Barzaz Breiz/1846/Le Rossignol

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LE ROSSIGNOL.


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ARGUMENT.


Cette ballade étant connue de Marie de France, et déjà populaire à l’époque où vivait ce trouvère, qui l’a imitée, nous n’hésitons pas à la croire antérieure au treizième siècle. Nous l’avons entendu chanter en Cornouaille, entre autres personnes, il une vieille paysanne nommée Loiza Glodiner, du village de Kerloiou, dans les montagnes d’Arez ; mais elle a dû être composée en Léon, car elle appartient au dialecle de ce pays. L’événement qui en est le sujet est peu important en lui-même. Le chanteur breton ne fait que l’indiquer, Marie de France le délaye.

Une dame de Saint-Malo aime un jeune homme et en est aimée ; elle se lève souvent la nuit, pour aller causer avec lui à la fenêtre, et les rues de la ville sont tellement élroites, les pignons tellement rapprochés, qu’elle peut lui parler à voix basse. Mais le mari, qui est un vieillard et un peu jaloux, comme beaucoup le sont, se doute de quelque chose, prend l’éveil et interroge sa jeune femme. Celle-ci répond qu’elle se lève pour écouter un rossignol qui chante dans le jardin. Feignant de donner dans le piège, le vieux mari fait tendre des lacs : par le plus grand hasard, un rossignol s’y trouve pris ; il l’apporte à sa femme, l’étouffe sous ses yeux, et lui ôte ainsi tout prétexte de se lever à l’avenir.


XX


LE ROSSIGNOL.


( Dialecte du Léon. )


La jeune épouse de Saint-Malo pleurait, hier à sa fenêtre élevée :

— Hélas ! hélas ! je suis perdue ! mon pauvre rossignol est tué !

— Dites-moi, ma nouvelle épouse, pourquoi donc vous levez-vous si souvent,

Si souvent d’auprès de moi, au milieu de la nuit, de votre lit,

Nu-tête et nu-pieds ? Pourquoi vous levez-vous ainsi ?

— Si je me lève ainsi, cher époux, au milieu de la nuit, de mon lit,

C’est que j’aime à voir, tenez, les grands vaisseaux aller et venir.

— Ce n’est sûrement pas pour un vaisseau que vous allez si souvent à la fenêtre ;

Ce n’est point pour des vaisseaux, ni pour deux, ni pour trois,

Ce n’est point pour les regarder, non plus que la lune et les étoiles.

Madame, dites-le-moi, pourquoi chaque nuit vous levez-vous ?

— Je me lève pour aller regarder mon petit enfant dans son berceau.

— Ce n’est pas davantage pour regarder, pour regarder dormir un enfant ;

Ce ne sont point des contes qu’il me faut : pourquoi vous levez-vous ainsi ?

— Mon vieux petit homme, ne vous fâchez pas, je vais vous dire la vérité :

C’est On rossignol que j’entends chanter toutes les nuits dans le jardin, sur un rosier ;

C’est un rossignol que j’entends toutes les nuits ; il chante si gaiement, il chante si doucement ;

Il chante si doucement, si merveilleusement, si harmonieusement. toutes les nuits, toutes les nuits, lorsque la mer s’apaise ! —

Quand le vieux seigneur l’entendit, il réfléchit au fond de son cœur ;

Quand le vieux seigneur l’entendit, il se parla ainsi à lui-même :

— Que ce soit vrai, ou que ce soit faux, le rossignol sera pris ! —

Le lendemain matin, en se levant, il alla trouver le jardinier.

— Bon jardinier, écoutez-moi ; il y a une chose qui me donne du souci :

Il y a dans le clos un rossignol qui ne fait que chanter, la nuit ;

Qui ne fait, toute la nuit, que chanter, si bien qu’il me réveille.

Si tu l’as pris ce soir, je te donnerai un sou d’or. —

Le jardinier, l’ayant écouté, tendit un lacet dans le jardin ;

Et il prit un rossignol, et il le porta à son seigneur ;

Et le seigneur, quand il le tint, se mit à rire de tout son cœur.

Et il l’étouffa, et le jeta dans le blanc giron de la pauvre dame.

— Tenez, tenez, ma jeune épouse, voici votre joli rossignol ;

C’est pour vous que je l’ai attrapé ; je suppose, ma belle, qu’il vous fera plaisir. —

En apprenant la nouvelle, le jeune servant d’amour de la dame disait bien tristement :

— Nous voilà pris, ma douce et moi ; nous ne pourrons plus nous voir,

Au clair de la lune, à la fenêtre, selon notre habitude. —


________


NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.


Voulant mettre le lecteur à même de voir comment le poète français a paraphrasé l’œuvre du poëte breton, nous citerons presque en entier la pièce de Marie de France. Seulement, on nous permettra d’en rajeunir quelques mots pour la rendre plus intelligible; l’original ayant été publié par Roquefort[1], il sera facile d’y recourir.

Une aventure vous dirai
Dont les Bretons firent un lai ;
Eostik a nom, ce m’est avis,
Si (ainsi) l’appellent en leur pays.
Ce est rossignol en français,
Et nightingale eu droit anglais.

A Saint-Malo, en la contrée,
Est une ville renommée ;
Deux chevaliers illec (là) manaient (demeuraient),
Et deux forez (voisines) maisons avaient.
L’un avait femme épousée,
Sage, courtoise, moult acemée (spirituelle),
Li autre fut un bachelier[2].
Bien ert (était) connu entre ses pairs.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La femme à son voisin aima,
Tant la requit, tant la pria.
Et tant parut en lui grand bien,
Qu’elle l’aima sur toute rien (par-dessus tout).
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Longuement se sont entr’aimés.
Tant que ce vint à un été.
Que bois et prés sont reverdis.
Et que les vergers sont fleuris,
Et qu’oiselets par grand’ douceur
Mènent leur joie parmi les fleurs.

Qui aimer a à son talent ;
N’est merveille s’il y entend.
Du chevalier vous dirai voir (vérité),
Il y entend à son pouvoir ;
Et la dame de l’autre part
Et du parler et du regard.

Les nuits quand la lune luisait,
Et son sire couché était,
D’auprès de lui souvent levait,
Et de son mantel s’affublait,
A la fenêtre ester (s’asseoir) venait
Pour son ami qu’elle y savait.
Tant elle y fut, tant se leva.
Que son sire s’en courrouça.
Et maintes fois lui demanda
Pourquoi levait et où alla ?
— Sire, la dame lui i-épond.
Il n’en a de joie en ce mond’
Qui n’ouït le éostik chanter ;
Pour ce me vois ici ester.
Tant doucement l’ouïs la nuit.
Que moult me semble grand déduit (plaisir).

Quand li sire ouït ce qu’elle dit,
De ire (colère) et mal talent (pitié) en rit.
De une chose pourpensa (résolut),
Que le éostik engluera (prendra)
Il n’eut valet en sa maison
(qui) Ne fît engins, rets, ou laçon.
Puis les mettent par le verger ;
Ni eut coudre (coudrier) ni châtaignier
Où ils ne mettent lacs ou glu.
Tant que pris l’ont et retenu.

Quand le éostik ils eurent pris.
Au seigneur fut rendu tout vif.
Moult est joyeux quand il le tient.
A chambre la dame s’envient ;
— Dame, fait-il, où êtes-vous?
Venez avant parler à nous.

Je ai le éostik englué. !
Pour qui vous avez tant veillé :
Desor (désormais), pouvez dormir en paix,
Il ne vous éveillera mais. —

Quand la dame l’a entendu,
Dolente et courroucée en fut ;
A son seigneur l’a demandé,
Et il l’occit par engresté (mauvaise humeur).
Le col lui rompt od (avec) ses deux mains
(De ce fit-il que trop vilain !)
Sur la dame le corps jeta,
Si (bien) que son cainse (corsage) ensanglanta
Un peu dessus le sein devant.
De la chambre sort à l’instant.

La dame prend le corps petit,
Durement et pleure et maudit
Tous ceux qui le éostik trahirent.
Et les engins et lacets firent.
Car moult l’ont irritée grand hait (vivement).
— Hélas ! fait-elle, mal m’estuet (m’arrive) !
Ne pourrai plus la nuit lever,
Aller a la fenêtre ester.
Où je soûlais mon ami voir,
Il pensera que je me feigne (moque) :
De ce faut-il que conseil prenne :
Le éostik lui transmetterai,
L’aventure lui manderai. —

En une pièce de samit (taffetas)
A or brodé et tout écrit,
A l’oiselet enveloppé,
Un sien valet a appelé,
Son message lui a chargé,
A son ami l’a envoyé.
Il est au chevalier venu,
Par sa dame lui dit salut.
Tout son message lui conta,
Et le éostik lui présenta.

Quand tout lui a dit et montré,
(Et il l’avait bien écouté),
De l’aventure était dolent,
Mais ne fut pas vilain ni lent,
Un vasselet (petit vase) a fait forger
Où il n’y eut fer ni acier ;
Tout fut d’or fin à bonnes pierres
Moult précieuses et moult chères,
Couvercle y eut très bien assis,
Et le éostik a dedans mis ;
Puis fit la châsse bien sceller,
Et toujours avec lui porter.

Cette aventure fut contée.
Ne put être longtemps celée (cachée) ;
Un lai en firent les Bretons,
Et le Eostik l’appelle-t-on.


La fidélité de cette imitation ne permet pas de douter que Marie de France n’ait traduit sur l’original. Les fleurs qu’elle a cru devoir y broder, et les traits charmants qu’elle omet, ne prouveraient pas le contraire. Si elle juge nécessaire d’apprendre au lecteur que rossignol se dit éostik en breton, et nightingale en anglais, évidemment elle veut lui montrer qu’elle sait les langues bretonne et anglaise. Quand même elle n’aurait pas eu cette intention, on devinerait qu’elle entendait et parlait le breton à plusieurs expressions bretonnes ou francisées dont elle sème ses écrits, au mot enkrez, par exemple, qu’elle francise en engresté, dans la pièce qui nous occupe. On le jugerait encore, à certaines manières de dire qu’offre très-souvent notre ballade, comme tous nos chants populaires, et qu’elle reproduit :


Quand le sire ouït ce qu’elle dit, etc.
Quand le éostik eurent pris, etc.
Quand la dame l’a entendu, etc.
Quand tout lui a dit et montré, etc.


On le verrait surtout par la forme rhthmique de sa pièce, forme identique à celle de l’original, et dont les vers pourraient se diviser, de même, en distiques formant un sens complet, et se chanter sur l’air breton. Je vais plus loin ( et ceci me porte à croire que notre version est bien publiée dans son dialecte naturel ) Marie a très-probablement traduit d’après le dialecte de Léon, car c’est le seul où rossignol se soit toujours écrit et prononcé éostik ; en Cornouaille, en Tréguier et en Vannes, on a constamment écrit estik ou est. Un critique breton, M. Hippolyte Lucas, dans un compte rendu bienveillant de ce recueil, a dit, en parlant du Rossignol : « Cette ballade charmante mériterait d’être rajeunie par un de nos poètes. » Nous regrettons qu’il ne l’ait pas traduite lui-même ; le sujet est tout à fait digne de son gracieux talent.



Mélodie originale




  1. Poésies de Marie de France, t. 1, p. 314.
  2. Chevaliers pauvres, aussi nommés bas chevaliers.