Barzaz Breiz/1846/Les Jeunes hommes de Plouié/Bilingue
Les Jeunes hommes de Plouié
II
LES JEUNES HOMMES DE PLOUIÉ.
( Dialecte de Cornouaille. )
I.
Maudit soit le soleil, maudite soit la lune, maudite soit la rosée qui tombe sur la terre ; Maudite soit la terre elle-même, la terre de Plouié, qui est la cause de querelles terribles, La cause de terribles querelles entre le maître et le colon ; Qui répand l’émoi parmi les hommes des campagnes, qui en met plus d’un mal à l’aise ; Qui fait plus d’un père sans fils, plus d’une femme veuve, plus d’un orphelin et d’une orpheline ; Qui jette sur les grands chemins plus d’un enfant qui pleure en suivant sa mère. Mais maudits soient, pardessus tout, les nobles hommes[1] des cités, qui oppriment le laboureur ; Ces gentilshommes nouveaux, ces aventuriers français, engendrés au coin d’un champ de genêts ; Lesquels ne sont pas plus Bretons que n’est colombe la vipère éclose en un nid de colombe. |
II.
Le dimanche de la Pentecôte, après la grand’messe, parut le coq-de-ville dans le cimetière ; Parut l’archer de Quimper, debout sur les degrés de la croix, les yeux enflammés de colère, Les yeux de colère enflammés, les yeux comme un vase d’eau bouillante. — Ecoutez tous, gens de Plouié, écoutez bien ce qui va être publié : Que dans le jour et l’an soit faite l’estimation de ce qui appartient en propre à chacun de vous : Vos édifices et vos fumiers ; et qu’elle soit faite à vos frais ; Et allez ailleurs, vous et les vôtres, avec votre argent neuf chercher un perchoir. — A peine il achevait ces mots, qu’une sédition éclata dans le cimetière ; Vieux et jeunes se soulevèrent; ceux ci criaient, ceux-là pleuraient ; D’autres tombaient à terre, le cœur brisé par la douleur. — Adieu, nos pères et nos mères; nous ne viendrons plus désormais nous agenouiller sur vos tombes ! Nous allons errer, exilés par la force, loin des lieux où nous sommes nés, Où nous avons été nourris sur votre cœur, où nous avons été portés entre vos bras. |
Adieu, nos saints et nos saintes ; nous ne viendrons plus vous rendre visite ; Adieu, patron de notre paroisse ; nous sommes sur le chemin de la misère. — Les jeunes hommes de Plouié ont dit : — Taisez-vous, jeunes filles, ne pleurez pas. Que vous n’ayez vu le sang de chaque laboureur couler sur le seuil de sa porte, Que vous n’en ayez vu couler la dernière goutte ; mais le sang des Français d’abord ! — L’archer, en entendant ces mots, sauta vite à bas de la croix ; Il ne savait où chercher un refuge ; il allait comme un homme qui a perdu la tête ; Il s’élança dans l’ossuaire, parmi les ossements des Bretons. Mais écoutez l’espèce de prodige : les ossements s’agitent comme des personnes vivantes ; Elles se dressent droit, avec ensemble, autour de l’archer, sur leurs pieds ; El le voilà écrasé et enseveli sous elles.
III.
Les jeunes hommes de Plouié disaient : — Allons prendre nous-mêmes des informations sur ce qui nous regarde. — Arrivés à Quimper, ils demandèrent à parler à leurs maîtres. |
— Ouvrez à des habitants de la campagne, qui voudraient parler à leurs maîtres. — Allez-vous-en, vile paysantaille, à moins que vous ne teniez à sentir l’odeur de la poudre. — Nous nous moquons de votre poudre, tout comme de celui à qui vous appartenez. — Ils parlaient encore, que trente d’entre eux tombèrent morts ; Trente tombèrent, mais trois mille entrèrent ; et voilà la ville en feu, et un feu si joyeux Si bien que les bourgeois criaient : « Aïe ! aïe ! aie ! aïe ! grâce ! grâce ! hommes de Plouié ! » Ils ruinèrent un bon petit nombre de maisons, mais non celle de l’évêque de Quimper, Non celle de Rosmadec, le seigneur bien-aimé, qui est bon pour les paysans ; Qui est du sang des rois de Bretagne, et qui maintient nos bonnes Coutumes. Le seigneur évêque disait (d’un ton d’autorité), en parcourant les rues de la ville : — Cessez vos ravages ! mes enfants ; au nom de Dieu, cessez ! cessez ! Hommes de Plouié, retournez chez vous ; la Coutume ne sera plus violée. — Les hommes de Plouié ont suivi ses conseils : — Retournons donc chez nous ! en route ! — Mais ç’a été pour leur malheur : ils ne sont pas tous arrivés à la maison.
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- ↑ Les bourgeois de Bretagne portaient généralement, au quinzième siècle, le titre de nobles hommes. (A., de Courson, Essai sur l'histoire de Bretagne, p. 346.)