Aller au contenu

Attila (Corneille)/Notice

La bibliothèque libre.
Œuvres de P. Corneille, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxHachettetome VII (p. 99-102).
Au lecteur  ►

NOTICE.

« Attila, dit Voltaire au commencement de la Préface qu’il a placée en tête de cette pièce, parut malheureusement la même année qu’Andromaque. La comparaison ne contribua pas à faire remonter Corneille à ce haut point die gloire où il s’était élevé : il baissait, et Racine s’élevait. » Tout en reconnaissant la justesse de ces réflexions un peu banales, on ne doit pas oublier qu’Andromaque ne fut jouée que huit mois après Attila, et ne put par conséquent entraver en rien le succès de cet ouvrage. Ce fut à la troupe de Molière, établie au Palais-Royal, que Corneille le confia. On lit dans le registre de Lagrange, sous la date du 4 mars 1667 : « Attila, pièce nouvelle de M. Corneille l’aîné, pour laquelle on lui donna deux mille livres, prix fait. »

Robinet racontant dans une Lettre en vers à Madame, du 13 mars 1667, une noce somptueuse, ajoute :

Mais parlons un peu d’Attila ;
Car ce fut cette pièce-là
Qui servit à ce grand régale
. . . . . . . . .
Cette dernière des merveilles
De l’aîné des fameux Corneilles
Est un poëme sérieux,
Où cet auteur si glorieux,
Avecque son style énergique,
Des plus propres pour le tragique,
Nous peint, en peignant Attila,
Tout à fait bien ce règne-là,
Et de telle façon s’explique
En matière de politique,

Qu’il semble avoir, en bonne foi,
Été grand ministre ou grand roi.
Tel enfin est ce grand ouvrage
Qu’il ne se sent point de son âge,
Et que d’un roi des plus mal né
D’un héros qui saigne du nez,
Il a fait, malgré les critiques,
Le plus beau de ses dramatiques.
Mais on peut dire aussi cela
Qu’après lui le même Attila
Est, par le sieur la Thorillère,
Représenté d’une manière
Qu’il donne l’âme à ce tableau
Qu’en a fait son parlant pinceau.
Toute la compagnie au reste(La troupe du Roi, au
Ses beaux talents y manifeste,Palais-Royal.)
Et chacun selon son emploi
Se montre digne d’être au Roi.
Bref les acteurs et les actrices
De plus d’un sens font les délices
Par leurs attraits, et leurs habits,
Qui ne sont pas d’un petit prix ;
Et mêmes une confidente(Mlle Molière[1].)
N’y paroît pas la moins charmante,
Et maint, le cas est évident,
Voudroit en être confident.
Sur cet avis, qui vaut l’affiche,
Voyez demain si je vous triche.

La Thorillière père, d’après ce qu’on sait de son genre de talent[2], était loin de posséder l’énergie sauvage qui eût été nécessaire pour remplir dignement le rôle d’Attila ; toutefois, un des plus grands admirateurs de Corneille, Saint-Évremont, raisonnant à ce sujet de la façon la plus surprenante, s’applaudissait de ce que son poëte de prédilection avait rencontré un aussi médiocre interprète. Il écrivait à M. de Lyonne : « À peine ai-je eu le loisir de jeter les yeux sur Andromaque et sur Attila ; cependant il me paraît qqu’Andromaque a bien l’air des belles choses… Vous avez raison de dire que cette pièce est déchue par la mort de Montfleury ; car elle avoit besoin de grands comédiens pour remplir, par l’action, ce qui lui manque. Attila, au contraire, a dû gagner quelque chose à la mort de cet acteur ; un grand comédien eût trop poussé un rôle assez plein de lui-même, et eût fait faire trop d’impression à sa férocité sur les âmes tendres. »

Le registre de Lagrange constate que la pièce eut vingt représentations consécutives et trois autres encore dans la même année : c’était, pour le temps, un véritable succès. Cela n’empêcha point Boileau de faire cette épigramme si connue, si facile à retenir :

Après l’Agésilas,
Hélas !
Mais après l’Attila,
Holà !

qui est devenue dans la bouche de bien des amateurs, et même de beaucoup de critiques, une réponse sans réplique, une de ces fins de non-recevoir aussi décisives que le Tarte à la Crème du marquis dans la Critique de l’École des femmes.

Les faiseurs d’ana, qui aiment à exagérer les distractions et la naïveté des hommes de génie, prétendent que ces vers ne blessèrent nullement l’amour-propre, pourtant fort susceptible, du poëte contre lequel ils étaient dirigés. « Corneille s’y méprit lui-même, dit Monchesnay[3], et les tourna à son avantage, comme si l’auteur avoit voulu dire que la première de ces pièces excitoit parfaitement la pitié, et que l’autre étoit le non plus ultra de la tragédie. »

On comprendrait mieux que Corneille eût effectivement pris le change sur le passage suivant de la neuvième satire, où la critique est plus indirecte et mieux déguisée :

Tous les jours à la cour un sot de qualité
Peut juger de travers avec impunité ;
À Malherbe, à Racan, préférer Théophile,
Et le clinquant du Tasse à tout l’or de Virgile.
Un clerc, pour quinze sous, sans craindre le holà,
Peut aller au parterre attaquer Attila,

Et si le roi des Huns ne lui charme l’oreille,
Traiter de Visigoths tous les vers de Corneille.

Ce dernier vers nous indique, si je ne me trompe, un point qui choquait tout particulièrement Boileau dans Attila : je veux dire le choix des noms propres, choix si important à ses yeux et au sujet duquel il disait quelque temps après dans l’Art poétique (chant III, vers 243 et 244) :
D’un seul nom quelquefois le son dur ou bizarre
Rend un poëme entier ou burlesque ou barbare ;
et Voltaire était bien du même avis lorsqu’il écrivait dans la Préface que nous avons déjà citée : « Corneille, dans sa tragédie d’Attila, fait paraître Hildione, une princesse sœur d’un prétendu roi de France ; elle s’appelait Hildecone à la preemière représentation ; on changea ensuite ce nom ridicule[4]. » Qu’eût-ce été si Corneille, au lieu d’adopter à peu près, en le francisant, le nom d’Ildico, qui lui était donné par Priscus et Jornandès[5], eût connu les traditions du Nord et choisi les formes plus pures de Hiltgund, Hiltegunt, « Hildegonde, » qu’elles nous ont conservées[6] ?

Le privilège d’Attila avait été accordé à Guillaume de Luyne « le 25e jour de novembre 1666, » ce qui fait penser qu’à cette époque cette pièce était déjà composée. L’Achevé d’imprimer est du « vingtième novembre 1667, » et néanmoins, suivant un usage aujourd’hui général dans la librairie, et qui, on le voit, était déjà suivi dès cette époque, le frontispice de l’édition originale porte la date de 1668.

Le titre de l’ouvrage est ainsi conçu : Attila, roy des Hvns, tragédie par P. Corneille. À Paris, Guillaume de Luyne, Libraire Iuré, au Palais. M.DC.LXVIII. Le volume, de format in-12, se composse de 4 feuillets et de 78 pages. Le libraire de Luyne avait fait part de son privilège à Thomas Jolly et à Billaine. Nous avons sous les yeux un exemplaire dont le titre, à l’adresse de Jolly, porte T. (au lieu de P.) Corneille.


  1. C’est-à-dire Armande Béjart, femme de Molière, qui remplissait le rôle de Flavie.
  2. Voyez le Mazurier, Galerie historique du théâtre français, tome I, p. 543
  3. Bolæana, 1742, in-12, p. 40 et 41.
  4. Préface d’Attila, p. 7 et 8. Le nom est Ildione dans Corneille.
  5. Voyez Jornandès, de Getarnm origine et rebus gestis, chapitre xlix. Jornandès s’appuie sur l’autorité de Priscus.
  6. Voyez Histoire d’Attila… par M. Amédée Thierry, 1856, tome 1, p. 226, et tome II, p. 307 et suivantes.