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Béhanzigue/18

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(p. 137-139).

AU GOMORRHIS-BAR

C’était un petit jeune homme…

susurre avec sentiment un diminutif d’orchestre espagnol aux vestes écarlates. Tout à l’heure, il accompagnait les chansons — dignes d’un Martial ivre — que détaillait, avec des ronds de bras et de hanches, un petit jeune homme en effet.

Maintenant le voici, enlacé à son « poteau » qui danse cette espèce de valse de fakir, appliquée, appuyée, giratoire, qu’on valsait jadis dans les bals de barrière, qu’on valse encore au Moulin de la Galette — une valse où le couple tournoie sur lui-même comme un oiseau mort.

Un autre figurant, au visage de cabot ou de Vitellius, entre à son tour en scène. Il a vraiment une belle cravate, celui-ci, une cravate sang et or, et ne manque pas de quelque talent dans ses danses espagnoles — espagnoles comme son sur nom. Et cela fait songer avec nostalgie aux Academias de baile andalouses. Mais qui jamais l’aurait cru, que Séville fût si près de la Mer Morte.

Cependant une fille brune — qu’on rencontrait naguère rue Royale — se prend de mots avec le plus blond des « Ah, ma chère ! » La fille a une belle et franche voix de rogomme, de ces voix qu’on entend par une nuit de carnavals en passant dans un corridor de restaurant, jaillir des derniers salons où l’on soupe. Lui, de son côté, s’écrie d’une voix murmurante : il s’évente avec son programme, il soupire, il est indigné. Le public assiste avec scepticisme à cet attrapage : il sent bien que ce n’est que ce qu’au théâtre on appelle un « scandale ». Encore celui-ci est-il assez mal réglé.

— Du chiqué, quoi, dit un employé de chemin de fer.

Ce public de samedi (et quelle idée, d’aller à Montmartre un samedi) entassé sous un plafond bas, il y a de tout là-dedans : des employés, des pierreuses, une actrice connue, un mathématicien, deux ou trois artistes. En moyenne, public assez bourgeois qui ne comprend pas très bien, qui a peur qu’on se moque de lui, et songe obscurément aux mystifications du Chat Noir, aux feintes injures de Bruand. Tout ça, pour lui, au fond, c’est de la littérature. Et ce n’est pas qu’il s’indigne, au moins ; mais il s’ennuie. On lui a promis des horreurs, et il glisse sur des ordures.

Là-dessus entre, avec une jolie fille, un vieux Monsieur « bien parisien »,

— Bonjour, mon oncle, lui crie Lœtitia.

— Hélas, répond le vieillard, je ne suis plus pour neveux…

Et, tout en incrustant sa compagne entre un sous-off en uniforme et une blonde poissonneuse, il branle sa tête chenue. On dirait de Nestor à Troie, qui se rappelle les coursiers de la sablonneuse Pylos.

Entre tant la fille brune fait une quête ; et le petit blond fait des poses ; et l’orchestre fait des pizzicati. « Ç’était… » confie avec méfiance la guitare à la mandoline,

Ç’était un petit… trottin.