Betzi/1/02
Should I survive to see the day
That tears me from myself away !
Séligni disait souvent à ses amis,
se disait plus souvent à lui-même :
Je sens que mon être dépendait tout
entier d’un autre être ; il n’est plus !
comment n’ai-je pas cessé d’exister
en même-temps ? Si le sort me condamne
à lui survivre, tâchons au
moins de consacrer à son souvenir le
peu de jours qu’il me faut encore
vivre ainsi séparé de moi-même. Eh
bien ! avant de mourir tout entier,
tâchons de faire chérir sa mémoire et
la mienne ; essayons d’entreprendre quelque ouvrage utile, et qui puisse
nous recommander tous deux, si ce
n’est à la reconnaissance, du moins
à l’intérêt de la postérité. — Entraîné
par cette pensée, Séligni reprit insensiblement
le goût de l’étude et du
travail ; ses premiers essais furent trop
bien accueillis pour ne pas entretenir
la seule espérance qui pût le rattacher
encore à la vie.
Ne serait-ce pas souvent un malheur d’avoir trop de santé, trop de jeunesse, un cœur ou des sens trop susceptibles ? Combien de projets sublimes ont été détruits par la seule influence de ces dons si précieux, mais quelquefois si funestes ! La profonde douleur de Séligni n’avait pu éteindre le feu de ses desirs. La solitude même où ses regrets et ses méditations l’avaient retenu plusieurs mois de suite, n’avaient servi qu’à rendre, à cet égard, la disposition de son cœur et de ses sens plus pénible et plus dangereuse. Devenu moins sombre, mais plus triste, plus inquiet, plus impatient, il éprouvait tantôt les agitations les plus vives, et tantôt il paraissait languir comme ces fleurs dont la tige penchée aux premiers rayons d’un jour d’été, succombe doucement sous le poids d’une rosée trop abondante.