Astronomie populaire (Arago)/XXIII/12

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 46-70).

CHAPITRE XII

de la pesanteur à la surface de la terre


Les anciens n’avaient que des idées confuses sur la force qui fait tomber les corps à la surface de la Terre, et que l’on nomme la pesanteur. Galilée a eu la gloire de montrer que cette force agit, en un lieu donné, de la même manière sur tous les corps qui s’y trouvent, et que si l’expérience montre que des corps de nature très différente ne tombent pas également vite, cela tient à ce que l’air atmosphérique offre une résistance inégale à leur chute.

Si la pesanteur à la surface de la Terre est un cas particulier de l’attraction universelle, elle doit agir sur les corps placés sur notre planète, suivant les lois générales que nous avons précédemment démontrées (chap. ii). Or, nous avons vu que la Terre n’est pas sphérique, qu’elle est aplatie aux pôles et renflée à l’équateur. Les corps situés vers les régions polaires sont plus rapprochés du centre de la Terre d’environ 5 lieues que ceux situés vers les régions équatoriales. Comme la Terre doit agir sur tous les corps placés à sa surface de la même manière que si toute la masse était réunie en son centre, comme, en outre, sa force attractive doit diminuer proportionnellement aux carrés des distances, on voit que la pesanteur doit être moins grande à l’équateur qu’aux pôles. Une autre cause tend encore à diminuer l’intensité de la pesanteur à mesure qu’on s’approche de l’équateur. En effet, la Terre tourne sur elle-même avec une vitesse dont nous avons rappelé la valeur dans le chapitre précédent. Or, tout corps qui est animé d’un rapide mouvement de rotation autour d’un centre, comme la pierre suspendue à une fronde, tend à s’éloigner de ce centre ; c’est l’effet de ce qu’on est convenu d’appeler la force centrifuge. Cette action, qui est nulle aux pôles, augmente à mesure qu’on s’avance vers l’équateur terrestre, et elle a une composante dont l’action est directement opposée à celle de la pesanteur.

Ces considérations théoriques reposent sur les mesures de la Terre et sur la découverte de ses mouvements. On comprend tout l’intérêt que dut présenter aux astronomes la possibilité de les vérifier. Les propriétés du pendule que nous avons indiquées au commencement de ce traité (liv. ii, chap. x) ont permis d’arriver sur ce point à une exactitude dont les amis des sciences ont le droit d’être fiers.

Les variations de l’intensité de la pesanteur à la surface de la Terre ne sont que la conséquence de la figure de notre globe et de son mouvement de rotation sur lui-même. La figure elle-même de la Terre provient de l’existence éternelle du mouvement de rotation. Alors que la Terre était liquide à sa surface, comme il est probable qu’elle est encore maintenant liquide à une certaine profondeur (liv. xx, chap. xviii), à ces époques éloignées de nous d’un nombre de milliers d’années qu’il est impossible de calculer, la surface de notre planète a dû prendre, sous l’effet de l’action de la force centrifuge, une forme renflée vers les régions placées dans un plan mené par le centre du globe perpendiculairement à l’axe de rotation. Ces régions équatoriales ont plus tard conservé leur position lorsque l’écorce terrestre s’est constituée à la suite du refroidissement progressif de la planète.

Quoi qu’il en soit, le nombre d’oscillations qu’effectue en un certain temps un pendule abandonné à lui-même, dépend de l’intensité de la pesanteur et de la longueur de ce pendule. Si l’amplitude des oscillations est très petite, c’est-à-dire si le pendule ne s’écarte que de 2 à 3 degrés au plus de part et d’autre de la verticale, la relation qui existe entre ces différents éléments est très simple ; elle consiste en ce que le carré du nombre des oscillations effectuées dans un temps donné est proportionnel à l’intensité de la pesanteur et en ce qu’il diminue proportionnellement à la longueur du pendule. Il résulte de là que la variation de l’intensité de la pesanteur, ou ce qui revient au même, comme nous venons de l’expliquer, que la figure de la Terre peut se déduire du nombre d’oscillations que fait en vingt-quatre heures un même pendule, de longueur invariable, dans des lieux situés sous diverses latitudes, ou de la comparaison des longueurs différentes que doit avoir un pendule pour exécuter dans tous ces lieux le même nombre d’oscillations en un temps donné.

Nous n’avons pas besoin de faire remarquer que les énoncés précédents se rapportent seulement à l’emploi de pendules simples, c’est-à-dire de pendules dans lesquels le fil à l’extrémité duquel la masse oscillante est suspendue, a une masse nulle ou tout à fait négligeable par rapport à cette dernière. Dans tous les cas on possède des méthodes d’un emploi facile pour trouver la longueur du pendule simple, idéal, qui ferait son oscillation dans le même temps que le pendule réel ou composé qu’il est seulement possible d’observer. Un tel pendule simple est ce qu’on appelle le pendule synchrone du pendule composé employé.

Les deux méthodes dont nous venons d’indiquer le principe, exigent, l’une et l’autre, qu’on détermine dans chaque station quel nombre d’oscillations y fait, en un jour moyen ou en un jour sidéral, le pendule dont on se sert : elles diffèrent seulement en ce que, dans la première, il est indispensable que l’appareil oscillant n’éprouve jamais d’altération ni dans sa forme, ni dans ses dimensions, tandis que, lorsqu’on suit la seconde, cette invariabilité n’est pas nécessaire, puisqu’on mesure la longueur du pendule après chaque observation.

C’est à Richer, membre de l’Académie des Sciences de Paris, qu’on doit la première observation de l’application du pendule de longueur invariable à la constatation du changement de l’intensité de la pesanteur à la surface de la Terre. Cet astronome reconnut qu’une horloge réglée à Paris retardait chaque jour, à Cayenne, d’une quantité notable, parce que le pendule qui réglait la marche de cette horloge oscillait à Cayenne plus lentement qu’à Paris. Borda s’est servi le premier de la seconde méthode ; elle est susceptible de plus d’exactitude que celle de l’observation du pendule invariable, mais elle exige un établissement particulier d’une grande délicatesse.

Le pendule invariable se compose généralement d’un cylindre de cuivre, au bout duquel est une lentille lourde de même métal, qui fait corps avec lui, parce que le cylindre et la lentille ont été fondus d’une seule pièce. À l’autre extrémité du cylindre est invariablement attaché un couteau affilé d’acier, destiné à supporter le pendule pendant les expériences ; ce couteau repose sur un plan d’agate parfaitement dressé. On doit corriger les observations des erreurs introduites par les changements qu’apportent, dans la longueur du pendule, les variations de la température, et, dans son mouvement, la résistance de l’air. On voit que le pendule, dans la méthode de Richer, est un pendule composé ; on doit donc, en outre, chercher la longueur du pendule simple synchrone, ou dont l’oscillation a la même durée.

Dans la méthode de Borda, le pendule employé se rapproche autant que possible du pendule simple ou idéal. Voici la description du pendule de ce genre que M. Biot et moi nous avons employé dans les observations faites en Espagne ; nous l’extrayons en grande partie de la note lue par M. Biot à l’Institut, le 27 juin 1808, quelque temps après son retour de Formentera ; elle montre les soins qu’on doit prendre pour obtenir des résultats exacts. Le pendule est formé par une boule de platine B (fig. 308) suspendue à un fil de métal a ; l’extrémité inférieure du fil est serrée par la vis A′ dans le bouton A d’une calotte sphérique VX ; cette calotte a le même rayon que la boule, et elle est appliquée sur la surface de celle-ci avec un peu de suif, de manière à y adhérer, en vertu de la pression de l’atmosphère et du contact parfait résultant de la sphéricité.

Fig. 308. — Boule de platine du pendule de Borda et du pendule de MM. Arago et Biot.
Fig. 309. — Couteau de suspension du pendule de MM. Arago et Biot.

L’autre bout du fil est attaché à la queue à vis C d’un couteau de suspension (fig. 309), qui repose sur un plan d’agate ab (fig. 310), le pendule oscillant dans le sens perpendiculaire cd. Ce plan de suspension posé sur une plaque
Fig. 310. — Plan de suspension du pendule.
Fig. 311. — Dispositions générales du pendule employé par MM. Arago et Biot.
de fer AA qu’on aperçoit dans la figure 311, qui représente la disposition générale de l’appareil, est rendu bien horizontal par l’emploi d’un petit niveau de verre sans monture et de vis calantes. La plaque AA est supportée par les barres de fer BB qu’on aperçoit en profil dans la figure 312.
Fig. 312. — Barres de support du pendule de MM. Arago et Biot.

On accorde préalablement la masse du couteau, de manière que ses oscillations aient à très-peu près la même durée que celles de l’horloge CD (fig. 311), sur laquelle on se propose de régler le pendule total E. Ce résultat s’obtient par le mouvement d’un petit bouton A (fig. 309) vissé sur la tête du couteau, et qui, en se tournant ou se détournant, s’approche ou s’éloigne du plan de suspension. Quand le synchronisme des oscillations partielles est aussi approché qu’on peut l’obtenir par cette méthode, on suspend au couteau le fil et la boule de platine, en donnant au fil une longueur telle que les oscillations de tout le système diffèrent peu de celles de l’horloge, et par conséquent de celles du couteau seul. Comme le centre de gravité du couteau est extrêmement rapproché du plan de suspension, sa masse n’a, dans les circonstances où fonctionne l’appareil, qu’une influence insensible sur la longueur du pendule.

L’appareil étant ainsi disposé, on établit à sept ou huit mètres de distance une lunette dont l’oculaire porte à son foyer un fil vertical, qu’on dirige sur le fil du pendule pendant l’état de repos, et l’on fixe, dans la même direction, sur la lentille D de l’horloge, aussi en repos, un petit cercle de papier qui sert d’index. Ces préparatifs terminés, on fait marcher l’horloge, et lorsque sa marche est bien assurée, on commence à faire osciller le pendule. La lunette permet de juger l’inégalité des marches du pendule de l’horloge et du pendule simple, et elle augmente la vitesse apparente que prend le fil du pendule par rapport à l’index de la lentille. Les époques des coïncidences peuvent également être constatées avec beaucoup de précision. Entre deux coïncidences consécutives, le pendule gagne ou perd deux oscillations sur l’horloge, et on trouve dès lors, par une simple proportion, combien il y aura d’oscillations perdues ou gagnées par le pendule en un jour solaire moyen. On sait donc combien le pendule fait d’oscillations pendant ce temps. On a une correction à opérer provenant de l’inégalité d’amplitude des arcs parcourus par le pendule ; ces arcs sont connus par l’échelle divisée FF, et le calcul permet de ramener toutes les oscillations à des oscillations de très-petite amplitude.

Tout l’appareil est renfermé dans une cage vitrée, afin d’éviter les mouvements de l’air, et il s’y trouve des thermomètres qui indiquent la température à chaque instant. L’observation du baromètre complète les déterminations nécessaires pour ramener le nombre d’oscillations constaté à ce qu’il serait si l’on pouvait opérer dans le vide.

Il reste à mesurer la longueur du pendule depuis le plan de suspension jusqu’au bas de la boule de platine. Pour cela on dispose à l’avance (fig. 311) sur un support HH un plan métallique G qui peut s’élever ou s’abaisser au moyen d’une vis.

Fig. 313. — Plan métallique destiné à la mesure de la longueur du pendule de MM. Arago et Biot.

On voit ce plan métallique représenté à part en A dans la figure 313 ; il s’élève par la vis D dont les tours et les fractions de tours sont indiqués par le cercle divisé B qui se meut devant une règle verticale également divisée. Les vis ccc servent à attacher ce petit appareil au-dessous du pendule. À l’aide de quelques tâtonnements on parvient à obtenir un contact rigoureux entre le plan métallique et la boule de platine. On doit éviter de soulever cette dernière parce qu’on détruirait l’effort de traction exercé par la boule sur le fil, et que le fil ne reviendrait à sa première position que peu à peu et après un certain temps. On prend pour indice du contact parfait la disparition d’un trait de lumière entre le plan et la boule.

Fig. 314. — Couteau de suspension de la règle destinée à la mesure de la longueur du pendule de MM. Arago et Biot.

Ce résultat étant obtenu, on mesure la distance entre le plan métallique inférieur et le plan de suspension à l’aide d’une règle métallique divisée. À cet effet on adapte un couteau de suspension à l’une des extrémités de la règle. Ce couteau C (fig. 314) est en acier trempé et à tranchant vif ; il faut que la tête de la règle soit aussi en acier trempé, afin que le tranchant du couteau ne puisse y pénétrer, et cependant le contact doit être parfait, afin que la longueur mesurée soit bien exacte. On enfonce la règle dans une gaîne A adaptée à la tête B du couteau, jusqu’à ce qu’elle touche le tranchant de celui-ci, et on la fixe alors à l’aide d’une forte vis de pression E. Afin de m’assurer du contact, non-seulement avant et après la mesure, mais encore quand la règle est suspendue, j’ai fait percer dans la tête du couteau un trou D dirigé perpendiculairement à son axe : on peut ainsi observer facilement si le passage de la lumière est bien intercepté entre le couteau et la règle.

L’autre extrémité de la règle est munie d’une languette qu’on peut faire sortir ou rentrer au moyen d’une vis de rappel. Sur cette languette et sur la règle sont tracées des divisions égales.

La règle étant suspendue à la place du pendule, on fait sortir la languette jusqu’à ce qu’elle vienne se mettre en contact parfait avec le plan métallique inférieur. Lorsqu’on est arrivé à ce résultat, après avoir pris toutes les précautions nécessaires pour que la température de la règle soit celle de la cage, on lit le nombre de divisions dont la languette est sortie. À l’aide d’un comparateur (fig. 315 et 316), instrument imaginé par Lenoir et perfectionné par Fortin, on trouve d’ailleurs la longueur de la règle, la longueur des divisions, et la grandeur de la fraction de division dont la languette est sortie. Pour cela on compare avec des étalons la règle ayant la languette rentrée, la règle ayant la languette sortie d’un nombre entier de divisions, et enfin, à chaque fois, la règle ayant la languette sortie dans l’état exigé pour le contact avec le plan métallique inférieur du pendule.

On sait que le comparateur présente un talon fixe T (fig. 315) et un talon mobile T′. On place l’une des longueurs à comparer entre les deux talons et on produit un contact parfait du talon T′ en faisant avancer la coulisse sur laquelle celui-ci est posé. On serre alors les vis de pression RR, et le talon T′ ayant fait marcher le levier coudé bcb′, on peut voir la coïncidence d’un vernier V placé à l’extrémité de la longue branche du levier, avec les divisions d’une règle DD.

Fig. 315. — Mécanisme du comparateur de Fortin.   Fig. 316. — Vue de la règle posée sur le comparateur de Fortin.

Si alors on enlève la première longueur pour y substituer l’autre, le talon T′ est forcé par un ressort de s’appuyer encore sur l’extrémité de la longueur nouvelle. La marche du vernier, dans un sens ou dans l’autre, indique alors, avec une approximation qui n’est pas moindre qu’un cinq centième de millimètre, la différence des deux longueurs comparées.

Il reste encore à retrancher de la longueur totale trouvée le rayon de la boule de platine, rayon qui peut se calculer d’après le poids de cette boule et la densité connue du platine et que l’on trouve d’ailleurs expérimentalement en plaçant la boule dans un appareil de contact formé de deux plans parallèles dont l’un est fixe et l’autre mobile ; on mesure les mouvements de ce dernier à l’aide d’une vis portant un vernier latéral qui donne les centièmes de millimètre. Enfin il y a lieu de faire des corrections en raison du poids du fil et de celui de la calotte, puis de réduire les observations au niveau de la mer et au vide. Toutes ces opérations s’effectuent par des calculs dans lesquels je n’ai pas à entrer, mon but étant uniquement de faire comprendre l’esprit général des méthodes, tout en signalant les précautions minutieuses auxquelles l’astronome doit s’assujettir.

Le pendule que je viens de décrire est un peu différent de celui de Borda ; pour faire connaître ce dernier, je placerai ici un extrait de la description qu’il en a lui-même donnée. L’appareil est représenté par la figure 317. AB est l’horloge à secondes aux oscillations de laquelle Borda et Cassini, dans la série d’observations qu’ils entreprirent en commun, comparaient le mouvement du pendule ; ce pendule VP tombait un peu en avant de l’horloge, et avait sa suspension à l’extrémité d’un bloc de pierre CDFK posé sur la partie supérieure du mur contre lequel l’appareil était établi.

Fig. 317. — Vue du pendule de Borda.

La boule P du pendule faisait ses oscillations à peu près à la hauteur du centre de la lentille, et on les observait avec la petite lunette O placée à deux mètres de distance. L’horloge et tout l’appareil du pendule étaient renfermés dans une caisse commune qui les mettait à l’abri des mouvements de l’air, et qui avait des panneaux à vitre dans sa partie inférieure pour laisser voir les oscillations.
Fig. 318. — Partie supérieure et partie inférieure du pendule de Borda.

Le pendule de Borda et Cassini était à suspension à couteau. Voici la description de cette monture donnée par les deux astronomes : « AB (fig. 318) est le couteau ; CD une queue inférieure à laquelle le fil est attaché ; EF une pièce montante finissant par une vis ; GH un petit bouton mobile le long de la vis. C’est au moyen de ce bouton, qui servait en partie de contre-poids à la queue inférieure, qu’on réglait le mouvement oscillatoire du couteau, et qu’on parvenait à lui donner la même durée qu’à celui du pendule…

Fig. 319. — Plan de suspension du couteau du pendule de Borda.

« La suspension portait sur un plan d’acier MN (fig. 319) qui était fixé sur une plaque de cuivre IKL, qui tenait elle-même au bloc de pierre CDFK de la figure 317, par trois fortes vis, au moyen desquelles on mettait le plan MN exactement de niveau. Le couteau OP était toujours placé au milieu de l’ouverture ST (fig. 319) lorsqu’on observait les oscillations. Mais lorsqu’on mesurait la longueur du pendule on transportait ce couteau vers T, et on le remplaçait par une règle qui servait à cette mesure et dont on voit la partie supérieure en QR

« Le pendule tombait un peu en avant de l’horloge. On avait collé sur la lentille B un papier à fond noir e, sur lequel étaient tracées deux lignes blanches qui se croisaient, en formant avec l’horizon un angle de 45°. L’horloge étant arrêtée et le pendule étant également au repos, on fixait la lunette O (fig. 317) dans la direction OPe, passant par la croisure des lignes de la lentille et par le fil du pendule, et on plaçait à une petite distance du pendule un écran à fond noir QRS, dont le bord QS était dans une ligne verticale et arrangé de manière qu’il couvrait la moitié de l’épaisseur du fil du pendule : cette disposition étant faite, on mettait le pendule et la lentille en mouvement, et on observait le temps où le fil du pendule et la croisure des lignes de la lentille disparaissaient ensemble derrière l’écran… Entre deux concours successifs, l’un perdait sur l’autre deux oscillations entières…

« Comme la durée des oscillations d’un pendule augmente suivant la grandeur des arcs qu’il décrit et qu’il fallait réduire cette durée à celle des oscillations infiniment petites, on avait le soin d’observer l’amplitude des arcs à l’instant de l’observation de chaque concours, et pour cela on avait placé à une petite distance du pendule une règle MN (fig. 317), qui était divisée en minutes de degré…

« La règle qui servait à mesurer la longueur du pendule était de platine et recouverte d’une autre règle de cuivre (fig. 320).

Fig. 320. — Règle de Borda pour mesurer la longueur du pendule.

Sa partie supérieure était terminée par un T d’acier trempé qui s’engageait dans l’ouverture ST de la figure 319, et servait à faire porter cette règle par le plan MN. La partie du T qui était appliquée contre la tête de la règle, et les surfaces inférieures des deux branches AB et CD, avaient été dressées avec soin sur un marbre, et ne formaient avec la tête de la règle qu’un seul et même plan, de manière que la règle étant en place, sa surface supérieure se trouvait exactement à l’affleurement du plan MN.

« À l’extrémité inférieure de la règle était une languette EF de platine, qui glissait à léger frottement entre les deux coulisses GH et LI également de platine. La languette portait des divisions dont les dixièmes étaient appréciés par le vernier X.

« L’objet de la règle de cuivre qui couvrait celle de platine, était de former avec celle-ci un thermomètre métallique qui, par la différence de dilatation des deux métaux, servait à faire connaître à chaque instant la quantité absolue dont la règle de platine était dilatée. L’extrémité supérieure de la règle de cuivre était fixée par trois vis un peu au-dessous du T d’acier, et son extrémité inférieure, qui était libre, avait une ouverture rectangulaire PR dans laquelle entrait une pièce ST fixée sur le platine ; cette pièce ST portait les divisions du thermomètre métallique dont les subdivisions étaient mesurées par le vernier U ; celui-ci devait s’avancer sur les divisions de ST de toute la quantité dont le cuivre se dilatait plus que le platine.

« Les deux verniers U et X étaient observés à l’aide des microscopes F que montre la figure.

« La pièce IHL (fig. 317 et 318) qui était fixée sur une pierre en saillie maçonnée dans le mur et placée un peu au-dessous de la boule du pendule, était composée d’un petit plan de cuivre JH, bien dressé et placé horizontalement, qu’on pouvait élever et abaisser à volonté au moyen d’une vis dont les pas étaient très-fins. Lorsque, après avoir achevé une observation, on voulait mesurer la longueur du pendule, on commençait par le mettre au repos ; on élevait le petit plan de cuivre jusqu’à ce qu’il vînt à toucher la partie inférieure de la boule ; ce qui s’observait avec une grande précision, à cause de la lenteur du rappel ; ensuite, écartant le pendule de la verticale, et déplaçant le couteau de suspension, il ne restait plus qu’à se servir de la règle pour mesurer la distance depuis le petit plan IH jusqu’au plan supérieur qui portait le couteau.

« Pour cela on transportait cette règle de la position OP (fig. 319) qu’elle avait pendant le temps du mouvement du pendule, jusqu’au milieu de l’ouverture ST où était auparavant le couteau de suspension, et alors la règle ayant pris la place du pendule, sa languette tombait sur le petit plan IH, et marquait par sa division la longueur de ce pendule depuis le point de suspension jusqu’au-dessous de la boule. »

Maintenant que le lecteur a sous les yeux la description de l’appareil de Borda et des perfectionnements qu’on lui a donnés, il nous reste à exposer les résultats obtenus dans les deux hémisphères sous les latitudes les plus diverses, près de l’équateur et jusque vers les deux pôles. Les voyages maritimes des capitaines Sabine, Freycinet et Duperrey sont venus compléter heureusement les expériences entreprises en Europe par les astronomes. En rassemblant les diverses observations qui offrent le plus de garanties d’exactitude, on forme le tableau suivant :

Noms
des lieux d’observation.
Latitudes
boréales.
Longueurs observées
du pendule
battant la seconde,
réduites au vide
et au niveau de la mer.
Noms
des observateurs.
  mill.      
Spitzberg 
79° 49 58 996,036 Sabine.
Groenland 
74 32 19 995,746 Sabine.
Hammerfest 
70 40  5 995,531 Sabine.
Drontheim 
63 25 54 995,013 Sabine.
Unst 
60 45 25 994,946 Biot.
Portsoy 
57 40 59 994,691 Kater.
Fort de Leith 
55 58 37 994,531 Biot.
Clifton 
53 27 43 994,302 Kater.
Arbury-Hill 
52 16 55 994,227 Kater.
Londres 
51 31  8 994,123 Kater.
Dunkerque 
51  2 10 994,080 Biot, Mathieu.
Shanklin-Farm 
50 37 24 994,047 Kater.
Paris 
48 50 14 993,900 Biot, Borda, Cas­sini, Bouvard, Mathieu.
Clermont-Ferrand 
45 46 48 993,582 Biot, Mathieu.
Milan 
45 28  1 993,548 Biot, Éd. Biot.
Padoue 
45 24  3 993,607 Biot, Éd. Biot.
Fiume 
45 19  0 993,584 Biot, Éd. Biot.
Bordeaux 
44 50 26 993,453 Biot, Mathieu.
Figeac 
44 36 45 993,458 Biot, Mathieu.
Toulon 
43  7 20 993,365 Duperrey.
Barcelone 
41 23 15 993,232 Biot, Éd. Biot.
New-York 
40 42 43 993,159 Sabine.
Formentera 
38 39 36 993,070 Arago, Biot, Chaix.
Lipari 
38 28 37 993,079 Biot, Éd. Biot
Ile Mowi 
20 50  7 991,775 Freycinet.
Jamaïque 
17 56  7 991,472 Sabine.
Ile Guam 
13 27 51 991,455 Freycinet
Trinité 
10 38 56 991,064 Sabine.
Sierra-Leone 
 8 29 28 991,107 Sabine.
Saint-Thomas 
 0 24 41 991,111 Sabine.
Rawak 
 0  1 34 990,947 Freycinet.
Maranham 
 2 31 43 990,897 Sabine.
L’Ascension 
 7 55 48 991,196 Sabine.
Bahia 
12 59 21 991,220 Sabine.
Ile de France 
20  9 40 991,771 Freycinet.
Rio-Janeiro 
22 55 13 991,696 Freycinet.
Paramata 
33 48 42 992,535 Brisbane.
Port Jackson 
33 51 34 992,615 Freycinet.
Port Jackson 
33 51 40 992,578 Duperrey.
Le Cap 
33 55 15 992,578 Freycinet.
Malouines 
51 31 44 994,115 Duperrey.
Malouines 
51 35 18 994,055 Freycinet.

Dans ce tableau, les observations ont été réduites au niveau de la mer, en admettant que la correction à effectuer est proportionnelle au carré de la distance au centre de la Terre. Cette correction pour tous les lieux précédents est presque insensible, à cause de la petitesse de leurs hauteurs par rapport à la grandeur du rayon de la Terre, comme on peut le voir d’après les exemples que voici :

Lieux
des observations.
Hauteurs
des stations
au-dessus
du niveau moyen
de la mer.
Longueur
du pendule
observée à
la station.
Longueur
du pendule
réduite au
niveau de la mer.
  m. mill. mill.
Dunkerque 
4,05 994,079137 994,080382
Salle de la méridienne de l’Observ. de Paris 
70,25 993,844842 993,866780
Milan 
150,08 993,500800 993,547642
Formentera 
202,20 993,006385 993,069660
Clermont-Ferrand 
406,00 993,455560 953,582277

La correction ne porte que sur les centièmes de millimètre pour les localités moins élevées que 200 mètres ; et pour les lieux dont l’altitude est de 400 mètres, elle ne dépasse guère un dixième de millimètre.

La comparaison des observations démontre que la Terre n’affecte pas exactement la forme elliptique, même en ne considérant que la surface moyenne qui serait produite par la substitution de la mer aux continents solides. Nous reviendrons sur ce sujet dans les chapitres suivants. Au fond, et pour la question qui nous occupe, la différence est peu considérable, et on peut admettre, comme une loi qui ne donne pas des résultats très-éloignés de ceux qui sont fournis par les expériences, que la longueur du pendule varie entre des lieux peu éloignés proportionnellement au carré de la latitude, ainsi que cela résulte de l’hypothèse d’un ellipsoïde parfait pour représenter le globe terrestre. On trouve alors, en combinant entre elles toutes les observations et en réduisant à un parallèle commun celles qui se rapprochent par la latitude, les nombres suivants :

  Longueurs calculées
du pendule
réduites au vide et
au niveau de la mer.
  mill.
Au pôle 
996,189
Paris (48° 50′ 14″
993,900
À la latitude de 45° 
993,520
À l’équateur 
991,027

L’intensité elle-même de la pesanteur est liée en un lieu donné avec la longueur du pendule qui bat la seconde par une formule très-simple. De l’ensemble de toutes les recherches entreprises pour déterminer la longueur du pendule à Paris, on déduit que 9m,8088 y est la mesure de l’intensité de la pesanteur, c’est-à-dire qu’un corps qui, à Paris, tombe dans le vide pendant une seconde, acquiert une telle vitesse que, si la pesanteur cessait d’agir sur lui, il parcourrait 9m,8088 dans toutes les secondes suivantes de la durée de sa chute. Ce résultat signifie aussi qu’un corps qui se meut dans le vide à Paris, en partant du repos, parcourt 4m,9044 pendant la première seconde de sa chute. D’après cela et parce que l’intensité de la pesanteur est proportionnelle à la longueur du pendule qui bat la seconde, on a le tableau suivant pour représenter la variation de la pesanteur à la surface de la Terre :

  Vitesses des corps
tombant en divers lieux,
la vitesse à Paris
étant 9m,8088.
Pesanteurs
en divers lieux,
la pesanteur à Paris
étant 1.
  m.  
Au pôle 
9,8314 1,0023
À Paris 
9,8088 1,0000
À la latitude de 45° 
9,8049 0,9996
À l’équateur 
9,7803 0,9971

En se servant des nombres donnés pour les longueurs du pendule simple, on calculera maintenant sans difficulté l’intensité de la pesanteur en chaque lieu, par de simples proportions.