement lorsque toutes les formalités sont remplies qu’on le déclare mort, officiellement.
  48. Du koto, la longue harpe horizontale qu’on voit apparaître dès les origines mythiques (ci-dessus, p. 56, 75), et qui, après avoir reçu divers perfectionnements, est demeurée le plus noble instrument de la musique japonaise. Le koto, qui n’avait d’abord que six cordes, en a treize aujourd’hui. À l’époque du Ghennji, d’ailleurs, on connaissait déjà ce dernier genre de harpe.
  49. Ama yo no monogatari. — Ce fameux chapitre est connu aussi sous le nom de Shinaçadamé, « la Critique » des femmes. Ghennji et ses amis y discutent, en effet, les divers caractères féminins ; et comme l’auteur a justement voulu peindre, à travers les mille aventures de son roman, toute une galerie de portraits de femmes, les commentateurs japonais voient, non sans raison, dans cette analyse générale des types les plus essentiels, une sorte de clef qui, d’avance, livre au lecteur la psychologie de l’ouvrage.
  50. Mai et surtout juin. Il y en a d’ailleurs une seconde, en septembre et octobre.
  51. Beau-frère de Gbennji, dont il avait épousé la sœur. Il venait de recevoir, à seize ans, le titre de Tò no Tchoujo, « général de la garde impériale, chef des chambellans ». Ghennji lui-même était alors Tchoujò, a général de la garde ». Les deux amis, bien que mariés, avaient des aventures dont ils se faisaient volontiers la’confidence.
  52. Les lettres d’amour étaient toujours anonymes ou signées d’um nom de fantaisie.
  53. Allusion aux échanges de poésies qui, à ce moment, tenaient tant de place dans la vie mondaine.
  54. Cette petite phrase de Mouraçaki Shikibou me paraît bien être une pierre lancée, en passant, dans le jardin de Sei Shonagon (voir, par exemple, ci-dessous, p. 202, et comp. p. 197, n. 1). Mais notre auteur, si modeste en toutes choses, avait quelque droit de se montrer sévère pour les orgueilleuses. Dans son Journal », elle ne mentionne même pas l’amour qu’eut pour elle le tout-puissant Mit-chinaga (v. p. 225), et qu’elle repoussa d’ailleurs ; combien de femmes. écrivant leurs Mémoires, auraient passé sous silence une recherche aussi flatteuse ?
  55. Kitchijō, une belle déesse hindoue qui sortit de l’écume des mers et dont le nom, au Japon tout au moins, éveille surtout l’idée de bonheur.
  56. Dans un monastère du mont Higashi, où il s’était rendu pour se faire exorciser d’une fièvre intermittente.
  57. Son fidèle compagnon.
  58. Un soutra bouddhique.
  59. Les religieuses, à la différence des bonzes, ne se faisaient pas raser la tête, mais seulement couper les cheveux assez courts.
  60. De la couleur jaune d’or des fleurs du yamabouki (kerrie ou corète du Japon, Kerria japonica).
  61. Il s’agit probablement d’un genre de coiffure particulier.
  62. La nonne était en réalité la grand’mère de l’enfant.
  63. Zarou, ou séigo, panier à couvercle au-dessous duquel on brûlait des substances odoriférantes pour parfumer les vêtements placés à l’intérieur.
  64. Titre décoratif (comp. ci-dessous, p. 195).
  65. Un pur bouddhiste devait respecter, non seulement la vie, mais la liberté même des animaux. Aujourd’hui encore, aux enterrements bouddhiques, on lâcbe des oiseaux captifs, en particulier des pigeons et des moineaux. Cette charmante coutume, dont j’ai été témoin plus d’une fois il y a une quinzaine d’années, tend cependant à disparaître. On rattrapait trop souvent les pigeons libérés pour les faire servir à d’autres obsèques ! Si bien que maintenant une clause à la mode, comme dernières volontés, est de ne demander « ni fleurs ni oiseaux », mais des envois d’argent que la famille transmettra à quelque œuvre de bienfaisance et dont elle fera tenir ensuite les reçus aux donateurs, avec ses remerciements. En cet ordre de choses, il y a trois étapes : faire des dépenses inutiles, supprimer ces dépenses inutiles, inaugurer des dépenses utiles ; nous en sommes au second degré, les Japonais au dernier.
  66. La concubine impériale Fouji-tsoubo.
  67. Ce que les Japonais admiraient le plus chez la femme, c’était la beauté de la chevelure. À défaut d’autres indices, qui d’ailleurs sont innombrables, le présent récit suffirait à l’établir.

  68. Ici, la religieuse.
  69. Par opposition à la nourrice.
  70. Sózou, le second rang dans la hiérarchie bouddhique.
  71. Un ascète qui était le frère aîné de l’évêque.
  72. Pour la suite de cette aventure, voir ci-dessus, p. 141, n. 3.
  73. Nous avons vu que tous les chapitres du Icé Monogatari commençaient par le mot Moukashi, « Il était autrefois ». Les contes du Konnjakou Monogatari débutent par l’expression Ima wa moukashi, « Maintenant, c’est du passé », c’est-à-dire : « Il y a bien longtemps ». Kon et jakou étant les équivalents chinois d’ima (maintenant) et de moukashi (autrefois), on s’explique ainsi le titre de l’ouvrage.
  74. Fils de Toshikata, l’un des Shi-nagon (ci-dessus, p. 122, n. 1).
  75. Non loin de Kyoto, sur la route de Nara.
  76. C’est ce que relate la Préface du Ouji Shouï Monogatari, « Contes faisant suitę (au recueil) d’Ouji », ouvrage publié au commencement du xiiie siècle et dont l’auteur anonyme se contente d’ailleurs souvent de répéter sous une forme nouvelle les histoires de Takakouni.
  77. D’après E.-H. Parker, ce récit serait une légende d’origine chinoise ; mais il est fort possible aussi que les mêmes circonstances réelles ou les mêmes inventions littéraires se soient produites dans les deux pays, étant donné que tous les arts, au Japon, depuis la poésie jusqu’aux industries manuelles, faisaient l’objet d’un enseignement ésotérique, d’une « tradition secrète » (hidenn) dont on ne révélait pas aisément les mystères intimes » (okoughi).
  78. Açon, titre honorifique très fréquent à la cour. — Ce personnage est connu aussi sous le nom de Hakougha no Sammi, « le fonctionnaire du troisième rang Hakougha (Hakougha, équivalent sino-japonais de Hiromaça).
  79. L’empereur Daigo, dont le règne (898-930) fut particulièrement brillant sous l’ère Ennghi (901-923).
  80. Biwa, luth tétracorde.
  81. Un des dennjó-bito. Comp. ci-dessus, p. 182, n. 1.
  82. 947-967.
  83. Voir ci-dessus, p. 113, où la Barrière d’Ohçaka est chantée justement par Semimarou.
  84. L’expression plus concise de Hô-ô, « empereur-bonze ». désignait les empereurs qui, après avoir abdiqué, se rasaient la tête et entraient en religion.

  85. À nos désirs. — Waraya, a hutte de paille », donc chaumière.
  86. Ryoucenn et Takoubokou. (Le pivert s’appelle takoubokoutcho.)
  87. À ce récit, l’auteur ajoute de vagues considérations sur le peu de zèle des hommes de son temps, comparé à l’ardeur studieuse qui posséda cet humble aveugle et qui lui valut l’immortalité.
  88. En effet, elle devait avoir sept ou huit ans de plus que son impératrice, Sadako, qui mourut à 24 ans en l’an 1000.
  89. Voir plus haut, p. 111. n. 3, et p. 117, n. 3. — L’arrière-grand-père, Kiyowara no Foukayabou, fut aussi un bon poète (v. p. 106).
  90. D’après ce qu’elle-même nous raconte (Makours no Sóshi livre IX, chap. XCVI).
  91. Voir p. 225.
  92. C’est notamment le portrait peu flatteur que semble adopter M. Florenz (p. 221-222).
  93. Voir plus bas, Makoura no Sâshi, chap. XVII, § 5.
  94. « Mme Sei Shônagon a un caractère orgueilleux. Elle est forte en littérature. Pour déployer partout ses connaissances, elle se sert toujours de caractères chinois ; mais, quand on examine de près ce qu’elle a écrit, il y a bien des choses qui laissent à désirer… » (Mouraçaki Shikibou Nikki.)
  95. C’est aussi l’opinion de M. Foujioka Sakoutarô, professeur à l’Université de Tokyo, dans son récent ouvrage sur la période de Héian : Kokouboungakou Zennshi, Héian-tchô-henn, Tôkyô, 2e éd., 1906, p. 417.
  96. Makoura no Sôshi, et non Makoura Zôshi, comme on l’écrit quelquefois ; car cette dernière prononciation éveille chez les Japonais l’idée d’un livre pornographique. En 1901, une décision ministérielle suspendit une revue qui portait ce titre.
  97. Vers le commencement de l’ouvrage, il est fait allusion à la retraite de l’empereur Kwazan (voir plus bas, p. 226), qui se produisit en 986 ; vers la fin, il est question du général Toshikata et du ministre Maçamitsou, qui exercèrent leurs fonctions vers l’an 1002 ; par où nous voyons, tout au moins, que le Makoura no Sôshi ne fut achevé qu’après cette dernière date.
  98. Voir ci-dessous, p. 223. Il n’est d’ailleurs pas certain que Sei Shônagon ait donné elle-même ce titre à son ouvrage, que les plus anciens documents appellent tout simplement Sei Shônagon no Ki, « le Livre de Sei Shônagon », et qui n’apparaît sous le nom de Makoura no Sôshi que chez les écrivains postérieurs ; mais, dans tous les cas, c’est l’Épilogue indiqué qui explique cette dénomination pittoresque.
  99. On peut supposer, étant données les vastes connaissances de Sei Shônagon, qu’elle emprunta l’idée première de ses fameuses listes de « choses désolantes », « choses détestables », et la suite, à un ouvrage chinois, le Tsa-tsoan, ou « Collection mélangée », de là Nghishan (dynastie des Thang).
  100. Pour saisir la différence, voir ci-dessus, p. 122 (n° 57 du Hya-kouninn-isshou) et p. 125 (n° 62).
  101. Ou volumes (maki).
  102. M. Florenz constate avec raison (p. 223) que le Makoura no Séahi est difficile à comprendre, même pour les Japonais lettrés, à cause des nombreuses allusions qui en obscurcissent le texte. Mais de là à prétendre (p. 229) que ce serait peine perdue de traduire ou même d’analyser un ouvrage qui veut qu’on écoute parler l’auteur lui-même, il y a une certaine distance. Assurément, il n’est pas plus commode de rendre en français le style de Sei Shônagon qu’il ne serait de faire passer en japonais les phrases savantes de La Bruyère. Je crois cependant qu’on peut y arriver en suivant de très près la pensée de Sei, en sacrifiant au besoin, comme j’ai fait, l’éégance de la traduction aune fidélité scrupuleuse, et en éclaircissant le texte, non par des paraphrases qui le gâteraient, mais tout simplement par des notes.
  103. Les commentateurs japonais intitulent ainsi ce chapitre, d’après les premiers mots par lesquels s’ouvre l’ouvrage. Divers autres titres, également ajoutes après rnup, ne répondent souvent qu’en partie au contenu du chapitre qu’ils ont pour objet de distinguer. Un commentaire bien connu est celui de Kitamoura Kighinn : le Makourano Sôshi Harou no akébono-shà, « Choix (de commentaire*) de l’aurore du printemps ». Ce titre ingénieux veut sans doute évoquer, d’une part le début fameux de l’ouvrage lui-même, d’autre part l’idée que, tout comme l’aurore du printemps décrite par Sei Shônagon, le commentaire va illuminer peu à peu le texte. La réimpression que je possède, publiée en 1893, était arrivée à sa 8« édition en 1899, ce qui montre bien l’éternelle jeunesse de ce vieux livre classique.
  104. Cette simple énumération tend à éveiller dans l’imagination du lecteur l’idée des fêtes qui, à la cour, marquaient ces époques préférées.
  105. Différence légère chez nous, mais profonde au Japon, où elle se manifeste, non feulement dans la langue parlée, mais même dans la langue écrite. Une femme qui compose une lettre emploie un plus grand nombre de mots d’origine proprement japonaise et de caractères syllabiques ; elle fait usage de certains idiolismes particuliers, etc.
  106. Car on croyait que la vocation d’un bonze ouvrait le paradis à neuf familles de sa parenté.
  107. Le ghennja, ou yamaboushi (celui oui « se couche sur la montagne »). Ces exorcistes, à la différence des autres bonzes, n’étaient astreints ni a la tonsure, ni au célibat.
  108. Par ce trait final, Sei Shônagon insinue avec malice que les bonzes, dégénérés, ne font plus leur métier en conscience.
  109. Il ne s’agit pas ici d’un ministre d’État, mais d’un tchougou no souké daïjinn, c’est-à-dire d’un intendant au service de l’impératrice.
  110. es dames d’honneur.
  111. Biroghé no kourouma, voiture de cérémonie couverte de feuilles de biro"".
  112. Personnage chinois qui avait fait faire l’entrée de sa demeure plus grande qu’il ne fallait pour ses besoins personnels, en prévision du jour où ses descendants auraient une situation moins modeste que la sienne.
  113. Go-sekkou. Ce sont les vieilles fêtes populaires, que les nouvelles fêtes officielles n’ont pas encore supplantées entièrement.
  114. Sans doute celui de Tadahira.
  115. Autrement dit : c’est ma première femme.
  116. Yotsoughi ya raconter la gloire des Foujiwara, et Shighéki se charge de lui donner la réplique, en complétant ou corrigeant au besoin ses souvenirs.
  117. Littéralement, à neuf « os », les Japonais désignant ainsi les nervures qui forment, pour ainsi dire, le squelette de l’éventail.