Bases de la politique positive/Chapitre 5

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Bases de la politique positive, manifeste de l’école sociétaire fondée par Fourier (1847)
Texte établi par Librairie Phalanstérienne, Paul Renouard (p. 128-174).


CHAPITRE V.


organisation de l’école sociétaire constituée.


I.

L’École Sociétaire n’est pas, ne peut pas être une Secte.


D’après ce que nous avons établi, il est facile de reconnaître que l’École sociétaire n’est pas un Parti politique, puisque ce qui caractérise les Partis politiques, c’est la prétention de changer directement les Lois et le Gouvernement de la Société, et de faire triompher leurs idées particulières en les imposant au pays par l’autorité de la Loi. — La Réforme Économique proposée par l’École sociétaire n’exige la modification d’aucune Loi morale, civile, politique ou religieuse, le renversement d’aucun Pouvoir.

L’École sociétaire est bien moins encore une Secte.

Elle n’est pas une Secte religieuse parce qu’elle ne propose point à la Société l’adoption d’un nouveau Culte et ne fait dépendre la Réforme sociale d’aucune innovation religieuse, — quelles que soient les Religions admises dans le pays où elle se développe, et quelles que puissent être les opinions des membres de cette École sur les Dogmes de telle ou telle de ces Religions.

Enfin elle n’est point une Secte sociale, puisqu’elle n’entend nullement affilier les Partisans de ses idées au nom d’une Foi commune, en former une Corporation, une Communion, vivant d’une vie spéciale au sein de la Société.

L’École sociétaire est purement et simplement une École scientifique qui, conformément au droit commun, expose, dans le domaine des Faits intellectuels et de la Philosophie naturelle, ses idées sur Dieu, sur l’Homme et sur l’Univers, et qui, dans le domaine des Faits pratiques ou sociaux, se propose de faire l’application locale de son Principe scientifique à une Opération économico-industrielle, dans le but d’édifier le monde sur la valeur de ce Principe, et de mettre l’Humanité en possession de ses Destinées heureuses, si ce Principe est reconnu avoir la valeur sociale que cette École lui attribue.

Lorsqu’une Idée générale, une Idée sociale ou religieuse, se produit dans le Monde et que ses Partisans ne sont pas encore très-nombreux, ceux-ci tendent naturellement à former Secte, à se séparer en quelque sorte de la Société, à se lier entre eux au nom de la Doctrine commune pour réaliser une petite Église, une Famille, et vivre d’une vie intérieure et corporative.

Cette tendance tient à la nature passionnelle de l’homme[1] ; elle se manifeste infailliblement dans le cas dont nous parlons, celui de l’apparition dans le monde d’une Idée générale, vraie ou fausse.

Pour donner de ce fait deux exemples pris aux deux extrémités de l’Ère actuelle, et sans établir de comparaison entre les Doctrines, nous rappellerons que le Christianisme, il y a dix-huit cents ans, et que le Saint-Simonisme, de nos jours, ont manifesté l’un et l’autre cette propension. Dès son origine, en effet, le Christianisme tendit à fonder au sein du monde polythéiste une Famille chrétienne, une Communion de Fidèles vivant d’une vie spéciale, et formant, au nom de leur Foi nouvelle, une Société dans la Société. De nos jours, le Saint-Simonisme a renouvelé le même phénomène, et nous avons vu les partisans de cette Doctrine amenés, après quelques années de pur Enseignement, à réaliser une vie corporative, et à former ce qu’ils appelaient eux-mêmes la Famille Saint-Simonienne.

Les discords, les discussions, les dissensions et les conflits qui se développent infailliblement au sein de toute Doctrine qui tourne son activité sur elle-même, et qui veut réaliser l’Association de ses membres dans une vie intérieure plus ou moins intime, par la seule puissance d’une Foi religieuse ou sociale commune, en l’absence des Conditions que la Science révèle comme essentielles au maintien du Lien sociétaire ; ces discords, ces discussions et ces conflits n’ont point permis à l’Association chrétienne intime des premiers temps de subsister, et ont brisé également la Famille Saint-Simonienne. Seulement le Christianisme, grâce à la puissance de son Principe, a pu traverser cette époque de dissensions, subsister comme Doctrine religieuse et se développer dans le domaine spirituel. Ce n’est qu’en recourant à des Règles disciplinaires toutes particulières et très-compressives, en procédant par exclusion, en éliminant la plupart des éléments dont se compose la vie sociale, qu’il est parvenu, et encore très-exceptionnellement, à réaliser les aggrégations connues sous le nom de Couvents ou Monastères.

Que la tendance à former Secte, Corporation ou Église, à réaliser une vie intérieure plus ou moins intime au nom de la Doctrine sociale, de la Foi commune, puisse se manifester chez certains Partisans des Idées sociétaires, cela n’a rien qui doive étonner, eu égard à la nature passionnelle de l’homme : mais cette Constitution en Secte est formellement improuvée par la Théorie sociétaire elle-même. En effet, cette Théorie expose les Conditions de l’Association, ou de la Formation et du maintien des Corporations harmoniques, et elle prouve que les tendances passionnelles, qui poussent virtuellement les individus à former ces Corporations, ne sauraient être convenablement développées et équilibrées en l’absence de ces Conditions indispensables.

Toute tentative dont le but serait d’organiser, au sein de la Société actuelle, des relations individuelles, directes et actives, dans une Masse au nom d’une Foi commune, ne serait, généralement, féconde qu’en déceptions et en mécomptes, puisque les Discords qui se développeraient naturellement et nécessairement dans cette Masse ne sauraient y être disciplinés et équilibrés ; voilà ce que déclare très-positivement la Théorie. Ainsi l’Union, l’Association directe des individus entre eux n’étant possible que par la Réalisation des Conditions précisées par la Théorie sociétaire, la simple Foi à cette Théorie, — nous le reconnaissons et nous le proclamons nous-mêmes, — est absolument insuffisante pour produire cette Union directe.

D’ailleurs une Association des Croyants à la Doctrine de Fourier n’a aucun rapport avec l’Association intégrale des Éléments de la Vie industrielle, de la Vie générale, dont ce Système se propose la Réalisation. Ce but n’est ni celui de la Théorie, ni le nôtre. Si nous prétendions fonder dans la grande Société une petite Société de Croyants, nous ne serions que des Sectaires d’un certain ordre. Or, la Société actuelle redoute la Secte, elle se défie de l’esprit de Secte, et en cela elle a parfaitement raison. Si nous commettions la faute de constituer en Secte les Partisans de nos Idées, nous donnerions gratuitement nous-mêmes à nos Idées une fort mauvaise recommandation.

Il est donc entendu et bien entendu que, loin de songer à créer rien qui pût ressembler à une Corporation de Croyants vivant d’une vie intérieure, nous considérerions, au contraire, comme faux et funeste, le développement des tendances passionnelles qui pourraient pousser des esprits peu réfléchis à des tentatives condamnées par la Théorie que nous avons pour but de faire connaître et d’appliquer. Nous pensons que de semblables tentatives ne serviraient qu’à compromettre nos Idées aux yeux du monde, et n’aboutiraient à l’Intérieur, comme la Science sociale l’établit d’avance, qu’à semer la discussion, la dispute, la zizanie dans les rangs de ses Partisans, et à y faire éclore les essors subversifs de la Passion individuelle.

Nous établissons donc :

1o Que l’Union ou l’Association directe d’une Masse d’individus ne peut être établie solidement que par la réalisation du Milieu systématique qui constitue la découverte de Fourier.

2o Qu’en particulier la simple Foi à la valeur de ce Système serait tout à fait insuffisante pour réaliser cette Association directe ; et que si des Disciples de Fourier, au mépris de l’esprit même de la Science de leur Maître, et cédant aux Tendances passionnelles qui ont agi sur les Partisans de toute Idée religieuse ou sociale nouvelle, tentaient de réaliser entre eux une Union générale directe au nom de leur Foi commune, ils n’arriveraient qu’à réaliser un foyer d’intrigues et de divisions intérieures. — En voulant constituer l’Union ils ne constitueraient que la Désunion.

3o Que la Faculté d’Associer dépendant du Mécanisme découvert par Fourier et non de la Foi à l’excellence de ce Mécanisme, le succès de l’expérience de ce Mécanisme n’exige pas même que la masse des individus, aux Relations industrielles de laquelle il devra être appliqué dans un Essai pratique, soit imbue de la Foi à la Doctrine dont ce Système relève.

Cette condition remarquable est bien propre à achever de définir, aux yeux de tout homme réfléchi, le caractère absolument scientifique de la Théorie sociétaire et à la séparer de toutes les autres Propositions vagues et indécises de Réforme sociale qui ont été ou qui peuvent être présentées. En effet, nous demandons quelle Doctrine a jamais compté sur la Vérité scientifique, c’est-à-dire sur la toute-puissance naturelle et intrinsèque de son Système organique, au point de ne pas exiger des hommes dont elle prétendait réaliser l’Association ou l’Union, une Adhésion spirituelle, une Foi préalable à ses Principes, ou même une simple connaissance de ses points fondamentaux[2].

L’objet de nos efforts n’est donc pas de créer dans la Société une Secte phalanstérienne, c’est-à-dire une Corporation de personnes professant une certaine Foi Sociale et s’associant plus ou moins directement au nom de cette Foi. Si nous cherchons à créer cette Foi dans la valeur de la Théorie découverte par Fourier, c’est uniquement pour obtenir, du désir commun de ceux qui l’acceptent, un Concours qui permette de réunir les ressources et les conditions nécessaires à l’Expérimentation de la Théorie. Nous ne tenons pas positivement à faire partager aujourd’hui notre Foi à la Société ; nous ne tenons décidément qu’à une chose : c’est que l’on reconnaisse, que l’on proclame la haute nécessité de soumettre à l’Expérience une Proposition de Réforme aussi féconde, aussi heureuse, aussi puissante que le serait, en cas de Réalité, celle que nous offrons, et que l’on comprenne que c’est un devoir pour chaque homme vraiment religieux et ami de l’Humanité, de contribuer, en proportion de ses moyens, à l’Acte Décisif qui peut mettre un terme à toutes les Souffrances individuelles et à toutes les Misères sociales.

Si donc nous nous efforçons de faire connaître nos Idées, de répandre notre Foi sociale, c’est uniquement parce que, chez les âmes généreuses, la Foi provoque les Sacrifices et dicte les Œuvres. Peu importerait que l’on pensât comme nous, que l’on partageât notre Foi, que l’on fît des vœux pour le succès de nos efforts, que l’on se pâmât d’admiration devant le génie de notre Maître, si cette Foi, si ces vœux, si cette admiration devaient rester stériles pour l’œuvre que nous avons entreprise, et ne déterminaient pas des Sacrifices et un Concours en faveur du triomphe de notre cause. Nous préférerions, et de beaucoup, à la Foi stérile de ceux-là, le Doute philosophique des hommes qui, tout en réservant leur conviction, reconnaîtraient cependant qu’il est de leur Devoir de contribuer à l’œuvre de la Vérification du Système que nous proposons.


II.

Importance de l’Unité d’action.


Il demeure donc bien établi que nous procédons Scientifiquement, que nous produisons une Théorie dont nous demandons la vérification à l’Expérience, que nous travaillons à une Réforme dans la Constitution de la Société, et non à l’établissement d’une nouvelle Religion, ou à l’organisation d’une petite société dans la grande, que nous formons une École et non une Secte, et que, par conséquent, ceux qui nous traitent de Sectaires ignorent absolument le sens du mot dont ils se servent, ou ne comprennent ni notre mode d’action, ni le sens de nos efforts.

S’il n’est point dans la donnée de notre Œuvre, et s’il est même contraire à l’esprit de notre Théorie de chercher à constituer des rapports directs et corporatifs entre les personnes qui arrivent à nos Principes, il est de notre devoir de créer pour elles, autant que faire se peut, de sages conditions de Concours ou d’Unité d’Action, d’imprimer à leurs efforts une Direction convergente, de les réunir sur un But commun.

À quoi servirait en effet de créer des Convictions, si les Forces acquises devaient se diviser et s’éparpiller au lieu d’apporter progressivement à un Centre commun les ressources, les moyens, la puissance nécessaires pour obtenir le résultat d’où dépend le triomphe de la cause embrassée, la Vérification pratique de notre Système d’Association ? La Propagation des Idées dans le milieu ambiant n’en devrait pas moins être continuée sans doute, mais la Réalisation serait ajournée à un avenir indéterminé. Il faudrait attendre qu’il convînt à quelque Gouvernement de tenter l’expérience. Or, en fait d’Idées nouvelles, et notamment d’Idées sociales, les Gouvernements d’aujourd’hui, surtout les Gouvernements prétendus progressifs, restent toujours fort longtemps en arrière…

Dans l’intérêt de notre Cause, nous devons donc chercher à réaliser, autant que possible, l’Unité d’Actions et d’Efforts des hommes conquis à notre Doctrine.

Nous disons autant que possible, car cette Unité d’Action que nous invoquons, et qui n’est pas l’Association directe des personnes entre elles, mais la simple Convergence de leurs efforts sur un But commun, n’est point susceptible elle-même d’une Réalisation absolue dans les conditions sociales actuelles. En effet, dans de pareilles conditions, cette Unité d’Action ne saurait être obtenue que par une subordination volontaire des individus à un Centre d’Action et de Direction, subordination qui exige souvent le sacrifice des Idées individuelles, des opinions particulières et de l’amour-propre, qui demande beaucoup de raison, un sentiment profond des intérêts de la Cause commune, et qu’il serait déraisonnable d’attendre de tout le monde dans un siècle où l’esprit de discussion, d’opposition, de négation et de critique est devenu l’esprit dominant, le Ton de l’époque.

Nous ne saurions donc aucunement garantir d’une manière absolue cette désirable Unité d’Action, car il ne dépend pas de nous de réunir toutes les Volontés à notre Œuvre. Seulement ce que nous pouvons faire, ce que nous n’avons cessé et ce que nous ne cesserons de faire, c’est de créer les Conditions d’une Action forte, d’attirer progressivement à notre Foyer d’activité les bons éléments de vie, d’avenir et de puissance, et de convier tous les hommes dont le caractère peut honorer notre cause, et dont le concours peut lui être utile, à nous apporter, dans les conditions où nous nous sommes placés, le tribut de leurs efforts, de leurs lumières et de leur dévouement.


III.

Constitution organique de l’École dans les formes légales.


Ayant fait connaître les Principes théoriques sur lesquels repose l’École que nous constituons, ainsi que les Principes de conduite qui nous dirigent, il ne nous reste, pour compléter le présent Manifeste, qu’à faire connaître les formes que nous avons dû adopter pour répondre aux exigences de ces Principes, et le système des Moyens de Concours que nous avons jugé le plus propre à établir l’Unité d’Action nécessaire au succès et à la dignité de cette École.


Notre But général est l’établissement de l’Association intégrale des Individus, des Classes et des Peuples ; notre objet spécial est l’Expérimentation de la Loi ou du Procédé naturel d’Association découvert et proposé par Fourier.

Pour arriver à l’Épreuve décisive de ce nouveau Procédé social, nous avons dû et nous devons en faire connaître la nature, le faire désirer, en faire vouloir la Réalisation, en un mot, créer et réunir les ressources nécessaires à l’exécution de l’Épreuve. La Réalisation de notre Doctrine a donc exigé et exige un Système de Propagation.

Ainsi que nous l’avons établi généralement pour toute Doctrine réelle de Réforme sociale (voir page 47), nos deux tâches, nos deux Devoirs consistaient donc à organiser la Production de notre Doctrine dans le domaine intellectuel, et à préparer les éléments d’une Réalisation expérimentale sur le terrain pratique.

Nous avons travaillé activement depuis dix années à l’accomplissement de ces deux tâches, et il nous a été enfin donné de pouvoir organiser régulièrement nos efforts en constituant le 15 juin 1840, dans les termes et dans les formes légales, la Société pour la Propagation et pour la Réalisation de la Théorie de Fourier.

Cette Société, comme son nom même l’indique, a pour objet de donner à la Production publique de la Théorie, par tous les moyens convenables et légaux, la plus grande extension possible, et en même temps de préparer et d’opérer la Réalisation expérimentale de cette Théorie.

Conséquemment à ce double objet :

Pour la Propagation. — La Société rendue propriétaire, pendant sa durée entière, de tous les ouvrages et manuscrits de Fourier, des ouvrages des principaux écrivains de l’École, des portraits et bustes authentiques de Fourier, etc., etc., fait fonction de Librairie et joint à ce mode de publicité fixe, le mode périodique par la publication du Journal La Phalange, dont elle est également propriétaire.

L’Exposition de la Doctrine est spécialement l’œuvre des Livres ou publications fixes.

La défense des Principes généraux, l’application de ces Principes à l’appréciation critique des idées et des actes qui se produisent dans le domaine public, à la solution ou à la discussion des questions de tous ordres que les événements posent chaque jour, tel est l’objet plus particulier du Journal.

Ces deux modes de publicité sont également nécessaires à la Propagation de nos Théories. L’École ne s’est établie que du jour où elle a réuni ces deux éléments. La publication d’un Journal a seule fait connaître, et peut seule répandre les ouvrages d’Exposition. Aussi, dès le jour où ces deux éléments ont été réunis, n’avons-nous cessé de gagner du terrain : les développements que nous donnons à ces deux modes de publicité nous permettent de calculer le temps où nos pacifiques et bienfaisantes Idées auront éclairé et conquis l’Opinion publique. L’Opinion s’est considérablement modifiée déjà depuis dix ans, et, sans qu’elle en ait encore conscience, il est certain qu’elle a marché vers nos Idées, et que c’est la promulgation de ces Idées qui l’a fait marcher dans ce sens[3].

Nous nous proposons de compléter, quand nous le pourrons, notre Système de Publicité par la création d’une Revue. De cette sorte, nous aurons organisé les trois modes de Publicité :

Publications fixes ou de librairie ;

Publication périodique à termes rapprochés ou quotidienne ;

Publication périodique à long terme.

C’est là, comme on le voit, le Système de publicité composée le plus complet que l’on puisse mettre directement au service d’une Idée. — À l’enseignement écrit nous joignons plus ou moins fréquemment l’enseignement oral, et la Société s’attachera à développer autant que possible cet élément de Propagation.

On voit donc que notre Société, constituée dans les formes légales, réalise sous des formes légales aussi ( établissement d’une Librairie spéciale et publication de Journaux), la Promulgation de la Doctrine[4] ; — c’était notre première tâche.

Quant à la seconde tâche, — la préparation de l’Épreuve pratique, — notre Société est également en voie d’exécution.

En effet, elle possède des travaux considérables en Projets d’architecture, devis et calculs industriels sur les éléments nombreux et compliqués qui entrent dans la composition d’un Essai sociétaire, et dont il est indispensable d’avoir fait les études pour tenter une semblable opération. Ces travaux préparatoires, nécessaires pour effectuer la transition de la Théorie à la Pratique, ont été commencés dès l’année 1833 et sont aujourd’hui terminés et déposés au bureau de La Phalange. Aussi n’attendons-nous, pour passer à l’Essai pratique, que la Réalisation des ressources et des capitaux nécessaires pour l’exécution.

La Société que nous avons fondée n’est donc autre chose que l’établissement, sous formes légales et régulières, du double Système d’Activité qui nous était imposé par les conditions mêmes du Développement et de la Réalisation de notre Doctrine sociale. Cette forme nous permet d’ailleurs d’opérer légalement l’Association des efforts des partisans de nos idées, et d’imprimer à leur zèle une direction unitaire. C’est ce qu’il est facile de voir en examinant la question des Moyens de Concours offerts aux personnes qui veulent allier plus ou moins directement, plus ou moins fortement leurs efforts aux nôtres.


IV.


Systèmes des Moyens de Concours.


Les Moyens de Concours à notre œuvre sont de trois ordres :

Concours intellectuel ;
Concours d’activité ;
Concours financier.


Concours intellectuel.


Ce genre de Concours consiste à coopérer avec nous, et dans la ligne générale de direction que nous suivons, à la Propagation de nos Idées par des travaux et par des écrits de toutes sortes.

Ceux qui connaissent la Doctrine et qui sont en position d’écrire, ne doivent rien négliger pour se servir de toutes les voies de publicité qui peuvent leur être ouvertes. La Presse des départements, plus calme, moins soumise à l’influence des intrigues politiques qui éloignent sans cesse la Presse parisienne des véritables questions sociales, est généralement accessible au développement de nos vues conservatrices et progressives. Nous ne saurions trop engager les partisans de notre Doctrine à en introduire les Principes dans les feuilles où ils pourront faire admettre des articles. Nous leur recommandons surtout d’agir avec mesure, de se mettre à la portée des lecteurs des feuilles dans lesquelles ils écrivent, d’aller sur le terrain de ceux-ci plutôt que de vouloir les entraîner de vive force dans les régions de la Théorie, enfin, de ne pas les effrayer par un appareil trop nouveau, trop technique, trop systématique, et par le bruit d’un enthousiasme trop fougueux.

L’École sociétaire est constituée ; elle a conquis dans le domaine de la publicité et son nom et son terrain. Il faut maintenant sortir du terrain technique et spécial de l’École pour aller sur le terrain où le public se trouve ; il faut parler à celui-ci sa langue, et, à propos de toutes les questions dont il se préoccupe, lui montrer, par une critique ou par une solution, la valeur supérieure du Principe sociétaire ; car il n’est pas de question que ce Principe ne puisse aborder et sur lequel il ne lui soit donné de jeter une vive lumière. C’est ainsi que l’on fera passer les esprits de leurs idées actuelles aux idées nouvelles qu’il faut leur inculquer ; c’est ainsi qu’on éveillera en eux le désir de connaître la Théorie, et qu’on les amènera à en étudier avec intérêt, avec soin, avec faveur les Procédés techniques de Réalisation.

Les points capitaux qu’il faut développer partout et sans relâche, sont ceux-ci :

1. La Politique sociétaire (la Politique qui a le principe de l’Association pour base) peut seule résoudre d’une façon durable et heureuse toutes les difficultés intérieures et extérieures auxquelles la vieille Politique ne sait appliquer que des Répressions ou des Révolutions ;

2. L’organisation de l’Industrie et du Travail est une question mille fois plus importante qu’aucune Réforme politique ne saurait l’être aujourd’hui : — une Réforme industrielle peut seule d’ailleurs, en harmonisant les intérêts, créer les Conditions d’un bon Gouvernement ;

3. Tout système sérieux de Réforme sociale repose, en principe, sur le Plan d’une Organisation déterminée de la Commune ;

4. Les Décrets d’un Pouvoir législatif quelconque étant impuissants à faire qu’un mauvais Système social soit bon, c’est à l’Expérience de décider en dernier ressort de la valeur de toute Proposition de Réforme sociale ;

5. La Société tout entière, devant laquelle et pour laquelle se fait l’Épreuve d’une Innovation sociale quelconque, est juge de la valeur de l’Innovation, et c’est l’Acceptation libre du Procédé nouveau, l’Imitation spontanée de la Combinaison nouvelle, qui expriment le Jugement de l’Humanité.

Quand ces points généraux seront admis, quand la Société comprendra que ce qui lui importe souverainement, c’est d’être constituée sur le Principe de l’Association ; quand on saura que l’Organisation de l’Industrie, du Travail, est le grand Problème de l’époque ; lorsqu’on aura reconnu que toute Théorie de Réforme sociale est tenue, sous peine de n’être qu’une Vacuité, de produire un Système d’Organisation de la Commune conforme à son Principe et vérifiable par une Expérience locale ; lorsque ces bases fondamentales de la Politique positive seront acceptées ; alors l’Opinion publique rejettera avec mépris toutes ces misérables cacophonies politiques, philosophiques, sociales, etc., toutes ces choses vagues et subversives, toutes ces choses sans forme et sans fond, auxquelles on coud si risiblement le nom de Réforme. Les esprits alors provoqueront l’application de la Méthode expérimentale aux questions de Réforme industrielle et de Progrès social ; ils voudront que l’Expérience soit appelée à prononcer sur tous les Systèmes qui se présenteront avec quelque autorité logique.

Cette disposition est tout ce que nous devons exiger. Les intelligences qui arrivent à ce point sentent bientôt le besoin d’étudier notre Théorie, de remonter au foyer de la Science, et ne tardent pas à se mettre avec nous à la poursuite d’un But dont chaque jour nous rapproche.

Les Principes qu’il importe fondamentalement de faire accepter à l’Opinion étant indiqués, c’est aux écrivains qui tenteront de les soutenir, de choisir les arguments et les formes les plus propres à les faire prévaloir devant le public auquel ils s’adressent. Toute question politique ou industrielle, petite ou grande, nous le répétons, peut servir de texte au développement de ces Principes fondamentaux. C’est du reste ce que La Phalange prouve de fait, puisqu’il n’est aucune des Questions d’Actualité qu’elle n’aborde, et qu’il n’est pas un seul de ses articles qui, sous la forme d’une discussion politique, industrielle, artistique, etc., ne soit, au fond, un article de Doctrine sociétaire.

Il importe beaucoup, en outre, que ceux qui veulent s’associer à nous en Concours intellectuel, fassent sur les ouvrages de l’École et sur les publications avouées, encouragées ou éditées par la Société pour la Propagation et la Réalisation, des articles de compte-rendu dans les Journaux où ils trouveront accès. Il faut que nous arrivions à ce point que, aussitôt une brochure, un livre, un écrit quelconque signalé par La Phalange comme utile à notre cause, cet Écrit reçoive dans toutes les provinces, dans tous les départements et à l’étranger la plus grande publicité. Il est de la plus haute importance que tous ceux qui sont en position de coopérer à ce vaste système de publicité convergente, établi au profit des Principes sociétaires, considèrent les démarches et les travaux dont nous parlons comme un des premiers Devoirs de notre Service d’Unité.

Les Expositions de la Théorie insérées dans certaines feuilles peuvent aussi avoir de bons résultats. Il faut s’attacher surtout dans ces sortes de travaux à mettre quelques grands Principes en lumière, à frapper l’esprit par le développement de quelqu’une des grandes faces de la Théorie sans prétendre conduire le lecteur dans la connaissance approfondie de l’ensemble. Il vaut mieux faire naître en lui le désir d’une étude sérieuse, que de lui offrir un tableau superficiel duquel il croie pouvoir se contenter. Enfin, quand on développe les vues si neuves de Fourier sur l’Organisation de la Société, c’est leur caractère de parfait bon sens qu’il faut aujourd’hui surtout présenter avec soin aux lecteurs.

Dans l’intérêt de la Cause, nous engageons les auteurs des travaux qui ne seraient pas adressés à La Phalange, et qui devraient voir le jour dans des feuilles de province, par exemple, à communiquer leurs articles aux personnes de leur localité qui sont connues pour posséder depuis le plus long temps la Théorie, pour l’entendre avec le plus d’intelligence et la présenter avec le plus de convenance.

Autant que possible, La Phalange reproduira ou signalera les travaux qui auront été publiés dans les conditions que nous venons de faire connaître.

Quant aux travaux que l’on nous adressera pour être publiés ou édités par nous-mêmes, ils seront toujours examinés avec soin par le Conseil de rédaction de La Phalange[5]. Nous sollicitons, particulièrement de la part des hommes spéciaux, des études faites au point de vue de la Science sociale sur les objets de leur spécialité.

Les Manuscrits trop considérables pour paraître dans La Phalange pourront être édités directement par la Société : il suffira que le Conseil de rédaction les juge susceptibles de compenser, pour le service de la Cause, les frais et avances d’impression.

Il est encore des communications que nous recevrons avec reconnaissance : ce sont les Renseignements, les Nouvelles, les Rectifications de faits, etc., etc. Nous engageons nos amis de l’intérieur et de l’extérieur à adresser à La Phalange les communications intéressantes que les circonstances les mettraient à même de pouvoir nous faire.

Achevons ce que nous avons à dire sur les moyens de Concours intellectuel, en ajoutant que non-seulement nous sommes très-disposés à écouter les avis, les renseignements et les critiques que l’on croirait devoir nous adresser dans l’intérêt de l’Œuvre que nous accomplissons, mais encore que nous sollicitons très-ardemment toutes les lumières qui peuvent nous aider, soit à réparer une erreur, soit à éclairer notre marche. Lorsque nous reconnaissons la justesse d’une critique ou d’un avis, nous y déférons, et nous nous réjouissons d’avoir été avertis. On nous trouvera donc toujours aussi reconnaissants des critiques qui nous seront directement et honnêtement adressées, que nous aurons le droit de l’être peu du dénigrement qui s’exercerait contre nous et contre nos actes.

La critique et la manifestation de l’opinion individuelle ont, il faut bien qu’on le sache, leurs conditions d’action harmonique et leurs conditions d’action subversive. Il importe de faire connaître ces conditions :

Lorsque, dans un mouvement quelconque, il existe un Centre d’Impulsion et de Direction, dont la tâche est de régulariser, de coordonner et d’unitariser les efforts d’une Masse, la Critique et la manifestation de l’opinion individuelle sont harmoniques, à la condition qu’elles s’adresseront directement au Centre pour l’éclairer s’il y a lieu, pour lui soumettre des idées, des vues dont il peut faire son profit dans l’intérêt de la cause.

Mais, si la critique, ou si l’opinion individuelle, au lieu de s’adresser au Centre et seulement au Centre, agit en dehors de lui, elle devient un germe de dissolution et de division intestine, elle s’exerce en mode subversif.

Les opinions individuelles sont, de leur nature, multiples et divergentes. Il ne peut y avoir convergence, dans le milieu actuel, qu’à la condition que chaque individualité soit disposée à sacrifier sa propre manière de voir à un jugement supérieur, et résolue à accepter la Direction régulière d’un Centre d’activité et d’impulsion. Toute la question consiste donc pour chacun, quant à la marche de nos Idées en particulier, à décider si l’on veut ou si l’on ne veut pas se rallier à notre Direction. Chacun est libre sans doute d’accepter ou de ne pas accepter l’Autorité morale de cette Direction. Nous ne pouvons pas empêcher que tel ou tel partisan de la Théorie de Fourier se tienne en dehors de notre mouvement, qu’il y soit même hostile, qu’il ne reconnaisse point les titres que donnent au Centre que nous constituons l’ancienneté, la persévérance du dévouement, des travaux qui datent de l’origine de l’École et qui l’ont fondée, une longue expérience, des peines et des sacrifices de toutes sortes, de grands résultats obtenus, et, nous croyons pouvoir le dire, une modération, une prudence, une connaissance de plus en plus approfondie des conditions du succès de notre cause, enfin, le concours des intelligences distinguées et des nobles cœurs qui partagent ou secondent nos travaux. Nous ne pouvons point, en un mot, empêcher directement les dissidences et les divergences, puisque notre Autorité n’est et ne peut être qu’une Autorité purement morale, une Autorité que chacun est libre de décliner, contre laquelle même chacun est libre de travailler par tous les moyens, et dont l’acceptation ne saurait être en définitive qu’un fait absolument volontaire de la part de ceux qui la reconnaissent.

Mais que ceux qui comprennent la nécessité d’une Direction centrale forte, puissante et respectée, que ceux qui par sympathie, ou seulement par raison, veulent s’allier à nous, que ceux-là du moins connaissent bien les conditions véritables de l’Unité ; qu’ils sachent bien que la critique d’un acte, la manifestation d’une opinion, d’une vue individuelle concernant les intérêts de la Propagation et de la Réalisation doit s’adresser au Centre directement, au Centre seulement ; que toute critique qui s’exerce en dehors d’un Centre sur ce Centre, sur ses actes, sur sa ligne de conduite, est un ferment de dissolution ; que toute discussion qui tend à s’établir dans l’armée, sur les mouvements de l’armée, sur les plans de campagne, est féconde en conséquences funestes, en un mot que c’est au Conseil supérieur de Direction que toute idée tendant à modifier la Direction doit être adressée, et que c’est ce Conseil qui doit être juge de la valeur et de l’opportunité de l’idée. Il n’y a d’Unité possible qu’à cette condition, dans notre camp comme dans tout autre camp. Ceux donc qui veulent l’Unité doivent en vouloir la condition, et la première condition, c’est l’existence d’un Centre de Direction, d’une Autorité acceptée, aidée, secourue, et non d’une Autorité attaquée, tiraillée et battue en brèche.

Les conditions de l’Unité du Concours que nous sollicitions étant établies, passons à l’examen du second mode.


Concours en Activité.


Tout le monde n’écrit pas, mais chacun parle et peut agir. Or, s’il est nécessaire à la Propagation d’une Conception, d’une Doctrine, au triomphe d’une Idée nouvelle, que cette Idée se manifeste et s’expose dans de bons écrits, qu’elle inspire d’intelligents, de savants travaux ; ces œuvres de la Science et du Talent ne produisent leur effet utile qu’à la condition de se répandre. Donc les hommes qui contribuent par leur activité à la circulation des productions intellectuelles d’une École, sont d’aussi précieux artisans du succès de l’École, d’aussi utiles Apôtres de l’Idée, de la Conception, de la Doctrine, que ceux qui traduisent dans de bons écrits les Principes et les Vérités qui la constituent.

Il résulte de là que chacun de ceux qui l’ont à cœur peut réellement, dans sa sphère d’activité et d’influence, quelque réduite qu’elle soit ou qu’elle lui paraisse, concourir, plus ou moins puissamment, au succès de cette Œuvre, c’est-à-dire à la Propagation de nos principes et à la Réalisation expérimentale que nous poursuivons.

Ce que nous recommandons avant toute chose, ce dont on doit s’occuper sans se lasser, c’est de conquérir incessamment de nouveaux lecteurs à La Phalange, organe de la Doctrine et moyen d’action de l’École.

Une Idée ne peut faire son chemin que par la Presse, et, en France surtout, que par la Presse périodique. Le Public ne s’occupe que de ce que ses Journaux lui signalent. Malheureusement la Presse des Partis n’est pas organisée pour le progrès des Idées, pour l’élucidation et l’impartial examen des Conceptions nouvelles. Au contraire, la Presse de la Capitale, généralement, du moins, est ce qu’il y a de plus étroit, de plus illibéral, de plus routinier, de plus hostile à l’endroit de toute Idée réellement nouvelle. Cette Presse est aujourd’hui, en fait, une grande Puissance anarchique, subversive et obscurante. Au lieu d’aller au-devant des Idées nouvelles, de les juger avec impartialité, d’en tirer ce qu’elles peuvent avoir de bon et de servir ainsi le Progrès et l’Humanité, la Presse politique de Paris, qui ne vit que de querelles, d’accidents, de diatribes, de misérables faits du jour, d’agitations, d’irritations et d’intrigues, s’entend parfaitement à étouffer toute Idée nouvelle aussi longtemps que la chose est possible ; puis à la dénigrer, à la calomnier, à la défigurer, à la mutiler dès que, par sa virtualité propre, l’Idée commence à se produire ; enfin, ce qui est souvent fort nuisible, à s’approprier des lambeaux ou des termes de l’Idée au fur et à mesure que celle-ci prend crédit, et à l’associer ainsi, du moins en apparence, à la défense de ses Erreurs et de ses Passions.

En résumé, la Presse périodique actuelle, la Presse des Partis n’accueille pas une Idée nouvelle ; elle l’étouffe, elle la calomnie, elle la déchire. Voilà le fait dans sa généralité : quelques exceptions honorables que nous nous empressons toujours de signaler, quelques bons témoignages individuels glissés furtivement de temps à autre dans les colonnes de tel ou tel Journal, n’infirment point la règle générale.

Il faut donc qu’une Idée nouvelle s’impose de haute lutte à la Presse, qu’elle se répande dans le Public par ses propres forces, c’est-à-dire qu’elle se crée à elle-même sa Presse périodique, puisque c’est le seul moyen, aujourd’hui, d’acquérir publicité, créance et puissance.

Nous l’avons déjà dit, tout s’est passé ainsi pour la Doctrine de Fourier. Pendant vingt-trois ans qu’elle a été privée d’un Journal, et renfermée dans les Livres du Chef et de son premier Disciple[6], ces Livres sont restés totalement inconnus au Public ; pendant vingt-trois ans la Conception de Fourier a été étouffée par la Presse[7] ; quelques insultes seulement et quelques calomnies ont interrompu ce long silence. Aussi, pendant ces vingt-trois années, la Doctrine n’a pas gagné un pouce de terrain dans le domaine de la Publicité. Depuis que nous avons créé un Journal, au contraire, elle a marché à grands pas. Les ouvrages de Fourier, dont les éditions entières étaient restées en magasin, se sont répandus, et la Presse elle-même a été forcée dans ses retranchements.

Le Journal est donc le Pivot de la Propagation.

Pour ouvrir au Journal une large voie, il fallait, une fois l’École constituée sur une certaine base, viser à prendre les formes de Publicité auxquelles on est généralement habitué, et mettre le Journal en rapport avec les besoins du Public[8].

Depuis que La Phalange donne des nouvelles, rend compte des Chambres et des Tribunaux, suit le cours de la discussion publique et applique ses Principes à l’élucidation de toutes les questions dont l’Opinion est occupée, en un mot, depuis qu’elle fait fonction de Journal quotidien, les amis des Idées que nous défendons peuvent, avec facilité, substituer autour d’eux ce Journal aux autres.

Nous ne craignons pas d’affirmer que si, dès aujourd’hui, ceux qui désirent le développement de nos Principes commençaient à agir tous avec activité, avec zèle, avec persévérance dans la direction que nous indiquons, nous ne craignons pas d’affirmer que sous très-peu de temps l’Organe de l’École Sociétaire aurait acquis une publicité immense et une influence considérable : nous pouvons en juger par les développements que La Phalange prend maintenant dans les localités où elle est servie par des personnes qui déploient quelque ardeur à la répandre.

Ce n’est pas tout de propager La Phalange, il faut ensuite faire circuler les livres et les brochures de l’École, et donner aux esprits une nourriture de plus en plus forte, au fur et à mesure qu’ils y prennent goût. Ce goût demande à être excité, et peut l’être : c’est aux amis de nos Idées à y pourvoir. Il est bien entendu que, toutes choses égales d’ailleurs, les personnes auxquelles il convient le mieux de s’adresser sont celles qui, par leur intelligence, leur influence, leur position, leur dévouement, leur caractère honorable ou leur fortune, peuvent rendre à la cause les plus grands services. Il ne faut pas convertir tout le monde. Il est des gens qu’il vaut mieux avoir contre soi qu’avec soi, et qui compromettent une Cause plus qu’ils ne la peuvent servir. Le nombre est bon, mais la qualité vaut mieux encore ; il faut chercher à avoir l’un avec l’autre.

Parlons du troisième mode de Concours.


Concours financier.


Le Concours en Finances est celui que doivent se proposer de provoquer les deux autres, puisque les actes de la Propagation convergent sur un But spécial qui est la réunion des Capitaux nécessaires à la Réalisation d’un Essai sociétaire.

Il faut donc que non-seulement chacun de ceux qui ont foi à notre Œuvre, mais encore que chacun de ceux qui pensent que la Vérification de nos Propositions sociales est d’une haute importance, ou qui regardent nos Principes généraux comme capables d’exercer une heureuse influence sur les esprits, d’imprimer une bonne direction à l’Opinion égarée par les erreurs et par les passions de la vieille Politique, il faut que chacun d’eux contribue au développement de notre Œuvre et lui paie, dans la mesure de ses moyens, un impôt volontaire.

La première contribution à payer à notre œuvre, c’est l’abonnement à La Phalange. Cette contribution, il est vrai, au prix où est ce Journal, ne constitue pas pour notre Société un secours pécuniaire sensible ; mais, en raison de l’importance que nous attachons à la Circulation de ce Journal, ce tribut est le premier que nous conseillons d’apporter à la Cause. Nos amis devront donc s’attacher à faire comprendre à tous ceux qui témoignent de l’intérêt pour nos Principes, que la première preuve effective de bonne disposition à donner, c’est de demander le Journal qui défend ces Principes.

Après l’abonnement au Journal vient l’achat des livres publiés par notre Société. Cette seconde Contribution est plus productive que la première. C’est le débit des livres qui, en prenant plus d’extension, doit amener la Société à faire ses frais de Propagation[9] ; d’ailleurs la circulation des ouvrages ne saurait être trop activée. Nous engageons donc les amis de nos Idées, non-seulement à prendre des exemplaires de nos diverses publications pour eux-mêmes, mais encore à s’imposer la tâche d’en placer autant que possible.

Enfin le dernier système de Contribution financière consiste à souscrire des Actions de notre Société pour la Propagation et pour la Réalisation de la Théorie sociétaire. Ces Actions sont de trois espèces, les unes de 5,000 francs, payables en quatre années, les autres de 500 francs, payables en deux années.

Des Actions de 50 francs ont, en outre, été créées pour satisfaire aux désirs des personnes dont les ressources sont très-restreintes, mais qui pourtant ont à cœur de donner la preuve de leur bonne volonté en s’associant pécuniairement à la Propagation et à la Réalisation de la Théorie.

L’extension de nos Opérations devant nécessairement se régler sur le budget de nos ressources, on comprend qu’il nous importe beaucoup de connaître continuellement la somme sur laquelle nous pouvons compter, ainsi que le minimum approximatif de nos ressources pour les prochaines années. Nous faisons donc appel à tous ceux qui portent, à un titre quelconque, intérêt à nos travaux ; nous les engageons à se mettre, sans plus tarder, en rapport avec nous et à nous apporter, en proportion de leurs convictions, de leur dévouement à l’humanité et de leurs moyens, leur part de Concours en Capital, en Travail intellectuel et en Activité de Propagation.


La cause n’a marché jusqu’ici que grâce à de continuels Sacrifices dans ces trois ordres. Maintenant que l’heure du triomphe approche, on doit tenir à honneur comme à devoir de s’associer à l’Œuvre.

Il est bien entendu que notre appel ne s’adresse pas seulement à ceux qui partagent nos convictions sur la Valeur intrinsèque du Procédé sériaire que nous voulons expérimenter. Il n’est pas nécessaire de croire à priori à la Théorie de Fourier pour désirer que l’on en fasse l’Essai et que l’Expérience tire de la Théorie tout ce que celle-ci peut contenir de bon, d’heureux, de bienfaisant. À quelque point de vue que l’on soit placé (sauf celui de l’indifférence sociale absolue), l’Expérience que nous poursuivons doit paraître un fait d’une très-haute importance. Nos ennemis eux-mêmes (et nous n’avons d’ennemis que parmi les gens qui ne connaissent aucunement nos Idées ou qui les comprennent à rebours), ceux qui crient bien haut que nos Principes sont très-mauvais, très-dangereux, doivent désirer de toute la force de leur haute moralité, de toute leur noble haine pour des « théories séduisantes et captieuses qui font des progrès effrayants, etc., etc., » ceux-là doivent désirer, tout aussi vivement que nous le désirons dans un autre espoir, l’Expérience qui prouverait aux yeux de tous la vanité de ces théories, qui ruinerait par la base ces dangereuses nouveautés.

D’autre part, il suffit d’avoir compris la sagesse, la justesse, la rigoureuse vérité des principes émis dans ce Manifeste, sur les Conditions générales de la Stabilité et du Progrès ; il suffit d’avoir reconnu que ces principes constituent les vraies Bases de la Politique positive ; qu’il est extrêmement urgent de les faire prévaloir sur les Erreurs et sur les Passions qui troublent le Présent, qui menacent gravement l’Avenir ; il suffit d’avoir senti quelle heureuse influence la Vulgarisation de ces principes exercerait immédiatement sur la Société actuelle, sur la direction des esprits, pour que ce soit un Devoir de Patriotisme et d’Humanité de contribuer à leur développement.

Quand encore un Essai sociétaire ne réaliserait pas tous les beaux résultats que nous en attendons ; quand bien même nous devrions échouer complètement, notre Essai et nos Travaux rendraient toujours à la Société un service plus grand que tous ceux qui lui ont été rendus dans les temps modernes, puisqu’il aurait pour effet de lui apprendre comment s’éprouvent les Théories de Réforme sociale, comment se vérifient les Propositions de Progrès, et qu’il contribuerait puissamment à faire passer la Politique, du domaine vague, incohérent, anarchique et révolutionnaire, sur le domaine calme et intelligent de la Science et des Méthodes expérimentales.

On peut donc se rallier à nos Principes généraux et scientifiques comme on se rallie aux Principes plus ou moins vagues, plus ou moins incomplets, plus ou moins faux de tel ou tel Parti Politique ; on peut aussi nous aider dubitativement et en faisant ses réserves relativement aux Points de Doctrine sur lesquels on n’est pas suffisamment édifié. On peut, en un mot, sans être Phalanstérien ou, comme on dit à tort, Fouriériste[10] ; concourir à l’œuvre si importante qui a pour but de vérifier par l’expérience la Théorie de Fourier, d’édifier la Société sur la valeur du Système proposé par cet homme de génie.

Aujourd’hui, nos adversaires les plus acharnés, les plus injustes, les plus ignorants, en sont réduits à confesser eux-mêmes qu’il y a d’excellentes choses dans le Système sociétaire, que l’Humanité tirera certainement profit des bonnes dispositions qui s’y trouvent. Mais dès lors, quel meilleur Crible que l’Expérience pour séparer le bon grain de l’ivraie ? Et quoi de plus urgent que de mettre à même de réaliser cette Expérience ceux qui, par leur position, par leur dévouement bien prouvé, par leurs longues études, par leurs rapports avec Fourier, et si l’on veut même, par amour-propre, doivent apporter le zèle le plus grand, la plus ardente sollicitude à tirer de la Conception de Fourier le plus de Bien possible, à lui faire produire tout le Bien qu’elle peut contenir ?

Qu’on y songe ! C’est la question des Destinées de l’Humanité que nous posons devant le Siècle. Si la simple expérience dont nous proposons l’exécution réussit, la Misère, la Fourberie, la Violence, l’Hostilité des classes, les Guerres intestines, les Guerres étrangères, tous les Vices qui rongent l’Humanité, tous les Fléaux qui la ravagent sont à jamais anéantis. L’Humanité entre dans les Voies glorieuses de la Richesse générale, de la Paix générale, de la Vérité, de la Justice. Si l’Art d’associer est réellement découvert, si le Procédé Sériaire permet effectivement de réaliser l’Ordre par la Liberté, de remplacer le Morcellement, l’Incohérence, la Division, l’Anarchie par le Ralliement libre et convergent des Forces humaines, par l’Unité des Intérêts, des Volontés et des Actes, toutes les Réformes, toutes les Améliorations matérielles, morales, politiques que l’on poursuit partiellement, tous les désirs que les cœurs les plus généreux ont formés pour l’Humanité, sont réalisés synthétiquement et dépassés au-delà de toute espérance. Si l’on peut lier par l’Association les Familles et les Intérêts, aujourd’hui divergents, juxta-posés en système morcelé dans la Commune, — la Fusion des Partis, l’Accord des Classes et des Peuples sont assurés !

Quelle plus grande œuvre de véritable Patriotisme et de véritable Philanthropie, quelle plus pressante, quelle plus sainte œuvre de Charité chrétienne et véritablement évangélique pourrait-on faire aujourd’hui, que de contribuer à la Vérification que nous réclamons de nos contemporains ?

Mais ceux qui s’efforcent de porter pieusement et charitablement secours aux Misères qui les environnent, savent-ils bien que si notre Théorie d’Organisation du Travail est sanctionnée par un succès expérimental, l’Abolition complète de l’Indigence et de toute Misère en sera la conséquence ? — Ceux qui poursuivent avec ardeur la Réforme des Prisons, savent-ils bien que, en cas de succès de notre expérimentation, la Prison deviendra dans l’Avenir une superfétation, et n’aura plus ou presque plus d’objet, grâce à la disparition des Causes génératrices de la démoralisation et du crime ? — Ceux qui poursuivent l’Abolition de l’Esclavage, savent-ils bien que si le Fait donne raison à notre Système, les Maîtres eux-mêmes auront intérêt à donner par toute la terre la Liberté à leurs Esclaves ; — Ceux qui veulent la Tranquillité, l’Ordre, la Paix, savent-ils bien que, du jour même où une Commune sociétaire serait réalisée, toutes les agitations, toutes les dissensions, toutes les haines, tous les dangers que la vieille Politique subversive porte encore dans ses flancs, s’évanouiraient à l’instant même ? — Et savent-ils, ceux qui se font avec sincérité les champions des Droits et des Intérêts du Peuple, ceux qui veulent pour lui Bien-Être dans le Travail et Moralité par le Travail, Instruction, Liberté, Dignité, Droits politiques et Droits sociaux, savent-ils que la Réalisation du Système sociétaire donnerait au Peuple, non pas tout ce qu’ils demandent aujourd’hui pour lui dans ces divers ordres, mais mille fois plus et mille fois mieux encore ? — Et ceux enfin qui se disent, qui se croient ou qui sont réellement Chrétiens, savent-ils que, si la Théorie sociétaire se réalise, c’est la Réalisation universelle du Royaume de Dieu et de sa Justice, la Réalisation universelle de la véritable et sainte Pensée du Christianisme, l’Union, l’Association des hommes entre eux sur la Terre, et l’Union de l’Humanité avec Dieu, par l’Amour de Dieu et la Pratique de ses lois ?

Notre Doctrine n’est empreinte d’aucun exclusivisme, d’aucun esprit de parti, de classe, ni même de nationalité. Loin d’être hostile à aucun Intérêt reconnu ou à reconnaître, à aucun Droit acquis ou à acquérir, à aucun Élément social, spécialement représenté par tel ou tel parti, par telle ou telle classe, elle prétend tout concilier, tout accorder, tout satisfaire, en associant les Intérêts et les Droits de toutes les classes. Notre Doctrine est donc une Doctrine absolument générale, qui embrasse toutes les Aspirations, tous les Désirs légitimes, tous les besoins de l’Humanité.

C’est pourquoi nous adressons notre Manifeste et notre Appel, non pas seulement à ceux qui partagent aujourd’hui notre Foi, mais encore aux HOMMES SINCÈRES de tous les Partis, de toutes les Classes, de toutes les Communions religieuses, de toutes les Nations, les conjurant de répondre à notre Appel et de contribuer à notre Œuvre.

Vous donc, qui trouvez sages et bons pour l’Humanité les Principes de Politique rationnelle et de Réforme sociale promulgués dans le présent Manifeste, associez-vous à leur développement par un Concours effectif et répandez-les par le Monde. Ce Concours est votre Devoir aujourd’hui ; et plus tard les sacrifices que vous aurez faits à ce Devoir deviendront vos titres de gloire.




DÉCLARATION FINALE.


Nous avons fait connaître nos principes, le but de nos travaux, notre position par rapport aux idées et aux faits ambiants, et notre manière d’entendre et d’enseigner la Théorie de Fourier.

Nous savons et nous affirmons, en outre, que notre manière d’entendre cette Théorie et d’en concevoir la Réalisation est de tous points conforme à la manière dont Fourier entendait lui-même et concevait ces choses.

Mais la Théorie de Fourier est dans le domaine public ; chacun peut écrire sur cette Théorie, et se prévaloir, à tort ou à raison, du nom de notre Maître.

Nous ne saurions donc, en aucune façon, être rendus responsables de tout ce qui peut, en dehors de nous, être dit, écrit ou tenté au nom de Fourier et de la Théorie par lui développée.

Nous déclarons donc formellement ici que nous n’entendons porter d’autre Responsabilité que celle de nos propres œuvres, et que nous ne répondons positivement que de ce qui émanera directement de notre Société pour la Propagation et pour la Réalisation de la Théorie de Fourier, ou de ce qui sera pris publiquement sous son patronage par La Phalange, organe de cette Société.


Arrêté en Conseil de Rédaction, au Siége de la Société, rue de Tournon, n. 6, à Paris, le 10 février 1841.


Le texte de cette 3e édition, revu en Conseil de Rédaction, a été arrêté en date du 7 novembre 1841.


Sur demande adressée, franco, à l’Administration de La Phalange (rue de Beaune, 2), on recevra sans frais un exemplaire de notre Acte de Société.


FIN DU MANIFESTE.

  1. La tendance à former la Corporation ou la Série, est une des trois tendances collectives des douze Passions de l’Homme. Voyez l’Analyse des Passions natives dans les ouvrages de l’École sociétaire.
  2. Dans le but de préciser et d’éclaircir l’idée importante sur laquelle nous appelons ici l’attention du lecteur, nous citerons l’exemple récent du Saint-Simonisme. Cette Doctrine, qui avait fini, pour caractériser son But, par prendre à Fourier le mot d’Association universelle sans lui emprunter la claire intelligence de ce mot, et sans tenir compte le moins du monde des Conditions scientifiques les plus élémentaires de l’Association humaine ; le Saint-Simonisme, en supposant, ce que nous sommes loin d’admettre, qu’il eût eu puissance d’opérer l’Association, ne pouvait évidemment songer et ne songeait effectivement à exercer cette puissance que sur des individus préalablement imbus de la Foi saint-simonienne et rendus disciplinables par cette Foi.

    Ainsi, les promoteurs du Saint-Simonisme n’auraient pu associer Saint-Simoniennement que des hommes qui eussent été déjà Saint-Simoniens de cœur et d’âme. Les promoteurs du Procédé naturel d’Association découvert par Fourier, au contraire, déclarent superflu, pour que des hommes puissent être associés phalanstériennement (c’est-à-dire d’après le Procédé Sériaire), que ces hommes croient à la Doctrine phalanstérienne, qu’ils soient animés d’une Foi phalanstérienne. Il y a plus, ils reconnaissent qu’il convient même que la Masse sur laquelle sera expérimentée la valeur, la vérité, la puissance du Procédé Sériaire, en ignore généralement la théorie dogmatique, afin qu’il reste bien prouvé, aux yeux du monde, que l’Association opérée dans un Essai Sociétaire y est le fait d’un Système organique réalisable partout, avec des hommes quelconques et quelles que soient les croyances de ceux-ci, et non par le fait d’une Foi particulière dont il serait nécessaire d’inculquer d’abord les Dogmes à tous les individus que l’on voudrait mettre en état d’Association.
    Une comparaison achèvera de rendre tout-à-fait notre pensée :
    La vapeur est douée d’une tension naturelle, et un mécanisme à vapeur est d’autant meilleur que, fondé plus exactement sur la loi de cette expansion, il utilise mieux les variations de cette puissance expansive.
    L’Homme, dans un autre ordre bien entendu, possède aussi une puissance d’expansion naturelle qui dépend des lois de sa Nature passionnelle, et le meilleur mécanisme social serait celui qui utiliserait socialement toute la puissance expansive ou passionnelle de l’Homme. Or, tout mécanisme social auquel est nécessaire l’action de la Foi préalable des individus contre la puissance expansive naturelle de ceux-ci, n’est évidemment pas en parfaite harmonie avec les tendances propres de cette expansion. Un tel Système social est comparable à un mécanisme à vapeur dans lequel il faudrait, pour que tout allât bien, que la vapeur, ayant foi dans la pensée du mécanicien, consentît à ne pas suivre sa propre loi d’expansion, mais bien à se diriger tantôt par ici, tantôt par là, et à se dilater ou se condenser, non point quand il lui serait naturel de le faire, mais quand il serait bon pour la Machine qu’elle le fît.
    On doit comprendre maintenant ce que nous entendons par la convenance ou l’harmonie d’un Système social avec la Nature humaine, et pourquoi nous établissons que la Foi corrélative à un Système semblable ne doit point être une condition préalable et obligatoire de la Réalisation de ce Système. En résumé, nous dirons que la Réalisation d’un Système social, fondé en Vérité, est sans contredit appelé à créer une Foi générale, mais que l’expérience d’un pareil Système ne doit pas exiger préalablement cette Foi comme moyen de succès.

  3. L’impuissance et la vanité des changements et des réformes purement politiques ; la reconnaissance des erreurs de l’Économie politique, fondée sur le morcellement et le laissez-faire anarchique ; la nécessité d’une Réforme sociale comportant l’organisation du travail, ou, pour mieux dire, de l’Industrie ; la nécessité d’appuyer cette Organisation sur l’Association du Capital, du Travail et du Talent, etc. ; voilà des thèmes qui sont depuis trente ans dans les livres de Fourier, mais qui ne sont entrés que depuis bien peu d’années dans la discussion publique.
  4. Il ne manque pas de gens qui nous disent : « Une expérience fera mille fois plus de prosélytes que toutes les phrases du monde. Pourquoi perdez-vous le temps en paroles, en prédications ? À l’œuvre donc ! agissez, organisez une Commune Sociétaire, et nous verrons alors ce que vaut votre Système. » — Nous sommes parfaitement de l’avis de ces personnes sur le caractère décisif d’un succès en Réalisation, et il nous semble même que nous professons depuis fort longtemps l’opinion à laquelle on cherche ainsi à nous convertir. Aussi serions-nous, à la rigueur, très-disposés à renoncer même à toute Propagation, si ceux qui nous y engagent voulaient, à cette condition, nous garantir les capitaux, les ressources et tous les moyens qui seront nécessaires à l’exécution complète d’une Fondation Sociétaire sérieuse.
    Comment avons-nous conquis les ressources dont nous disposons actuellement ? Par la Propagation. Si nous n’avions pas fait, depuis dix ans, une Propagation active, nous serions, pour la Réalisation de la Théorie, de dix années en arrière. Enfin si, au lieu d’étendre toujours le cercle de la Propagation pour assurer le succès d’une Réalisation sérieuse, nous nous jetions imprudemment dans quelque Essai bâtard, avec des capitaux et des moyens insuffisants, et en abandonnant nos travaux de Propagation, nous compromettrions notre œuvre à plaisir, et nous reculerions nous-mêmes, pour de longues années peut-être, le triomphe de la Réforme que nous poursuivons. Nous avons pu être excusables d’agir ainsi en 1832, au début de notre Propagation ; nous ne le serions plus aujourd’hui.
  5. Le Conseil de rédaction de La Phalange se compose aujourd’hui de MM. Victor Considerant, Amédée Paget*, Julien Blanc, A. Bureau, B. Dulary, ancien député, C. Pellarin, Cantagrel, A. Colin, C. Daly, L. Franchot, O. Barbier, E. Cartier, E. Bourdon, D. Laverdant et F. Devay, principaux rédacteurs de La Phalange, demeurant à Paris. De nouveaux membres peuvent être adjoints à ceux-ci ; le Conseil sera guidé dans ses choix par la considération des intérêts de la Cause et des services rendus.

    * Depuis la première publication de ce Manifeste nous avons eu la douleur de perdre notre ami Amédée Paget, l’un des gérants de la Société pour la Propagation et la Réalisation de la Théorie sociétaire.

  6. Just Muiron, de Besançon.
  7. Des tentatives nombreuses ont été faites auprès des publicistes et des principaux journaux de l’époque pour obtenir l’examen des ouvrages de Fourier et de Muiron. Tout a été infructueux. Nous conservons les pièces de conviction dans nos archives ; il y en a d’extrêmement curieuses.
  8. Il y a des partisans de nos idées qui trouvent que La Phalange ne fait pas assez de Théorie sociétaire proprement dite. Nous concevons très-bien que, une fois entré dans la Doctrine, on préfère les sujets de Théorie pure aux thèmes généraux ou aux thèmes de transitions ; mais La Phalange doit-elle être faite pour donner des jouissances scientifiques particulières aux partisans de la Doctrine ou pour conquérir des partisans nouveaux à la Doctrine ? Voilà toute la question.
    Nous pensons que La Phalange doit se proposer d’agir au dehors et d’étendre le cercle de ses conquêtes : — mieux elle sera calculée pour cet objet, mieux elle remplira sa destination. Les partisans de nos idées ne doivent pas dire : Je préférerais que La Phalange traitât tel ou tel sujet qui me conviendrait spécialement ; ils doivent dire : La Phalange a raison de traiter les sujets les plus accessibles au public. La Phalange, entre les mains des partisans de nos idées, doit être un moyen permanent d’action extérieure. Ce n’est pas pour flatter les idées et les goûts des Phalanstériens qu’elle est faite, mais pour donner à ceux-ci de continuelles occasions de Propagation, pour leur fournir sans cesse des amorces à jeter autour d’eux. Il faut bien, sans doute, qu’ils la lisent, mais il faut surtout qu’ils la fassent lire, la répandent, la propagent : c’est du côté de l’Extérieur, du côté des Conquêtes que toutes les forces doivent être aujourd’hui tournées.
  9. Il ne manque pas de personnes qui nous conseillent de donner les livres de l’École à très-bon marché, afin de les répandre davantage. Eh ! qui donc peut désirer plus que nous de répandre les ouvrages de l’École ? N’avons-nous pas longtemps distribué gratuitement des volumes et des journaux par milliers ? La Propagation n’est-elle pas encore assez onéreuse ? et n’est-il pas indispensable que les prix des ouvrages soient calculés de manière à permettre à notre Société de rentrer dans une partie de ses frais, et, plus tard, de les couvrir ? Notre devoir est d'établir les choses sur un pied tel que la Propagation parvienne à faire ses frais, à se nourrir elle-même. Or, si l'on doit être longtemps encore en perte sur le Journal, il faut bien, dès maintenant, songer à récupérer sur d'autres publications, et principalement sur celles dont la vente est forcée. Nous ne demanderions pas mieux que d'être mis à même de pouvoir livrer toutes nos publications gratuitement. Qu'on nous donne cette faculté : nous agirons en conséquence.
  10. Nous avons toujours protesté contre les dénominations de Fouriérisme et Fouriériste. — Nous développons les Vérités sociales découvertes par Fourier, comme les Géomètres développent les Vérités mathématiques découvertes par Archimède, Descartes, Newton, Leibnitz, etc. ; comme les Astronomes développent les Vérités astronomiques découvertes par Copernic, Keppler, Newton, et Herschell ; comme les Physiciens, les Chimistes, etc., développent les Vérités reconnues par les savants qui ont amené ces spécialités scientifiques à l’état où elles sont aujourd’hui. Nous ne sommes point les disciples d’un Chef de Secte, mais bien les disciples d’un grand homme qui a apporté à l’Humanité et jeté dans le domaine public des Idées, une Science. S’il faut désigner aujourd’hui par un nom ceux qui connaissent déjà, et qui enseignent les Vérités sociales et universelles découvertes par Fourier, qu’on les appelle Phalanstériens (nom tiré de l’élément fondamental du Système social lui-même), et que l’on appelle leur École, non l’École fouriériste, mais l’École sociétaire, — Encore la désignation de Phalanstérien n’est-elle pas rigoureusement juste, car, à proprement parler, on ne sera Phalanstérien que quand on habitera des Phalanstères, des Communes sociétaires.
    Voici, au reste, la Protestation de Fourier lui-même contre l’expression de Fouriérisme : « La dénomination de Fouriériste, » dit-il (Réforme industrielle, t. II, p. 387), « est impropre ; elle induit en erreur. Le nom de Fouriériste est un piège des Zoïles pour m’isoler de la bannière que je m’honore de suivre, et me confondre avec les fabricateurs de systèmes et de religions. Lorsqu’un essai aura démontré la justesse de ma Théorie, personne ne prendra le nom de Fouriériste, car tout le genre humain sera rallié à ma doctrine… Je ne veux pas du rôle banal de chef de Secte. »