Au couchant de la monarchie/09

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Au couchant de la monarchie
Revue des Deux Mondes6e période, tome 7 (p. 766-799).
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COUCHANT DE LA MONARCHIE[1]

IX.[2]
LE MINISTÈRE DU COMTE DE SAINT-GERMAIN

Le premier acte politique un peu considérable qui succédera au départ de l’empereur d’Autriche attestera, d’une manière éclatante, le peu d’effet produit sur les hôtes de Versailles par ses exhortations et le peu de durée des résolutions prises. Parmi les ministres du Roi, l’un de ceux que Joseph avait le mieux prônés, dont il avait vanté les vues avec le plus grand enthousiasme, dont il avait le plus chaudement recommandé le maintien à Louis XVI, était le comte de Saint-Germain, secrétaire d’Etat pour la Guerre. Il lui avait rendu visite dans son logement de l’Arsenal, s’était longuement entretenu avec lui, s’était fait expliquer par lui les réformes réalisées et celles qui étaient en projet. Il lui avait publiquement prodigué les marques de son estime, l’avait hautement encouragé à poursuivre une tâche difficile, que lui seul, assurait l’Empereur, pouvait mener à bien, « parce qu’il y apportait la constance d’un philosophe et le courage d’un soldat[3]. »

Quatre mois après cette visite, qui n’avait pas manqué de produire une vive sensation, le comte de Saint-Germain, en butte à l’hostilité de la Cour, trahi par M. de Maurepas, battu froid par la Reine et abandonné par le Roi, était contraint de se retirer des affaires, et l’on installait à sa place un courtisan frivole, un médiocre intrigant. Pour expliquer cette chute et en mesurer l’importance, il nous faut jeter un regard sur les opérations du ministre réformateur qui, par ses vastes plans, par ses intentions droites, par ses essais hardis et par son insuccès final, fut à certains égards, quoique avec une moindre envergure, une manière de Turgot, un Turgot militaire.


I

Son avènement[4], comme celui de Turgot, avait été accueilli du public avec une réelle allégresse. Par son passé, par les récits de ses anciens compagnons d’armes, en France, en Allemagne, en Danemark, partout où il avait servi dans sa carrière aventureuse, on connaissait son caractère entier, son honnêteté bourrue, son horreur des routines et des sentiers battus. On le savait aussi sans parti, sans coterie, « isolé à la Cour » et ne dépendant de personne. Et tout cela, dans les milieux bourgeois, philosophiques ou militaires, plaisait infiniment, donnait l’idée d’un homme qui ne ménagerait rien, flattait cet « esprit de réforme » qui, comme dit le duc de Croy, était alors « le goût à la mode, dans un pays où tout est mode[5]. »

Sauf quelques dignitaires pourvus de charges lucratives, quelques militaires haut placés, qui redoutaient toute innovation, tout changement, comme une menace pour leurs intérêts personnels, Saint-Germain, au début, ne rencontrait aucune hostilité sérieuse, aucune prévention malveillante. Maurepas, après son premier entretien avec le ministre nouveau, mandait à Mme de Praslin l’impression favorable qu’il ressentait, et chacun avec lui : « Il est inutile de vous exprimer la sensation agréable occasionnée par le retour de M. le comte de Saint-Germain. Il n’y a qu’un cri dans tous les ordres, et l’on répète : il est toujours le même ! » Les salons, les bureaux d’esprit, formaient aussi les plus excellens pronostics : « Je crois que le choix de cet homme ne déplaira à personne, excepté à ceux qui étaient ses ennemis particuliers ; » ainsi s’exprime la marquise du Deffand. Et Mlle de Lespinasse renchérit en ces termes : « C’est un homme de mérite ; c’est un homme isolé. Il est arrivé là, sans intrigue. On doit croire qu’il ne voudra que le bien. » Voltaire lui-même renonçait à ses répugnances contre un officier général qui avait débuté par être « six ans jésuite » et convenait que, somme toute, « il y a d’honnêtes gens partout. »

La Reine, sans le connaître et sans avoir pris part à sa nomination, l’acceptait de bonne grâce : « M. de Saint-Germain, écrivait-elle à sa mère, est établi ici avec l’applaudissement de tout le militaire, si j’en excepte quelques grands seigneurs qui craignent de ne pas trouver leur compte avec lui. » Enfin Louis XVI, plus que personne, ne pouvait guère manquer d’être bien disposé envers celui qui, persécuté, et presque chassé de France autrefois, par l’influence du parti Pompadour, recevait sous le nouveau règne la réparation éclatante due à sa probité sévère. Il avait lu d’ailleurs les « mémoires sur le militaire » rédigés en exil par le général disgracié ; il en avait goûté la franchise, la hardiesse, la rude indépendance, et les premiers conseils d’Etat tenus après l’installation du comte de Saint-Germain n’avaient fait qu’augmenter la bonne opinion qu’il avait de ses mérites professionnels. Il s’y joignit bientôt de l’estime pour son caractère. Il lui sut notamment bon gré de son raccommodement loyal avec le maréchal de Broglie. Jadis leurs démêlés avaient été publics ; c’était au maréchal que Saint-Germain imputait, en partie, sa disgrâce ; cependant, à la Reine lui demandant un jour où en était cette vieille querelle, il avait répondu : « Madame, ma mémoire ne me rappellera jamais ce que mon cœur a pardonné. » Ce mot, rapporté à Louis XVI, l’avait profondément touché[6].

La bienveillance royale, pour ces divers motifs, devenait promptement si marquée que, dans le populaire, couraient des bruits sans doute exagérés : « On entendait dire[7], d’après les nouvelles de la Cour, que le comte de Saint-Germain prenait si bien dans l’esprit du Roi, qu’on commençait à être persuadé qu’au cas où le sieur de Maurepas viendrait à manquer, il serait fort possible que Sa Majesté lui accordât la même confiance qu’Elle avait paru en avoir pour ce seigneur, depuis la mort de Louis XV. »

Malgré sa « sauvagerie, » son ignorance des choses de Cour et son inexpérience des hommes, Saint-Germain comprenait l’importance capitale de profiter du premier enthousiasme, du « consentement quasi unanime » des débuts, pour frapper des coups décisifs et opérer, dans le département qui lui était confié, les « grandes révolutions » qu’il jugeait nécessaires. Quelques semaines lui suffirent, en effet, pour amorcer de graves réformes et en annoncer beaucoup d’autres. « La hardiesse des opérations du comte de Saint-Germain, dès les premières semaines de son arrivée au ministère, dit le gazetier Métra[8], étonne, étourdit comme un coup de foudre ! Bientôt tout sera changé, réformé dans son département. » Mais cette surprise heureuse et cette admiration charmée étaient une source de danger. Une légende se formait autour de Saint-Germain, dont il serait un jour victime. « Paris voulait que, pour sa gloire, il s’en allât un bâton à la main, qu’il vécût en ours, en homme singulier, et qu’il forçât pour emporter son plan. » Pour tout dire en un mot, on exigeait qu’il « sabrât tout, » et « quelque ferme que fut cet homme peu commun, Paris était encore plus ferme et plus sabrant que lui. » De là, de cet état d’esprit, viennent, du moins en partie, les mille difficultés qui vont prochainement l’assaillir. Toute temporisation passera pour une faiblesse, tout ménagement pour une « lâche reculade[9]. »


Pour nous permettre de connaître et d’apprécier, dans leur ensemble, les idées et les vues du comte de Saint-Germain, il est un document précieux : ce sont les « dix principes » rédigés de sa main et désignés dans ses Mémoires[10]comme contenant les règles immuables, — « éternellement vraies, » écrit-il, — qu’il jugeait devoir présider à l’administration de l’armée. On y trouve à la fois l’indice de son sens clairvoyant, de sa scrupuleuse honnêteté et de son esprit tout d’une pièce, systématique, dépourvu de souplesse. Voici, sous une forme abrégée, quelques-unes des maximes dont se compose ce décalogue :

— L’intérêt, dans l’armée, a pris la place de l’honneur. Il faut réagir contre cet élément de corruption. L’état militaire ne doit pas enrichir.

— Point de titre sans grade ; point de grade sans fonction.

— L’ancienneté dans l’avancement est une bonne méthode, mais elle ne doit avoir la préférence qu’à mérite égal, car « les « emplois ne sont pas faits pour les hommes, mais les hommes « pour les emplois. »

— Le militaire doit avoir toute sécurité relativement à son grade et à son emploi. Il ne doit en être privé que par sa propre faute, s’il manque à ses devoirs, et en entourant cette privation de formes juridiques.

— La religion et la morale sont « le thermomètre assuré « qui marque l’éclat des nations. Toute troupe sans religion et « sans mœurs ne sera jamais bonne. »

Sur ces principes, dont la plupart sont justes en eux-mêmes, Saint-Germain, dès les premiers jours, entreprit d’établir son plan général de réforme.

Au point de vue pratique, l’idée fondamentale à laquelle il s’attache est l’impérieuse urgence d’accroître, d’une manière importante, l’effectif de l’armée, qu’il juge insuffisant. La France, en temps de paix, n’entretient guère alors qu’une centaine de mille hommes[11], chiffre notablement inférieur, par proportion avec celui de la population, aux chiffres relevés chez les puissances voisines, et notamment en Prusse. Cet effectif restreint, Saint-Germain prétend le doubler, et l’on verra qu’il y réussit à peu près. Mais, en même temps, vu l’état des finances, il entend ne pas augmenter le budget de la Guerre ; et c’est là le point difficile, c’est là qu’avec une curiosité ironique l’attendent les gens qui doutent de son « génie. » Voici ce qu’on peut lire dans une gazette du temps : « Le premier soin de M. de Saint-Germain a été de représenter au Roi qu’il était inconvenable que, tenant le premier rang parmi les puissances d’Europe, la France fût celle qui eût le moins de troupes. Il lui a fait sentir la nécessité d’avoir au moins 200 000 hommes toujours sur pied, tant que le système de ses rivaux serait de tenir en activité d’aussi nombreuses armées… Mais voici son coup de génie : il prétend se suffire à lui-même ! Il demande seulement à Sa Majesté qu’Elle lui laisse carte blanche pour toutes les réformes et réductions qu’il voudra faire, et il se fait fort de retrouver, sur de certaines économies ou suppressions, de quoi remplir son plan. S’il réussit, il aura la gloire d’avoir découvert la pierre philosophale de l’administration[12] ! »

Si l’on néglige la forme légèrement malveillante, la pensée qui dirige, du début à la fin, toute l’administration du nouveau secrétaire d’Etat est fort exactement résumée en ces lignes. Beaucoup d’hommes avec peu d’argent ; aucun accroissement de dépenses et de larges économies. C’est vers ce double but que convergent tous ses efforts, c’est dans l’espoir de le réaliser qu’il promulgue, en moins de deux ans, quatre-vingt-dix-huit ordonnances, un code complet, transformant entièrement toute l’organisation de son département, et c’est ainsi qu’il s’attire le surnom, — tenu alors pour injurieux, — de Maupeou militaire. Je n’entreprendrai pas ici l’analyse détaillée d’une œuvre aussi considérable. Il me suffira d’esquisser les principales réformes, d’en indiquer les conséquences, de raconter les fautes commises et les obstacles rencontrés[13]. Une fois de plus, en cette histoire, on verra la bonne volonté, la droiture, le courage, aux prises avec l’intrigue et la cabale des Cours, avec l’égoïsme des uns, la défaillance des autres. On y verra aussi une preuve nouvelle de cette vérité reconnue, que le bon sens et l’honnêteté ne peuvent rien sans le savoir-faire, que les plus belles idées ne portent aucun fruit, si l’on n’y joint la science du maniement des hommes.


II

Dans l’ordre d’idées indiqué, la mesure la plus importante qui devait s’offrir tout d’abord à l’esprit du ministre était inévitablement la réforme complète des corps privilégiés, dont l’ensemble formait la « Maison militaire » du Roi. Sur nul autre chapitre il n’était permis d’espérer de faire une épargne aussi forte.

L’origine de l’institution n’était guère moins ancienne que celle même de la monarchie. Pour leur sûreté particulière et pour la splendeur de leur trône, toujours les rois avaient jugé utile de s’entourer d’une troupe d’élite constituant leur garde spéciale. Mais c’est seulement sous Louis XIV que ces corps avaient pris l’ampleur, l’extraordinaire éclat, dont le Grand Roi aimait à revêtir tout ce qui approchait de sa personne sacrée. Une ordonnance, datée du 6 mai 1667, en fixait la composition, réglait les détails du service, déterminait les préséances. A la fin du XVIIIe siècle, l’édifice construit par Louvois restait encore intact en ses lignes essentielles.

Non que les critiques eussent manqué. Dès 1717, le duc de Saint-Simon, membre du Conseil de Régence, en avait dénoncé hautement les vices et les inconvéniens : rivalité des corps entre eux, entraînant des querelles, des refus de service et des actes d’indiscipline ; excessives prétentions des chefs, presque exclusivement recrutés parmi les plus grands seigneurs du royaume ; embarras résultant de la foule d’équipages qui gênaient, en campagne, les mouvemens de l’armée, et surtout dépense effroyable occasionnée par ces troupes brillantes et fastueuses, quatre ou cinq fois plus onéreuses que les troupes ordinaires[14]. Avec le prix d’un de ces escadrons, assurait Saint-Simon, on eût aisément entretenu quatre escadrons de cavalerie. « Or, disait-il, quelque valeureuses qu’on ait éprouvé ces troupes, on ne peut espérer qu’elles puissent battre leur quadruple, ni même se soutenir contre ce nombre[15]. » Pour ces raisons diverses, le duc avait proposé au Régent de ne laisser debout que les gardes du corps et de supprimer tout le reste. Il dut bientôt battre en retraite devant l’opposition de puissans personnages, devant « les cris, les brigues, » que provoqua l’annonce d’une mesure aussi radicale. « Nous comprîmes qu’en proposant une réforme si utile, elle ne se ferait jamais, et que tout le fruit que nous retirerions de notre zèle serait la haine de tant d’intéressés[16]. »

Il faut reconnaître, d’ailleurs que de sérieuses raisons militaient en faveur de ces beaux escadrons. Sous Louis XIV et sous Louis XV, la Maison militaire s’était, à mainte reprise, acquis un renom immortel. A Steinkerque, à Nerwinde, elle avait sauvé la partie et décidé de la victoire. A Ramillies, elle avait mérité ce bel éloge du duc de Marlborough : « On ne peut battre la Maison du Roi, il faut la détruire. » C’est elle enfin qui, à Fontenoy, avait enfoncé et rompu l’invincible colonne du duc de Cumberland, forcé cette citadelle regardée comme inexpugnable. Tant de glorieux souvenirs lui composaient une sorte d’auréole. On pouvait encore invoquer, dans un temps où la royauté se voyait attaquée jusque dans son principe, l’utilité de respecter tout ce qui rehaussait le prestige et l’éclat du trône, tout ce qui servait à maintenir l’autorité personnelle du souverain. C’est là sans doute ce qu’entendait Louis XVI, lorsqu’il disait à Saint-Germain, pour justifier sa répugnance à certaines suppressions, que « dans un État comme le sien, il fallait parfois de grandes grâces pour attacher et conserver les grands seigneurs à son service[17]. » C’est aussi l’objection que le duc de Croy oppose aux conceptions du ministre réformateur, dans le passage de son Journal où il explique que l’exécution d’un tel plan était chose impossible, « à moins d’une refonte si dure, que c’eût été écraser tout le monde, une immensité ne vivant que sur le Roi. Louis XIV et même Louis XV, ajoute-t-il, ont monté trop haut, et quand on l’a fait, on ne peut plus descendre[18]. » En détruisant les corps privilégiés, a-t-on dit de nos jours[19], on risquait de détruire « le boulevard de la monarchie. » On s’en aperçut bien sous la Révolution, le 14 juillet et aux journées d’Octobre.

Malgré ces considérations, malgré les résistances et les difficultés prévues, ce fut pourtant sur cette institution que Saint-Germain, avant toute chose, résolut de porter ses coups. La nécessité capitale de se procurer des ressources en faisant des économies prima dans son esprit toutes les raisons politiques ou sentimentales. Son premier projet reprenait, à part quelques légers détails, celui de Saint-Simon : suppression pure et simple de la plupart des corps de la Maison du Roi, — gendarmes, gardes-françaises, mousquetaires et chevau-légers, — de quelques autres corps attachés aux maisons de la Reine et des princes du sang, maintien des seuls gardes du corps, jugés indispensables à la sûreté du trône. Telle fut l’économie de l’ordonnance qu’il ébauchait dans le secret de son cabinet de ministre et qui, rapidement divulguée par une indiscrétion funeste, provoquait une vive émotion, une violente fermentation, applaudie par les uns, censurée par les autres, avec une égale véhémence.

Dans la masse du public, c’était une sorte d’enthousiasme. « La ville, dit le duc de Croy, ne s’occupait que des projets de réformes absolues de M. de Saint-Germain, et c’était un déchaînement général contre les doubles emplois et un immense désir d’économie répandu dans tous les esprits. » Rien n’arrêtait les novateurs. On ne s’inquiétait guère des services éclatans rendus jadis par les régimens condamnés. On ne songeait qu’à l’argent qu’ils coûtaient, aux inégalités dont ils bénéficiaient. Une rage de destruction emportait tout le monde.

A la Cour, au contraire, et dans les hauts rangs de l’armée, la surprise, la crainte, la colère, croissent presque d’heure en heure. A la tête de chacun des corps visés par le ministre est, en effet, quelque grand personnage, qui s’agite, intrigue ou menace, résiste avec une ardeur acharnée. Pour les gendarmes de la garde, la bataille est menée par le marquis de Castries et le maréchal de Soubise, pour les chevau-légers, par le duc d’Aiguillon, le propre neveu de Maurepas. L’argument principal dont se servent ces défenseurs est que, dans les corps susnommés, les charges d’officiers ont été bel et bien achetées, payées à beaux deniers comptans, par ceux qui les exercent, et qu’on ne peut les abolir sans restituer l’argent. Rien que pour les gendarmes, ces remboursemens s’élèveraient, pour quarante charges, à la somme de quatre millions. De même des autres corps. Où trouver les fonds nécessaires, à une époque où pas d’impôts nouveaux est devenu la formule sacro-sainte ?

En même temps que les têtes s’échauffent, les incidens se multiplient. L’article relatif aux « carabiniers de Monsieur » suscite une discussion qui dégénère bientôt en querelle personnelle. Leur commandant, le marquis de Poyanne, soutenu sous main par le Comte de Provence, ne craint pas de s’en prendre en face au comte de Saint-Germain, lui disant avec insolence qu’« un jour viendrait où il ne serait plus ministre, et qu’on pourrait alors se faire rendre justice. » Sur quoi, Saint-Germain demandant s’il s’adressait au ministre du Roi ou bien au comte de Saint-Germain : « A tous les deux, » lui répondait Poyanne. « Eh bien ! monsieur, comme ministre, je vous ordonne de vous retirer, et comme Saint-Germain, vous me retrouverez. » Poyanne, enflammé de colère, écrivait au Roi pour se plaindre, et celui-ci se contentait de jeter le billet au feu, en murmurant : « Il faut que Poyanne ait perdu la tête[20] ! « Toutefois, peut-être eût-il sévi, sans le Comte de Provence, qui intervenait dans l’affaire, en arrêtait les suites et épargnait à l’auteur de cette incartade la disgrâce si bien méritée.

Dans ce concert de doléances, à peu près seuls les mousquetaires, tant « noirs » que « gris, » n’entendaient aucune voix s’élever pour les défendre. Depuis longtemps déjà, ils ne paraissaient plus sur les champs de bataille. Confinés en d’ingrates besognes, comme de porter les lettres de cachet et les ordres d’exil, ou, en cas d’émeutes populaires, de renforcer les compagnies du guet, ils avaient perdu le prestige attaché jadis à leur nom. Lors des luîtes de Maupeou contre les parlemens, c’étaient les mousquetaires qui avaient arrêté et conduit en exil les magistrats proscrits[21]. Au temps récent de la « Guerre des farines, » ils avaient contribué à réprimer les troubles. Tous ces souvenirs leur avaient aliéné le cœur du peuple parisien. D’ailleurs, de leurs deux chefs, l’un, M. de La Chèze, était sans crédit à la Cour, l’autre, M. de Montboissier, se laissa désarmer par la promesse du cordon bleu. En de telles conditions, la nouvelle de cette suppression ne provoqua que des railleries, des chansons plus ou moins piquantes. Ces troupes, au si glorieux passé, n’eurent pas d’autre oraison funèbre.

Pour les autres corps, au contraire, la résistance fut efficace. Les clameurs des dépossédés, les « intrigues ténébreuses, » dont, — écrit un contemporain, — « on voyait les effets sans en distinguer les ressorts, » toute cette effervescence troublait M. de Saint-Germain, déconcertait ses plans, ébranlait ses résolutions. Une grande déception lui venait de l’attitude, en cette affaire, de l’homme sur lequel il comptait, dans sa simplicité, pour seconder ses vues, le vieux conseiller du Roi, le premier ministre de fait. Non que Maurepas se montrât publiquement hostile à la réforme, ni fit écho aux détracteurs de l’audacieux projet, mais son scepticisme railleur, sa légère insouciance et ses conseils éternels de prudence, insufflaient peu à peu le doute dans l’âme candide de son collègue, décourageaient son ardeur batailleuse.

Louis XVI, dans cette tempête, se départait aussi de sa fermeté primitive. Lui qui, les premiers jours, disait à Saint-Germain : « Sachez, monsieur, qu’il n’y a que moi qui puisse ordonner ici et que, quand j’ai prescrit, vous ne devez avoir aucun égard aux protecteurs[22] ; » lui qui, au duc de Noailles s’enquérant des projets sur les gardes du corps, répliquait brusquement : « Je n’aime pas la curiosité, » ne tardait pas à se montrer flottant, inquiet et comme intimidé. Il maintenait encore les principes, mais il cédait sur les personnes ; il voulait bien détruire les privilèges, mais il craignait visiblement la colère des privilégiés ; et tout en condamnant les charges inutiles, il intervenait constamment pour empêcher les titulaires d’être privés de leur emploi. Ainsi l’arme naguère tranchante s’émoussait insensiblement. L’heure arrivait enfin où, comme dit le gazetier[23], l’auteur de la trop fameuse ordonnance, « voyant son plan dérangé chaque jour davantage, » l’achevait hâtivement, vaille que vaille, se dépêchait de le produire au jour, boiteux, mutilé, incomplet, « dans la crainte de n’en rien pouvoir exécuter, s’il donnait plus de temps aux cabales pour se former, agir, diriger et multiplier leurs efforts. »

De fait, la grande réforme aboutissait à supprimer, dans toute la Maison militaire, quelque chose comme un millier d’hommes, les mousquetaires compris. Pour le reste, tout se bornait à des mesures transactionnelles et à des modifications légères, redressement de quelques abus, remboursement de quelques charges, réglementation plus précise pour l’avancement des officiers. Le pire est que ces concessions n’éteignirent pas les haines et les ressentimens. Saint-Germain resta la bête noire des courtisans et des grands dignitaires, tandis qu’il perdait la confiance de ce que le libraire Hardy nomme « l’état mitoyen. » C’est la constatation que fait aussi le judicieux duc de Croy : « Au pinacle de l’opinion, tant qu’on avait pu croire qu’il jetterait tout à bas, il n’était plus bon à rien, le jour où l’on disait qu’il gardait quelque chose… Et comme on objectait que ce n’était pas de sa faute, que M. de Maurepas l’arrêtait bien malgré lui, chacun disait : A la bonne heure : s’il envoie tout promener et qu’il quitte sa place, on ne s’en prendra pas à lui ; mais s’il la garde, c’est une lâcheté ! »


III

La tentative de Saint-Germain pour réformer la Maison militaire fut à la fois la plus retentissante et la moins efficace de ses deux années de pouvoir. D’autres eurent un meilleur succès et, bien qu’également combattues, réalisèrent un progrès plus réel. On peut diviser ces réformes en deux catégories distinctes, celles relatives aux officiers et colles relatives aux soldats. Les unes et les autres présentent un puissant intérêt.

Toutes les mesures qui visent le commandement et l’état-major de l’année sont inspirées par une idée maîtresse : la tendance continuelle du comte de Saint-Germain est de favoriser la noblesse pauvre, la noblesse provinciale, qui, dit-il, « ne parvient à rien, quelque chose qu’elle mérite, » contre la noblesse riche et la noblesse de Cour, « qui trop souvent a tout sans rien mériter. » On se tromperait beaucoup, pourtant, en lui attribuant la pensée de démocratiser l’armée, de rendre les grades et emplois également accessibles à tous les citoyens, sans distinction de classe et de naissance. C’est une idée qui, dans ce temps, n’entrait encore dans la tête de personne. Pour Saint-Germain, comme pour l’immense majorité de ses contemporains, les grades supérieurs de l’armée doivent être, sauf de rares exceptions, réservés en principe à l’aristocratie, qui y est préparée par l’éducation atavique, qui ne peut d’ailleurs exercer d’autre métier que le métier des armes. Il prétend en barrer l’accès au flot montant de la roture. « Un homme de condition, lit-on dans ses Mémoires, un bon et ancien gentilhomme, ne veulent plus rester dans l’état subalterne, parce qu’ils s’y trouvent confondus avec trop de personnes d’un rang inférieur. » Aussi, s’il lutte, comme nous verrons bientôt, contre l’abus de la vénalité des charges, c’est avant tout dans l’espérance d’écarter de l’armée ceux qui, selon son expression[24], « sortis de la lie du peuple, ont amassé assez d’argent pour acheter les grades, sans avoir besoin de servir ni d’essuyer des coups de fusil. » — « Comme l’état militaire, fera-t-il encore observer[25], ne donne pas de quoi vivre, on n’y peut admettre que les gens qui ont du bien, et ce n’est pas toujours de la noblesse, ce qui est déjà un grand vice. »

Mais, s’il partage à cet égard le préjugé courant, il ne peut voir sans impatience et sans indignation les avantages presque exclusifs réservés par l’usage aux grands seigneurs, aux hommes de Cour, qui accaparent à leur profit tous les hauts grades et tous les emplois lucratifs. Il est certain que, dans les vingt dernières années de l’ancienne monarchie, l’Almanach militaire est, sur ce point, déplorablement instructif. En 1775, on compte neuf maréchaux de France, cent soixante-quatre lieutenans généraux, trois cent soixante et onze maréchaux de camp, quatre cent quatre-vingt-deux brigadiers, au total mille vingt-six officiers généraux, tous choisis dans la grande noblesse et coûtant au Trésor environ quinze millions par an, tandis que les autres officiers de l’armée en coûtent à peine dix à eux tous. Pendant ce temps, les petits gentilshommes végètent, sans espoir d’avancer, dans des grades inférieurs, dotés, après de longs services, de si maigres retraites, qu’on voit souvent de vieux chevaliers de Saint-Louis, tout criblés de blessures, cacher leur croix dans le fond de leur poche et « se louer » pour battre le blé ou pour travailler à la terre.

De cette classe sacrifiée, Saint-Germain se fait l’avocat, le soutien déclaré. Pour eux, pour leurs enfans, il ouvrira de nouvelles écoles militaires. Il cherchera, par mille moyens, à leur faciliter l’accès des grades supérieurs de l’armée, en décernant au seul mérite ce que jusqu’à ce jour on accordait à la faveur. « Les hommes, déclarera-t-il, ne peuvent se donner à eux-mêmes les talens ; il faut donc les chercher là où la nature les a placés. » C’est, comme j’ai dit plus haut, en vue de protéger les pauvres contre l’accaparement des riches, qu’il fera de louables efforts, — non pour détruire d’un trait de plume, ce qu’il juge impossible, — mais du moins pour restreindre et pour supprimer graduellement, par des rembourse-mens partiels, le système scandaleux de la vénalité des charges militaires, le trafic au grand jour des régimens, des compagnies, des emplois dans l’état-major. Aux termes de son ordonnance du 25 mars 1776, tous les offices se trouveront libérés, à la quatrième mutation à partir du décret. Quant aux charges vacantes, aucune ne sera plus « vendue, achetée ou financée, par quelque motif et sous quelque prétexte que ce soit, » l’intention de Sa Majesté étant « de ne pas souffrir que, dans tout le [cours de son règne, il se donne dans ses troupes aucun emploi à prix d’argent. » Faut-il dire que, deux ans plus tard, au mois de février 1778, sous le successeur immédiat du comte de Saint-Germain, quarante offices de capitaine étaient publiquement mis en vente, avec la permission du Roi ?


Une opération plus durable fut le règlement relatif à la nomination des colonels et à leur avancement. Ici l’abus était flagrant. A l’avènement de Saint-Germain, pour 163 rëgimens on compte près de 900 colonels. Sur ce chiffre, 200 à peine font un service actif ; les autres demeurent sans emploi, ou n’occupent que des places fictives. C’est qu’en effet, à ceux qui ont des appuis à Versailles, on donne un régiment, comme on donne une pension ou une bonne sinécure. « Un jeune homme de naissance, disait déjà le maréchal de Saxe[26], regarde comme un mépris que la Cour lui fait, si elle ne lui confie pas un régiment à l’âge de dix-huit ou vingt ans. » Le vainqueur de Fontenoy signale le grave danger de laisser des corps importans à la disposition « d’enfans qui sortent du collège, » incapables de commander, « portés par leur jeunesse à des choses absolument contraires au service militaire. » Depuis ce cri d’alarme, les choses n’avaient que peu [changé. Les colonels à la bavette, pour citer le langage du temps, restaient encore nombreux dans l’état-major de l’armée. Vainement avait-on décrété que nul ne pourrait parvenir au commandement d’un régiment avant vingt-trois ans d’âge et sept ans de service : cette règle, bien insuffisante, était constamment violée.

A Saint-Germain revient l’honneur d’avoir déraciné ce déplorable usage. Désormais aucun officier, « quand même il serait de la naissance la plus distinguée, » ne sera gratifié du grade de colonel, s’il n’a au moins quatorze ans de service, dont six comme colonel en second, et s’il n’est bien noté par ses chefs hiérarchiques. Ainsi la porte s’ouvrait-elle aux officiers que leur manque de fortune condamnait jusqu’alors à ne pouvoir s’acheter un régiment et qui demeuraient confinés, quel que fût leur mérite, dans les grades inférieurs, majors ou capitaines, Quant aux colonels sans emploi, dont la foule encombrait l’armée, ils ne pourraient monter à un grade supérieur qu’après avoir effectivement exercé leurs fonctions pendant une durée de six ans. Pour utiliser ces derniers et pour occuper leurs loisirs, le ministre ressuscitait l’ancienne institution des colonels en second. Mais il n’eut guère à se féliciter du résultat de cette mesure. Il s’ensuivit dans bien des régimens des confusions d’autorité, des conflits personnels, qui furent encore aggravés par de mauvais choix, Saint-Germain ayant fait la faute de s’en remettre à des subordonnés de la nomination des colonels en second. Il s’en confesse, dans ses Mémoires avec une touchante bonhomie : « Tout ce que j’ai essuyé de blâmes et de reproches au sujet de ces colonels ne peut se concevoir, écrit-il, et il faut convenir que ces reproches étaient mérités. »

Pour compléter cette partie de son œuvre, Saint-Germain décidait, de plus, que le corps d’officiers, du haut jusqu’en bas de l’échelle, serait, en temps de paix, astreint dorénavant à un service actif. Jusqu’alors, pour les chefs, tant colonels que généraux, l’absence était la règle, la présence au corps l’exception. A peine quelques mois chaque année, pendant la belle saison, les voyait-on vaquer à leur emploi ; tout le reste du temps, ils vivaient à la Cour, à Paris ou dans leurs châteaux, abandonnant aux subalternes le commandement et l’administration des troupes. Il fallut changer de méthode, résider dans sa garnison au moins six mois par an, du premier avril jusqu’au premier octobre, ne s’absenter qu’avec un congé régulier, sous peine de perdre son traitement. Quant aux officiers inférieurs, capitaines ou lieutenans, ils sont assujettis à des obligations étroites, tenus constamment en haleine par de multiples inspections ; et ces exigences insolites les frappent d’une stupeur indignée. « Les choses ont bien changé[27], garnit tristement l’un d’entre eux. Un capitaine est aujourd’hui un homme attaché, garrotté pendant dix-huit mois de suite à une compagnie qu’il gère pour le Roi, qui pour cela lui donne 2 400 livres d’appointemens… Il ne peut pas dîner hors des murs de sa garnison sans la permission de plusieurs personnes ; s’il veut découcher, les difficultés sont plus grandes ; si c’est pour plusieurs jours, c’est une affaire d’Etat ! » En un mot, la noblesse, tout en gardant son privilège, aura dorénavant la charge en même temps que l’honneur, et l’état militaire devient véritablement un métier.

Le mécontentement s’aggrava par suite d’une prescription nouvelle, bien justifiée pourtant et d’une sagesse incontestable. Croirait-on qu’avant Saint-Germain il n’existait entre les divers corps aucun lien permanent, aucun groupement déterminé ? Isolés dans les garnisons et s’ignorant les uns les autres, les régimens n’avaient nulle organisation d’ensemble. Le jour où une guerre éclatait, on en réunissait en hâte un certain nombre ; on leur nommait un chef, qui, la plupart du temps, ne les connaissait pas la veille, et l’on entrait de la sorte en compagne. Pour remédier au vice d’un loi système, Saint-Germain imagine de distribuer les troupes du Roi en seize divisions militaires, dans lesquelles les différentes armes, — infanterie, cavalerie, artillerie et dragons, — sont réparties dans une proportion fixe, et dont chacune est commandée, soit en paix soit en guerre, par un lieutenant général et trois maréchaux de camp. Par des exercices répétés, des manœuvres fréquentes et des évolutions d’ensemble, ces unités tactiques devront être entraînées pour l’heure de la bataille ; car, disait le ministre[28], « tout le système militaire doit être constitué de façon que les armées soient toujours en état d’entrer en campagne du jour au lendemain… Prévenir l’ennemi fut et sera toujours l’un des meilleurs moyens pour le vaincre. »

La conséquence de cette mesure fut une distribution nouvelle des régimens dans les villes et provinces de France ; et ce fut là que les choses se gâtèrent. Les grands seigneurs et gens de Cour, — généraux, maréchaux de camp ou simples colonels — ne purent se pliera l’idée d’être envoyés au loin, astreints, en d’obscures garnisons, à de rudes et constantes besognes. De toutes parts éclatèrent les récriminations. Ces résistances et ces colères, Saint-Germain les avait prévues ; dans le Conseil où il avait exposé son plan à Louis XVI : « Sire, lui avait-il dit, j’ai vu tous les soldats de l’Europe, et j’ai reconnu que les meilleurs n’étaient pas les plus braves, mais les plus dociles. En conséquence, j’ai cru devoir rétablir dans vos troupes cet esprit d’ordre et de subordination, qui n’y a jamais régné, sans m’effrayer des plaintes. Un chirurgien ne fait pas une amputation à un malade sans le faire crier, mais il lui rend la santé et la vie[29]. » Les ministres demeurèrent muets ; mais le Roi répondit : « Achevez et maintenez votre ouvrage, monsieur, et ne vous inquiétez de rien. »

Une si belle fermeté ne tiendra pas longtemps contre l’influence de la Reine. Le domaine militaire est, en effet, celui où, de tous temps, s’est manifestée davantage la malencontreuse ingérence de Marie-Antoinette. Pour complaire à son entourage, elle intervient continuellement, soit dans le choix des chefs, soit dans le choix des garnisons. Du début à la fin du règne, pas un ministre de la Guerre n’échappe à ses instances, et parfois à ses injonctions. On a pu dire que pendant quinze années, nul régiment n’avait été donné sans son avis ou sans sa permission. Les règlemens de Saint-Germain, en provoquant l’indignation de ses plus chers amis, l’émurent profondément, la jetèrent hors de toute mesure ; et Louis XVI, harcelé de plaintes, capitulait bientôt, avec sa faiblesse coutumière, devant des exigences parfois formulées avec larmes. Quand Saint-Germain, convoqué certain jour par Marie-Antoinette, par elle accablé de reproches, cherche refuge auprès du Roi, il est tout étonné de l’accueil qu’il rencontre : « Tout cela est fort bon, dit Louis XVI avec embarras, mais je ne veux pas mécontenter la Reine ; ainsi arrangez-vous de façon à la satisfaire. »

Une petite scène, entre bien d’autres, rapportée avec complaisance dans les Mémoires du comte Esterhazy, peint au vif la situation du malheureux ministre. Esterhazy, intime ami de Marie-Antoinette, voit son régiment désigné pour résider à Montmédy, qu’il considérait, écrit-il, « comme la garnison la plus désagréable de France. » Il court droit chez la Reine, se plaint de Saint-Germain, réclame violemment contre sa décision : « Laissez-moi faire, dit-elle, vous entendrez vous-même ce que je lui dirai. » Elle fait cacher Esterhazy dans une pièce attenant à sa chambre, puis envoie chercher le ministre et, dès qu’elle l’aperçoit : « Il suffit donc, monsieur, que je m’intéresse à quelqu’un pour que vous le persécutiez ? Pourquoi envoyez-vous le régiment d’Esterhazy à Montmédy, qui est une mauvaise garnison ? Voyez à le placer ailleurs. — Mais, madame, répond-il avec timidité[30]les destinations sont faites. Peut-on déplacer un ancien régiment pour en mettre un nouveau ? — Comme vous voudrez ; mais que M. Esterhazy soit content, et vous viendrez m’en rendre compte. » — « Sur quoi, ajoute le narrateur, elle lui tourna le dos et vint me trouver dans le cabinet où j’avais tout entendu. » Le lendemain, Saint-Germain envoie au comte un commis de son ministère pour lui montrer la liste des garnisons vacantes et le prier d’y faire son choix[31]. Ainsi, par ces humilians désaveux et ces palinodies publiques, s’affaiblit graduellement l’autorité d’un homme, qui jouit pourtant, à juste titre, de la confiance du peuple et de l’estime du Roi.


IV

Jusqu’à présent, en dépit d’erreurs de détail, l’ensemble des mesures imaginées par Saint-Germain pour réformer le commandement et l’état-major de l’armée constituaient un progrès sérieux et indéniable. Il suffit pour le démontrer que la plupart d’entre elles aient supporté l’épreuve du temps et forment encore aujourd’hui la base de notre système militaire. Le ministre fut moins heureux dans quelques-unes des prescriptions relatives aux soldats. Elles procèdent pourtant, comme les autres, d’un esprit de justice et d’un souci d’humanité, mais certaines maladresses, dues à sa raideur germanique, à son peu d’expérience des hommes en général, et plus spécialement des Français, compromirent fâcheusement le succès de son œuvre, lui valurent, dans les rangs inférieurs de l’armée, une injuste, mais explicable impopularité.

L’idée fondamentale, excellente à coup sûr, à laquelle il s’attache, est la nécessité de faire régner parmi les troupes du Roi une plus exacte discipline. L’insubordination, le « libertinage » du soldat était, et avait été de tout temps le grand vice de l’armée française, singulièrement accru par les revers de la guerre de Sept ans. Rien ne pouvait répugner davantage à l’homme strict, inflexible, épris d’ordre et d’autorité, qu’était le comte de Saint-Germain. Aussi est-ce sur ce point que portera son effort principal, d’un bout à l’autre de son ministère. La « puissance militaire » doit être, dans ses conceptions, un instrument souple, docile, maniable, bien en main, toujours prêt à frapper, un instrument aveugle. Il est partisan déclaré des armées de métier, plus solides que nombreuses, composées de vieilles troupes rompues à la fatigue, exercées de longue date et obéissant à la muette. Le soldat parfait, à ses yeux, tel qu’il l’a défini d’un terme pittoresque, c’est « un chien enchaîné, dressé pour le combat. »

Pour atteindre son but, il recourt à plusieurs moyens, et d’abord aux moyens moraux. Il remonte jusqu’à l’origine du mal et il s’attaque au mode de recrutement toléré par l’usage : emploi des sergens racoleurs, traquenards tendus aux pauvres hères alléchés par de belles promesses, attirés dans les cabarets où le racoleur, après boire, extorque l’engagement qui lie pour de nombreuses années. Saint-Germain veut, avec raison, mettre ordre à ce scandale. Une réglementation sévère n’admet plus que des enrôlemens librement consentis, à des conditions débattues et acceptées d’avance. De plus, défense est faite d’embaucher des enfans imberbes, des gens faibles ou contrefaits, des individus mal famés, des repris de justice. Ainsi l’armée, pense-t-il, sera purifiée dans sa source. Une fois au corps, les jeunes recrues devront être traitées avec une douceur relative. Officiers et bas-officiers reçoivent l’interdiction de malmener, d’injurier, et même de « tutoyer » les hommes. Ils devront leur donner l’exemple d’une vie honorable, réglée, veiller sur leur conduite, sur leurs mœurs et sur leurs propos, les pousser à remplir leurs devoirs religieux, et au besoin, « les conduire à la messe[32]. » Peut-être était-ce trop exiger. Ces prescriptions, au siècle de Voltaire, risquaient de provoquer plus de sourires que de respect. A passer la mesure, le ministre s’expose à voir avorter son dessein.

L’ordonnance sur la désertion donna de meilleurs fruits. Ce crime, sous l’ancienne monarchie, était l’objet de terribles rigueurs, nez et oreilles coupés, fleurs de lys marquées au fer rouge sur les joues du coupable, la mort enfin, fût-on en temps de paix. Mais, comme il arrive d’ordinaire quand les peines sont trop dures, des grâces, des amnisties constantes énervaient l’action de la loi, et la pitié royale, dans la pratique courante, venait désarmer la justice. Dorénavant la peine de mort est réservée au temps de guerre ; un tableau, savamment gradué selon la gravité des cas, y substitue plus ou moins d’années de galères. Bien mieux encore : le Roi, « convaincu, dit le préambule, que la désertion est presque toujours l’effet d’une circonstance que suit le plus profond repentir, » accorde trois jours de sursis, — peu après portés à six jours, — à ceux « qui ont senti la honte et l’énormité de leur crime. » Les soldats qui reviennent au corps dans le délai fixé en seront quittes pour quinze jours de prison. Un billet de Louis XVI[33]indique de quel espoir se berçaient, à bon droit, le prince et son ministre : « Je compte que l’extrême adoucissement des peines aura ce bon résultat que les déserteurs cesseront d’être intéressans pour le public et que ceux de mes sujets qui se faisaient une sorte de devoir d’humanité de protéger leur fuite les abandonneront désormais à la loi. »


Tout cela, somme toute, est fort bon. Pourquoi faut-il que le même homme qui opère tant de belles réformes risque d’en détruire le succès par la maladroite prescription à laquelle, jusque de nos jours, son nom est resté attaché ? Pourquoi faut-il que, grâce à cette sottise, de toute son œuvre, si riche et si variée, beaucoup de gens ne se rappellent que ce misérable détail, et ne connaissent de Saint-Germain que l’inventeur des « coups de plat de sabre ? » Un article en trois lignes, inséré, sans presque y songer, dans une des grandes ordonnances qui réorganisaient l’armée, il n’en fallut pas plus pour déchaîner les protestations violentes et les assourdissantes clameurs dont, après plus d’un siècle, l’écho ne semble pas encore tout à fait amorti.

Jusqu’alors, dans l’armée française, les peines disciplinaires infligées pour les fautes légères se réduisaient au « piquet » et à la prison. Non pas que les châtimens corporels y fussent, de manière absolue, interdits par les règlemens. On trouve, en mainte vieille ordonnance, mention des verges ou des « baguettes » appliquées à la répression de certaines fautes déterminées, comme le vol, la tricherie au jeu, l’abandon du camp pour maraude. Mais cette peine n’était employée qu’à titre exceptionnel, pour des délits regardés comme déshonorans. Le soldat châtié de la sorte ne pouvait retourner au corps qu’après réhabilitation ; on lui faisait « passer le drapeau sur la tête, » pour « lui ôter, par cette cérémonie, l’idée de l’infamie » dont il avait subi l’atteinte[34]. Aussi la bastonnade en usage dans l’armée allemande était-elle, parmi nos soldats, un sujet constant de risée, « de mépris pour les hommes qui se laissaient avilir de la sorte[35]. »

Plus d’un général, cependant, regrettait ce moyen, comme à la fois plus efficace et plus rapide que la prison, moins « destructif, surtout, de la santé des hommes. » Le maréchal de Broglie était de cet avis ; il avait même, au cours de la guerre de Sept ans, institué la mode du bâton parmi les troupes qu’il commandait et il s’en était, disait-on, bien trouvé pendant la campagne. Le comte de Rochambeau, dans un mémoire sur la discipline militaire, avait proposé de créer, à l’usage des bas-officiers, une « forte épée d’acier, » dont ils se serviraient pour « corriger les petites fautes, » et dont les coups seraient réglés d’après une espèce de tarif. En février 1775, un comité d’inspecteurs généraux avait, à l’unanimité, émis un vœu en faveur de cette invention.

En ordonnant les coups de plat de sabre comme peine disciplinaire, Saint-Germain, de bonne foi, n’imaginait donc pas faire chose exorbitante. « Si ce moyen, écrivait-il, est redouté du soldat français, il sera d’autant plus sûr à employer pour le succès de la discipline. » Les coups, dont le nombre variait de vingt-cinq à cinquante, seraient donnés au délinquant par un bas-officier, sur l’ordre exprès du capitaine, à la parade du jour, en présence de la compagnie dont faisait partie le coupable. Ainsi l’effet moral, dans la pensée de Saint-Germain, viendrait doubler l’effet de la souffrance physique.

Le résultat, à cet égard, dépassa son attente. On ne vit que trop, en effet, à quel point c’était méconnaître le tempérament national, les habitudes héréditaires. « En France, observe Soulavie[36], le grand ressort des troupes avait toujours été l’honneur, l’amour de la gloire, l’amour-propre militaire. » Punir des fautes légères en infligeant une douloureuse blessure à ce sentiment de l’honneur, en humiliant profondément des hommes auxquels tout inculquait l’orgueil de leur métier, choisir pour cette besogne le sabre, « l’arme noble par excellence, » changer enfin, comme écrira un poète militaire dans une supplique à Marie-Antoinette, changer


L’instrument de la gloire en celui du supplice,


cette idée malheureuse provoqua dans les régimens une effervescence incroyable. « J’ai vu, témoigne un ancien officier[37], j’ai vu, à Lille, des grenadiers répandre au pied de leur drapeau des pleurs de rage, et leur colonel, le duc de la Vauguyon, mêler ses larmes aux leurs. » Là où la prescription fut rigoureusement appliquée, la colère des soldats se retourna contre les chefs. « Le régime établi par M. de Saint-Germain, assure un mémorialiste du temps, en mécontentant le soldat, l’éloigna de l’officier et le rapprocha du peuple révolutionnaire. » Au reste, certains colonels se refusèrent à exécuter l’ordonnance et certains généraux encouragèrent cette résistance. Le plus grand nombre, il est vrai, se soumirent, mais avec répugnance et en cherchant tous les moyens pour éluder l’ordre ministériel.

Ce fut bien pis encore dans la masse du public, là où nul frein ne retenait l’essor des sentimens. La Cour, la ville, les bourgeois, « les abbés, les femmes mêmes, disputaient avec acharnement. » Six mois durant, cette affaire fut l’objet de tous les entretiens. Les Mémoires de l’époque citent des traits singuliers. Un camarade de régiment du jeune comte de Ségur venait le trouver un matin, se condamnait lui-même à recevoir une vingtaine de coups de sa main, pour s’assurer, par une expérience personnelle, si le moyen était réellement efficace. Sans pousser si loin la conscience, quelques admirateurs de la méthode prussienne « soutenaient qu’avec les coups de plat de sabre, notre armée égalerait promptement en perfection celle du Grand Frédéric[38]. » Mais cette opinion était rare ; la grande majorité s’indignait, protestait, répétait le mot attribué au grenadier frappé pour quelque peccadille : « Nous n’aimons du sabre que le tranchant. » Les ennemis du ministre ne manquèrent pas d’exploiter contre lui cette irritation générale ; et peu à peu, comme une marée montante, il s’élevait un mouvement qui, des hauts sommets de l’armée, se propageait jusque dans les casernes. Une légende se formait, qui représentait Saint-Germain comme l’ennemi du soldat et « le bourreau de son honneur. » Lorsqu’il quitta le ministère, affirme Soulavie, « le mécontentement était porté à un tel point, que le Roi n’était pas sûr d’un régiment ! »


Une autre faute, moins grave sans doute et surtout moins retentissante, ajoutait peu après à cette impopularité. On ne peut nier pourtant qu’en cette fin du XVIIIe siècle, si, dans le domaine militaire, il était une institution qui donnât prise à la critique et appelât une réformation, c’était l’Hôtel des Invalides, jadis établi par Louvois. Depuis la fondation, les choses avaient beaucoup changé. Primitivement créé pour fournir un asile aux vieux soldats, infirmes, estropiés, dénués de toutes ressources, l’Hôtel, avec le temps, avait été singulièrement détourné de son but. On y admettait, à présent, qu’ils eussent été blessés ou non, ceux qui comptaient vingt-quatre ans de service. Comme on pouvait s’engager à seize ans, bon nombre de ces « invalides » étaient des hommes d’une quarantaine d’années, bien portans, vigoureux, mais corrompus par l’oisiveté et tombés dans la pire débauche. Abus plus déplorable, souvent l’on y admettait par faveur ceux qui n’avaient jamais servi que dans l’office ou l’écurie des grands seigneurs, des gens en place. Lorsque, dans les dernières années du règne de Louis XV, le comte de Guibert fut nommé gouverneur de l’Hôtel, il y trouva « six cents prétendus invalides qui n’avaient jamais fait la guerre, mais qui, en revanche, avaient été cochers, laquais ou palefreniers dans d’illustres maisons[39]. » C’est pour un tel objet que, malgré les pieuses fondations faites en faveur de cet établissement, il en coûtait annuellement deux millions au département de la Guerre.

La première intention du comte de Saint-Germain, quand il arriva au pouvoir, fut de faire table rase et de bouleverser entièrement l’ouvrage édifié par Louvois. L’austérité de ses principes répugnait à maintenir ce qu’il considérait « comme un monument de la vanité, plutôt que de la bienfaisance de Louis XIV[40]. » Il développait à ce propos une de ses maximes favorites : « L’armée est destinée à vivre dans la peine et le travail, dans la sobriété et la privation ; il ne faut donc rien y admettre qui puisse lui inspirer des mœurs coûteuses. » Dans la fastueuse demeure érigée par le Roi-Soleil, il ne voyait qu’une inconséquence périlleuse : pourquoi fallait-il « un palais » pour abriter des gens « qui devraient vivre comme des moines[41] ? » Disperser en province les pensionnaires de la maison, les réunir par petits groupes en des établissemens où ils travailleraient en commun, chacun suivant ses forces, tel était son projet, que les scrupules du Roi, des difficultés de tout genre, lui firent abandonner, pour en réaliser un autre, plus modeste.

Une ordonnance du 17 juin 1776 laissa l’institution debout, mais en y apportant des modifications notables. L’Hôtel ne devra plus contenir que 1 500 pensionnaires, tous anciens militaires, infirmes ou blessés, et reconnus après enquête comme incapables de servir. L’ordre et la discipline, parmi les invalides maintenus, seront désormais assurés par une surveillance rigoureuse. A cela, rien à dire sans doute. Mais Saint-Germain voulut aller plus loin et donner à son ordonnance effet rétroactif. Au lieu d’agir par extinction, d’attendre que la mort eût réduit les bénéficiaires au chiffre fixé par la loi, il prescrivit que, dès cette heure, au-delà des 1 500 dont il se réservait le choix, tous les occupans de l’Hôtel seraient expédiés en province, où ils recevraient des pensions qui les aideraient à vivre. Le nombre de ces sacrifiés dépassa un millier, qui reçurent, du jour au lendemain, l’annonce de leur renvoi.

L’ordre était dur et l’exécution fut brutale. Trois jours durant, les 29 et 30 juin et le 1er juillet 1770, les anciens pensionnaires du Roi, expulsés de leur belle demeure, furent entassés dans des chariots pour être emmenés loin de la capitale. Ce ne fut pas sans cris, sans protestations de leur part. Il y eut des scènes émouvantes : « Un des chariots chargés de vieux soldats s’étant arrêté fortuitement sur la place des Victoires, ils descendirent, les yeux en pleurs, et s’agenouillèrent devant la statue île Louis XIV, l’appelant leur père et disant qu’ils n’en avaient plus[42]. » Racontés, amplifiés par les gazettes et par les nouvellistes, ces faits touchèrent vivement la sensibilité publique, et la réputation du comte de Saint-Germain en reçut une nouvelle atteinte. Quel résultat produisit, au surplus, ce coup d’autorité ? La plupart de ces malheureux, sans famille, sans métier, sans autres moyens d’existence que leur maigre pension, tombèrent dans une si grande misère, qu’il fallut, l’année même, réintégrer les cinq sixièmes dans cet Hôtel d’où on les avait arrachés.


V

À ces actes malencontreux, Saint-Germain joint souvent des formes maladroites qui tiennent à sa nature et à son caractère, et moins peut-être à ses défauts qu’à l’excès de ses qualités. C’est sa sincérité, c’est sa franchise bourrue qui font qu’en conversant avec les commis de son ministère, il dit à chacun d’eux le mal qu’il pense des autres et que, tout haut, chaque soir, au sortir de son cabinet, « il se répand en plaintes amères » sur ceux avec lesquels il vient de travailler[43]. C’est son sentiment du devoir, c’est son intransigeance vertueuse, qui lui font exiger de ses subordonnés un détachement de leur intérêt personnel, qui ne s’accorde guère avec l’humaine faiblesse. Le jour où le duc de Croy demande une récompense pour un officier de son corps, qui s’est distingué par son zèle au cours d’une épizootie, le ministre se fâche et répond brusquement : « Toujours des récompenses pour faire ce dont on a été chargé ! On est payé pour le faire. Il faudrait bien déshabituer cette nation de demander des grâces pour avoir fait son devoir ! » C’est par cette apparente dureté « qu’il se faisait haïr, » observe justement Croy[44]. Enfin, c’est sa scrupuleuse honnêteté qui, chaque fois qu’il refuse quelque faveur injustifiée, lui inspire des accens d’une indignation méprisante, qui blesse bien plus que le refus. A la suite d’un mot de ce genre, Choiseul s’emportera jusqu’à menacer le ministre « de lui en demander raison, l’épée à la main, » et il faudra, pour arranger l’affaire, l’intervention de Marie-Antoinette[45].

C’est grâce à de pareils procédés qu’après une année de pouvoir, de tous côtés des nuages se forment, assombrissent l’horizon autour de Saint-Germain. Il n’a plus seulement pour ennemis, comme dans les premiers temps, les grands états-majors, les chefs des corps privilégiés, les titulaires de sinécures ; il s’est, de plus, aliéné la confiance des troupes et des bas-officiers. Il est suspect comme étranger ; on lui reproche ses allures « germaniques » et l’ignorance du caractère français. Il est suspect encore comme dévot, comme « ancien jésuite, » ayant conservé les idées et les préjugés de son ordre. Le vide se fait autour de lui. « Son audience est déserte ; on le fuit plus qu’on ne le recherche[46]. » Aussi Maurepas, prompt à prendre le vent, se détache chaque jour davantage d’un homme qui a soulevé trop d’hostilités contre lui. Il le ménage pourtant, dans une certaine mesure, ne se presse pas de le faire renvoyer, parce qu’il se rend compte que, malgré tout, ce maladroit fait œuvre utile et pense qu’il sera temps de s’en débarrasser lorsqu’il aura terminé une besogne dont nul autre, sans doute, ne voudrait se charger. Du moins est-ce le calcul que lui prêtent bon nombre de gens[47]. Mais, s’il patiente encore, il contrecarre sous-main ses principales opérations, le dénigre, le raille impitoyablement, en attendant que, par une manœuvre sournoise, comme on verra bientôt, il le mette en lisières.

Seul Louis XVI, au milieu de toutes ces défections, persiste à soutenir l’honnête homme dont il goûte la droiture, le défend au besoin contre certaines attaques et, tout en s’effrayant souvent quand il le voit toucher à de trop puissans personnages, lui témoigne hautement son estime. « Je le perdrais avec peine, écrit-il, connaissant tout son dévouement et sa capacité pour me servir[48]. »

Il fallait ce haut patronage pour réconforter Saint-Germain lui faire avaler ses déboires, combattre le découragement dont il se sentait envahi. « J’ai vu, écrit Guibert, son auxiliaire et son ami, j’ai vu ce malheureux ministre succombant sous le poids du travail, fatigué au physique, encore plus au moral, dégoûté des contrariétés qu’il essuie. Il me disait, avec un soupir qui venait du fond de son âme, qu’il renoncerait à tout, s’il ne voulait auparavant faire le bien qui lui était possible à exécuter[49]. » C’est ce que Saint-Germain lui-même confirmera, au lendemain de sa chute, dans une note écrite de sa main : « Si je m’étais abandonné au mouvement de mon âme, j’aurais demandé au Roi la permission de me retirer dans mon ermitage. Quelques personnes à qui je m’en ouvris m’en dissuadèrent… On me flatta que le caractère du Roi, sa fermeté, sa simplicité, son amour pour la justice, son aversion pour l’intrigue, me seconderaient, malgré l’indifférence de M. de Maurepas. Pour un tel monarque, je me livrai au plan de réforme de mon département[50]. » Il est certain que s’il se résigna, contre son goût, à garder le pouvoir, ce fut surtout par crainte, s’il se retirait avant l’heure, de « compromettre à tout jamais sa gloire et sa réputation, » et de « faire dire de lui ce qu’on avait dit de Turgot[51]. » Il reste donc, mais en restant, il se laisse arracher toute force et toute autorité par la concession désastreuse qui est la plus grande faute de sa vie politique.


VI

Fort peu de temps après son entrée aux affaires, Saint-Germain s’était aperçu que sa santé, déjà chancelante, ne résisterait pas, s’il n’était sérieusement aidé, à l’écrasante besogne qu’il avait sur les bras, et que, pour mener à bonne fin l’œuvre de refonte générale de son département, il lui fallait, de toute nécessité, des collaborateurs dignes de sa confiance. L’idée lui vint d’instituer auprès du ministre un Grand conseil militaire, où il ferait entrer les meilleurs généraux, et dont l’avis, sur toutes les questions importantes, lui serait un précieux renfort[52]. Maurepas, auquel il soumit ce projet, l’en dissuada vivement ; il redoutait d’accroître ainsi la puissance d’un collègue dont l’esprit l’inquiétait. Mais il lui conseilla, pour l’aider dans sa tâche, de doter l’administration d’un rouage nouveau, par l’adjonction d’une sorte de « second, » qui recevrait le titre de « directeur de la Guerre » et qui suppléerait le ministre en quelques-unes de ses fonctions. Une grave fluxion de poitrine qui, en janvier 1776, faillit emporter Saint-Germain, acheva de le déterminer à prendre ce parti dangereux. Une deuxième balourdise aggrava la première, car il accepta pour ce poste l’homme que lui désignait Maurepas.

Alexandre-Marie Léonor de Saint-Maurice[53], comte de Montbarey, devenu prince du Saint-Empire à beaux deniers comptans, lieutenant général des armées, commandant des Suisses de Monsieur, deux fois blessé dans la guerre de Sept ans, devait surtout son crédit à la Cour à son mariage avec Mlle de Mailly, cousine de Mme de Maurepas. C’était, disent les chroniques, une femme spirituelle, intrigante, dominant par son influence la comtesse de Maurepas qui, flattée de cette parenté[54]avait fait d’elle son inséparable compagne. Par une favorable rencontre, le prince de Montbarey, — ainsi se faisait-il appeler, — était lié de longue date avec le comte de Saint-Germain. Originaire comme lui de Franche-Comté, il lui avait, au temps de sa disgrâce, proposé l’hospitalité dans un de ses châteaux ; il lui avait même, assure-t-on, en apprenant plus tard sa ruine, offert une somme d’argent pour l’aider à payer ses dettes ; il s’était acquis de la sorte des titres à sa gratitude. Aussi lorsque Maurepas, sous l’inspiration de sa femme, souffla à Saint-Germain le nom de Montbarey, il ne trouva guère d’objection et le décret nommant le nouveau directeur fut signé par le Roi le 25 janvier 1776.

Le prince de Montbarey raconte, dans ses Mémoires, l’excellent accueil qu’il reçut, le jour de son installation, de son vieil et naïf ami : « Il avait fait rassembler dans son cabinet tous les agens principaux de son ministère. Lorsque j’y entrai, il me sauta au col et me présenta à ces messieurs en leur disant que j’étais directeur de la Guerre et par conséquent un second lui-même, en qui il mettait toute sa confiance… Rien ne peut égaler les marques d’amitié paternelle qu’il me donna quand nous fûmes seuls. Il me dit que, dorénavant, nous ne devions plus faire qu’une seule et même personne[55]. »

Malgré ces effusions, il n’en reste pas moins que la désignation du prince de Montbarey était singulièrement fâcheuse. « C’est un homme très borné, d’une naissance très obscure, et sans aucun mérite distingué, » écrit la marquise du Deffand[56]. Telle est bien, en effet, l’opinion courante à la Cour. Celle de l’armée n’est pas plus favorable. Le prince, dans les différens postes où il avait servi, s’était acquis la réputation d’un homme brave, courtois, de manières agréables, doué d’une facilité qui pouvait un moment faire illusion sur ses capacités réelles, mais peu instruit, léger, sans caractère, moins militaire que courtisan, d’ailleurs constamment dominé par le goût du plaisir, bref l’opposé, sur presque tous les points, du comte de Saint-Germain. Ce dernier n’allait guère tarder à être mal récompensé de sa condescendance. Montbarey, en effet, profitait rapidement de sa situation pour se créer, au sein du ministère, un parti personnel, recruté parmi les commis et les chefs de service que choquait, dans leurs vieilles routines, l’inflexible rigueur du comte de Saint-Germain, que froissait sa brusque franchise et que gênait aussi, parfois, son intransigeante probité. Sans faire de l’opposition déclarée, ni censurer ouvertement les décisions de son ministre, le prince laissait percer, dans toutes les occasions, sa défiance ironique et s’attachait les mécontens, bien moins par ses propos que par son attitude. « Je m’aperçus facilement, déclarera-t-il lui-même[57], que je pouvais compter sur eux. »

C’est de la même façon qu’il agissait avec Maurepas. Il avait promptement démêlé les inquiétudes que causaient au vieillard les velléités audacieuses de son ministre de la Guerre. Il en profitait habilement, se gardant bien débattre en brèche les mesures proposées et d’élever autel contre autel, mais témoignant, par son silence, par ses réticences calculées, quelquefois au moyen d’un mot tombé comme par mégarde, sa désapprobation intime. Il n’en fait d’ailleurs pas mystère : « Je me contentais, écrit-il[58], de faire sentir, quand j’étais consulté, que je n’étais pas du même avis que M. de Saint-Germain, sans chercher à faire prévaloir le mien. » Une occasion s’offrit bientôt d’éprouver et montrer sa force. En mai 1776, le comte de Saint-Germain appelait à ses côtés, avec le titre d’ « intendant de l’armée, » un homme de robe, un administrateur de race et de métier, un ancien ami de Turgot, le sieur Sénac de Meilhan, chargé de guider le ministre parmi les affaires contentieuses, civiles et financières se rattachant au département de la Guerre. A cette nouvelle, le prince de Montbarey allait trouver Maurepas, prétendait que cette adjonction portait atteinte à ses prérogatives, compromettait sa dignité, et remettait sa démission. Maurepas, fort irrité, mandait sur-le-champ Saint-Germain, exigeait des explications, le tançait vertement, l’intimidait si bien qu’il lui arrachait le retrait de la nomination déjà faite et signée. Cette déroute humiliante avait le double résultat de discréditer le ministre et de lui attirer la rancune acharnée de Sénac de Meilhan.

A dater de cet incident, qui avait tourné à sa gloire, Montbarey, enivré d’orgueil, se jugea maître de la place, et il ne songea plus qu’à précipiter sa fortune. La santé précaire du ministre servit ses ambitieux desseins. « Le comte de Saint-Germain, dit-il[59], baissait à vue d’œil, sa tête s’affaiblissait… Il était si tourmenté qu’il en perdait le sommeil. » Tel fut le prétexte invoqué pour arracher au malheureux une capitulation nouvelle. Le 5 novembre 1776, le prince de Montbarey, à la demande de M. de Maurepas et avec l’agrément du comte de Saint-Germain, était nommé, par une innovation étrange, « secrétaire d’Etat pour la Guerre en survivance, » c’est-à-dire le coadjuteur du ministre en fonctions et son successeur désigné ; il devenait ainsi « le prince héréditaire, » comme bouffonnait Maurepas. Il recevait pour cet emploi 60 000 livres d’appointemens et il entrait au Conseil des Dépêches, où il se rencontrait avec les plus ardens adversaires du ministre, Sartine et le maréchal de Soubise. Aussi sera-t-il désormais, au département de la Guerre, l’homme important, le personnage en vue et quelque chose comme le soleil levant. C’est chez lui que se presse la foule des quémandeurs, habiles à flairer la faveur. Chaque jour, il passe plusieurs heures chez Maurepas, dans une intimité complète ; car ce dernier, de plus en plus, se tourne contre Saint-Germain et encourage par ses propos ceux qui poussent à sa chute. L’un de ceux-ci, le baron de Besenval, dit un jour au Mentor : « Il en sera de M. de Saint-Germain comme de M. Turgot. Il perdra voire armée comme l’autre a perdu vos finances. Mais vous ne le chasserez que lorsque tout sera si bien bouleversé, qu’il n’y aura plus de remède. — Ma foi, réplique Maurepas en éclatant de rire, je crois que vous avez raison ! »


VII

Quelle que fût sa candeur, il fallut bien que Saint-Germain comprît ce qui se tramait contre lui. Tout contribuait à lui ouvrir les yeux. Le Roi lui-même, maintenant, sous l’influence de son vieux conseiller, lui témoigne de la froideur, se montre las de ses projets nouveaux et de ses désirs de réformes. Dans le cours de l’été de l’an 1777, Louis XVI ne répond plus aux mémoires du ministre qu’après un long délai, pendant lequel il prend l’avis de ceux auxquels va sa confiance, Maurepas d’abord, puis Montbarey. Attaqué d’un côté, trahi de l’autre et abandonné par le maître, Saint-Germain reconnaît enfin sa cruelle impuissance et cède à un découragement complet : « Je voyais, écrit-il[60], le mal s’accroître et le bien impossible. Je voyais que les choses étaient parvenues à un tel degré de perversité, que les places, les dignités, les décorations et les grâces allaient être envahies par tous les courtisans et, de préférence, par les plus corrompus. » Il se rendait trop clairement compte que la mollesse du Roi ne lui permettrait pas longtemps de tenir tête à une meute acharnée. « Je n’ai pas ignoré, reprend-il, une seule des clameurs qui se sont élevées contre moi et contre la faiblesse qu’on me reprochait. Je ne conteste pas que j’eusse eu le pouvoir de faire un exemple sur des prévaricateurs obscurs et subalternes ; mais, pour cette raison même, cet exemple n’aurait produit aucun effet, et la trop grande bonté du Roi le rendait impossible contre des hommes puissans. »

Pour le jeter à bas, il ne fallut qu’un mince prétexte. Dans bon nombre de corps, le service d’aumônerie était livré, un peu à l’aventure, à des moines ignorans ou à des prêtres sans paroisse, le rebut des diocèses. Pour remédier à cet état de choses et relever le niveau de l’institution, Saint-Germain voulut établir, à l’Ecole militaire, un « séminaire d’aumôniers » pour les troupes, où se formeraient des sujets plus « éclairés » et plus « vertueux. » Aussitôt le bruit circula qu’il comptait réserver ces places à la Société de Jésus, condamnée, renvoyée de France par un arrêt du Parlement. La piété connue du ministre, les souvenirs de son noviciat dans la célèbre Compagnie, donnaient quelque créance à une imputation, d’ailleurs purement imaginaire, et contre laquelle Saint-Germain a protesté avec la dernière énergie[61]. Mais cette perfide manœuvre déchaîna contre lui la violente inimitié de ceux qui jusqu’alors le soutenaient ou, du moins, le ménageaient encore dans une certaine mesure, les philosophes, les rédacteurs de l’Encyclopédie, les novateurs, l’état-major enfin du parti des réformes. Ce fut, parmi ceux-ci, un tolle général.

En présence de ces défections, Saint-Germain crut, non sans raison, avoir maintenant tout le monde contre lui : les princes du sang, les gens de Cour et les hauts dignitaires, pour la guerre qu’il leur avait faite ; la noblesse pauvre et les officiers subalternes, pour n’avoir pu réaliser toutes les belles espérances qu’il avait fait luire à leurs yeux ; les soldats, pour ses ordonnances au sujet de la discipline ; les femmes de qualité, à cause de la rudesse qui rebutait leurs demandes de faveurs ; les philosophes enfin, à cause de ses sentimens religieux. Il fut trouver Maurepas, lui exposa sa triste position, ne rencontra nulle résistance au désir exprimé de prendre sa retraite et le chargea d’instruire le Roi de sa résolution. Tout fut décidé à l’amiable. Il fut convenu que la sortie du ministère s’exécuterait à quelques jours de là, un mois avant le départ de la Cour pour le château de Fontainebleau, et l’on ne songea plus qu’à régler les compensations accordées au démissionnaire. A cet égard, les choses furent faites d’une façon généreuse. Saint-Germain devait conserver, sa vie durant, son logement à l’Arsenal ; il recevrait une pension de 40 000 livres, plus 150 000 livres à titre d’ « indemnité, » sans compter la promesse d’un « grand gouvernement. » Ces points fixés, sans plainte et sans murmure, le ministre céda la place au prince de Montbarey, qui, le 23 septembre 1777, s’installa dans son héritage comme en pays conquis. « Tout naturellement, écrit ce dernier[62]avec désinvolture, je me trouvai secrétaire d’Etat au département de la Guerre, et n’eus qu’à transporter, de l’appartement que j’occupais, mes effets et mes papiers au pavillon du ministre, dans la grande cour. »

Grâce à cette transmission rapide, la chute du grand réformateur provoqua peu de sensation, passa même presque inaperçue. « M. de Saint-Germain nous a quittés, se borne à dire Métra le nouvelliste. Il n’emporte pas nos regrets, mais un traitement avantageux. » Caraccioli, l’ambassadeur de Naples, devant lequel on déplorait tant de changemens rapides, tant d’essais infructueux pour améliorer le régime, tirait la morale de l’histoire en ces mots : « Il ne faut pas s’en étonner ; ce sont les dents de lait du Roi. »


Quelques semaines avant sa mort[63], qui suivit de près sa retraite, après s’être livré à une espèce d’examen de conscience, Saint-Germain concluait avec simplicité : « J’ai eu des torts ; je n’ai pas eu tous ceux que l’on m’impute ; mais Dieu permettra que tout se découvre. » Cette confiance n’a pas été vaine. Sans doute, l’histoire reproche à Saint-Germain des erreurs, des faiblesses, dont quelques-unes vinrent de son caractère, d’autres du temps où il vécut. Entier dans ses idées, ignorant l’art subtil des nuances, inhabile à proportionner la vigueur de l’effort à la force de la résistance, il voulut tout refondre en bloc et s’attaqua, sans préparation suffisante, à tous les problèmes à la fois. En cela, il est bien du siècle où le rêve presque universel est de voir transformer la société de fond en comble, en un clin d’œil, par un coup de baguette, et de reconstruire l’édifice sur des principes immuables. S’il a, par cette méthode, manqué parfois son but et compromis son entreprise, il reste cependant qu’avec une honnêteté vaillante et une réelle justesse d’esprit, il a porté la main sur les plus graves abus qui entachaient nos institutions militaires, — tant l’inégalité des corps que la vénalité des charges, — qu’il s’est efforcé d’introduire plus de justice dans l’obtention des grades, plus de fixité dans les cadres, qu’il a travaillé de son mieux à faire du « militaire de France » un corps discipliné, solide et homogène, qu’il a repris, enfin, après quatre-vingts ans d’oubli, les grandes traditions de Louvois.

Il reste encore qu’à son départ, l’effectif de la cavalerie, de l’infanterie, de l’artillerie, était presque doublé, sans que, grâce au bon ordre et à l’économie des différens services, les dépenses de la Guerre eussent sensiblement augmenté[64]. Il faut noter enfin qu’à l’opposé de ce qui advint à Turgot, les réformes de Saint-Germain lui survécurent pour la plupart et continuèrent après sa chute à produire d’heureux fruits. Quelques-uns de ses successeurs, avec plus de prudence peut-être, n’auront qu’à suivre la même voie, à appliquer les mêmes principes, pour forger l’instrument que la vieille monarchie, avant de disparaître, léguera à la Révolution, le glorieux instrument qui, pendant des années, résistera victorieusement à l’effort combiné de toutes les puissances de l’Europe.


SEGUR.

  1. Copyright by Calmann-Lévy, 1912.
  2. Voyez la Revue des 15 janvier et 1er février.
  3. Lettre de Mercy à Marie-Thérèse, du 15 juin 1777. — Correspondance publiée par d’Arnim.
  4. Voyez Au Couchant de la Monarchie, p. 265.
  5. Journal de Croy.
  6. Journal de Hardy, 6 janvier 1776.
  7. Ibid., novembre 1776.
  8. Correspondance secrète, 1er janvier 1776.
  9. Journal de Croy, janvier et février 1776.
  10. Les Mémoires du comte de Saint-Germain ont été publiés en 1779, l’année d’après sa mort. Ils furent écrits, dit La Harpe, « dans l’intervalle qui s’est écoulé entre sa disgrâce et sa mort, » et imprimés par les soins d’un de ses amis, l’abbé de La Montagne. On a, dès leur apparition, contesté leur authenticité ; mais, sans même invoquer la forme et l’esprit de ces pages, qui concordent absolument avec tout ce que l’on connaît de M. de Saint-Germain, on a l’attestation du baron Christian de Wimpfen, qui fut longtemps le plus intime ami de l’auteur des Mémoires et qui, en les rééditant et en les commentant, affirme avoir « tenu l’original entre ses mains » et certifie qu’il « n’y existe pas un seul mot qui ne soit écrit de la main même de M. le comte de Saint-Germain. » Ce témoignage suffit à lever tous les doutes.
  11. 170 000 sur le papier, mais beaucoup moins dans la réalité.
  12. L’Espion Anglais, novembre 1775.
  13. Pour tout ce qui va suivre, j’ai fait un grand usage de l’ouvrage consciencieux public en 1884 par M. Léon Mention, sous ce titre : le Comte de Saint-Germain et ses réformes, d’après les Archives du dépôt de la Guerre. Je l’indique ici une fois pour toutes, afin de n’y pas revenir à chaque page.
  14. Pour n’en donner qu’un exemple, un lieutenant des gardes du corps touchait un traitement annuel de 10 000 livres, tandis qu’un lieutenant de compagnie détachée aux frontières n’avait que 400 livres de solde.
  15. Mémoires de Saint-Simon, édition Chéruel, t. XV.
  16. Mémoires de Saint-Simon, édition Chéruel, t. XV.
  17. Note écrite par Saint-Germain après sa retraite. — Mémoires de Soulavie.
  18. Journal du duc de Croy, passim.
  19. M. Frédéric Masson, L’Armée royale en 1789 (Écho de Paris, du 7 mai 1911.)
  20. Journal de Hardy, 24 janvier 1776.
  21. Le Journal du libraire Hardy reflète fidèlement les rancunes de la bourgeoisie parisienne : « On ne pouvait s’empêcher de remarquer, en voyant ces militaires molestés à leur tour par des suppressions, que, lorsque le ministère avait frappé en 1771 sur toute la magistrature du royaume, pour ainsi dire, à bras raccourcis, ils n’avaient cessé de crier, dans les différentes villes du royaume, que le Roi était le maître, que son autorité devait prévaloir en tous lieux, comme aussi d’avoir entendu dire à quelques-uns d’entre eux, en parlant des magistrats alors si injustement persécutés : « Qu’on nous l’ordonne, et nous ferons feu sur tous ces b…-là ! » Des gens si dévoués à l’autorité royale ne pouvaient que donner, dans les circonstances actuelles, les preuves de la plus grande docilité et de la plus parfaite soumission. »
  22. Correspondance secrète de Métra, 6 février 1776.
  23. L’Espion Anglais, 1776.
  24. Mémoires de Saint-Germain.
  25. Correspondance avec Paris-Duverney.
  26. Traité des légions.
  27. Mémoires du marquis de Toulongeon (Archives de la Guerre).
  28. Mémoires de Saint-Germain.
  29. Correspondance secrète de Métra, 19 janvier 1776.
  30. « En mourant de peur, » écrit Esterhazy.
  31. Mémoires du comte Esterhazy.
  32. Ordonnance du 23 mars 1776.
  33. Lettre du 7 décembre 1777. — Correspondance publiée par Feuillet de Conches. — Journal de l’abbé de Véri.
  34. Mémoires sur l’art de la guerre, par le maréchal de Saxe.
  35. Ibid.
  36. Mémoires sur le règne de Louis XVI.
  37. Souvenirs et anecdotes, par le comte de Ségur.
  38. Mémoires de Soulavie.
  39. Chamfort, Maximes et pensées. — Journal de Hardy, du 27 juin 1776.
  40. Mémoires de Saint-Germain, passim.
  41. Ibid.
  42. L’Espion Anglais, t. IV. — Vie du comte de Saint-Germain, par Grimoard.
  43. Mémoires du prince de Montbarey.
  44. Journal du duc de Croy.
  45. Correspondance secrète publiée par M. de Lescure.
  46. Correspondance de Métra, 15 juin 1776.
  47. Ibid. — 24 août 1776.
  48. Lettre du 6 septembre 1776. — Portraits intimes du XVIIIe siècle, par MM. de Goncourt.
  49. Lettre de 1776. — Correspondance de Mlle de Lespinasse. Édition Villeneuve-Guibert.
  50. Document publié dans les Mémoires de Soulavie.
  51. Correspondance de Métra, 26 juillet 1776.
  52. Mémoires de Soulavie, t. IV.
  53. Il était né à Besançon, le 20 avril 1732.
  54. Journal du duc de Croy, février 1776.
  55. Montbarey, dans ses Mémoires, attribue ce bienveillant empressement de Saint-Germain à des motifs intéressés : « Je ne fus pas long, dit-il, à m’apercevoir que le ministre, d’un âge déjà avancé et ne tenant à personne à la Cour, où il était aussi étranger que s’il fût arrivé de Chine, avait jugé qu’en m’associant à ses travaux, il allait s’étayer et se former une famille à Versailles, qui s’intéresserait à ses succès et le soutiendrait… Je crois pouvoir assurer que l’idée de se faire, à la Cour, une famille de la mienne fut la cause déterminante qui l’engagea à m’associer à ses travaux. » Il est à peine nécessaire de faire remarquer que le caractère de Saint-Germain et la manière dont il en usa avec Montbarey suffisent à faire tomber cette insinuation tendancieuse, dont le but évident est d’excuser les mauvais procédés du prince envers son protecteur.
  56. Lettre du 4 mars 1770, édition Lescure.
  57. Mémoires de Montbarey.
  58. Mémoires de Montbarey.
  59. Ibid.
  60. Mémoires de Saint-Germain, passim.
  61. « Je proteste ici, lit-on dans ses Mémoires, et je renouvellerai cette protestation à l’article de ma mort, que jamais aucune idée de Jésuites n’est entrée dans mon projet de l’école des aumôniers, que j’ai demandé indistinctement à plusieurs évêques des sujets instruits et vertueux, sous la condition expresse qu’aucun n’eût été jésuite. »
  62. Mémoires, passim.
  63. Une gazette de l’époque rapporte qu’après sa retraite, le comte de Saint-Germain acheta à Montfermeil une maison de campagne, où il s’occupa sur-le-champ de tout bouleverser dans le parc, en vue de le refaire d’après un nouveau plan. Il commença par abattre les arbres, par détruire les parterres, par « mettre tout sens dessus dessous, » et il fut surpris par la mort au milieu de cette destruction. Dans ce trait, dont rien au surplus ne prouve l’authenticité, les détracteurs de Saint-Germain prétendirent voir l’image de son passage au ministère. — Il mourut le 15 janvier 1778.
  64. Le budget du département de la guerre, qui était de 92 millions de livres à l’avènement de Saint-Germain, s’élevait à 93 millions 500 000 livres le jour de sa retraite.