Astronomie populaire (Arago)/XXI/21

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 3p. 452-454).

CHAPITRE XXI

la lune a-t-elle jamais été heurtée far une comète ?


La Lune nous présente toujours la même face. Les taches que nous y voyons aujourd’hui, sauf de très légères oscillations périodiques dont la cause est bien connue, sont précisément celles qui se montraient hier, qui s’apercevront demain, dans un mois, dans un an, dans un siècle. Pour peu qu’on y réfléchisse, on reconnaît qu’il résulte de cette observation que la Lune tourne sur son centre, dans un temps précisément égal à celui qu’elle emploie à faire sa révolution autour de la Terre.

Il est contre toute vraisemblance qu’à l’origine ces deux mouvements se soient trouvés rigoureusement égaux entre eux ; mais il ne répugne pas d’admettre que leur différence était très-petite ; or, cela suffit pour expliquer le phénomène.

En effet, lorsque la Lune, encore fluide, tendait à prendre la forme qui correspondait à son mouvement de rotation, l’attraction de notre globe l’allongea ; son grand axe se dirigea vers le centre de la Terre.

Avec cette forme allongée, la Lune peut être assimilée à un pendule. Lorsqu’un pendule est écarté de la verticale, l’attraction de la Terre l’y ramène, en lui faisant faire, de part et d’autre de cette ligne, des oscillations qui, sans la résistance de l’air et le frottement du couteau sur lequel repose l’appareil, conserveraient toujours la même amplitude. De même lorsque par l’effet d’une petite différence entre les mouvements de révolution et de rotation dont il s’agit ici, la dimension longitudinale de la Lune pendule s’écarte de la verticale, c’est-à-dire de la ligne dirigée vers le centre de notre globe, l’attraction que ce globe exerce doit tendre à l’y ramener. Elle doit lui imprimer, autour de sa position primitive, un mouvement oscillatoire qui, n’ayant ici aucune cause amortissant, se continuera indéfiniment.

Les oscillations du grand axe lunaire ont pris le nom de libration réelle (chap. x). Leur amplitude est évidemment liée à la différence qui, dès l’origine, et sans l’action de la Terre, aurait existé entre les mouvements de révolution et de rotation de notre satellite. Cette différence était originairement bien légère, puisque la libration réelle est insensible.

Jetons maintenant une comète sur la Lune. Le choc ne modifiera pas de la même manière les mouvements de révolution et de rotation primitifs. Si la différence de ces mouvements devient très-grande, là pesanteur n’aura plus assez d’action pour empêcher le grand axe lunaire de s’écarter indéfiniment de la ligne dirigée vers le centre de la Terre, et alors toutes les parties de la Lune pourront être successivement aperçues. Avec de moindres différences, il ne restera qu’un mouvement oscillatoire plus ou moins fort. Laplace a trouvé, par le calcul, que le choc d’une comète dont la masse ne serait que la cent millième partie de celle de la Terre, aurait suffi pour rendre cette oscillation sensible.

Puisque les observations n’ont jusqu’ici rien fait apercevoir de mesurable en fait de libration réelle, nous sommes inévitablement amenés à la conséquence que la Lune, malgré tout ce que l’immensité des temps devait ajouter à la probabilité d’un pareil événement, n’a jamais été rencontrée par une comète, à moins toutefois que l’astre choquant n’ait eu une masse beaucoup au-dessous de la cent-millième partie de celle de la Terre.