Astronomie populaire (Arago)/III/06

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 89-101).

CHAPITRE VI

des lentilles


Les préliminaires posés dans le chapitre précédent étant bien compris, examinons comment un faisceau de rayons parallèles doit se comporter en traversant une lentille de verre.

On appelle lentille, en optique, une masse de verre terminée des deux côtés par des surfaces courbes. Nous supposerons d’abord que ces deux faces soient des portions de sphère de même rayon, et qu’elles se présentent l’une à l’autre par la concavité.

La figure que je dessine ici (fig. 47) représente le verre en question, qui, à cause de sa ressemblance avec un légume connu de tout le monde, a été appelé lentille.

Fig. 47. — Lentille.

Considérons la lentille dans ses éléments constitutifs. Menons (fig. 48) par le milieu C de la corde AB commune des deux arcs représentant les deux surfaces, une perpendiculaire IE à cette corde ; cette droite IE sera l’axe de la lentille.

En chaque point, un élément constitutif de la lentille peut être considéré comme se confondant avec une tangente. Aux points I et E, où l’axe rencontre les deux cercles terminateurs, les deux tangentes II et EE′ sont parallèles.

Fig. 48. — Axe de la lentille.

Un rayon de lumière parallèle à l’axe qui rencontrera la tangente en I, et qui aura le point E pour point d’émergence, ne sera donc pas réfracté ; les parties vitreuses qui entourent le point I et le point E étant parallèles constituent réellement un verre à faces parallèles qui ne dévie pas les rayons lumineux.

Fig. 49. — Marche de la lumière à travers une lentille.

Voyons maintenant comment doivent être envisagées les portions de la lentille vers les points A et B (fig. 49), où elle se termine. Les tangentes aux surfaces de la lentille vers ces deux points forment entre elles un angle très-ouvert. Les rayons lumineux parallèles à l’axe qui traverseront ces parties seront déviés l’un et l’autre, comme s’ils avaient rencontré un prisme dont la base serait tournée vers l’axe de la lentille, et iront se réunir en un certain point F, situé sur le prolongement de la ligne IE ; la même chose pourra être dite de tous les points d’incidence compris entre le point A et le point I, comme aussi de tous les points situés du côté opposé compris entre ce même point I et l’extrémité B de la lentille.

Ainsi définitivement, les rayons qui ont rencontré la lentille dans la direction de son centre passent sans se dévier ; les autres entrent et sortent par de petites facettes formant entre elles des angles d’autant plus considérables que ces facettes sont plus loin du centre, et conséquemment plus près des limites extrêmes de la lentille. Nous retrouvons ici l’appareil idéal composé d’une série de petits prismes dont nous nous sommes servis pour amener par voie de réfraction en un même point F d’une ligne centrale, la série de rayons parallèles dont se composait un faisceau lumineux d’une grande largeur.

Pour que la réunion de ces rayons parallèles eût lieu en un même point F, il fallait que les angles des prismes variassent convenablement. Il reste à rechercher si les inclinaisons respectives des facettes vitreuses qui rencontrent les rayons à l’entrée et à la sortie d’une lentille satisfont à la condition voulue ; si les angles des prismes élémentaires dont la lentille est composée varient suivant une loi telle que les divers rayons réfractés se réunissent en un seul et même point de l’axe central. Une expérience très-simple montre que, par un bonheur inouï, la condition dont nous venons de parler est remplie presque mathématiquement. En couvrant la lentille d’un papier noir percé de deux petits trous (fig. 50), dont l’un corresponde au point I, et l’autre au point A, on détermine expérimentalement quel est le point F où les rayons, tombant en A, se réunissent sur la ligne IF non déviée. Si, après avoir bouché le trou A, on répète l’expérience en découpant dans le papier en M une ouverture quelconque sur la surface d’incidence comprise entre A et I (fig. 51), on trouvera que le point de réunion F des deux rayons primitivement parallèles est absolument le même que dans la première expérience. Ainsi les angles des facettes élémentaires s’agrandissent de I jusqu’à A, ou en allant de I en B, de la quantité nécessaire pour que les rayons parallèles qui tombent sur la lentille se réunissent après leur réfraction en un même point F de l’axe IF.

Fig. 50. — Formation du foyer d’une lentille.

Le point F s’appelle le foyer parce que, en y concentrant une multitude de rayons, on y engendre des effets de température extraordinaires.

Fig. 51. — Le foyer d’une lentille est le même, quels que soient les points incidents.

D’après l’assimilation que nous venons de faire de la lentille à un assemblage de prismes, il est évident que si du point F (fig. 52) on fait partir des rayons sur la surface d’émergence, ces rayons, à leur sortie de la surface primitive d’incidence, seront parallèles entre eux, en vertu du principe déjà cité plusieurs fois, que des rayons qui reviennent sur leurs pas suivent exactement la route qu’ils avaient parcourue dans le premier trajet.

Fig. 52. — Émergence de rayons parallèles.

Le foyer principal d’une lentille peut donc être défini de ces deux manières : C’est le point où se réunissent des rayons parallèles après leur réfraction aux deux surfaces d’une lentille, ou bien, c’est le point d’où les rayons doivent partir pour qu’après leur réfraction ils sortent parallèles entre eux.

La force infléchissant de la lentille est tout juste ce qu’il faut pour que les rayons partis en divergeant du point F et embrassant toute la surface de la lentille soient rendus exactement parallèles.

Si au lieu de partir du point F, les rayons émanaient d’un point F′ (fig. 53) compris entre le foyer F des rayons parallèles et la seconde surface de la lentille, si, en un mot, la divergence des rayons était plus grande que celle de la lumière qui partait du point F, les rayons, en sortant par la surface AIB, seraient encore un peu divergents, la puissance infléchissant de la lentille n’ayant plus été suffisante pour les ramener au parallélisme.

Fig. 53. — Divergence de rayons émis d’un point plus rapproché de la lentille que le foyer principal.

Si les rayons étaient partis d’un point F″ (fig. 54) situé au delà du foyer F, ils arriveraient sur la lentille avec moins de divergence que les rayons partis de F ; la lentille qui avait été suffisante pour ramener ceux-ci au parallélisme aurait plus de force infléchissant qu’il ne le faudrait pour produire le même effet relativement au rayon parti de F″, ces rayons, à la sortie de leur surface AIB seraient convergents.

Il faut donc se graver dans l’esprit ces trois résultats importants :

Les rayons partant du foyer d’une lentille sortent parallèles entre eux après avoir traversé les deux surfaces dont elle se compose.

Les rayons partant d’un point plus éloigné que le foyer sortent convergents.

Les rayons émanés d’un point situé entre le foyer et la surface de la lentille sortent en divergeant.

Fig. 54. — Convergence des rayons émis d’un point plus éloigné de la lentille que le foyer principal.

Nous aurons l’occasion, dans ce qui va suivre, de tirer parti de cette triple propriété. Elle est au fond identique avec l’énoncé suivant :

Déterminons pour une lentille donnée le foyer F des rayons parallèles (fig. 55) ; si de nouveaux rayons tombent sur la lentille avec un certain degré de divergence, ils se réuniront en un foyer F″ plus éloigné de la lentille que le foyer F ; si les rayons arrivent à la lentille en convergeant, ils se réuniront en un foyer F′ plus rapproché de la lentille que le foyer F des rayons parallèles.
Fig. 55. — Foyers secondaires d’une lentille.
Nous avons suivi la marche des rayons de lumière quand ils traversent une masse de verre terminée par des surfaces sphériques pareilles se présentant l’une à l’autre par la concavité et donnant à la masse totale la forme d’une lentille. Nous arriverions à des résultats semblables lors même que le verre serait terminé d’un côté par une surface sphérique, et de l’autre par une surface plane ; la seule différence porterait sur la longueur de la distance focale. Cette espèce de verre, à laquelle on a très-improprement conservé le nom de lentille, s’appelle une lentille plano-convexe (fig. 56).
Fig. 56. — Lentille plano-convexe.

Quelquefois, mais plus rarement, la masse de verre, toujours terminée d’un côté par une surface sphérique, reçoit sur le côté opposé une forme sphérique, mais concave extérieurement ; le verre prend alors le nom de lentille convexo-concave (fig. 57).
Fig. 57. — Lentille convexo-concave.

Il est une forme enfin plus fréquemment employée que les deux précédentes, terminée extérieurement par deux surfaces sphériques se présentant l’une à l’autre par leur convexité ; c’est ce qu’on appelle des lentilles bi-concaves (fig. 58).
Fig. 58. — Lentille bi-concave.

On verra aisément, sans qu’il soit nécessaire d’entrer à ce sujet dans des explications détaillées, qu’une pareille lentille, à l’inverse de celle dont nous nous sommes d’abord occupés (d’une lentille bi-convexe), est composée de prismes de plus en plus ouverts, et dont les bases sont tournées vers les bords, en sorte que des rayons parallèles qui tombent sur la première face d’une pareille lentille sortent par la face d’émergence en divergeant, et conséquemment ne donnent pas de foyer (fig. 59).

Fig. 59. — Marche de la lumière parallèle à l’axe à travers une lentille bi-concave.

Après avoir considéré pour une lentille biconvexe, la seule qui doit nous occuper, le foyer F (fig. 60) correspondant à des rayons parallèles entre eux et à l’axe PICE de la lentille, il est essentiel de rechercher ce qui arriverait si le faisceau de rayons parallèles formait avec PICE un petit angle P′CP.

Fig. 60. — Formation des foyers sur les axes secondaires.

Eh bien, par une expérience toute semblable à celle du papier noir troué, que nous avons précédemment citée, on trouvera que ces nouveaux rayons se réunissent aussi en un foyer unique R, lequel sera situé non plus sur la ligne PICF, mais, si la lentille est peu épaisse, comme c’est généralement le cas, sur une certaine droite P′CR que nous appellerons axe secondaire. Les deux points R et F déterminant une ligne RF à peu près perpendiculaire à l’axe principal PICE, si ces nouveaux rayons, au lieu d’être parallèles à P′C, tombaient sur la lentille avec une certaine divergence, le foyer R s’éloignerait comme dans le cas que nous avons précédemment considéré.

Tout ce que nous venons de dire des rayons lumineux tombant sur les deux circonférences de cercle qui résultent d’une section faite dans la lentille par un plan parallèle au papier sur lequel la figure est tracée, pourrait s’appliquer mot à mot aux sections toutes pareilles qui proviendraient des intersections de la lentille par des plans quelconques passant par son axe.

Le plan passant par le point F et par les foyers correspondants à des faisceaux parallèles entre eux, mais diversement inclinés par rapport à l’axe PICF, est ce qu’on appelle le plan focal.

Le point C, par lequel passe la droite ICR, et qui existe sur l’axe de la lentille, est tel que tout rayon lumineux réfracté qui y passe correspond à des rayons incidents et émergent parallèles entre eux (fig. 61) ; il se nomme le centre optique de la lentille ; il jouera le plus grand rôle dans tout ce qui nous reste à dire.

Fig. 61. — Centre optique d’une lentille.

Supposons maintenant qu’une lentille AB soit placée en face d’un objet NZO lumineux par lui-même ou par voie de réflexion (fig. 62) ; supposons, de plus, que cet objet soit assez éloigné de la lentille pour que les rayons qui émanent ou qui semblent émaner de ses divers points et qu’embrasse toute l’étendue de la lentille puissent être considérés comme parallèles ; tous les rayons partis du point Z situé sur le prolongement de l’axe de lentille viendront se réunir ou se croiser au point F. Les rayons partis du point N se réuniront en un foyer situé sur la ligne NCN′ passant par le centre optique C, les rayons émanés du point O iront de même se réunir en un point O′ situé sur la ligne OCO′. On en pourrait dire autant des rayons partant de tous les points du corps lumineux compris entre N et Z et entre Z et O.

Fig. 62. — Formation de l’image dans une lentille.

Qu’est au fond l’objet NO par rapport à notre œil ? C’est une agglomération de points lumineux d’où s’élancent des rayons dans tous les sens ; ces rayons pourront avoir des couleurs et des intensités très-dissemblables. Toutes ces différences d’intensité et de couleur se retrouveront dans les divers points de la série des foyers O′FN′. Si les rayons partis de N sont rouges, les rayons, qui après s’être croisés au foyer N′, passeront outre pour se propager dans l’espace, seront également rouges. Si les rayons partant de Z sont blancs, les rayons, qui après s’être croisés en F continueront leur route en ligne droite au delà de ce foyer, seront également blancs. Pour les rayons qui viennent se croiser en O′, ils ont, quant à la couleur et à l’intensité, les mêmes caractères que les rayons qui étaient partis du point O.

Ce n’est donc pas sans grande raison qu’on a appelé la série de foyers N′FO′, l’image de l’objet matériel NZO ; seulement, comme on le remarquera, l’image est renversée. Le point N étant situé à gauche du centre Z de l’objet matériel, le point N′, qui lui correspond, se trouve situé à droite du point F ; le point O étant situé en réalité à droite du point Z, se trouve dans l’image placée à gauche du point F, qui marque le centre de cette image. À cela près et abstraction faite de la grandeur, l’image N′FO′ remplacera parfaitement l’objet NZO dans tout ce qui concerne la vision.

J’ai dit, comme restriction, que l’image peut remplacer l’objet dans tous les phénomènes où l’on ne considérera que les rayons de lumière ; car, pour le tact, par exemple, il y aurait une différence essentielle entre l’objet et l’image.