Barzaz Breiz/1846/Le baron de Jauioz/Bilingue
Le baron de Jauioz
XXVIII
LE BARON DE JAUIOZ.
( Dialecte de Cornouaille. )
I.
Comme j’étais à la rivière à laver, j’entendis soupirer l’oiseau de la Mort : — Bonne petite Tina, vous ne savez pas ? vous êtes vendue au baron de Jauioz. — Est-ce vrai, ma mère, ce que j’ai appris ? Est-il vrai que je sois vendue au vieux Jauioz ? — Ma pauvre petite, je n’en sais rien ; demandez à votre père. — Mon petit père, dites-moi, est-il vrai que je sois vendue à Loys de Jauioz ? — Ma chère enfant, je n’en sais rien, demandez à votre frère. — Lannik, mon frère, dites-moi, suis-je vendue à ce seigneur-là ? — Oui ! vous êtes vendue au baron, et vous allez partir à l’instant ; — Et vous allez partir sans tarder ; le prix de la vente est reçu : Cinquante écus d’argent blanc, et autant d’or brillant. — Ma bonne mère, quels habits mettrai-je, s’il vous plaît ? |
Ma robe rouge ou ma robe de laine blanche, que m’a faite ma sœur Hélène ? Ma robe rouge, ou ma robe blanche et mon petit corset de velours noir ? — Mettez les habits que vous voudrez ; cela importe peu, ma fille : Il y a un cheval noir à la porte, attendant que la nuit s’ouvre, Attendant le moment où la nuit s’ouvrira, un cheval tout équipe qui vous attend. —
II.
Elle n’était pas loin du hameau, qu’elle entendit sonner les cloches. Alors elle se mit à pleurer : — Adieu, sainte Anne ; Adieu, cloches de mon pays ; cloches de ma paroisse, adieu ! — En passant le lac de l’Angoisse, elle vit une bande de morts ; Elle vit une bande de morts, vêtus de blanc, dans de petites barques ; Elle vit des morts en foule ; contre sa poitrine ses dents claquaient. En passant par les vallées du Sang, elle les vit s’élancer à sa suite ; Son cœur était si plein de douleur, que ses yeux se fermèrent : |
Son cœur était si plein de douleur, qu’elle perdit connaissance.
III.
— Prenez un siège, asseyez-vous, en attendant l’heure du repas. — Le seigneur était près du feu, aussi noir qu’un corbeau ; La barbe et les cheveux tout blancs, les yeux comme deux tisons. — Voici une jeune fille que je demande depuis bien longtemps ! Allons, mon enfant, allons, que je vous fasse apprécier une à une mes richesses. Venez avec moi, ma belle, de c ambre en chambre, compter mon or et mon argent. — J’aimerais mieux être chez ma mère, à compter les copeaux à jeter au feu. — Descendons au cellier ensemble goûter du vin doux comme miel. — J’aimerais mieux boire de l’eau de la prairie dont boivent les chevaux de mon père. — Venez avec moi de boutique en boutique acheter un manteau de fête. — J’aimerais mieux une jupe de toile si ma mère me l’avait faite. — Allons maintenant au vestiaire chercher des festons pour l’orner. |
— J’aimerais mieux la tresse blanche que ma sœur Hélène m’ourlait. — Si j’en juge par vos paroles, j’ai peur que vous ne m’aimiez pas. Que n’ai-je eu un abcès à la langue, le jour où j’ai été assez fou, Assez fou pour vous acheter, quand rien ne peut vous consoler ! —
IV.
— Chers petits oiseaux, dans votre vol, je vous en prie, écoutez ma voix : Vous allez au village, et moi je n’y vais pas ; vous êtes joyeux, moi bien triste. Faites mes compliments à tous mes compatriotes, quand vous les verrez ; A la bonne mère qui m’a mise au jour, et au père qui m’a nourrie ; A la bonne mère qui m’a mise au jour, au vieux prêtre qui m’a baptisée. Vous direz adieu à tout le monde ; et à mon frère que je lui pardonne. —
V.
Deux ou trois mois après, sa famille était couchée, Était couchée et reposait doucement, vers minuit. |
Ni au dedans ni au dehors, aucun bruit ; on entendit à la porte une voix douce : — Mon père, ma mère, pour l’amour de Dieu, faites prier pour moi ; Priez aussi et prenez le deuil : votre fille est sur les tréteaux funèbres. —
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