Bélinde/22

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Bélinde (1801)
Traduction par Octave Gabriel de Ségur.
Maradan (Tome IIIp. 88-111).


CHAPITRE XXII.

UN SPECTRE.


Le chirurgien qui devait opérer lady Delacour, étant attaché à la maison de la reine, ne put venir au jour indiqué. Ce délai fut extrêmement pénible à mylady ; son courage élevé, quoique inébranlable, n’était point préparé à la patience. Elle passa près d’une semaine à Twickenham dans cette cruelle anxiété. Bélinde s’apperçut qu’elle devenait chaque jour plus pensive, plus réservée et plus triste ; elle semblait avoir quelque sujet secret de méditation. Devant sa fille, elle affectait sa gaieté ordinaire ; mais dès qu’elle pouvait s’échapper, et qu’elle croyait n’être plus observée, elle s’enfermait dans son appartement, et y restait des heures entières.

Pour l’amour du ciel, miss Portman, dit Mariette en entrant dans sa chambre avec un visage décomposé, tâchez donc de persuader à madame de cesser la lecture de ces livres systématiques ; je suis sûre qu’ils lui font bien du mal. Après qu’elle les a lus, elle retombe aussitôt dans sa mélancolie ; depuis deux ou trois jours, elle parle de la plus étrange façon.

Bélinde questionna Mariette, mais inutilement.

Je suis sûre, miss, continua-t-elle, que mylady ne dort pas de la nuit : ces livres lui tournent la tête ; je voudrais qu’ils fussent brûlés. Pareil malheur est arrivé à un de mes cousins, il a fini le plus tristement du monde.

Il fut impossible à Bélinde de faire expliquer Mariette plus clairement ; la seule circonstance qu’elle put tirer lui parut à peine digne d’attention. Mariette se plaignait de ce que lady Delacour avait choisi un appartement au rez-de-chaussée, et de ce qu’elle l’empêchait de fermer le rideau devant une porte vitrée qui était au pied de son lit.

Elle est comme mon cousin, ajouta Mariette, elle aime la lune, le clair de lune ; elle en parle sans cesse : elle prétend qu’elle est habitée par des êtres malfaisans. Je me ressouviens que quand mon cousin était au plus mal, il avait cette triste folie de parler toujours de la lune.

Bélinde, ne put s’empêcher de sourire ; mais, persuadée qu’au fond Mariette pouvait avoir raison, elle résolut de parler à lady Delacour de ses lectures. Mylady, avec une apparente tranquillité, répondit seulement de froids monosyllabes, et changea de conversation aussitôt.

Un soir, comme elle se retirait, Mariette, en les éclairant, dit qu’elle était fâchée que mylady eût pris une chambre à coucher aussi humide. Bélinde la pressa de changer d’appartement.

J’ai choisi cette chambre, répondit froidement lady Delacour, parce qu’elle est loin de celle des domestiques, et qu’alors mes cris pendant l’opération, si j’en laisse échapper, ne pourront pas être entendus. Le chirurgien doit venir bientôt, ce n’est pas la peine de changer pour si peu de temps.

Le lendemain, vers le soir, le docteur X. arriva avec le chirurgien. Lorsque Bélinde les apperçut son sang se glaça dans ses veines. Mariette la pria instamment de se charger d’avertir mylady de leur arrivée. La porte de la chambre de mylady était fermée en dedans. Elle vint ouvrir ; et, regardant fixement Bélinde, elle lui dit d’une voix tranquille :

Vous venez m’avertir que le chirurgien est là, j’ai connu cela à votre manière de frapper. Je vais le recevoir tout à l’heure.

En achevant ces mots, elle mit une marque dans un livre qu’elle lisait. Elle porta ce livre sur le rayon à l’autre bout de la chambre ; puis, se tournant vers Bélinde, elle lui dit d’un air de dignité calme :

Allons, ma chère Bélinde.

Celle-ci s’était jetée dans un fauteuil, et paraissait n’avoir pas la force de se relever.

— Oh dirait, à vous voir, que c’est vous que l’on doit opérer. Ne tremblez point pour moi, car je ne tremble pas moi-même. Je dois à l’amitié de ne pas vous tourmenter de ce spectacle.

Non, non, assurément, reprit Bélinde, je veux y être ; Mariette est incapable de vous servir dans cette occasion. J’admire votre courage, je veux l’imiter et remplir ma promesse.

— Votre promesse est de recevoir mon dernier soupir.

— J’espère n’avoir pas à remplir cette promesse.

Allons ! répondit mylady, sans ajouter une parole ; et elle marcha la première, d’un pas ferme, jusqu’à la chambre où le docteur et le chirurgien l’attendaient. Sans avoir l’air de savoir quel était le but de leur visite, elle les reçut avec sa politesse ordinaire. Elle ne parut pas remarquer le sérieux de leur physionomie, et parla indifféremment de choses et d’autres, en détachant un cachet de sa chaîne de montre.

Voici, dit-elle au docteur, une tête d’Esculape, qu’on dit être d’un grand prix, c’est un présent de Clarence Hervey ; et je vous l’ai destiné par mon testament comme une marque de ma parfaite estime. M. Hervey est un excellent jeune homme, et je desire que, lorsque je ne serai plus, il sache par vous que telle a été mon opinion sur lui jusqu’à mon dernier moment. Ayez la bonté de lui remettre cette lettre, vous pouvez le faire sans scrupule ; elle n’a aucun rapport à moi. Je lui donne quelques conseils relativement à une personne que vous estimez autant que je le fais : ma tendresse et ma reconnaissance n’ont point influencé mon jugement dans l’avis que j’ose donner à M. Hervey.

Mais, mylady, dit le docteur, monsieur Hervey sera ici tout à l’heure, et alors…

Alors, interrompit lady Delacour, je serai partie pour ce pays inconnu dont les voyageurs ne reviennent jamais.

Le docteur voulait l’interrompre ; mais elle continua :

— Avouez, mon cher docteur, que vous n’avez vu en moi aucun signe de lâcheté.

— J’admire votre courage, mylady, plus que je ne puis le dire.

— S’il est ainsi, vous ne me soupçonnerez pas de faiblesse, si je demande que l’opération ne se fasse pas aujourd’hui. Je desire de la renvoyer à demain, par une raison que vous trouverez très-bonne, j’en suis sûre : croyez que ce n’est pas par caprice.

Le docteur parut mécontent.

— Je vais vous expliquer ma raison, dit-elle, et vous ne me blâmerez pas. J’ai la conviction intime que je mourrai ce soir. Subir une opération douloureuse aujourd’hui, ce serait sacrifier sans but les derniers momens de mon existence. Si je suis vivante demain matin, vous ferez de moi ce que vous voudrez ; mais j’en doute.

Le docteur la regarda d’un air d’étonnement et de compassion. Elle avait le pouls extrêmement élevé ; et il pensa que ce qu’il y avait de mieux à faire était de ne la point quitter jusqu’au lendemain matin. Il obtint du chirurgien qu’il resterait ; et Bélinde se joignit à eux pour distraire lady Delacour pendant le reste de la journée.

Elle avait assez de pénétration pour sentir qu’on n’ajoutait pas la moindre foi à ses pronostics. Elle ne reparla pas de sa mort, et elle montra le desir de se laisser distraire.

La soirée s’écoula, et elle parut avoir tellement oublié sa triste prophétie, qu’elle parla de ce qu’elle devait faire le lendemain. Comme Hélène fut présente une partie de la soirée, Bélinde imagina que lady Delacour se gênait devant sa fille ; mais quand l’enfant fut éloignée elle continua à être tout aussi gaie. Le docteur n’y comprenait rien, et il s’imaginait qu’il y avait plus de caprice que de courage dans son fait, sur-tout lorsqu’il la vit lui rire au nez, sur la proposition qu’on lui faisait de la veiller pendant la nuit.

— Mon cher docteur, lui dit-elle, est-ce la première fois que vous êtes la dupe d’une femme ? Je voulais un jour de répit, et je l’ai obtenu : j’ai passé ce jour de la manière la plus agréable, et je vous en remercie. Demain, dit-elle en se retournant du côté du chirurgien, j’inventerai quelque nouvelle excuse pour gagner du temps. Je fais comme Barington avant de voler les gens. Je vous préviens de la chose, et pourtant vous serez mes dupes. Bon soir.

En achevant ces mots, elle se retira précipitamment dans sa chambre à coucher. Bélinde était convaincue que lady Delacour affectait cette gaieté pour empêcher que le docteur ne la veillât lui-même. Le docteur, la jugeant d’après le caractère qu’il croyait avoir remarqué en elle, dit que tout cela était du caprice ; et le chirurgien était persuadé que la crainte seule la faisait agir. Chacun des trois dit son opinion et la garda. Ils se retirèrent.

La chambre à coucher de Bélinde était à côté de celle d’Hélène : après qu’elle eut été une heure dans son lit sans dormir, elle crut entendre marcher dans la chambre voisine : elle se leva, et trouva lady Delacour debout auprès du lit de sa fille. Elle dit tout bas à Bélinde :

Prenez garde, ne la réveillons pas ! La lune éclairait le visage de l’enfant : sa mère, écartant les boucles de cheveux qui couvraient son front, la baisa doucement.

Vous en aurez soin, dit-elle à Bélinde d’une voix attendrie, quand je ne serai plus : j’ai voulu la voir encore une fois avant de mourir.

— Parlez-vous sérieusement, ma chère lady Delacour ?

Chut ! prenez garde ! parlez bas ! dit lady Delacour ; et elle regagna sa chambre en défendant à Bélinde de la suivre. Si mes craintes sont vaines, lui dit-elle, pourquoi vous en occuperais-je ? si elles sont fondées, vous m’entendrez sonner, et vous viendrez.

Bélinde ne se coucha pas d’abord : elle resta debout, et prêtait l’oreille avec inquiétude pour savoir si lady Delacour n’appellerait pas. La pendule sonna deux heures ; elle prit enfin le parti de se jeter sur son lit. Peu-à-peu le sommeil la gagna, et, à l’instant où elle s’endormait, elle crut entendre une sonnette. Elle n’était pas bien sûre : elle écouta, et, n’entendit plus rien. Quelques minutes après, lady Delacour sonna avec force. — Bélinde courut à son appartement. Le chirurgien y était déjà : il veillait dans la chambre voisine, et avait entendu sonner la première fois. Lady Delacour était sans connaissance. Le chirurgien pria Bélinde d’aller appeler le docteur, qui était à l’autre bout de la maison. Quand elle revint, lady Delacour avait repris ses sens. Elle demanda d’être laissée seule avec Bélinde, et lui fit signe de s’asseoir à côté d’elle pour l’écouter.

Ma chère amie, lui dit-elle en lui tendant sa main déjà couverte d’une sueur froide, ma prophétie s’accomplit, je vais mourir.

Le chirurgien m’a assuré, dit Bélinde, que vous n’étiez pas du tout en danger ; c’est un simple évanouissement : ne vous laissez point effrayer par votre imagination.

— Ce n’est point une erreur de mon imagination ; j’ai toute ma raison : je le sens, et pourtant, quand je vous dirai la vérité, vous allez vous moquer de moi.

Me moquer de vous ! dit Bélinde ; comment imaginez-vous que je puisse faire de vos maux un sujet de ridicule ?

Lady Delacour, entraînée par l’accent pénétré de Bélinde, lui avoua, quoiqu’avec répugnance, que son émotion venait d’une apparition qu’elle avait vue.

Une apparition ! s’écria Bélinde.

— Trois fois elle s’est renouvelée à la même heure. La nuit dernière encore, et tout-à-l’heure, j’ai vu l’image de ce malheureux dont j’ai causé la mort. Vous êtes étonnée, vous êtes incrédule ; je dois vous paraître folle ; mais rien n’est plus vrai cependant : je l’ai vue comme je vous vois.

Ces visions, dit Bélinde, sont l’effet de l’opium.

— Les images légères qui voltigent devant mes yeux entre la veille et le sommeil, sont, je le crois comme vous, les effets de l’opium ; mais il est impossible que je puisse croire à une illusion lorsque je suis parfaitement éveillée, aussi éveillée que je le suis en vous parlant. Vous comprenez que mon naturel insouciant et léger, ainsi que les habitudes de ma vie entière, me disposent plutôt à l’incrédulité qu’à la superstition ; mais il y a des choses dont on ne peut douter, quoi qu’on fasse. Je vous le répète, j’ai vu ce fantôme comme je vous vois, et je regarde cette apparition comme un avertissement de me préparer à la mort.

La conversation fut interrompue par l’arrivée de Mariette, qu’on n’avait pas pu empêcher plus long-temps d’entrer. Le docteur la suivait : il alla auprès du lit de la malade pour lui tâter le pouls.

Vous n’êtes pas plus en danger que moi, dans ce moment, dit-il.

Mon pouls vous trompe peut-être, docteur, dit lady en souriant.

Bélinde perdit tout-à-coup la faculté d’entendre ce qui se disait, parce qu’elle apperçut par la porte vitrée du jardin la même figure dont lady Delacour avait parlé. Bélinde eut pourtant la présence d’esprit de ne rien dire : elle s’approcha de la porte, et vit distinctement cette figure se glisser dans un bosquet du jardin.

Bélinde fit signe au docteur qu’elle voulait lui parler. Ils sortirent ensemble, et elle se hâta de lui dire ce qu’elle venait d’appercevoir, en ajoutant qu’il était de la plus grande importance pour son amie qu’on allât immédiatement dans le jardin, avec les valets de la maison, pour chercher si l’on ne trouverait point l’empreinte récente des pas d’un homme. Le docteur y courut, et trouva en effet des traces qu’il commençait à suivre lorsqu’il entendit des cris perçans à l’autre bout du jardin.

En se dirigeant vers la voix, ils trouvèrent le vieux jardinier monté sur le mur avec une lanterne.

Oh ! oh ! criait-il, je tiens le voleur ; j’espère que le coquin qui vient me voler chaque nuit mes cerises se sera pris dans le piége : s’il n’a pas la jambe cassée, il a du bonheur.

Le jardinier conduisit le docteur auprès de son cerisier favori.

Là, ils trouvèrent un homme évanoui. Bélinde courut vîte chercher des secours ; mais comme elle s’approchait pour les lui prodiguer, elle fut étonnée de sa ressemblance avec Henriette Freke.

C’est mistriss Freke elle-même, s’écria Mariette en la regardant.

Il y a des gens qui, incapables de bons sentimens, sont disposés à croire tout le mal qu’on dit de leurs semblables.

Mistriss Freke avait su confusément, par le moyen de Champfort et de sa stupide maîtresse, qu’un homme s’était caché dans le boudoir de lady Delacour avec le secours de Mariette ; qu’il y était resté pendant plusieurs heures, et que la servante avait été renvoyée parce qu’innocemment elle avait voulu ouvrir la porte. On lui rapporta aussi que lady Delacour avait loué une maison à Twickenham pour voir plus aisément son amant, et que miss Portman et Mariette étaient les seules qui fussent admises à cette partie de plaisir.

Sur la foi de cette intelligence, mistriss Freke, qui était venue à la ville avec mistriss Luttridge, alla aussitôt rendre visite à un de ses cousins qui demeurait à Twickenham, afin d’avoir une occasion de découvrir l’intrigue, et de la rendre ensuite publique. Le desir de se venger de miss Portman stimulait encore son active méchanceté, sachant que, si elle prouvait que Bélinde était la confidente des intrigues de lady Delacour, sa réputation serait perdue, et son mariage avec M. Vincent manqué. Avec l’espoir de ce double triomphe, la vindicative Henriette n’eut aucune honte de prendre le caractère d’espion. Le nom de folle, qu’elle avait pris, couvrait, à ce qu’elle croyait, toute espèce de bassesse. Elle jura que rien n’était si charmant que de s’habiller en homme, et de faire une sortie pour reconnaître les mouvemens de l’ennemi.

Elle arriva jusqu’à la fenêtre de la chambre de lady Delacour, et ce fut cette figure qui, paraissant la nuit à une certaine heure, semblait être, à l’imagination troublée de mylady, l’ombre du colonel Lawless. Pendant plusieurs nuits, mistriss Freke n’obtint aucun résultat satisfaisant de ses visites nocturnes ; mais, cette nuit, elle se crut payée de toutes ses peines, et, prenant le chirurgien pour l’amant de lady Delacour, elle s’enfuyait avec une perfide joie lorsqu’elle tomba dans le piége du jardinier. L’extrême douleur qu’elle ressentit pendant quelques heures l’empêcha de parler ; mais, dans un moment de repos, elle dit à Bélinde avec un sourire méchant :

Je suis punie de ma curiosité, mais je ne la paie pas si cher que quelques-unes de mes amies.

Comme miss Portman ne la comprenait pas, elle ajouta :

Il vaut sans doute mieux pour une femme de perdre sa jambe que sa réputation : pour moi, j’aime mieux me cacher dans un jardin, que de cacher un homme dans ma chambre. Mes complimens à lady Delacour ; — dites-lui de ma part.

— Savez-vous quelle est la personne que vous avez vue dans la chambre de mylady ?

— Non, pas encore ; mais je le saurai. Vous m’avez trop provoquée, vous ne vous moquerez pas de moi impunément : ce que j’ai vu, je suis capable de le peindre. Quel que soit l’homme, cela est égal à mon dessein.

Mistriss Freke parlait d’un air triomphant ; elle fut interrompue par les éclats de rire du chirurgien, qui lui apprit que l’amant favorisé qu’elle avait vu chez lady Delacour était lui. Rien ne peut exprimer la mortification de mistriss Freke. Sa jambe était fracassée, et son courage n’étant pas soutenu par l’espoir de la vengeance, elle se mit à jeter de grands cris. Tout ce qu’elle craignait était de paraître devant lady Delacour, dans le déplorable état où elle s’était jetée pour lui nuire. Chaque fois qu’on ouvrait la porte de sa chambre, elle regardait avec terreur, croyant la voir entrer ; mais mylady était trop généreuse pour insulter à une ennemie vaincue.

Le lendemain matin mistriss Freke fut, selon son desir, conduite dans la maison de son cousin, où nos lecteurs ne seront pas fâchés de la laisser, pour nous occuper de lady Delacour.

Voilà donc toutes mes visions expliquées, dit lady Delacour à miss Portman, comment ne me suis-je pas confiée plus tôt à vous ? Henriette Freke est à peine plus méprisable que moi. Les poltrons et les espions doivent être rangés dans la même classe. Sa malice et sa folie sont une suite de son caractère ; mais mes craintes et ma superstition sont une réelle inconséquence du mien. Oubliez la manière dont je vous ai parlé cette nuit, ma chère, ou croyez que c’était l’effet du laudanum. — Ce matin, vous verrez lady Delacour encore elle-même. Le docteur X. et le chirurgien sont-ils prêts ? je les attends : le courage que je vais montrer vous fera oublier ma faiblesse.

Le docteur X. et le chirurgien obéirent aussitôt.

Hélène les entendit aller chez sa mère, et vit, à la contenance de Mariette, que l’opération allait commencer. Elle s’assit en tremblant sur l’escalier, et resta long-temps dans la plus pénible anxiété. Enfin elle s’entendit appeler, et vit son père devant elle.

— Hélène, comment est votre mère ?

— Je ne le sais pas. Mais, mon père, vous ne pouvez pas entrer.

Pourquoi ne m’avez-vous pas écrit ? répondit lord Delacour d’une voix qui montrait qu’il n’osait faire aucune question.

— Parce que nous n’avions rien à vous dire, papa : dans ce moment, le chirurgien est avec ma mère.

Lord Delacour resta d’abord sans mouvement ; puis, saisissant sa fille par la main, approchons-nous de la porte, lui dit-il, nous entendrons. — L’appartement s’ouvrit au bout de quelques momens, et Bélinde parut avec un visage radieux.

— Bonne nouvelle ! chère Hélène ! Mylord, vous êtes arrivé dans un heureux moment.

Vive le chirurgien ! s’écria Mariette ; ma bonne maîtresse est sauvée !

C’est fini ? dit lord Delacour.

Et sans un seul cri ? demanda Hélène ; quel courage !

L’opération a été moins cruelle qu’on ne s’y attendait, répondit Bélinde ; le chirurgien n’a trouvé qu’une glande à extirper : les remèdes du charlatan avaient causé la plaie ; remercions tous le docteur X. et son habile ami ; lady Delacour en conservera même peu de marques, et tout annonce que sa guérison sera aussi prompte sûre.

Courons donc l’embrasser, dit lord Delacour les larmes aux yeux.

— Arrêtez, lui dit le docteur X., modérez vos transports, l’intérêt de mylady exige qu’on lui évite toute espèce d’émotion ; je prononce à regret cet arrêt ; vous serez quinze jours sans la voir.

Lord Delacour et Hélène se soumirent avec peine. On peut croire que leur première entrevue avec mylady fut très-touchante.

Combien j’ai peu mérité votre tendresse, mylord ! et vous, chère Hélène ! s’écria lady Delacour en fondant en larmes ; miss Portman… Mais je ne veux point vous faire de vains remerciemens ; ma conduite à l’avenir vous prouvera seule et mon repentir et ma reconnaissance.