Anthologie féminine/Mlle de Gournay

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Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 50-52).

Mlle DE GOURNAY (Marie de Jars)

(1566-1645)


On rappelait la fille d’alliance de Montaigne dont elle a édité les œuvres en 1595, avec une « extrême superstition », selon ses propres paroles ; il semble que la piété légendaire qu’elle avait pour son père adoptif soit son principal titre à passer à la postérité. Les biographies donnent peu de détails sur elle, et si l’on interroge Staaf sur son livre intitulé l’Ombre, il vous répond : « Un livre de poésies. » Eh bien ! non, il y a confusion. Désireuse de lire ces poésies en vieux langage, j’ai demandé à la Bibliothèque nationale ce volume de Mlle de Gournay, et ce ne sont nullement des poésies, mais bel et bien de la prose et des conseils moraux, excellents à lire.

Ce volume, édité par Libert, rue Saint-Jean-de-Latran, en MDCXXVI, a pour épigraphe, et comme pour justifier son nom :


L’homme est l’ombre d’un songe
Et son œuvre est son ombre.


Voici quelques titres de chapitres que j’ai relevés.

Si la vengeance est licite…

Antipathie des âmes basses et hautes…

Abrégé d’institution pour le prince souverain, où je copie ces lignes bien dignes d’être méditées :

Tu ne te peux rendre trop souple et soubmis à ceux qui te seront donnez, pour t’apprendre à soubmettre après loy-mesme et les choses à toy ; et ne crois pas y soubmettre jamais les choses à ton poinct qu’en travaillant à te rendre aimabjé et désirable partout où tu te voudras rendre puissant…

Nos esprits hument les esprits qui leur sont familiers ny plus ny moins que nos corps hument l’air un instant et s’en nourrissent. Des maux faicts avec plaisir, le plaisir passe et le mal demeure, et des biens faicts avec peine, le bien demeure et le mal passe…


DE LA MÉDISANCE
À Madame la marquise de Guercheville
Dame d’honneur de la reyne-mère du roy.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Lorsque Momus reprocha la faute de Prométhée de n’avoir pas fait une fenestre au sein de l’homme afin que l’œil penétrast ce que son cœur donneroit de contraire à sa parole, je m’esbahis comme il ne le reprit aussi pour avoir manqué d’apposer quelque ferme arrest

Et plusieurs freins avec plusieurs timons


à sa langue et à son oreille, parties si glissantes à l’abus, et dont l’abus est si coulpable. Il arrive que nous exposons tous les jours les biens pour la vie, la vie pour une parcelle de l’honneur, qu’Aristote appelle aussi le plus grand des biens externes, comme il qualifie la honte le plus grand des maux de cette condition......


FIN DE LA PREMIÈRE PÉRIODE