Barzaz Breiz/1846/La Fête des pâtres/Bilingue

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Barzaz Breiz, édition de 1846
La Fête des pâtres


VIII


LA LEÇON DES ENFANTS.


( Dialecte de Cornouaille. )


I.


Approchez, mes enfants ; venez entendre un chant nouveau qui a été fait pour vous. Mettez bien votre peine afin de le retenir.

Quand vous vous éveillez dans votre lit, offrez votre cœur au bon Dieu ; faites le signe de la croix, et dites avec foi, espérance et amour :

Dites : « Mon Dieu, je vous donne mon corps, mon cœur et mon âme : faites que je sois un honnête homme, ou que je meure avant le temps.

Le bénédicité, avant le repas, et les grâces, après, dites-les ; peut-être n’aurez-vous pas toujours à manger, si vous négligez de les réciter.

Ils les récitent bien les petits oiseaux perchés dans les bois sur leurs branches, pour un grain de blé, pour un petit ver, pour une goutte de rosée, une toute petite goutte.

Quand vous allez garder vos troupeaux, prenez une gaule de saule brun ; et quand vient l’heure de les ramener, ramenez-les avec votre gaule.


Ne jurez jamais contre eux : s’ils sont fuyards, dites-leur ceci : « Allez, allez, bêtes méchantes, ne volez pas l’herbe du recteur !

« Pâture à renard, pâture à cormoran, votre ventre n’est jamais plein !

« Ah ! si je peux vous attraper, je vous vendrai chèrement mes pas. »

Quand vous voyez voler un corbeau, pensez que le démon est aussi noir, aussi méchant ; quand vous voyez une petite colombe blanche, pensez que votre ange est aussi doux, aussi blanc.

Pensez que Dieu vous regarde comme le soleil du haut du ciel ; pensez que Dieu vous fait fleurir comme le soleil les roses sauvages de Comana.

Quand vous parlez aux personnes de votre maison, dites : Mon frère, ma sœur ; dites : Vous. Parlez-vous les uns aux autres avec civilité et amitié.

Portez, enfants, honneur et respect à la noblesse et aux gentilshommes ; respectez les gens d’Église, répondez-leur bien poliment.

Ne passez par aucun bourg, par aucun village où sera notre Sauveur Jésus, sans entrer dans l’église, pour le prier de tout votre cœur, et vous gagnerez vingt jours d’indulgences.

Quand vous rencontrerez le saint sacrement, suivez-le pas à pas : vous aurez été vraiment ce jour-là dans la compagnie du roi des hommes et des anges.

A la Fête-Dieu, ceux qui seront bien sages seront choisis pour jeter des fleurs sur ses pas, en attendant qu’ils en jettent devant lui, au ciel.

Le soir, enfin, avant de vous mettre au lit, vous réciterez vos prières, afin qu’un ange blanc vienne du ciel pour vous garder jusqu’à l’aurore.

Voilà, chers enfants, le vrai moyen de vivre en bons chrétiens. Mettez donc mon chant en pratique, et vous mènerez une sainte vie.


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IX


L’APPEL DES PATRES.


( Dialecte de Cornouaille. )


II.


Dimanche matin, en me levant, en allant conduire mes vaches dans les champs, j’entendis ma douce chanter, et je la reconnus à sa voix ; j’entendis ma douce chanter, chanter gaiement sur la montagne, et moi de faire une chanson pour chanter avec elle aussi.

— La première fois que j’ai vu la petite Marguerite, ma gentille amie, elle faisait ses premières pâques, dans l’église de la paroisse, dans l’église de Fouesnant, avec les enfants de son âge : elle avait douze ans alors, et j’avais douze ans aussi.

Comme la fleur jaune du genêt, ou comme une petite églantine, comme une églantine au milieu d’un buisson de lande, ma belle brillait parmi eux ; pendant tout le temps de la messe je ne fis que la regarder ; plus je la regardais, plus elle me plaisait !

J’ai dans le courtil de ma mère un pommier chargé de fruits, à ses pieds un gazon vert et un bosquet à l’entour ; quand viendra ma douce belle, ma plus aimée pour me voir, nous irons, ma douce et moi, nous mettre à l’ombre dessous.

La pomme la plus rouge, je la cueillerai pour elle, et je lui ferai un bouquet où je mettrai un souci, fleur que j’aime ; un souci flétri, car je suis bien affligé, car je n’ai point encore eu d’elle un seul baiser d’amour sincère.

— Taisez-vous, ne chantez plus, mon ami, taisez-vous bien vite ; les gens qui vont à la messe nous écoutent dans la vallée. Une autre fois, quand nous viendrons à la lande, et que nous serons tous deux seuls, un petit baiser d’amour sincère je vous donnerai . . un, ou deux. —


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