Augusta Holmès et la femme compositeur/03

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Librairie Fischbacher (p. 22-24).


III

Procédés féminins à l’égard de la composition


Pour échapper au côté trop impressionnable de sa nature, contre-balancer maintes influences frivoles, soutenir un cerveau moins équilibré que celui de l’homme, la femme aurait absolument besoin de points d’appui inébranlables, tirés du plus profond de la science et étayés sur une ferme discipline intellectuelle. Or, tandis que dans les conservatoires, sous une direction éminente, les aspirants compositeurs s’assujettissent à de longues et fortes études d’harmonie, la jeune musicienne, douée de facilité pour l’improvisation, pense que tout le reste lui sera donné par surcroît. Elle s’empresse de noter ses « idées », puis soumet romances et impromptus à un petit cercle d’amis où naturellement on crie au miracle ! Sans peine se rencontre « l’excellent professeur » devant au mieux guider la nouvelle prêtresse d’Apollon. On va vite en besogne : accords de toutes espèces, cadences variées, dispositions vocales, partimenti divers, sont engouffrés et réalisés en grande promptitude ! Ainsi initiée, la néophyte est jugée digne des parties supérieures de la composition, avec l’aide d’un Saint-Saëns ou d’un Massenet ! D’esprit vif, dominée par le prestige du Maître, notre musicienne accomplit des progrès rapides, que le Directeur encourage, tout en exhortant à de continuels efforts. De ces exhortations il n’est guère tenu compte ; en revanche, les encouragements tombent comme rosée magique sur les jeunes pousses mélodiques impatientes de se propager, frêles et superficielles ainsi qu’un gazon fleuri.

Il fallait concentrer ses facultés dans l’étude abstraite, on les évapore en productions inconsistantes ; on pouvait devenir lucide dans le recueillement studieux, on s’aveugle dans l’éblouissement des premiers succès ; au lieu d’amasser des forces, on éparpille… des faiblesses ; et en place de la belle œuvre qu’un labeur sévère édifierait, on jette à tous les vents maintes pages d’une valeur relative.

Un autre grand défaut de la femme consiste à vouloir embrasser plus qu’elle ne peut étreindre, — ou pour présenter son cas sans périphrase – à se contenter de moyens strictement réduits à ce que paraît nécessiter ce qu’elle entreprend. Capable d’écrire quelques pages d’album, elle s’attaque, témérairement, à un symphonie ; assez instruite pour interpréter en connaissance de cause, elle se lance dans la composition, et ne daigne traduire Beethoven ou Schumann que lorsque ses études théoriques n’ont pas dépassé le solfège !

Du côté « exécution », elle s’acquitte allègrement et quotidiennement de dix heures d’exercices en faveur de l’assouplissement des doigts, mais n’accorde pas une heure à l’étude mentale d’une fugue de Bach, considérée au point de vue du style, du développement et de la science harmonique.

Ces procédés nous laissent presque toujours au-dessous de la tâche entreprise, car pour réussir « le moins » il faut pouvoir le « plus », et en pratique musicale, nous avons l’air d’avoir compris le contraire.

Aussi, faute d’auxiliaires possibles à conquérir, des dons précieux chez quelques privilégiées n’aboutissent qu’à des réussites limitées et temporaires.