Astronomie populaire (Arago)/VIII/10

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 343-347).

CHAPITRE X

a quelle époque les constellations furent-elles créées ?


La question de savoir à quelle époque les constellations furent créées a été vivement débattue par des hommes du premier mérite, mais sans qu’ils soient arrivés à une solution exempte de difficultés sérieuses. Occupons-nous d’abord des astérismes qui figuraient dans la sphère grecque et qui se sont conservés jusqu’à notre époque.

D’après Clément d’Alexandrie, suivi en cela par Newton, le partage du ciel étoilé en diverses figures ou constellations, est dû à Chiron.

Cette opinion dérive de quelques vers d’un ancien poëme grec sur la Guerre des Géants, que Clément d’Alexandrie a rapportés.

Freret fait naître Chiron vers l’an 1420 avant Jésus-Christ. Chiron, précepteur de Jason, dessina sa sphère pour l’usage des Argonautes. Fixons, si l’on veut, l’exécution de ce travail à l’époque où son auteur avait soixante ans. Cette supposition ne fera remonter la première sphère grecque qu’à 1360 avant notre ère. On voit toutefois qu’elle lui laissera encore plus de 3 200 ans d’ancienneté.

Hésiode qui, suivant l’opinion d’Hérodote, vivait vers l’an 884 avant Jésus-Christ, cite, dans son livre des Travaux et des jours, les Pléiades, Arcturus, Orion, Sirius.

Cette mention constitue le monument authentique le plus ancien qui nous soit parvenu sur les constellations de la sphère grecque et sur les étoiles qu’on y désignait par des noms particuliers. Encore n’assigne-t-elle une date limitée qu’à quatre de ces constellations.

Je dis à quatre, aux seules constellations nommées par Hésiode, car il est certain qu’elles ne sont pas toutes de la même époque. Par exemple, la constellation de la Balance paraît avoir été formée vers le temps d’Auguste aux dépens des serres du Scorpion, constellation qui occupait alors un espace immense ; ainsi encore le Petit Cheval est une création d’Hipparque.

Homère fortifie l’opinion que nous venons d’émettre relativement à la trop faible ancienneté que les auteurs attribuent à quelques-unes des constellations principales. Dans la description du bouclier d’Achille l’immortel poëte parle des Pléiades, des Hyades, d’Orion, de l’Ourse ou Chariot, « qui seule n’a point sa part des bains de l’Océan. » Si la Petite Ourse, si le Dragon n’eussent pas existé comme constellations dans ces temps reculés, comment Homère aurait-il pu dire que la Grande Ourse seule ne se baignait pas dans l’Océan (ne se couchait pas) ?

L’Odyssée est encore plus pauvre que l’Iliade en allusions astronomiques.

Dans le livre v de ce poëme, on trouve cependant Ulysse dirigeant la course de son navire d’après l’observation des Pléiades et du Bouvier.

Eudoxe de Cnide, né l’an 421 avant Jésus-Christ, et mort à l’âge de cinquante-trois ans seulement, avait composé sous le titre d’Enoptron, c’est-à-dire de Miroir, une espèce de tableau du ciel où les constellations étaient décrites simplement, d’une façon familière, pour l’usage du peuple.

Le Miroir d’Eudoxe et un autre livre du même auteur, également perdu, intitulé Apparences célestes, fournirent à Aratus, vers 270 ans avant notre ère, les éléments du poëme qui nous est parvenu sous le nom de Phénomènes[1].

Le poëte Aratus, très-peu observateur, ne saisit pas toujours exactement le sens des passages qui lui servaient de guide. Ses erreurs furent signalées dans un commentaire du poëme composé par Hipparque, le plus grand astronome de l’antiquité. Le commentaire d’Hipparque renferme plusieurs extraits textuels des deux ouvrages d’Eudoxe, et donne ainsi aux travaux de l’observateur de Cnide une complète authenticité.

Nous devons faire remarquer qu’en attribuant aux Grecs l’invention de la totalité des constellations qui nous sont parvenues, on est obligé d’en chercher l’origine dans les événements les moins connus et les moins célèbres de leur mythologie. Tel est le cas, par exemple, pour l’Oiseau ou le Cygne, et pour l’Homme à genoux ou Hercule.

Quant aux constellations situées dans le voisinage de l’équateur et qu’on appelle constellations zodiacales, on s’est plus généralement accordé à y voir les emblèmes des douze divinités égyptiennes qui présidaient aux douze mois de l’année. Ainsi, le Bélier était consacré à Jupiter Hammon ; le Taureau servait à représenter le dieu ou le taureau Apis ; les Gémeaux correspondaient à deux divinités qu’on ne séparait pas, Horus et Harpocrate ; l’Écrevisse était consacrée à Anubis ; le Lion appartenait au Soleil ou à Osiris ; la Vierge, à Isis ; la Balance et le Scorpion, à Typhon ; le Sagittaire, à Hercule ; le Capricorne, à Mendès ; les Poissons, à Nephtis ; le Verseau consacrait la coutume où l’on était d’aller remplir une cruche d’eau à la mer dans le mois Tybi ou janvier.

Voyons les conséquences qui découlent de quelques passages de l’Écriture sainte au sujet de l’ancienneté des constellations.

Le Livre de Job, qu’il ait été composé par Job lui-même, du temps des patriarches, ou que Moïse en soit l’auteur, remonte au moins à l’année de la mort de Moïse, à l’année 1451[2] avant notre ère. Le Livre de Job renferme les noms d’Orion, des Pléiades, des Hyades. Les noms de ces groupes d’étoiles auraient donc près de trois mille trois cents ans d’ancienneté ; mais il faut remarquer que les Septante substituèrent des termes comparativement modernes à ce qu’ils crurent être leurs équivalents dans l’hébreu. Le Livre de Job prouve irrévocablement que des constellations avaient été tracées et nommées en Arabie dès l’année 1451 ; mais on ne pourrait pas légitimement en déduire que les noms alors adoptés étaient déjà ceux des constellations grecques, les noms actuellement en usage.

Un certain ensemble de constellations chinoises nous a été révélé par de très-anciens ouvrages de la littérature du Céleste Empire. Des divisions de même genre, mais différentes de forme, existaient chez les Indiens, les Chaldéens et les Égyptiens. Il paraît que les Chinois ne donnent pas à leurs constellations les figures des objets dont elles portent les noms ; ils se contentent de joindre par des lignes droites les étoiles situées sur le contour extérieur.

  1. Le poëme grec d’Aratus était dans une telle estime chez les anciens, qu’il fut traduit par Cicéron, par César Germanicus et par Ovide.
  2. Moïse, né dans l’année 1571 avant notre ère, mourut cent vingt ans après, c’est-à-dire en 1451.