Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Jacques Madeleine

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Anthologie des poètes français du XIXème siècleAlphonse Lemerre, éditeur**** 1852 à 1866 (p. 218-224).




JACQUES MADELEINE


1859




Jacques Madeleine, né à Paris le 16 mai 1859, a publié : La Richesse de la Muse (1882), L’Idylle éternelle (1884), Livret de Vers anciens (1885), Pierrot divin, comédie (1888). Le premier ouvrage est une plaquette d’essai, déjà pleine de promesses ; le Livret, un surprenant pastiche, écrit dans la langue et dans l’esprit du vieux Tristan L’Hermite ; le Pierrot, une charmante fantaisie dialoguée ; mais L’Idylle éternelle n’est pas seulement l’œuvre d’un subtil ouvrier de poésie ; elle nous révèle un poète à l’inspiration jeune, charmante, humaine. « Il est, dit Catulle Mendès, le chanteur sans malice, épris de tout ce qui est gracieux, luisant, sonore, le promeneur ravi à travers les rues où le soleil fait s’épanouir, comme de grandes fleurs de mousseline, les ombrelles des jeunes filles, le bohème des sentiers pleins d’abeilles et de fauvettes ; et c’est lui qui, dans le parc de Silvia, apprend aux bouvreuils la sérénade de Zanetto. » Oui, ce sont bien là les chansons de Zanetto : d’abord les chansons joyeuses, « Mignonne, voici l’Avril ! » puis celles, plus mélancoliques déjà, que le doux Passant a dû soupirer aux étoiles en reprenant sa route « du côté de l’Aurore, » après les premières déceptions de la vie et les premières tristesses de l’amour.

Les poésies de Jacques Madeleine ont été éditées par L. Vanier, P. Ollendorff et A. Quantin. Il prépare dans la même note que l’Idylle un recueil de Brunettes ou Petits Airs tendres.

Auguste Dorchain.




L’IDYLLE ÉTERNELLE




Autrefois je vous ai chantés,
Rêves aux splendeurs décevantes,
Et j’ai mis des sonorités
Dans l’or pur des formes savantes.

Mes vers ardents, audacieux,
Ailes blanches et larges rimes,
Se perdaient dans les vastes cieux,
Ne se posaient que sur les cimes.

Mais, par un matin de printemps,
Une fleurette à peine éclose
(Ô blonde qui n’as pas vingt ans)
M’a charmé, si fraîche et si rose !

Et, l’âme en fête, j’ai compris
La chanson discrète et naïve,
Les mots doucement attendris
Que voulait son âme pensive.

— Le souvenir triste et charmant
D’une enfant qu’on a trop aimée
Sans avoir été son amant,
Rose de passé parfumée ;

Un reproche dans un baiser,
Une larme dans un sourire,
L’aveu qu’on ne voulut oser
Et le mot qu’on n’a pas su dire ;


Le profond, le subtil frisson
Des amours troublantes et brèves,
Voilà ma vie et ma chanson.
Et je ne veux pas d’autres rêves.

Et je vais, me laissant charmer
Dans l’extase de vivre en Elle
Et dans l’enivrement d’aimer,
En chantant l’Idylle éternelle.


(L’Idylle éternelle)





DÉPART




Quand, après l’exquise journée
Qui n’aura pas de lendemain,
L’heure du départ fut sonnée,
Je ne t’ai pas tendu la main.

La nuit tombait, la nuit profonde ;
Les contours flottaient indécis.
Mes yeux de larmes obscurcis
Ne voyaient plus ta tête blonde.

Peut-être en tes yeux passait-il
Un regret qui s’envola vite
Ou l’angoisse étrange et subite
D’un rêve doux, triste et subtil ?

Dans la grande mélancolie
De cette belle nuit d’été,
Je n’aurai pas même emporté
Leur expression affaiblie.


Tristes jusqu’à la mort, les cieux
Étaient pleins dans la nuit profonde
De rêves défunts, et mes yeux
Ne voyaient plus ta tête blonde.


(L’Idylle éternelle)





SUR LA PLAGE




Blanches ailes des barques frêles,
Vois ces taches d’un ton plus clair
Sur le vert sombre de la mer :
Sont-ce des voiles ou des ailes ?

N’est-ce pas que l’une d’entre elles
Doit cingler — ô le rêve cher ! —
Vers une île adorable où l’air
Est tout peuplé de tourterelles.

Rêveuse qui les suis des yeux,
Veux-tu regarder tous les deux
La même voile, au loin, qui tremble ?

La seule extase sans rancœurs,
Le plus délicat des bonheurs,
C’est encor de rêver ensemble.





SILHOUETTE




Très droite sur vos pieds d’enfant
Que baise en y mourant la vague,
Le regard perdu dans le vague,
Vous aviez un air triomphant.


La crânerie est sans seconde
Qui dans vos yeux met un éclair ;
Nous sembleriez braver la mer
Si vous n’étiez pas aussi blonde.

Mais vous êtes là simplement
Pour faire l’antithèse exquise
D’un monde énorme qui se brise
Contre un tout petit rien charmant.

La divine mer maternelle
N’a mis dans le bleu de vos yeux
Qu’un petit coin mystérieux
De sa rêverie éternelle.

De sa magnifique beauté
C’est la grâce qu’elle vous donne,
Et devant cette immensité
Vous semblez encor plus mignonne.

Et l’on va se demander si
La vague verte qui déferle
N’a pas apporté jusqu’ici
Une petite fine perle.





HIRONDELLES




Une minute avant l’ondée
Les hirondelles sont là-haut ;
Elles descendent aussitôt
De la profondeur insondée.


La rivière est déjà ridée
Par un frisson fait d’un sanglot ;
Elles viennent raser le flot
Avec leur aile intimidée.

Ô chère Muse, c’est ainsi
Que tu viens, délicate aussi,
Nous consoler par tes caresses,

Dans l’attente ou le souvenir
Des plus douloureuses tendresses,
Lorsque les larmes vont venir.


(L’Idylle éternelle)





CHANSON DES MARIETTINIS




Dans les rieurs à peine écloses,
 Dans les lilas et les roses,
          Nous ferons nos nids.

          Mariettinis !

Des nids près des sources vives,
Pleins de promesses furtives
          Et de doux nennis.

          Mariettinis !

Marions-nous, ma petite
Manette, et que bien vite
          Nos maux soient finis.

          Mariettinis !


Nous serons, comme en un rêve
Qui plus jamais ne s’achève,
           Pour toujours unis.

           Mariettinis !

Adieu les souffrances rudes,
Les mornes inquiétudes
           Dont je me plaignis.

           Mariettinis !

Ô les heures de tendresse,
Nuits d’une seule caresse,
           Et longs jours bénis !

           Mariettinis !

Confiances attendries,
Petites coquetteries,
           Bonheurs infinis

           Mariettinis !

Mariettinis, mariettinis,
        Mariettinis d’amour !


(Brunettes ou Petits Airs tendres)