Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Louis Ratisbonne

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Anthologie des poètes français du XIXème siècle, Texte établi par (Alphonse Lemerre), Alphonse Lemerre, éditeur** 1818 à 1841 (p. 199-202).




LOUIS RATISBONNE


1827




Louis-Gustave-Fortuné Ratisbonne, né à Strasbourg, donna, de 1852 à 1857, les trois volumes de la traduction en vers de la Divine Comédie ; en 1852 Au printemps de la vie, puis La Comédie enfantine et Les Figures jeunes.

Il a le vers heureux. Le public, qui le lit facilement, aime sa brillante traduction de Dante et ses Figures jeunes. On pourrait citer de lui, dans plus d’un genre, des strophes coulées de source, qui ne sentent point l’école et qui sont dans le vrai génie français.

Sa Comédie enfantine est une œuvre toute nouvelle, parfaite dans son genre. L’auteur y met à nu le cœur des petits garçons et des petites filles, flagelle les premiers vices et raille les premiers ridicules de l’humanité. Le petit monde, dont il est le classique, le comprend et l’aime. Et le père lit par-dessus l’épaule de sa femme ce livre de famille.

A. France.





LA POUPÉE OUVERTE




Madeleine, une enfant, était fort occupée,
      Tout en riant à belles dents,
À plonger les ciseaux au cœur de sa poupée,
                 Pour voir ce qu’elle avait dedans.


Or, elle n’avait rien. — Dans le joujou stupide
Le marchand n’avait mis que du son et du crin.
Alors l’enfant rieuse incline un front chagrin
Et se met à pleurer : la poupée était vide !

Il ne faut pas aller trop au fond du plaisir,
                Ou l’on devient triste à mourir.
Petites, prenez garde, ou vous seriez trompées ;
Il ne faut pas ouvrir le ventre des poupées !





LE SOUHAlT DE LA VIOLETTE




Quand Flore, la reine des fleurs,
Eut fait naître la violette
Avec de charmantes couleurs,
Les plus tendres de sa palette,
Avec le corps d’un papillon
Et ce délicieux arôme
Qui la trahit dans le sillon :
« Enfant de mon chaste royaume,
Quel don puis-je encore attacher,
Dit Flore, à ta grâce céleste ?
— Donnez-moi, dit la fleur modeste,
Un peu d’herbe pour me cacher ! »


(La Comédie enfantine)

LE FILS INGRAT




La pauvre source soupirait
En voyant s’éloigner le fleuve.
« De mon fils je vais être veuve ! »
Et goutte à goutte elle pleurait.

« Ne soyez donc pas inquiète !
Je vous promets de revenir,
Quand j’aurai fini de courir. »
Il part sans détourner la tête !

Voilà mon fleuve ambitieux
Qui fait son chemin dans le monde,
Grossissant en route son onde
De tous les ruisseaux vaniteux.

Gonflé par la pluie et la neige,
Par la rivière et le torrent,
Il s’écriait tout en courant :
« Me voilà roi ! j’ai mon cortège ! »

Et plus avant il s’en allait
Sans jamais ralentir sa course,
Et l’ingrat oubliait la source
Qui loin de lui se désolait !

« L’humble mère qui m’a fait naître
Sous le petit rocher, là-bas,
Se disait-il un jour tout bas,
Ne pourrait plus me reconnaître. »


Et d’un impétueux élan
Le fils ingrat poursuit sa voie,
Il grandit, grandit… et se noie
Dans les gouffres de l’océan.

(La Comédie enfantine)