Autres balades (Christine de Pisan)/XLVIII

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XLVIII


Amours, Amours, tu scés plus d’une voye
D’attrapper gens a ta mussée trappe ;
Et qui fouÿr te cuide se forvoye,
Car il n’est riens que doulx regart n’atrappe :
C’est ton veneur, cuer n’est qui luy eschape.
Plaisant maintien, courtoysie et lengaige,
Sont tes levriers, compaignie est la sente
Ou tu chaces plus souvent qu’en boscaige ;
Je le sçay bien, il fault que je m’en sente.

Certes, tes tours mie n’appercevoye,
Ne comme tu scez soubz couverte chappe[1]
Surprendre cuers ; quant si bien me devoye
De toy garder a mon dit ; mais la aggrappe
Dont tu tires a toy si mon cuer happe
Que il convient que je te face hommaige,
Ou vueille ou non, et qu’a toy me consente ;
Car ton pouoir seigneurist fol et saige :
Je le sçay bien, il fault que je m’en sente.

J’apperçoy bien que je me decevoye
De te cuidier fouyr, car sy m’entrappe
Doulx Souvenir que mucié ne savoye ;
Et, quant je cuit ganchir, je me rettrappe

Dedens tes las, et Plaisance me frappe
De l’autre part ; tu te tiens ou passage
Pour traire a moy ; Biauté y est presente.[2]
Rendre me fault, ou soit scens ou follage ;
Je le sçay bien, il fault que je m’en sente.

Ha ! dieux d’amours, puis qu’en ton doulx servage[3]
Prendre me veulx, faiz que ne m’en repente,
Car eschapper ne puis ton seigneuraige ;
Je le sçay bien, il fault que je m’en sente.

  1. XLVIII. — 11 A2 Ne comment
  2. XLVIII. — 25 A2 De t.
  3. — 28 A2 p. qu’a t.