Au Canada et chez les Peaux-Rouges/Québec

La bibliothèque libre.
Librairie Hachette et Cie (p. 33-50).


III

québec


Québec. — Légende du Chien d’Or. — L’université Laval. — Le Parlement provincial. — La brigade du feu. — Les travaux du port. — Origine de la presse canadienne française. — Tant pis, tant mieux. — Les journaux français de Québec et leur histoire.


L’ancienne capitale du Canada est bâtie dans un site des plus pittoresques. Lorsque, remontant le Saint-Laurent, on dépasse l’extrémité sud de l’île d’Orléans, on voit se dresser tout à coup un rocher à pic qui s’avance dans le fleuve en forme de bec, dominant au loin la plaine et l’onde. C’est sur ce rocher que s’élèvent la ville haute de Québec et sa citadelle, longtemps considérée comme la plus forte de l’Amérique du Nord. Aujourd’hui ses remparts ne sont plus guère ornés que de pièces de canon destinées aux saluts. L’esprit guerrier a cessé d’habiter dans ces parages témoins de tant d’actes héroïques. Il n’y a plus à Québec, pour garnison, qu’un détachement et une école d’artillerie, la milice n’étant appelée sous les drapeaux qu’à de rares intervalles.

Quelques auteurs ont prétendu que l’origine du nom de Québec provenait de l’exclamation poussée par un matelot qui, découvrant le promontoire où s’élève aujourd’hui la capitale du Bas-Canada, se serait écrié : Quel bec ! (dans le sens de quel cap !).

Mais la plupart des historiens, et notamment Ferland, donnent à ce mot une origine sauvage. En effet, dans les dialectes algonquins, Kebec signifie rétrécissement d’une rivière, passage étroit. Or telle est justement la situation du Saint-Laurent qui se trouve resserré, à la hauteur de Québec, entre deux côtes élevées. Cette dernière étymologie paraît être la plus vraisemblable.

Du haut de la citadelle et de la belle terrasse de Frontenac, laquelle s’élève à 150 pieds au-dessus du fleuve, se déroule un magnifique panorama sur la cité même, le port avec sa forêt de mâts, les hauteurs de Lévis, le Saint-Laurent, en amont et en aval de la ville, la chaîne des Laurentides, l’île d’Orléans et ses verdoyants ombrages si recherchés des Québecquois pendant la belle saison. C’est le rendez-vous général des promeneurs, le vrai boulevard de Québec, qui, pour n’avoir qu’un vaste plancher en bois, n’en est pas moins très fréquenté. C’est là que se dresse le monument élevé le 8 septembre 1828 à la double mémoire de Montcalm et de Wolfe, les deux héroïques adversaires que la mort a recouverts du même linceul dans les plaines d’Abraham. Les restes de Montcalm sont déposés dans l’église des Ursulines, à Québec. Quant à Wolfe, il est inhumé dans l’église paroissiale de Greenwich, en Angleterre, et non, comme on le croit généralement, dans l’abhaye de Westminster.

De la ville basse on accède à la partie haute de la cité au moyen d’un élévateur ou par des rampes très accentuées que de vigoureux petits chevaux montent et descendent d’une allure aussi rapide qu’assurée. La ville haute remonte à la fondation de Québec. C’est là surtout que se rencontrent, avec leurs trottoirs en bois, les rues tortueuses où l’on enfonce dans la boue à la mauvaise saison et où un étranger, et même un citadin, à peine à se reconnaître le soir, à la faible lueur des rares becs de gaz. C’est aussi le centre des vieux souvenirs, des monuments et des institutions publiques et politiques.

Au nombre de ces vieux souvenirs se trouve la légende du Chien d’Or. À deux pas de la terrasse de Frontenac, se dressait naguère une vieille maison dont le fronton portait une énorme plaque de marbre entourée d’un encadrement et d’une tablette. Sur la plaque, un chien assis, rongeant un os, avec cette inscription :

Je suis un chien qui ronge l’os ;
En le rongeant je prends mon repos ;
Un temps viendra qui n’est pas venu
Que je mordrai qui m’aura mordu.
1736

D’après une tradition populaire, M. Philibert, propriétaire de cette maison, aurait été assassiné par M. de Repentigny, et sa veuve aurait fait placer sur la porte ce bas-relief avec cette inscription pour exciter son fils à la vengeance. Le fils aurait assouvi cette vengeance en tuant en duel M. Repentigny. Mais cette légende est devenue fort énigmatique à la suite de recherches faites par M. Viger. Il résulte de ces recherches que Philibert fut bien tué en duel par M. Repentigny, mais en 1748 seulement et, qu’avant de mourir, il aurait pardonné à son meurtrier. Quant à celui-ci, il servait à Sainte-Foye, sous le chevalier de Lévis, en 1760, et n’aurait jamais été tué en duel. Que signifie donc l’inscription ?

Lors de la démolition de la maison, sur l’emplacement de laquelle s’élève aujourd’hui le bureau de la poste, la plaque de marbre seule a été conservée et replacée sur le nouveau bâtiment.

Cette inscription a donné naissance à une charmante légende qui est un hommage rendu aux ancêtres des Canadiens-Français, hommage d’autant plus sincère que son auteur, M. Kirby, était un ennemi de leur race et ne partageait nullement leurs croyances.

Tout près de la poste se dresse l’église cathédrale dont la plus grande curiosité est le trésor, qui est fort riche et qui, au temps de la domination française, a reçu à plusieurs reprises des dons royaux.

L’énorme bâtiment qui touche à la cathédrale est l’université Laval, qui tire son nom de Mgr de Montmorency-Laval, premier vicaire apostolique et évêque au Canada, fondateur du séminaire de Québec, un des prélats les plus éminents de l’Église canadienne. L’université, qui occupe une étendue de terrain de 15 arpents, a un aspect tout à fait monacal, par l’ensemble de sa construction, par ses cloîtres, ses salles vastes et profondes, et ses immenses couloirs qui semblent ne pas avoir de fin et dans lesquels il est loisible de s’égarer. Sa fondation remonte à 1852 et, depuis 1876, elle a une succursale à Montréal. Elle possède quatre facultés qui sont : les facultés de théologie, de droit, de médecine et des arts ; cette dernière se subdivise en deux sections : lettres et sciences. Les études sont très fortes et l’université jouit dans tout le Canada d’une grande réputation. Elle compte, dans ses deux établissements, 78 professeurs, et la moyenne annuelle des étudiants suivant les cours est de 600. Parmi les collections se trouvent une galerie de peinture, encore modeste, des musées fort nombreux se rapportant à la minéralogie, la botanique, la zoologie, etc. Dans la section ethnologique, on remarque surtout une foule d’objets à l’usage des tribus sauvages, soit comme ustensiles d’intérieur, soit comme instruments de chasse et de guerre. Un grand nombre de ces souvenirs d’un autre âge ont été extraits des tombeaux des Hurons. La bibliothèque renferme 77,000 volumes et contient une collection considérable et fort appréciée d’ouvrages relatifs à l’histoire de l’Amérique et particulièrement du Canada.

L’instruction publique est fort répandue dans la province de Québec. On y compte en effet plus de 5,000 institutions d’enseignement, parmi lesquelles on remarque 4 universités, 3 écoles normales, 18 écoles spéciales et 4,400 écoles élémentaires. Le nombre des élèves était, en 1883, de 245,000, soit un élève par cinq habitants et demi. Dans les derniers temps de la domination française les bibliothèques comptaient environ 60,000 volumes, soit un volume par habitant.

À l’autre extrémité de la ville, en dehors de l’ancienne enceinte fortifiée et dans un quartier neuf orné d’élégantes habitations, s’élève le vaste édifice quadrangulaire du Parlement nouvellement reconstruit. Ce grand bâtiment, qui de loin ressemble à une forteresse, fut incendié en 1883. Les ministères de la province et les services publics sont groupés sous le même toit, à la portée du lieutenant gouverneur et des membres du Parlement provincial, lorsqu’ils sont en session. La bibliothèque du Parlement, qui était autrefois fort belle, a beaucoup souffert lors de l’incendie, et son distingué conservateur, M. P. Lemay, aura fort à faire pour la remettre sur son ancien pied.

Tout respire, dans ce palais, la nationalité française ; tout le monde, depuis le premier magistrat de la province jusqu’au dernier homme de peine, fait usage, d’une façon constante de la langue française, et si les publications officielles sont faites dans les deux langues, les débats du Parlement ont presque toujours lieu en français. Dans la grande salle des séances de l’Assemblée législative, sur les murs encore à peine séchés, on voit l’écusson aux fleurs de lys faire pendant au lion britannique. Montjoye Saint-Denis se trouve sur le même pied que Dieu et mon droit, remarquable exemple du loyalisme pratiqué vis-à-vis de l’Angleterre, en même temps que du profond attachement porté aux institutions de la vieille France !

La province de Québec est à la fois le berceau et la forteresse de la race française, car sur une population de 1,359,027 habitants, que donne le recensement de 1881 il n’y a pas moins de 1,073,820 Français, et le nombre total des Canadiens-Français ne s’élève dans toute la Puissance qu’à 1,298,929, chiffre aujourd’hui bien dépassé.

Le Parlement de la province de Québec comprend un conseil législatif de 24 membres nommés à vie par le gouverneur général en conseil et une assemblée législative de 65 membres élus tous les cinq ans.[1] Dans tous les Parlements canadiens, les membres se divisent en Anglais et Français, si on considère seulement la question de race, et en conservateurs et libéraux si on se place au point de vue politique pur, le plus important de tous et presque toujours le seul à considérer depuis que les deux races exercent une espèce de condominium.

Le Conseil législatif renferme une majorité française très considérable. Il en est de même de l’Assemblée législative. Au point de vue de la représentation des races, un accord tacite est intervenu entre Français et Anglais, lors de la formation de la Confédération de 1867, pour répartir les sièges selon la prédominance de l’un ou de l’autre élément dans chaque comté. Bien que l’élément français ait sensiblement gagné en nombre depuis cette époque, cet accord tacite subsiste toujours et il s’ensuit que des députés de race anglaise représentent encore des comtés où la majorité de la population est devenue française. L’élément français pourrait facilement revendiquer ce qui lui revient en droit, et, s’il ne le fait pas, c’est sans doute pour qu’on use de réciprocité à son égard dans les provinces de l’ouest où la nationalité anglaise a pris le dessus à la suite d’une émigration aussi considérable que rapide.

Le palais du Parlement touche presque aux extrémités de la basse ville ; mais pour se rendre dans cette dernière il faut descendre un grand escalier en fer de plus de 120 marches, ou suivre les rampes qui passent au pied des anciens remparts conservés entre la vieille ville et la cité agrandie. Si celle-là est aujourd’hui le quartier général des Anglais de Québec, qui sont du reste peu nombreux, car sur 62,446 habitants on ne compte que 14,344 Anglo-Saxons, dont 10,224 sont Irlandais celle-ci, au contraire, est le quartier français par excellence. Ce fut chose facile à constater lorsque les délégués français, conduits par le maire, les représentants du conseil de ville et les membres du comité de réception vinrent en corps visiter les principaux établissements industriels. Le faubourg Saint-Roch, la belle rue Saint-Joseph, les plus importantes artères commerciales étaient magnifiquement pavoisées de drapeaux, presque uniquement tricolores et une foule sympathique saluait les délégués à leur entrée et à leur sortie des magasins. Le grand établissement de fourrures de M. J.-B. Laliberté, le plus considérable de toute l’Amérique, attira tout particulièrement l’attention par la richesse de ses pelleteries dont il est fait un trafic considérable. On peut bien dire sans exagération que tous les animaux à fourrure y ont quelques-unes de leurs toisons à l’étalage, depuis le chat sauvage, dont on emploie 20,000 peaux par an, jusqu’à la marte d’Alaska, au buffle, au renard blanc, noir ou argenté qui sont si rares et si recherchés des amateurs. M. Laliberté emploie près de 300 personnes dans son établissement même, sans compter les ouvriers du dehors, qui, comme les Hurons, de Lorette, ont la spécialité de fabriquer les curiosités d’origine indienne : raquettes, traînes ou toboggans, pour les glissades sur la neige, bibelots de tout genre en écorce de bouleau cousus avec des poils d’orignal teints de diverses couleurs. Du belvédère de la maison, la plus haute de tout le quartier, on jouit d’un magnifique panorama sur la ville basse et le port.

Un autre établissement, dont la visite ne passa point inaperçue, fut la manufacture de chaussures de M. G. Bresse. Tous les employés, groupés pour la circonstance, portaient à la boutonnière une cocarde tricolore, et les grands ateliers étaient si bien décorés, qu’une bonne partie de l’édifice, au dedans comme au dehors, disparaissait pour ainsi dire sous les plis des couleurs de France. Québec est le centre d’une grande fabrication de chaussures et plusieurs milliers d’ouvriers de cette ville y sont constamment employés. Le Canada, sous ce rapport, a beaucoup à lutter contre la concurrence des États-Unis, mais son industrie se développe sans cesse. La moitié des exportations de chaussures du Dominion est à destination de Terre-Neuve, qui ne fait point partie de la Confédération.

Entre deux visites d’ateliers avait eu lieu une sonnerie de la brigade du feu exécutée spécialement pour les délégués. Dans toutes les villes d’Amérique le service des pompiers est organisé d’une façon admirable ; les postes sont multipliés et, quelques instants après le signal donné, personnel et matériel sont rendus sur le théâtre du danger. Lorsque le signal avertisseur est mis en mouvement, un carillon retentit dans le poste de pompiers. Les hommes de service, étendus tout habillés sur leurs lits, sont réveillés par une bruyante sonnerie. Par un jeu automatique de ressorts, les portes des stalles, où sont enfermés les chevaux, s’ouvrent aussitôt et les chevaux, qui ont été dressés à cet exercice, viennent se placer d’eux-mêmes sous les harnais suspendus au plafond. En un tour de main les attelages sont prêts et dirigés vers le lieu du sinistre.

Sur l’invitation du maire de Québec, l’avertisseur est mis en mouvement. Au bout d’une minute, accourt, au triple galop et en sonnant de la cloche, un char portant une échelle de secours qui se dresse automatiquement. En une minute et demie, la première pompe est rendue sur les lieux du sinistre présumé, et, une demi-minute après, le tuyau, le boyau, pour employer l’expression locale, est déroulé et vissé à la bouche d’eau la plus voisine. Quelques secondes après, un puissant jet d’eau en sort et s’élève à une hauteur de 90 pieds. Une deuxième pompe arrive deux minutes après le signal donné et se place aussi rapidement. Enfin, au bout de quatre minutes, une puissante pompe à vapeur vient prendre place à son tour, et une demi-minute après, sa colonne d’eau, qui ne s’élève pas à moins de 420 pieds, presque la hauteur de la terrasse de Frontenac, inonde complètement le clocher de l’église Saint-Roch qui sert d’objectif. Pendant que les machines se mettent en position, un pompier gravit l’échelle roulante, qui atteint la hauteur d’un quatrième étage, et, muni d’un réservoir portatif, arrose avec sa lance tout ce qui se trouve à sa portée.

Dans un pays où beaucoup de maisons sont en bois, ainsi que la plupart des trottoirs, on comprend sans peine l’importance que les Américains attachent au service du feu.

Après les exercices de la brigade du feu, les délégués se rendent au nouveau port. La commission du havre a mis à leur disposition son vapeur de service afin de visiter tous les grands travaux destinés à transformer Québec en un port de premier ordre pourvu de tous les aménagements réclamés depuis longtemps par le commerce de cette ville. La vieille cité de Champlain assise, comme Anvers, sur les bords d’un fleuve magnifique accessible pour les navires du plus fort tonnage, ne possédait jusqu’ici que quelques quais situés au pied du rocher de la citadelle. Ces quais, privés pour l’avenir de tout développement possible par le fait même de leur situation, ne correspondaient plus aux besoins du trafic actuel. En outre, construits le long du fleuve même, sans bassin d’abri et de garage, ils laissaient les navires, qui venaient accoster, exposés aux courants violents qui accompagnent chaque jour le mouvement de hausse et de baisse de la marée. La différence d’étiage produite par la marée est, en moyenne, d’environ 7 mètres.

Afin de parer aux inconvénients de cette nature, on résolut de déplacer le centre maritime de Québec et de le reporter à l’embouchure de la rivière Saint-Charles, c’est-à-dire à proximité des établissements de commerce des grands faubourgs et dans une anse présentant, pour les navires, des avantages nautiques bien supérieurs à ceux de l’ancien port.

C’est dans cet estuaire que l’on construit le nouveau havre. L’un des bassins situé dans le port intérieur, aura 415 mètres du long. Ce premier bassin restera ouvert sur l’un de ses côtés et soumis à toutes les influences de la marée. Un autre bassin, attenant au précédent et beaucoup plus considérable, aura un développement de quais de 2,000 mètres et une superficie de 61,415 mètres. Ce sera un bassin à flot où 15 navires du plus fort tonnage pourront être amarrés en même temps le long des quais. La profondeur originelle, qui n’était, à marée basse, que de 4 à 5 mètres, va être portée à 8 et 9 mètres à l’aide de grandes dragues perfectionnées qui, en un seul tour, enlèvent un poids de terre de 2,500 kilos. Les travaux ne sont pas encore terminés que déjà les hangars, élévateurs, gares, commencent à apparaître de tous côtés. Il va sans dire que les lignes de chemin de fer ont leur débouché sur toutes les faces des nouveaux quais.

Les travaux, commencés en 1877, devaient être terminés en 1880 ; mais les entrepreneurs, qui ont rencontré, il est vrai, de grands obstacles d’exécution, n’ont pu remplir les conditions énoncées au cahier des charges. Néanmoins, on pensait, au moment de notre visite, que l’achèvement des travaux pourrait avoir lieu en 1886. La dépense totale s’élevait, au commencement de 1885 à 1,182,000 piastres, et les ingénieurs estimaient alors à 500,000 piastres le montant de la somme jugée nécessaire pour mener à bonne fin l’œuvre commencée.

Mais ces travaux n’eussent pas été complets sans la construction d’un bassin de radoub permettant de réparer les bateaux en toute circonstance. Cette création était d’autant plus indispensable qu’aucune installation de ce genre n’existe encore au Canada. C’est sur la rive droite du Saint-Laurent, à Saint-Joseph-de-Lévis, qu’on a entrepris de creuser dans le roc vif un bassin de 180 mètres de longueur sur 33 de largeur et 8m,75 c de profondeur sur le seuil. Mais, à la suite d’infiltrations qui se sont produites aux cours des travaux et qui ont singulièrement dérangé les prévisions des ingénieurs de Londres, la longueur du bassin a dû être réduite à plusieurs reprises et ramenée, en fin de compte, à 165 mètres. Cette longueur est à peine suffisante, car les paquebots, les plus grands il est vrai, atteignent déjà une longueur de 155 à 160 mètres, et peut-être ces dimensions grandiront-elles encore. Les travaux commencés en 1878 auront demandé 8 années. Les sommes dépensées jusqu’au commencement de 1885 pour le bassin de radoub étaient de 634,000 piastres, et 50,000 autres étaient encore jugées nécessaires par les ingénieurs. C’est donc une somme de 2,366,000 piastres — près de 12 millions de francs — qui aura été dépensée pour l’amélioration du port de Québec. Grâce à ces magnifiques agrandissements coïncidant avec l’ouverture du chemin de fer du Pacifique, la vieille cité canadienne retrouvera sans doute un peu de cette animation commerciale qui faisait mine de vouloir l’abandonner au profit de concurrents mieux outillés.

La navigation du Saint-Laurent ne dure que sept mois, de la fin d’avril à la fin de novembre en général, car, pendant l’hiver, le fleuve est bloqué par les glaces.

Sous la conduite des membres de la commission du havre, les délégués français s’embarquent sur le Pilote pour visiter les travaux en cours. En entrant dans le bassin « Louise », ils se voient salués par les sifflets stridents de tous les chalands, dragues et grues à vapeur. C’est, pendant cinq minutes, une cacophonie épouvantable, laissant bien loin derrière elle toutes les symphonies les plus burlesques, où dominent les notes les plus aiguës et les plus rauques. Le Pilote, après avoir promené les délégués au milieu de tous les travaux, remonte le Saint-Laurent en amont de la ville jusqu’au cap Rouge, entre deux rives verdoyantes et boisées, redescend à Saint-Joseph-de-Lévis, accoste au bassin de radoub ; puis, reprenant sa route, passe devant la magnifique cascade de Montmorency et débarque ses passagers à la pointe de l’île d’Orléans, dans un charmant cadre de verdure. Là, les délégués sont acclamés une fois de plus par la foule, et pénètrent dans le château de Bel-Air, tout pavoisé de drapeaux en leur honneur, et orné d’inscriptions : BienvenueJacques CartierChamplainCarillonFrance et Canada, afin d’assister au banquet monstre qui leur est offert. Le menu ne compte pas moins de 32 plats de résistance, sans compter les assaisonnements et les sauces. Le canard sauvage à la Huronne alterne avec le bœuf sauté à la Délégué et le filet sauce aux Sorciers avec le pudding Labelle à la Saint-Jérôme.

Pendant tout le repas, la bande ou musique du 9e bataillon de voltigeurs fait entendre son répertoire, et des toasts, aussi chaleureux que multiples, enthousiasment un auditoire si bien préparé à les entendre. Un trait caractéristique : au moment de quitter la table, un Québecquois prend la parole : Un grand bonheur vient de lui arriver, il tient à en faire part aux assistants : sa femme vient de donner le jour à son seizième enfant… Ici l’orateur s’arrête profondément ému, il hésite, il s’embrouille, et tout le monde se demande comment il va finir, lorsqu’un des délégués le repêche en s’écriant vivement : « Buvons tous au dix-septième ! » La situation est sauvée et l’assemblée lève la séance au milieu des bravos.

C’est à la presse de Québec qu’il faut reporter l’honneur de cette manifestation ; c’est elle qui a préparé le banquet, qui a provoqué les réceptions, qui s’est mise avec la plus grande bienveillance et la plus exquise courtoisie à la disposition, non seulement des représentants de la presse française, mais de tous les délégués. À elle donc, encore une fois, merci !

La presse est partout une puissance, et cela se voit surtout au Canada où, par suite du développement et du libre jeu de toutes les institutions parlementaires, la liberté de tout dire et de tout écrire existe au plus haut degré. C’est principalement à l’époque des luttes électorales que les esprits, ordinairement les plus calmes, sont en ébullition. Les candidats adverses remplissent leurs journaux d’attaques vives et mordantes sans oublier les épithètes les plus malsonnantes. Ils se défient, s’injurient à la manière des héros d’Homère et se précipitent avec une ardeur incroyable dans la mêlée où les journalistes les suivent sans hésitation. On est surpris au premier abord des torrents d’injures que les divers organes se déversent les uns sur les autres, mais l’on s’y fait bien vite ; les gros mots se perdent dans la fumée de la bataille et jamais il n’y a de rencontre sur le terrain pour une polémique de ce genre. C’est tout au plus si, par hasard, les tribunaux ont à relever quelque diffamation d’un caractère excessif.

Les journaux canadiens-français sont d’un extrême bon marché. Pour un cent ou un sou (car on dit encore sou au Canada) on a, dans les grandes villes du Bas-Canada, un numéro d’un format aussi étendu que le Temps, de Paris, et d’un caractère typographique fin et serré. Parfois ce numéro est doublé d’un supplément littéraire du même format mis à la disposition de l’acheteur sans aucune augmentation de prix. Grâce à ce bon marché extraordinaire et au degré très avancé de culture intellectuelle chez l’habitant, la presse est fort répandue. Mais ce n’est pas sans de gros sacrifices qu’un journal peut vivre, et la fondation d’une feuille publique n’a jamais passé jusqu’ici, sur les rives du Saint-Laurent, pour être une source de revenus, — au contraire. Mais chaque journal a sa clientèle, clientèle électorale qu’il faut à tout prix ménager, dût l’abonnement en souffrir considérablement.

Comme disposition d’articles et comme rédaction, un journal canadien ne ressemble en rien à un journal français. Ce qui frappe à première vue, ce sont les annonces. On en trouve partout, et à toutes les pages. Souvent les réclames sont habilement intercalées entre des faits divers. Après les annonces, on remarque surtout le roman inséré, non en feuilleton, mais dans le corps du journal, la ligne d’impression ayant parfois la longueur de deux colonnes de journal. Cette disposition typographique est faite en vue de conserver la composition, qui de cette façon sert pour la réimpression du roman en volume. Beaucoup de journaux, en effet, procèdent de cette façon et mettent le volume à la disposition de leurs lecteurs. Généralement l’auteur ne réclame point contre ce mode de procéder. Il ne touche de cette façon aucun droit de propriété littéraire, mais la publicité est faite autour de son nom, il a l’espérance de gagner en renommée ce qu’il perd momentanément en numéraire, et d’attirer l’attention du public sur les ouvrages qu’il a déjà publiés ou qu’il publiera un jour. Grâce à la part importante faite au roman et aux nouvelles littéraires dans chaque journal, le Canadien préfère presque toujours, comme lecture, sa feuille quotidienne, qui le renseigne en même temps sur les événements du jour, et ne fait que bien peu de visites chez les libraires, assez rares d’ailleurs, qui pourraient mettre à sa disposition les publications à la mode.

Par suite de la bonne organisation de leur service télégraphique et de la facilité avec laquelle ils peuvent transmettre leurs dépêches dans toute l’étendue du Canada en ne payant que le quart du tarif ordinaire, les journaux sont fort bien et fort rapidement renseignés sur tous les événements du globe. La différence de méridien, qui établit un retard de 5 heures sur les horloges de Paris et de Londres, permet de donner le soir même les nouvelles de la journée de ces capitales.

Le style des journaux canadiens-français se ressent du contact constant de l’élément anglo-saxon. Des tournures de phrases sentent leur origine britannique, et des anglicismes s’y rencontrent de temps à autre à côté de vieilles expressions françaises, religieusement conservées depuis deux siècles. C’est ainsi qu’on trouve des expressions de ce genre : il est rumeur que ; faire (pratiquer) sa religion ; donner sa résignation (démission) ; céder le pas à la politique due ; le temps marchande un peu, il se chagrine (devient mauvais) ; vaccination compulsoire (obligatoire) ; assault criminel. C’est surtout dans les petites feuilles de province que dominent ces expressions qui, si elles ne sont guère françaises, n’en ont pas moins leur cachet original.

Au temps de la domination française, il n’y avait pas une seule imprimerie. C’est à la fin de 1763 qu’un Écossais de Philadelphie, nommé William Brown, arriva au Canada avec l’intention d’établir « une belle imprimerie dans une place convenable à Québeck », suivant le baragouinage dont il se servait dans ses prospectus, et d’y fonder un journal. Soutenu par les autorités anglaises, Brown amena un « assortiment de nouvelles charactères », parvint à réunir « trois cents souscrivants » et, le 21 juin 1764, fit paraître le premier numéro de la Gazette de Québec, le plus ancien journal du Canada et de l’Amérique, rédigé moitié en français, moitié en anglais. Le français du journal de Brown était un véritable français de pigeon. Durant ces premières années cette feuille, fort inoffensive, ne parlait point de politique, empruntait toutes ses nouvelles aux journaux d’Angleterre et de Philadelphie et ne soufflait pas un mot de ce qui se passait au Canada. Jusqu’en 1778 la Gazette de Québec n’eut pas de concurrent. À cette époque parut, rédigée dans les deux langues, la Gazette de Montréal, fondée par Fleury Mesplet. Elle existe encore, mais est devenue un organe exclusivement anglais. La Gazette de Québec, après une longue existence, est morte d’anémie en 1873, à l’âge de 109 ans.

La première feuille entièrement française parut, en 1779, sous le titre de : Tant pis, tant mieux. Mesplet et un avocat de Montréal, Jotard, en furent les fondateurs. Mais son esprit anti-anglais la fit promptement, quoique malgré elle, passer de vie à trépas (1780), et le gouverneur britannique envoya Mesplet et Jotard peupler les cachots de Québec, qui, à cette époque, se garnissaient rapidement de suspects français. On comprend sans peine qu’un pareil traitement appliqué à la presse ne fut pas sans refroidir sensiblement l’ardeur des Canadiens-Français. Aussi vingt-six années s’écoulèrent avant qu’ils fissent une nouvelle tentative sérieuse. Mais l’accroissement continu de leur race, la mise en pratique assez régulière du régime parlementaire, demandaient autre chose que l’existence des « quêteux », colporteurs de nouvelles et de cancans, espèces de gazettes vivantes, de troubadours de la presse. L’élément français avait besoin d’un organe qui prît la défense de ses intérêts menacés et compromis ; le Canadien fut mis au monde le 22 novembre 1806. Sa devise : « Nos institutions, notre langue et nos lois », résume tout son programme.

Les fondateurs et les premiers directeurs du Canadien furent : Bédard, Blanchet, Planté, Bourdages, Taschereau et d’autres chefs du parti français, dont le Canadien était l’organe attitré. Peu après la création du journal, Papineau en devint le collaborateur, puis Étienne Parent qui passa ensuite directeur et y exerça longtemps son influence.

La « souscription » au nouveau journal eut beaucoup de succès, à l’inverse de ce qui eut lieu pour la Gazette de Québec, qui passait pour vendue aux Anglais et qui, même après quarante ans d’existence, était toujours ce qu’elle s’était vantée d’être autrefois « la plus innocente gazette de la domination britannique ». Le style du Canadien fut d’abord léger, plaisant, mais extrêmement mordant. Les nouvelles, les chansons, les épigrammes formaient, à côté d’études historiques sérieuses, le fonds du journal. Ses rédacteurs et ceux du Mercury, organe anglais créé en 1805, se déchiraient à belles dents. Bientôt commencèrent les polémiques que vint alimenter le Courrier de Québec, organe français chouayen, fondé par le juge de Bonne. L’origine du nom de Chouayen remonte au combat de ce nom livré le 14 août 1756. Ce jour-là, plusieurs Canadiens, désespérant du salut de leur cause, inclinèrent du côté de l’armée anglaise, ce qui n’empêcha point la défaite de celle-ci. À partir de ce moment, l’épithète de Chouayens s’appliqua aux transfuges de la race française, à ceux qui, dans les élections, prenaient le parti du gouvernement anglais. Le Courrier de Québec n’eut point de succès ; on lui rendit la vie si dure qu’au bout de six mois il en mourut (2 juin 1807).

Retracer l’histoire du Canadien serait faire celle du Canada lui-même pendant toute la période d’oppression. Saisi à plusieurs reprises par ordre des autorités anglaises, le vaillant journal vit ses presses détruites, ses rédacteurs emprisonnés, mais il ressuscita toujours, reprenant des forces à chaque acte de violence et de persécution. Il put résister à la tourmente de 1837, sous la direction d’Étienne Parent, dont l’influence s’y fit sentir pendant de longues années après cette époque. Vinrent ensuite, comme directeur du journal, M. Hector Fabre ; M. Eventuren, qui était libéral et qui, à ce moment, donna au Canadien une couleur politique de cette nuance ; M. Mac Donald ; M. L.-H. Huot, depuis greffier de la cour en chancellerie, et enfin M. Israël Tarte qui, depuis 1874, n’a pas cessé d’être rédacteur en chef du journal. Six mois après avoir pris la direction du Canadien, M. Tarte en achetait la propriété qu’il revendit, en 1876, àM. Desjardins, lequel la transmit à son tour, en 1879, à M. Demers.

M. Tarte, qui a été, de 1876 à 1882, député provincial pour le comté de Bonaventure, a su donner un grand développement et une grande influence au Canadien et au groupe de journaux qui gravitent dans sa sphère. Il a eu la bonne fortune de s’attacher comme collaborateurs les hommes politiques les plus en vue du parti conservateur de la province de Québec. Sir Adolphe Caron, ministre de la milice, et sir Hector Langevin, ministre des travaux publics, ont eu une part active dans la rédaction du Canadien. de 1875 à 1881. M. Desjardins, député provincial de Montmorency, y a collaboré également de 1877 à 1882. Actuellement le bras droit de M. Tarte est M. Faucher de Saint-Maurice, qui a fait la campagne du Mexique dans la légion étrangère et a reçu la croix de la Légion d’honneur comme capitaine. Député de Bellechasse au Parlement provincial depuis 1882,M. Faucher de Saint-Maurice est l’auteur de divers ouvrages sur le Canada, la campagne du Mexique et les questions de procédure parlementaire. D’une physionomie ouverte, et toute militaire il porte un intérêt tout particulier à ce qui touche notre patrie et on peut bien dire de lui, sans froisser aucunement ses compatriotes, qu’il est le plus Français des Canadiens-Français.

Le Canadien, journal du matin, paraît tous les jours, sauf le dimanche — aucune feuille canadienne n’est publiée le dimanche, — au prix de un centin le numéro, ou de 3 piastres par an. Son tirage quotidien est de 4,000 exemplaires. Une autre édition, tri-hebdomadaire, tirée à 2,000 numéros en moyenne, est destinée spécialement aux campagnes ou aux lecteurs trop éloignés de Québec pour être régulièrement servis chaque jour. Enfin, une édition hebdomadaire, sous le titre de Cultivateur (une piastre par an), est tirée à 15,000 exemplaires, dont 4,000 sont répandus parmi les Canadiens-Français habitant les États-Unis. L’influence territoriale du Canadien s’exerce principalement dans la partie septentrionale de la province de Québec. Le journal représente l’opinion conservatrice libérale. Comme dans tous les journaux canadiens les articles ne sont généralement pas signés.

À côté du Canadien se trouve l’Événement, fondé en 1868 comme organe libéral par M. H. Fabre, qui en fut à l’origine le directeur et le propriétaire. M. Fabre, qui avait débuté dans la presse comme rédacteur de l’Ordre, de Montréal, journal aujourd’hui disparu, est depuis 1881 commissaire général du Dominion à Paris, où il a fondé, en 1884, Paris-Canada, organe destiné à faire connaître davantage le Canada en France. Esprit fin, délié, écrivain correct et toujours courtois, même dans les plus ardentes polémiques, M. Fabre est une figure essentiellement parisienne. Lorsqu’il devint sénateur en 1875, il céda l’Événement à M. Demers qui en est aujourd’hui propriétaire. En 1883, M. Tarte, directeur actuel, lui succéda comme rédacteur en chef. L’Évènement, qui n’a qu’une édition du soir, au prix de 1 centin, ou 3 piastres par an, tire à 7,000 exemplaires. Sa rédaction est à peu près la même que celle du Canadien. C’est un journal à nouvelles plutôt qu’une feuille politique, et il est répandu de préférence dans Québec et dans les villes avoisinantes.

Le Journal de Québec date de 1842 avec M. Augustin Côté et M. Cauchon comme fondateurs. M. Cauchon a joué un grand rôle dans la politique canadienne. Député du comté de Montmorency pendant trente années, il a été, sous le régime du Canada Uni, ministre des terres de la couronne et des travaux publics. Après l’acte de confédération de 1867, il devint le premier président du Sénat, puis ministre dans le cabinet libéral Mackenzie, de 1873 à 1878. À la chute de ce cabinet il fut nommé lieutenant-gouverneur du Manitoba, poste qu’il conserva presque jusqu’à sa mort arrivée en février 1885. Fort estimé de ses administrés il fut enterré aux frais de la province de Manitoba, dont il avait grandement encouragé le développement. Comme journaliste il était une des plumes les plus puissantes et les plus énergiques du Canada ; ses adversaires eux-mêmes l’ont reconnu et ont rendu pleine justice à son talent. De 1842 à 1876 il a dirigé sans interruption le Journal de Québec, qui était alors très répandu, mais qui depuis a considérablement perdu et comme influence et comme tirage. M. A. Côté, un des doyens de la presse canadienne, en est encore le directeur actuel et, depuis 1877, le seul propriétaire.

Conservateur à l’époque de sa fondation, le Journal de Québec a suivi, comme M. Cauchon, les fluctuations de la politique, devenant tantôt libéral, tantôt conservateur. Aujourd’hui il représente la nuance intermédiaire entre ces deux opinions et passe pour l’organe officieux du clergé. Journal quotidien au prix de 2 centins, ou 6 piastres par an, il a une édition tri-hebdomadaire destinée plus particulièrement aux cultivateurs. Il n’est répandu qu’à Québec et aux environs.

Le Courrier du Canada vit le jour en 1857, par l’entremise d’un groupe de Canadiens réunis en société. Cette société prononça sa dissolution trois ans après, et l’un de ses membres, M. Léger Brousseau, acquit alors la propriété du journal qu’il n’a pas cessé de posséder depuis. Le premier rédacteur en chef fut un médecin, M. Joseph-Charles Taché, qui conserva jusqu’en 1859 la direction du Courrier. Député de Rimouski de 1857 à 1863 au Parlement de l’Union, il devint député–ministre de l’agriculture à Québec en 1864, puis à Ottawa, après la Confédération, poste qu’il occupe sans interruption depuis 1867.

Son successeur au Courrier fut M. Hector Langevin. Maire de Québec en 1860, il résigna ses fonctions, environ deux ans après, pour devenir député du comté de Dorchester qu’il représenta sous l’Union, puis sous la Confédération, à Ottawa, jusqu’en 1878. Depuis cette époque il est député fédéral des Trois-Rivières. Ministre depuis 1864, sauf sous le cabinet Mackenzie, il tient aujourd’hui le portefeuille des travaux publics.

M. Langevin ne fit que passer au Courrier. M. Aubry le remplaça. De nationalité française, il était professeur de droit romain à l’université Laval, lorsqu’il prit la direction du journal, direction qu’il conserva jusqu’en 1863. Rentré en France, il est aujourd’hui professeur à la faculté catholique d’Angers. À M. Aubry succéda M. Eugène Renault, de 1863 à 1873, puis, de 1873 à 1875, M. Guillaume Amyot, député fédéral du comté de Bellechasse. Lieutenant-colonel du 9Me bataillon de voltigeurs (Québec), il a fait, en 1885, la campagne du Nord-Ouest contre Riel, ce qui ne l’empêche pas d’être en même temps avocat à Québec. De 1875 à 1880, M. Vallée a dirigé le Courrier. Député au Parlement fédéral, de 1878 à 1882, pour le comté de Portneuf il est, lui aussi, avocat à Québec. Aux avocats succède un médecin, M. Dionne ; mais, en 1884, le barreau redevient tout-puissant au journal en la personne de M. Thomas Chapais, le directeur actuel, qui est le gendre de sir Hector Langevin.

Depuis le mois d’octobre 1885, le Courrier a deux éditions par jour, au prix de 2 centins ou 6 piastres par an. Son tirage est d’un millier d’exemplaires. Sous le titre de Journal des campagnes, il publie une édition hebdomadaire tirée de 4 à 5,000 numéros dont un tiers est destiné aux États-Unis. De même que le Constitutionnel, de Paris, le Courrier a une vieille clientèle qui n’a pas cessé de lui être fidèle depuis son origine. Comme couleur politique il représente l’opinion conservatrice accentuée, nuance très catholique. Son influence territoriale s’étend dans le nord de la province de Québec.

L’Électeur est l’organe du parti libéral du district de Québec. Il fut fondé le 15 juillet 1880 par une société dans laquelle se trouvaient : MM. Pelletier, sénateur ; Wilfrid Laurier, membre du conseil privé ; Joly, ancien premier ministre de la province, Ross, ancien procureur général ; Langelier, maire de Québec. Depuis avril 1885, la propriété a passé entre les mains de M. Ulric Barthe et de M. Ernest Pacaud. Ce dernier, rédacteur en chef du journal depuis sa création, a eu pour collaborateurs, au début, MM. W. Laurier et Langelier. Avant d’entrer à l’Électeur, il avait fondé, en 1877, le Journal d’Arthabaska, et pris la direction, à la chute du cabinet Mackenzie, de la Concorde, journal libéral des Trois-Rivières.

Journal quotidien paraissant le soir, au prix de 1 centin le numéro, ou 3 piastres par an, l’Électeur a un tirage de 4,500 à 5,000 exemplaires. Il publie aussi une édition hebdomadaire tirée à environ 1,500 numéros. Son influence territoriale s’étend surtout dans le district de Québec.

Le Courrier, le Journal de Québec sont des feuilles de petit format. À la suite de l’exécution de Riel, et de la scission qui se produisit à ce sujet parmi les conservateurs de la province de Québec, un nouveau journal, la Justice, a été créé à Québec, au début de 1886. Organe du nouveau parti qui a pris le nom de national, la Justice a eu pour fondateurs et principaux rédacteurs MM. Pelletier et le colonel Amyot.

Parmi les publications québecquoises, il faut encore citer la Vérité et le Nouvelliste, mais ce ne sont que des journaux non quotidiens.

La presse anglaise n’est représentée que par trois journaux : le Mercury, le plus ancien journal existant à Québec ; le Morning Chronicle, tous deux conservateurs, et le Daily Telegraph, organe libéral.


  1. Le nombre des membres de l’Assemblée a été élevé à 73 (1890).