Barzaz Breiz/1846/Le Mal du pays/Bilingue

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Barzaz Breiz, édition de 1846
Le Mal du pays



XII


LE MAL DU PAYS.


( Dialecte de Cornouaille. )


Les ancres sont levées ; voici le flik-flok ; le vent devient plus fort; nous filons rapidement; les voiles s’enflent ; la terre s’éloigne ; hélas ! mon cœur ne l’ail que soupirer.

Adieu à quiconque m’aime, dans ma paroisse et aux environs ; adieu, pauvre chère petite, Linaik, adieu! je te fais ces adieux en te quittant; peut-être, hélas! est-ce pour toujours.

Comme un petit oiseau enlevé dans le bois par un épervier d’auprès de sa compagne, dans la saison où ils allaient s’accoupler, je n’ai guère le temps de songer à l’étendue de mon malheur, si vite l’on m’enlève à qui m’aime.

Comme un petit agneau éloigné de sa mère, je ne cesse de pleurer et de pousser des gémissements, les yeux toujours tournés vers le lieu où tu es restée, ô ma douce amie !

Bientôt mes yeux ne verront plus que la mer, qui tremble sous moi, qui bondit et qui s’ouvre ; et qui, lorsque je pense que tout est fini pour moi, et que je suis au fond de l’abîme, me lance vers le ciel.

Quand j’entrai dans le vaisseau, mon étonnement fut grand de voir une espèce de château balancé sur la mer bleue; quatre-vingts canons, quarante sur chaque bord, tachetés de blanc et peints en noir ;

Le rivage comme un cercle à l’entour, loin de moi, séparant en deux la grande mer et le ciel ; et l’extrémité des mâts, plus élevée au-dessus de l’eau que ne l’est l’extrémité de la tour la plus haute du sol du cimetière.

Vous avez vu sur la colline, autour de la fougère verte, des fils sans nombre croisés en long et en travers ; il y a plus de cordages autour d’un mât qu’il n’y a de fils autour d’un pied de fougère.

Hélas ! les Bretons sont pleins de tristesse ! — Ma tête tourne ; je ne puis penser plus longtemps ; mon cœur s’ouvre ; c’est en vain que je fais cette chanson ; peut-être, hélas ! ne me l’entendrez-vous jamais chanter !


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