Anthologie japonaise ; poésies anciennes et modernes/Hyakou-nin-is-syou/Les pins ⁂ L’attente sur le pic d’Inaba

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LES PINS ⁂ L’ATTENTE
SUR LE PIC D’INABA






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Tatsi wakare Ina-ba-no yama-no mine-ni ôru,
Matsu-to si kikaba ima kaheri-kom[1].


Après que je t’aurai quittée, si j’apprends que tu m’attends sur le pic de la montagne du pays d’Inaba, où croissent les pins, alors je reviendrai sur-le-champ.

Extrait du Ko-kin-siû. Cette pièce a été composée par Yuki-hira, conseiller d’État de seconde classe[2], fils du prince impérial Dan-zyô-no In Si-hon A-bô Sin-ô.

Sous le règne de Sa-ga-no Ten-ô, durant l’ère impériale kô-nin (810 à 823 de notre ère), les troupes de Sin-ra[3] attaquèrent le pays de Hi-zen, tantôt capturant les vaisseaux chinois qui y portaient le tribut, tantôt s’emparant des soies et du coton dont on chargeait les navires. On envoya donc un corps d’armée pour les châtier, et on leur fit de nombreux prisonniers qu’on transporta dans la province d’Omi et de Sŭruga. Les attaques du Sinra n’en continuèrent pas moins. Alors l’empereur chassa Yuki-hira (auteur de la pièce ci-dessus) du gouvernement des provinces de l’ouest (Saï-kokŭ), afin de protéger le pays contre les incursions de ces Coréens.

Antérieurement on avait envoyé dans l’île de Tsu-sima (située entre la Corée et le Japon et appartenant à ce dernier pays) du riz provenant des cultures du Tsikŭ-zen, du Hi-zen, etc. ; mais la traversée fut mauvaise. Sept sur dix navires furent perdus, avec presque tout leur équipage, dont un très-petit nombre d’individus seulement parvint à débarquer à Tsousima. Youkihira conseilla en conséquence à l’empereur de renoncer à ces transports, et il envoya une colonie de gens de Tsikouzen dans l’île d’Iki où ils établirent des rizières. Il put de la sorte envoyer aisément, de cette île, des provisions à Tsousima, et depuis cette époque on n’eut plus qu’un très-petit nombre d’accidents à déplorer. Il est dans la province de Hizen deux circonscriptions appelées Matsŭ-ra gôri et Hi-ra-tsi-ka. Depuis les temps anciens, on y recueillait des pierres merveilleuses et des médicaments parfumés. Les Chinois qui se rendaient dans ces pays en emportaient les produits. Or ces circonscriptions étaient très-étendues et bien peuplées, et on y trouvait, en outre, une foule de choses curieuses et extraordinaires. Mais le gouverneur ne s’en occupait guère, et comme elles étaient situées au milieu de la mer (en jap. Kai-tsiu-ni atte), les Chinois y abordaient tout d’abord quand ils se rendaient dans notre pays, et s’emparaient de ces objets précieux. De plus, les pierres qu’on y rencontrait sur le bord de la mer, en les martelant produisaient de l’argent, ou en les taillant fournissaient des gemmes précieuses. (En jap. Katsŭ kai-hin-ni san-suru ki seki-va arui-va dan-ren site siro-gane-wo ye, aroui-va taku-ma site tama-to nasŭ-mono ari.) Youkihira pensa à réunir ces deux provinces en une seule et à en défendre l’entrée aux étrangers. L’empereur approuva cette idée et ordonna qu’elle fût effectuée.


L’intelligence de cette pièce dépend du double sens du mot ま𛁭 matsŭ qui signifie tout à la fois « pin » et « attendre » ; c’est le mot de transition qui unit les deux vers.

かへりこん kayeri-kon ou かへりこむ kayeri-komŭ est la forme du futur de kayeri-kuru « revenir ».

いま ima signifie « dans l’intervalle d’un moment sans durée (jap. hodo-naku ima-no ma-ni) », c’est-à-dire « en toute hâte ».

  1. Hyakŭ-nin-is-syu, pièce xvi ; Hito-yo gatari, vol. II, fo 37 ; Si-ka-zen-yô, p. 28.
  2. En japonais : tsiu-na-gon.
  3. Sin-ra (en coréen : 신라 Sinra ; en japonais : シンラ Sinra ou シラキ Siraki). Sin-ra est le nom d’un État qui fut fondé, en Corée, au ier siècle avant notre ère, par Heh Kiuchi. Primitivement il formait une des trois parties de la Confédération désignée dans les annales indigènes sous le nom de Sam-han (en coréen : 삼한 sam-han ; japonais : サンカン San-kan. Au viie siècle notamment, le royaume de Sinra fut soumis au Japon. — Voy. mes Variétés orientales, pp. 329 et 335, et mon Aperçu de la langue coréenne (Paris, Impr. impér., 1864), p. 67.