Barzaz Breiz/1846/Geneviève de Rustéfan/Bilingue

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Barzaz Breiz, édition de 1846
Geneviève de Rustéfan



VI


GENEVIÈVE DE RUSTÉFAN.


( Dialecte de Tréguier. )


I.


Quand le petit Iannik gardait ses moutons, il ne songeait guère à être prêtre.

— Je ne serai, certes, ni prêtre ni moine ; j’ai placé mon esprit dans les jeunes filles. —

Quand un jour sa mère vint lui dire : — Tu es un finaud, mon fils Iann ;

Laisse là ces bêtes, et viens à la maison ; il faut que tu ailles à l’école à Quimper ;

Que tu ailles étudier pour être prêtre, et dis adieu aux jeunes filles. —


II.


Or, les plus belles jeunes filles de ce pays-là, étaient alors les filles du seigneur du Faou ;

Les plus belles jeunes filles qui levaient la tête, sur la place, étaient les filles de du Faou.

Elles brillaient près de leurs compagnes, comme la lune près des étoiles.

Chacune d’elles montait une haquenée blanche, quand elles venaient au pardon, à Pont-Aven ;

Quand elles venaient au pardon, à Pont-Aven, la terre et le pavé sonnaient ;


Chacune d’elles portait une robe de soie verte et des chaînes d’or autour du cou.

La plus jeune est la plus belle ; elle aime, dit-on, Iannik de Kerblez.

— J’ai eu pour amis quatre clercs, et tous quatre se sont faits prêtres ;

Iannik Flécher, le dernier, me fend le cœur. —


III.


Comme Iannik allait recevoir les ordres, Geneviève était sur le seuil de sa porte ;

Geneviève était sur le seuil de sa porte, et y brodait de la dentelle,

De la dentelle avec du fil d’argent : (cela couvrirait un calice à merveille).

— Iannik Flécher, croyez-moi. n’allez point recevoir les ordres ;

N’allez point recevoir les ordres, à cause du temps passé.

— Je ne puis retourner à la maison, car je serais appelé parjure.

— Vous ne vous souvenez donc plus de tous les propos qui ont couru sur nous deux ?

Vous avez donc perdu l’anneau que je vous donnai en dansant ?

— Je n’ai point perdu voire anneau d’or ; Dieu me l’a pris.


— lannik Flécher, revenez, et je vous donnerai tous mes biens ;

Iannik, mon ami, revenez, et je vous suivrai partout ;

Et je prendrai des sabots, et m’en irai avec vous travailler.

Si vous n’écoutez pas ma prière, rapportez-moi l’extrême-onction.

— Hélas ! je ne puis vous suivre, car je suis enchaîné par Dieu ;

Car la main de Dieu me tient, et il faut que j’aille aux ordres. —


IV.


Et, en revenant de Quimper, il repassa par le manoir.

— Bonheur, seigneur de Rustéfan ! bonheur à vous tous, grands et petits !

Bonheur et joie à vous, petits et grands, plus que je n’en ai, hélas !

Je suis venu vous prier d’assister à ma messe nouvelle.

— Oui, nous irons à votre messe, et le premier qui mettra au plat sera moi.

Je mettrai au plat vingt écus, et votre marraine, ma dame, dix :


Et votre marraine en mettra dix pour vous faire honneur, ô prêtre ! —


V.


Comme j’arrivais près de Penn-al-Lenn, me rendant aussi à la messe,

Je vis une foule de gens courir tout épouvantés.

— Hé! dites-moi donc, vous, bonne vieille, est-ce que la messe est finie ?

— La messe est commencée ; mais il n’a pas pu la finir ;

Mais il n’a pas pu la finir ; il a pleuré sur Geneviève,

Et il a mouillé trois grands livres des larmes de ses yeux.

Et la jeune fille est accourue, et elle s’est précipitée aux deux genoux du prêtre.

— Au nom de Dieu, Iann, arrêtez ! vous êtes la cause, la cause de ma mort ! —


VI.


Messire Jean Flécher est recteur, recteur maintenant au bourg de Nizon ;

Et moi, qui ai composé ce chant, je l’ai vu pleurer mainte fois ;

Mainte fois, je l’ai vu pleurer près de la tombe de Geneviève.

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