Arnoldiana/Notice sur l’Opéra

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Gérard (p. 11-42).



NOTICE
SUR L’OPÉRA.


L’Opéra passe généralement pour le plus étonnant et le plus fastueux des spectacles de l’Europe : c’est dans ce temple, théâtre des brillantes illusions et des illustres galanteries, que le génie, les talens et les grâces se réunissent pour produire le plus magnifique et le plus enchanteur de tous les jeux publics : là de jeunes prêtresses sont formées aux arts aimables qui peuvent émouvoir les sens et les séduire ; les unes charment l’oreille en célébrant les louanges des dieux et des déesses, d’autres, par des danses passionnées, en caractérisent les attitudes, en peignent la situation la plus voluptueuse , toutes s’efforcent à l’envi d’allumer dans tous les cœurs ce beau feu, ame de l’univers, qui tour à tour le consume et le reproduit.

Les Italiens sont les premiers qui aient fait jouer des opéras ; ils commencèrent à paraître sous le pontificat de Léon X, et l’on prétend que ce fut Ottavio Rinnucini, poëte florentin, qui donna la manière de représenter en musique les ouvrages dramatiques. Sous le règne de Louis XII on composait à la cour des ballets où l’on mettait des récits et des dialogues en plusieurs parties ; mais on faisait venir d’Italie les musiciens et les chanteurs. En 1581 le maréchal de Brissac, gouverneur du Piémont, envoya à la reine mère son valet-de-chambre, surnommé Beaujoyeux, lequel était un bon violon, et qui fit le ballet des noces du duc de Joyeuse avec Melle de Vaudemont, sccur de la reine. Beaulieu et Salomon, maîtres de la musique du roi, l’aidèrent dans la composition des récits et des airs de ballet ; la Chesnaye, aumônier du roi, composa une partie des vers, et Jacques Patin, peintre du roi, travailla aux décorations.

Rinnucini suivit en France Marie de Médicis. Après lui il ne parut de mauvais ballets, qui conque sistaient dans le choix d’un sujet bouffon ; tel fut celui du ballet des Fées de la forêt de Saint-Germain, dansé au Louvre par Louis XIII en 1625, où Guillemine la quinteuse, Robine la hasardeuse, Jacqueline l’étendue, Alison la hargneuse et Macette la cabrioleuse montrèrent leur pouvoir. La première de ces fées présidait à la musique, la seconde aux jeux de hasard, la troisième aux folies, la quatrième aux combats, et la cinquième à la danse.

En 1651 Pierre Corneille donna, pour le divertissement de Louis XIV, Andromède, tragédie à machines. L’année suivante Benserade composa Cassandre, mascarade en forme de ballet, qui fut dansée par le roi au palais Cardinal. L’abbé Perrin, de galante mémoire, hasarda des paroles françaises, lesquelles, quoique très-mauvaises, réussirent au moyen de la musique de Cambert, organiste de Saint-Honoré : c’était une pastorale en cinq actes qui fut chantée à Vincennes devant le roi : la nouveauté qu’on y remarqua fut un concert de flûtes.

En 1660 le cardinal Mazarin fit représenter dans la salle des machines des Tuileries, pendant le mariage du roi, Ercole amante, que l’on traduisit en vers français : le roi et la reine y dansèrent ; l’abbé Mélany y chanta un rôle ; presque tous les acteurs étaient Italiens. Cet opéra était précédé d’un prologue, usage qui a été suivi depuis et qui est maintenant supprimé.

Le marquis de Sourdac, à qui l’on doit la perfection des machines propres aux opéras, donna à ses frais la Toison d’Or, dans son château de Neubourg en Normandie, pour réjouissances publiques du mariage du roi, et ensuite en gratifia la troupe du marais, où elle fut très-applaudie.

Les succès que Pomone, premier opéra français, obtint après avoir été longtemps répété dans la salle de l’hôtel de Nevers, procurèrent à l’auteur, l’abbé Perrin, des lettres-patentes pour l’établissement de l’Opéra en France. Les représentations publiques de cette pastorale commencèrent en 1671, dans un jeu de paume de la rue Mazarine. L’abbé Perrin, ne pouvant soutenir seul la dépense d’une telle entreprise, s’associa avec Cambert pour la musique, avec le marquis de Sourdac pour les machines, et pour les principaux frais avec le sieur Champenon, riche capitaliste.

M. de Sourdac, ayant fait beaucoup d’avances et même payé les dettes de l’abbé Perrin, s’empara du théâtre, quitta l’abbé, et prit pour poëte le sieur Gilbert, secrétaire de la reine Christine : les Peines et les Plaisirs de l’Amour, pastorale héroïque, furent son coup d’essai. Lulli, surintendant de la musique du roi, profitant de cette division, acheta le privilége du sieur Perrin ; il prit pour machiniste le signor Vigarini, gentilhomme Modénois, et pour poëte le tendre Quinault ; il plaça son théâtre dans un jeu de paume de la rue de Vaugirard, et y donna en 1672 les fêtes de l’Amour et de Bacchus, pastorale composée de fragmens de différens ballets. Dans une des représentations, que le roi honora de sa présence, le prince de Condé, les ducs de Montmouth, de Villeroy, et le marquis de Rassan dansèrent une entrée avec les artistes salariés.

Le Triomphe de l’Amour est le premier opéra dans lequel on introduisit des danseuses. Ce ballet fut d’abord exécuté à Saint-Germain-en-Laye, devant sa majesté, le 21 janvier 1681. Plusieurs princes, seigneurs et dames de la cour y dansèrent. Le mélange des deux sexes rendit cette fête si brillante qu’on crut qu’il était indispensable, pour le succès de ce genre de spectacle, d’y remplacer les dames de la cour par des danseuses de profession, et depuis cette époque elles ont toujours continué d’être une des portions les plus brillantes de l’Opéra.

La réunion de Quinault et de Lulli porta nos opéras à leur plus haut degré de perfection. En 1673, après la mort de Molière, Lulli transporta ses machines à la salle du Palais-Royal, laquelle occupait une partie du terrain où est maintenant la rue du Lycée. Les enfans de Lulli succédèrent à leur père dans la direction de ce spectacle, qui depuis fut confié à différens directeurs et administrateurs.

Un terrible incendie ayant dévoré, le 6 avril 1765, tous les bâtimens de l’Opéra, le duc d’Orléans obtint du roi que la nouvelle salle fut construite à la même place, et l’inauguration s’en fit le 24 janvier suivant. Dans l’intervalle les représentations de l’Opéra eurent lieu sur le théâtre des Tuileries.

Un second incendie consuma, le 8 juin 1781, tout ce qui composait ce riche spectacle ; la salle Page:Deville - Arnoldiana.djvu/31 Page:Deville - Arnoldiana.djvu/32 Page:Deville - Arnoldiana.djvu/33 Page:Deville - Arnoldiana.djvu/34 Page:Deville - Arnoldiana.djvu/35 Page:Deville - Arnoldiana.djvu/36 Page:Deville - Arnoldiana.djvu/37 Page:Deville - Arnoldiana.djvu/38 Page:Deville - Arnoldiana.djvu/39 Page:Deville - Arnoldiana.djvu/40 Page:Deville - Arnoldiana.djvu/41 Page:Deville - Arnoldiana.djvu/42 Page:Deville - Arnoldiana.djvu/43 Page:Deville - Arnoldiana.djvu/44 Page:Deville - Arnoldiana.djvu/45 Page:Deville - Arnoldiana.djvu/46 Page:Deville - Arnoldiana.djvu/47 Page:Deville - Arnoldiana.djvu/48 Page:Deville - Arnoldiana.djvu/49 Page:Deville - Arnoldiana.djvu/50 Page:Deville - Arnoldiana.djvu/51 qui, plus adroites que sages, sous le voile de la pudeur, qui n’est pas toujours celui de l’innocence, ne pourraient pas soutenir devant le crédule Hymen l’épreuve de Tutia, qui, se voyant accusée de n’avoir pas bien gardé son feu sacré, s’engagea pour sa justification à porter de l’eau dans un crible !