Bibliothèque historique et militaire/César/Guerre des Gaules/Livre 4

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LIVRE QUATRIÈME.
Défaite des peuples de Bergue et de Zutphen, suivie d’une description des mœurs des Suèves. — Passage du Rhin. — Expédition d’Angleterre.
An avant J. C. 55, de Rome 599.

1. L’hiver suivant, sous le consulat de C. Pompée et de M. Crassus, ceux de Bergue et de Zutphen, peuples de l’Allemagne, passèrent le Rhin en grand nombre assez près de son embouchure, parce que, depuis plusieurs années, les Suèves leur faisaient la guerre, et les empêchaient de cultiver leurs terres. Ces Suèves sont la nation la plus puissante et la plus guerrière de toute l’Allemagne. Ils passent pour avoir cent bourgs, lesquels tous les ans fournissent chacun mille soldats, qui vont porter la guerre chez les peuples voisins : le reste demeure dans le pays et le cultive, tant pour eux que pour ceux qui vont en campagne. L’année suivante, les premiers vont à leur tour porter les armes, et les derniers restent dans le pays. Par ce moyen, l’amour de l’agriculture et l’ardeur pour la guerre s’entretiennent également dans cette nation. Du reste, les terres sont chez eux en commun, sans que personne en ait en propre ; ils ne demeurent même jamais plus d’un an dans le même lieu. Ils font peu de provisions de blé, car ils vivent presque uniquement de lait, de la chair de leurs troupeaux et surtout de leur chasse. Ce genre de vie, joint à ce qu’ils sont toujours en action, et à la liberté dont ils jouissent (en effet ils élèvent leurs enfants dans la même indépendance, dans le même éloignement de tout art, et ne leur font rien faire contre leur gré), les rend robustes et d’une taille prodigieuse. Ils se sont habitués quoique dans un climat très-froid, à ne se vêtir que de peaux, qui, n’étant pas assez larges, laissent la plus grande partie de leur corps toute nue ; et d’ailleurs ils ne se baignent que dans les fleuves.

2. Ils reçoivent chez eux les marchands ; mais c’est plutôt pour leur vendre le butin qu’ils ont fait à la guerre, que pour acheter de leurs marchandises. Ils ne sont pas même curieux de ces beaux chevaux étrangers dont les Gaulois font tant de cas, et qu’ils achètent si cher ; mais ils préfèrent ceux du pays, tout mauvais et tout difformes qu’ils sont, et par un continuel exercice ils les rendent infatigables. Comme dans les combats, ils sautent souvent à bas de leurs chevaux, pour combattre à pied, ils les accoutument à demeurer dans la même place, et, quand il en est besoin, ils remontent dessus avec une vitesse surprenante. C’est aussi chez eux une marque de la mollesse la plus honteuse que de se servir de selle ; aussi ne balancent-ils point, quelque peu nombreux qu’ils soient, d’attaquer une grosse troupe de cavalerie bien équipée. Ils ne se permettent point du tout l’usage du vin ; ils croient que cette tiqueur amollit les hommes, qu’elle les rend efféminés et incapables de supporter la fatigue.

3. Ils se font gloire de n’être bornés que par de vastes déserts c’est, selon eux, une preuve qu’un grand nombre de nations ne pouvant leur résister, ont abandonné ces pays. Aussi prétend-on que du côté des Suèves, il y a sur leur frontière près de-deux cents lieues de pays inhabité. De l’autre côté, ils sont voisins de ceux de Cologne, peuples autrefois très-puissans autant que les Allemands peuvent l’être, et qui sont d’un naturel un peu moins féroce, parce qu’étant placés sur les bords du Rhin, ils ont plus de commerce, et que le voisinage des Gaulois a su les accoutumer à leurs mœurs et à leurs manières. Quelques guerres que les Suèves leur eussent faites, ils étaient en si grand nombre et si puisses qu’ils n’avaient pu les chasser ; il les avaient pourtant fort abaissés et fort affaiblis, et les avaient enfin rendus tributaires.

4. Ceux de Bergue et de Zutphen, dont nous avons parlé plus haut, se trouvèrent dans le même cas ; ils soutinrent plusieurs années les attaques des Suèves : à la fin chassés de leur pays après avoir, durant trois ans, erré dans différens endroits de l’Allemagne, ils arrivèrent sur le Rhin. Les peuples de la Gueldre et du Brabant habitaient alors ces pays, et demeurant sur tes bords du fleuve, ils cultivaient les terres des environs. Mais effrayes à l’arrivée de tant de gens, ils abandonnèrent ce qu’ils possédaient au delà du fleuve et s’étant fortifiés en-deçà, ils empéchèrent les Allemands de passer. Ceux-ci, après avoir tout mis en œuvre, voyant qu’ils ne pouvaient ni Les forcer faute de vaisseaux, ni passer secrètement, parce que les autres étaient sur leurs gardes, feignirent de retourner chez eux, ils marchèrent, en effet, pendant trois jours, puis revenant de suite sur leurs pas, et leur cavalerie, ayant fait en une nuit le chemin de ces trois journées ils tombèrent sur ceux du Brabant et de la Gueldre, au moment qu’ils y pensaient le moins, et qu’informes de leur départ d’après leurs espions, ils étaient retournés sans crainte dans leurs bourgs de là du Rhin. Après les avoir taillés en pièces, ils prirent leurs vaisseaux et passèrent ce fleuve, avant que ceux de cette nation qui habitaient de ce côté-là en eussent eu aucun avis : ils s’emparèrent de leurs demeures et se nourrirent, le reste de l’hiver, des provisions qu’ils y trouvèrent.

5. César averti de leur passage et craignant la légèreté des Gaulois qui sont faciles à changer d’avis et aiment la nouveauté, ne crut pas devoir se fier à eux ; car ils sont si avides de nouvelles, qu’ils ont coutume d’arrêter les voyageurs, même malgré eux, pour s’informer de ce qu’ils savent dans

6. César, qui leur connaissait ce faible, jaloux de prévenir un plus grand mal, se rendit à l’armée plus tôt que de coutume ; et, à son arrivée, il trouva qu’en effet ce qu’il avait soupçonné avait eu lieu. Déjà plusieurs peuples de la Gaule venaient de députer vers les Allemands pour les inviter à quitter les bords du Rhin, les assurant qu’on leur accorderait tout ce qu’ils pour- raient demander. Dans cette espérance, l’ennemi s’étendait déjà, et faisait des courses dans les pays de Tongres et de Condroz, qui dépendent de celui de Trèves. D’après ces circonstances, César fit assembler les principaux de la Gaule, et, sans leur rien témoigner de ce qu’il avait appris, après les avoir caressés et encouragés, il leur ordonna de lui fournir de la cavalerie, et résolut de faire la guerre aux Allemands.

7. Après avoir donc fourni aux vivres, et fait choix de sa cavalerie, il marcha aux ennemis. Il n’en était déjà plus qu’à quelques journées lorsqu’ils lui envoyèrent des députés pour lui dire qu’ils ne feraient pas les premiers la guerre aux Romains ; mais que si on les attaquait, ils ne balanceraient point à prendre les armes ; que leurs ancêtres leur avaient appris à recourir au glaive, et non aux prières contre ceux qui leur faisaient la guerre ; que cependant ils croyaient devoir lui représenter qu’ils n’avaient quitté leur pays que malgré eux, et parce qu’on les en avait chassés ; que si les Romains chands, les oblige à raconter d’où ils viennent, et ce qu’ils ont appris de nouveau dans ces quartiers-là. C’est sur ces bruits et sur ces rapports qu’ils décident souvent des affaires les plus importantes. Aussi ne tardent-ils pas à se repentir de s’être livrés à des bruits incertains, la plupart inventés pour flatter leur goût, voulaient les recevoir comme amis, ils ne leur seraient peut-être pas inutiles ; qu’ils n’avaient donc qu’à leur donner des terres ou les laisser jouir de leurs conquêtes ; du reste, qu’ils ne le cédaient qu’aux Suèves, que les dieux immortels eux-mêmes ne pouvaient égaler, et qu’après eux, il n’y avait aucun autre peuple au monde dont ils ne pussent triompher.

8. César leur répondit ce qu’il jugea convenable ; mais sa conclusion fut, qu’il ne pouvait leur accorder son amitié tant qu’ils resteraient dans la Gaule ; qu’il n’était pas juste que ceux qui n’avaient pu défendre leurs terres s’emparassent de celles d’autrui ; qu’il n’y en avait point de vacantes dans la Gaule que l’on pût donner sans injustice, surtout à une si grande multitude ; que cependant ils pouvaient, s’ils voulaient, aller s’établir sur les frontières de ceux de Cologne, dont les députés, actuellement auprès de lui, se plaignaient des Suèves et lui demandaient du secours contre ce peuple ; et qu’il leur obtiendrait cette faveur de ceux de Cologne.

9. Les députés lui répliquèrent qu’ils rendraient compte aux leurs de ses in- tentions, et que dans trois jours ils lui rendraient réponse ; qu’en attendant, ils le priaient de ne pas s’approcher davantage de leur camp. César leur répondit qu’il ne pouvait leur accorder cette demande. Il savait que depuis quelques jours ils avaient envoyé une grande partie de leur cavalerie pour fourrager et chercher des vivres dans leBrabantau-delà de la Meuse. Il était persuade qu’ils ne demandaient ce délai que pour attendre leurs cavaliers.

10. La Meuse prend sa source au Mont-de-Vôge sur la frontière de Langres et après avoir reçu une partie du Rhin nommé le Wahal, elle forme l’île de Hollande, et va se jeter dans l’Océan à, environ vingt-six lieues-de l’embouchure de ce fleuve. À l’égard du Rhin, il prend sa source chez les Grisons qui habitent les Alpes, et il coule long-temps avec rapidité au travers du pays de Vaux, de la Suisse, de la Franche-Comté, du pays Messin, de l’Alsace et du territoire de Trêves : arrive près de la mer il se partage en plusieurs branches, et forme plusieurs grandes îles, la plupart habitées par des nations féroces et barbares qui vivent, à ce qu’on croit, de poissons et d’œufs d’oiseaux, et enfin il se décharge dans l’Océan par plusieurs embouchures.

11. César, n’étant plus qu’à quatre lieues des ennemis, rencontra les deux députés qui venaient au jour marqué : ils le supplièrent encore très-instamment de ne point aller plus loin. N’ayant pu l’obtenir ils lui demandèrent que du moins il envoyât ordre à sa cavalerie qui formait l’avant-garde, de ne commettre aucun acte d’hostilité, et qu’il leur permît de dépêcher vers ceux de Cologne, l’assurant que si leurs chefs et leur sénat leur permettaient <te les recevoir, ils en passeraient par tout ce qu’il leur ordonnerait ; et en conséquence, ils lui demandèrent trois jours. Quoique César fût très-persuadé qu’ils ne sollicitaient ce délai que pour avoir le temps de faire revenir leur cavalerie, il leur promit cependant de n’avancer ce jour-là que de quatre milles pour être plus à portée d’avoir de l’eau. En même temps, il leur ordonna de venir le trouver le lendemain en grand nombre, afin qu’il examinât leurs demandes. Cependant il envoya ordre aux chefs de sa cavalerie, qui avait pris les devans de ne point attaquer l’ennemi, et en cas qu’ils fussent attaqués, de ne faire que soutenir le choc jusqu’à ce qu’il fût arrivé avec son armée.

12. Mais dès que les Barbares aperçurent notre cavalerie composée de cinq mil)e chevaux, quoiqu’ils ne fussent que huit cents, parce que le reste qui était allé fourrager au-delà de la Meuse n’était pas encore de retour, ils coururent contre elle et la mirent en désordre, les nôtres ne croyant rien avoir à craindre, parce que les députés des Barbares venaient de quitter César, et qu’ils avaient demandé une trêve pour ce jour. Nos cavaliers se défendant, les Barbares, selon leur coutume, mettent pied à terre tuent nos chevaux, renversent plusieurs de ceux qui les montaient, mettent les autres en fuite et ils les effrayèrent si fort que nos soldats ne s’arrêtèrent que quand ils virent le gros de notre armée. Nous perdîmes dans cette mêlée soixante-quatorze cavaliers, entre autres Pison brave seigneur d’Aquitaine, dont l’aïeul avait été souverain de son canton, et que le sénat avait honoré du titre d’ami du peuple romain. Comme il secourait sou frère que l’ennemi avait enveloppé et qu’il dégagea il eut son cheval blessé quoique démonté, il se défendit courageusement tant qu’il put le faire ; mais ayant été enveloppé, il tomba enfin percé de coups. Son frère qui le remarqua de loin se précipita de nouveau sur l’ennemi comme un furieux, et se fit tuer.

13. Après cette action ; César ne crut pas devoir écouter plus long-temps les députés de ces perfides, ni accéder à aucune condition avec des hommes qui, après lui avoir demandé la paix, avaient usé de supercherie pour le surprendre ; du reste il jugea que ce serait une insigne folie d’attendre pour les attaquer que toutes leurs troupes les eussent joints, et que leur cavalerie fût de retour. D’ailleurs, la connaissance qu’il avait de la légèreté des Gaulois, et de l’impression que l’avantage que les Barbares venaient de remporter avait faite sur eux, dut l’engager à ne leur pas donner le temps de changer d’avis. Ainsi après en avoir communiqué avec ses lieutenans et son questeur, il résolut de ne pas différer un moment de les attaquer. Sur ces entrefaites, le lendemain matin arrivent fort à propos tous les chefs et les vieillards d’entre les Barbares, qui, usant des mêmes artifices et de la même dissimulation, viennent trouver César dans son camp, pour s’excuser de ce que leurs troupes avaient attaqué les Romains, après ce qui avait été convenu, et ce qu’ils avaient eux-mêmes demandé : ils cher-chèrent ensuite, avec la même adresse, à prolonger encore la trêve. César, charmé de les voir donner eux-mêmes dans le piége, n’hésita pas de les faire arrêter : ensuite il fit sortir toutes ses troupes ; et quant à sa cavalerie qu’il croyait encore effrayée de l’action du jour précédent, il la fit placer à l’arrière-garde.

14. Après avoir formé ses troupes sur trois colonnes, il fit trois lieues en toute diligence, et arriva au camp ennemi, avant que les Allemands connussent ce dont il s’agissait. Les Barbares, surpris d’une si prompte arrivée pendant l’absence de leurs chefs, et n’ayant ni le temps de délibérer, ni celui de prendre les armes, ne savaient à quel parti se fixer : s’ils devaient sortir au-devant de nous, ou défendre leur camp, ou chercher leur salut dans la fuite. Leurs cris et le désordre où ils étaient, faisant connaître leur frayeur, les nôtres, animés par leur perfidie de la veille, font irruption dans leur camp. Ceux qui eurent le temps de courir aux armes firent quelque résistance, et se défendirent entre les chariots et le bagage ; mais le reste, tant les femmes que les enfans (car ils avaient quitté leur pays et passé le Rhin avec tout ce qui leur appartenait), prit la fuite de tous côtés, et César mit sa cavalerie à leur poursuite.

15. Les combattans, entendant les cris de leurs compagnons que l’on massacrait derrière eux, jetèrent leurs armes, abandonnèrent leurs drapeaux, sortirent de leur camp ; et, arrivés au confluent de la Meuse et du Rhin, qui arrêta leur fuite, une grande partie fut écrasée les autres se jetèrent dans le fleuve où ils périrent, parce que l’effroi et la lassitude les mirent hors d’état de résister à sa rapidité. Les Romains, sortis avantageusement d’une guerre si redoutable (car on comptait quatre cent trente mille âmes parmi les Barbares), rentrèrent dans leur camp, sans aucune perte et avec fort peu de blessés. César permit à ceux qu’il avait arrêtés de se retirer ; mais, craignant les Gaulois dont ils avaient ravagé le pays, ils aimèrent mieux rester avec lui, et il y consentit.

16. Cette guerre achevée, César se détermina, pour plusieurs raisons, à traverser le Rhin. Une des principales était de contenir les Allemands et de les empêcher de faire si aisément passer des armées dans la Gaule. Il voulait leur faire craindre pour leur propre pays, en leur montrant que les Romains pouvaient et osaient également franchir le Rhin. D’ailleurs, la cavalerie ennemie, qui, comme on l’a vu, ne s’était point trouvée à la bataille parce qu’elle était allée chercher des vivres au-delà de la Meuse, s’était retirée, après la déroute de son parti, au-delà du Rhin, chez les peuples de la Westphalie, et s’était jointe à eux. César l’envoya réclamer, comme faisant partie de la nation qui l’avait combattu, lui et les Gaulois ; mais ils répondirent que la domination des Romains se bornait au Rhin, et que s’il ne croyait pas juste que les Allemands s’avançassent dans la Gueule malgré lui, il ne devait pas non plus prétendre à aucun pouvoir ni aucun droit sur ce qui était au-delà de ce fleuve. Ceux de Cologne, les seuls des peuples d’au-delà du Rhin qui lui eussent envoyé des députés et des otages, et qui eussent recherche son alliance, le priaient en outre avec instance de les secourir contre les Suèves, dont ils étaient fort maltraités ; ou, si les affaires ne le lui permettaient pas, de faire voir du moins son armée au-delà du Rhin ; que sa marche leur serait un secours suffisant et pour le présent et pour la suite ; parce que, depuis la défaite d’Arioviste et la dernière victoire des troupes romaines, leur nom et leur réputation faisaient tant de bruit jusqu’aux extrémités de l’Allemagne, qu’on cesserait de les tourmenter dès qu’on les saurait vraiment amis du peuple romain. En même temps ils lui offraient grand nombre de vaisseaux, pour transporter son armée au-delà du Rhin.

17. Telles étaient les raisons qui l’engavaient à le passer ; mais il ne crut pas qu’il fût sûr, ni de sa dignité, ni de celle du peuple romain, de faire ce trajet sur des bateaux : ainsi, malgré les difficultés presque insurmontables qu’il y avait à construire un pont à cause de la largeur, de la profondeur et de la rapidité du fleuve, il crut qu’il devait tenter cette entreprise, et ne point faire passer autrement son armée. Voici donc comment on s’y prit pour la construction de ce pont : on commença par joindre ensemble, à deux pieds de distance l’une de l’autre, deux poutres aiguisées par le bas, d’un pied et demi d’équarrissage, et d’une longueur proportionnée à la profondeur du fleuve ; on les descendit dans t’eau avec des machines, et on les y enfonça à coups de hie, non pas perpendiculairement, niais un peu penchées selon le cours de l’eau. Vis-à-vis, à quarante pieds de distance, on en planta deux autres préparées comme les premières, mais que l’on fit pencher contre le courant pour y résister. Sur ces quatre pieux ainsi fichés on mit une poutre de deux pieds d’équarrissage qui n’enclavait dans leur intervalle, et qui était si bien liée avec eux par les deux bouts au moyen de fortes chevilles, que la violence du courant ne pouvait servir qu’à resserrer davantage tout l’ouvrage et à le rendre plus solide. On le continua ainsi dans toute la largeur du fleuve ; ensuite on posa d’une poutre à l’autre des solives, que l’on couvrit en travers de perches et de fascines pour pouvoir y marcher. De plus on étaya le pied de ces poutres enfoncées dans l’eau et qui portait le pont, de nouveaux pieux inclinés et plantés dans le fleuve pour les soutenir, et pour leur servir d’arcs-boutans contre te courant. Enfin on prit encore la précaution de planter des pieux un peu au-dessus du pont, afin d’arrêter les arbres et les bateaux que l’ennemi tâcherait pour l’ébranler ou le rompre.

18. Tout l’ouvrage fut uni en dix jours, à compter de celui où les matériaux furent apportés au bord du fleuve ; et l’armee passa dessus. César, après avoir mis une forte garde aux deux extrémités du pont, s’avança contre les peuples de la Westphaiie. Pendant sa marche, des ambassadeurs de plusieurs nations vinrent le trouver pour lui demander la paix et son amitié ; il les reçut bien, et leur ordonna de lui amener dès otages. Les Westphatiens, dès qu’ils apprirent qu’il faisait faire un pont, abandonnèrent le pays, à la persuasion des cavaliers du pays de Gueldre qui s’étaient sauves chez eux, emportèrent tous leurs biens et se retirèrent dans les déserts et dans les forêts.

19. Après un séjour assez court dans leur pays, qu’il brûla et qu’il saccagea, César se rendit chez ceux de Cologne, et leur promit, son secours en cas que les Suèves les attaquassent. lis lui apprirent que les Suèves au premier avis reçu de leurs coureurs qu’il faisait construire un pont, avaient, selon leur coutume, tenu conseil, et envoyé partout exhorter leurs compatriotes a quitter les villes et à conduire dans les bois femmes, enfans et biens ; que ceux qui étaient en état de porter les armes s’étaient rassembles dans le même endroit, vers le milieu de leur pays, et qu’ils l’y attendaient, à dessein de lui livrer bataille. Sur cet avis, César ayant termine tout ce qui l’appelait au-delà du Rhin, c’est-à-dire ayant puni les peuples de la Westphatie, et délivré de l’oppression ceux de Cologne, après être reste en tout dix-huit jours au-delà du Rhin, crut en avoir assez fait pour la gloire et l’avantage du peuple romain : il repassa donc en Gaule, et fit rompre le pont.

20. Quoique l’été fût fort avance, et que l’hiver commence de bonne heure dans les pays septentrionaux tels que la Gaule, cependant César résolut de passer en Angleterre qui, dans presque toutes les guerres que nous avions eues contre les Gaulois, les avait secourus contre tes Romains. Il comptait que si le temps était trop court pour lui faire la guerre, du moins il lui serait avantageux de reconnaîtra cette île, de s’instruire de l’espèce de peuples qui l’habitaient, d’en examiner le pays, les ports, les avenues ; toutes choses qui étaient presque inconnues aux Gaulois, parce que jusqu’alors il n’y avait eu que les marchands qui eussent osé en approcher, et que même ils n’en connaissaient guère que la côte et les pays situés. À l’opposite de la Gaule. Aussi ayant assemble grand nombre de marchands, il ne put apprendre d’eux ni quelle était)a grandeur de l’île ni le nombre et ta force des peuples qui l’habitaient, ni leur manière de faire la guerre, ni leurs mœurs, ni quels étaient les ports capables de contenir plusieurs grands navires.

21. Pour en être informé avant de tenter l’entreprise, il trouva convenable d’envoyer la reconnaître, et détacha en conséquence G. Volusénus avec une longue barque, le chargeant de venir lui rendre compte au plus tût de tout ce qu’il aurait découvert. Lui-même partit avec toutes ses troupes pour se rendre dans le comté de Boulogne, où est le plus court passage eh Angleterre après avoir donne ordre de venir l’y joindre à tous les vaisseaux de ces quartiers-là, et à la flotte dont, la campagne précédente, il s’était servi dans la guerre contre ceux de Vannes. Les Anglais, instruits de son dessein par les marchands, dépêchent de plusieurs cantons de leur île pour lui promettre des otages et obéissance. César les exhorte à persister dans ce sentiment, et, les renvoyant chez eux, il les fait accompagner par Comius qu’il avait nommé roi de ceux d’Arras après les avoir soumis, dans lequel il avait une entière confiance ; dont il connaissait la prudence et la valeur, et qui passait pour avoir beaucoup de crédit dans cette île. Il lui recommanda de visiter le plus de peuples qu’il pourrait, de )es exhorter à faire alliance avec les Romains, et de les assurer qu’il se rendrait bientôt dans leur île. Volusénus ayant pris connaissance de la côte, autant qu’il le pouvait sans débarquer, parce qu’il n’osait se fier à ces Barbares, cinq jours après son départ revint auprès de Cesar, et lui rendit compte de ce qu’il avait vu.

22. Pendant le séjour que fit César dans le comté de Boulogne, en attendant que ses vaisseaux fussent prêts, il lui vint des députés de la plupart des peuples de ce pays, pour s’excuser de ce qui s’était passe l’année précédente, lui représentant qu’ils étaient des Barbares peu instruits des coutumes des Romains et l’assurant qu’ils feraient tout ce qu’il leur ordonnerait. Il fut très-satisfait d’une ambassade qui lui venait si à propos ; car il ne voulait point laisser d’ennemi derrière lui, et il n’avait pas le temps de s’amuser à faire la guerre ; il ne croyait pas non plus que des affaires si peu importantes dussent être préférées à l’Angleterre. Dans cet esprit il leur demanda grand nombre d’otages ; ils les fournirent et il leur accorda sa protection. Cette affaire terminée, il assembla environ quatre-vingts vaisseaux de charge, qu’il crut pouvoir suffire pour le transport de deux légions ; et les galères qu’il avait, il les distribua au questeur, à ses lieutenans et autres principaux officiers. Il avait encore, environ à trois lieues de là, dix-huit vaisseaux de charge, que les vents avaient empêchés de se rendre dans le même port ; il les distribua à sa cavalerie, et confia le reste de son armée à Q. Titurius Sabinus et L. Aurunculeius Cotta ses lieutenans, pour marcher contre les peuples de la Gueldre et du Brabant, et contre ceux du comté de Boulogne, qui ne lui avaient point envoyé de députés. En même temps il laissa P. Sulpicius Rufus, son lieutenant, avec une garnison suffisante pour la garde du port.

23. Ces dispositions prises, et le vent étant devenu favorable, il fit voile environ à minuit, après avoir commandé à sa cavalerie d’aller s’embarquer au port voisin, et de le suivre. Elle ne fit pas assez de diligence ; de sorte qu’il n’arriva en Angleterre, sur les dix heures du matin, qu’avec ses premiers vaisseaux : il y vit sur toutes les collines les troupes ennemies sous les armes. Telle était la situation de cet endroit : la rade se trouvait si près des montagnes, que de ces hauteurs on pouvait lancer des traits sur le rivage. Ce lieu lui parut si peu convenable au débarquement, qu’il s’y tint à l’ancre jusqu’à trois ou quatre heures du soir, pour attendre que le reste de sa flotte fût arrivé. Cependant il assemble ses lieutenans et les tribuns des soldats, tour fait part de ce qu’il avait appris de Votusénus, les instruit de son dessein, et les avertit d’agir d’eux-mêmes selon le temps, les circonstances, la connaissance qu’ils avaient de fart militaire, et surtout d’une guerre maritime, où le moindre délai pouvait dans un moment tout changer ; ensuite il les renvoya ; et le vent avec là marée étant devenus favorables, il donna le signal, leva l’ancre et vint mouiller à environ trois lieues de là sur un rivage uni et découvert.

24. Les Barbares, qui s’aperçurent de son dessein, détachèrent aussitôt leur cavalerie et les chariots dont ils ont coutume de se servir en guerre, pour empêcher nos gens de débarquer, et firent suivre le reste de leurs troupes. Ce qui s’opposa le plus à notre débarquement fut la grandeur de nos vaisseaux qui ne pouvaient approcher de la côte ; en sorte que les nôtres, qui ne connaissaient pas les lieux, ayant les mains embarrassées, et se trouvant chargés du poids de leurs armes, avaient assez de peine, en se jetant à l’eau, de résister aux vagues et à l’ennemi, taudis que les Barbares, à pied sec ou en s’avançant un peu dans l’onde, mais avec les membres libres, et marchant dans des endroits qui leur étaient parfaitement connus, lançaient leurs traits tout à leur aise, et nous foulaient aux pieds de leurs chevaux accoutumés à ces attaques. Nos troupes effrayées, et entièrement étrangères à ce genre de combat, n’agissaient ni avec la même ardeur ni avec la même vivacité qu’elles le faisaient sur terre.

25. Dès que César s’en fut aperçu, il fit un peu éloigner des vaisseaux de charge ses galères dont la forme était peu connue des Barbares, et avec lesquelles on pouvait manœuvrer plus tacitement il leur ordonna de s’avancer et de se placer vers le flanc des ennemis, de les charger a coups de frondes, de machines et de traits, et de les forcer à quitter la place ; ce qui s’exécuta si bien, que l’ennemi, surpris de la forme de nos galères, de leur mouvement, et de la nature de nos machines qui leur étaient inconnues, s’arrêta d’abord et commença ensuite à reculer. Et comme les nôtres balançaient encore à sauter à la mer dont ils ne connaissaient pas bien la profondeur, t’enseigne de la dixième légion, après avoir prié les dieux de favoriser son entreprise « Suivez-moi, compagnons, dit-il, si vous ne voulez pas livrer l’aigle romaine aux ennemis pour moi, je m’acquitterai de mon devoir envers César et la république. » A ces mots, ils s’élance hors du vaisseau, et pousse l’aigle contre les Barbares. Alors les Romains, s’animant les uns les autres, et s’exhortant à ne pas se couvrir d’une si grande honte, sautent tous du vaisseau ceux des autres navires les plus proches les suivent et marchent à l’ennemi.

26. Le combat fut opiniâtre de part et d’autre. Cependant les nôtres, qui ne pouvaient ni garder leurs rangs, ni tenir ferme, ni suivre leurs drapeaux, parce que, descendant l’un après l’autre de leurs vaisseaux, chacun se rangeait sous le premier étendard qu’il rencontrait, étaient dans un extrême embarras ; au lieu que l’ennemi qui connaissait tous les gués tombait sur les nôtres à mesure qu’il les voyait prendre terre, et poussait sa cavalerie congre eux. Un grand nombre en enveloppait un petit et d’autres, les prenant en flanc, tançaient leurs traits sur ceux qu’ils voyaient rassemblés en foule. César, s’en étant aperçu, fit remplir de soldats les chaloupes des galères avec plusieurs petites barques, et envoya du secours à ceux qu’il remarquait en avoir besoin. Dès que nos soldats eurent pris terre, et se furent vus en état de combattre, ils chargèrent les Barbares elles mirent en fuite ; mais ils ne purent les poursuivre fort loin, parce que la cavalerie n’avait pu les suivre d’assez près, ni arriver à temps dans l’île. Ce fut là le seul obstacle qui, dans cette occasion, s’opposa a la fortune ordinaire de César.

27. Les Barbares s’étant radiés après leur défaite envoyèrent aussitôt à César des députés demander la paix, et ils offrirent de donner des otages, et de se soumettre. Comius, roi d’Arras, que César avait envoyé devant lui en Angleterre, comme il a été dit, vint avec ces députés. Ils l’avaient arrêté et mis aux fers à la descente du vaisseau sur lequel il s’était embarqué pour leur portera les ordres de César. Ils le relâchèrent d’abord après leur déroute ; et en venant demander la paix, ils rejetèrent cette violence sur la muttitude et le prièrent d’excuser leur imprudence. César se plaignit de ce qu’ils lui avaient fait la guerre sans sujet, après lui avoir d’eux-mêmes envoyé demander, la paix jusque dans les Gaules il leur dit qu’il leur pardonnait ; mais il exigea des otages. Ils en livrèrent sur-le-champ une partie pour l’autre qu’ils faisaient venir de loin ils promirent de la donner sous peu de jours. Cependant ils congédièrent leurs troupes, et les principaux d’entre eux accoururent de tous côtes recommander à César leurs intérêts et ceux de leurs cantons.

28. La paix semblait ainsi parfaitement assurée, lorsque quatre jours après le débarquement de César en Angleterre, les dix-huit vaisseaux qui portaient sa cavalerie mirent à la voile par un vent doux. Déjà ils étaient à la vue de l’ile et du camp, lorsqu’il s’éleva une si furieuse tempête, qu’aucun ne put suivre sa route : les uns furent rejetés dans le port d’où ils étaient partis ; d’autres furent emportés vers ta partie occidentale de l’île, où ils coururent de grands dangers. Ils y jetèrent l’ancre mais comme ils s’emplissaient d’eau par la violence des vagues, ils furent forcés de gagner la haute mer pendant cette nuit orageuse, et reprirent la route des Gaules.

29. C’était précise mental alors la pleine lune, temps où les marées sont les plus hautes dans l’Océan, ce que les Romains ignoraient ; en sorte que les galères, dont César s’était servi pour le transport de son armée, et qu’il avait fait mettre à sec, furent couvertes de flots, et les vaisseaux de charge, qui étaient à la rade sur leurs ancres, furent extrêmement maltraités, sans que nos gens pussent le moins du monde y manœuvrer ou y apporter : du secours. Plusieurs furent brisés ; le reste perdit ancres, voiles, cordages, et fut mis hors d’état de tenir ta mer. Un accident si affreux jeta, comme il le devait ; une grande consternation dans toute l’armée, car il n’y avait point d’autres vaisseaux pour le retour ; tout manquait pour les radouber ; et comme on comptait généralement passer l’hiver dans la Gaule, on n’avait point emporté de vivres pour cette saison.

30. Les principaux de l’ile, qui, après leur défaite, s’étaient rendus dans le camp pour recevoir les ordres de César, témoins de cette désolation, tinrent conseil entre eux voyant que nous n’avions ni vivres, ni vaisseaux ni cavalerie, et jugeant du petit nombre de nos troupes par le peu d’étendue de notre camp (car son enceinte était d’autant plus resserrée qu’on avait passé la mer sans bagage), ils conclurent que tout leur était favorable pour une révolte ; qu’il fallait, insensiblement nous couper les vivres et tirer la guerre en longueur jusqu’à l’arrivée de l’hiver ; espérant que quand ils seraient venus à bout de nous, ou nous auraient fermé le retour, il ne prendrait plus envie à personne de porter la guerre en Angleterre.

31. Dans ces dispositions, ils disparaissent peu à peu et commencent en secret à rassembler leurs troupes. Quoique César ne fût pas encore informé de leur complot, cependant il se douta, sur le désordre arrivé à ses vaisseaux, sur le délai qu’ils apportaient à fournir te reste des otages, qu’ils pourraient bien trainer quelque mauvais dessein. Sur ce soupçon, il fit, à tout événement, venir dans son camp le plus de vivres et de grains qu’il put ramasser ; et à l’égard de ses vaisseaux, il employa le bois et le fer de ceux qui étaient hors d’état de servir, pour radouber les autres, et fit venir de la Gaule ce qui était nécessaire pour cette réparation. Comme ses soldats se portaient avec ardeur à cet ouvrage, sa flotte fut bientôt en état d’appareiller, et il ne perdit que douze vaisseaux.

52. Tandis que ces événemens se passaient, la septième légion étant allée au fourrage, selon la coutume, sans que jusqu’alors on eût soupçonné les insulaires de vouloir reprendre les armes, d’autant plus qu’une partie d’entre eux était dispersée dans la campagne, el que l’autre allait et venait dans le camp, ceux qui étaient de garde aux entrées du camp rapportèrent qu’il paraissait une poussière extraordinaire du côté par où la légion avait pris sa route. César se doutant de la vérité, c’est-à-dire de quelque nouveau soulèvement de la part des Barbares, se met à la tête des cohortes qui étaient de garde, marche avec elles à l’endroit d’où venait la poussière, les fait remplacer par deux autres, et ordonne au reste des troupes de prendre les armes et de le suivre promptement. Quand il se fut avancé à quelque distance, il vit sa légion enveloppée se soutenir avec peine, et exposée de tous côtés aux traits de l’ennemi. Comme la moisson était faite partout, excepté dans un canton, les ennemis soupçonnèrent que nous y viendrions chercher des vivres et se cachèrent la nuit dans des bois ; puis, voyant les nôtres dispersés, sans armes, et occupés à couper le blé, ils vinrent tout-à-coup fondre sur eux, en tuèrent quelques-uns, et mirent le reste en désordre ; en même temps leur cavalerie et leurs chariots les enveloppèrent.

33. Voici leur manière de combattre avec ces chariots ils courent çà et là en lançant partout des traits ; la crainte qu’on a des chevaux, et le bruit des roues mettent souvent les rangs en désordre ; et quand ils ont pénétré entre les escadrons, ils sautent de leurs chariots et combattent à pied. Alors les conducteurs des chariots s’écartent un peu de la mêlée et vont se placer de manière qu’ils soient à portée de leurs maîtres, en cas qu’ils se trouvent pressés. Ainsi ces Barbares ont l’agilité de la cavalerie et la fermeté de l’infanterie ; et l’exercice les a si bien formés à cette manœuvre, qu’ils peuvent arrêter tout d’un coup leurs chariots dans une descente, les tourner à droite et à gauche, courir sur le timon, se tenir fermes sur le cou de leurs chevaux, et de là se rejeter très-promptement sur leurs chariots.

34. Nos gens étaient troublés de la nouveauté de ce combat, et César arriva fort à propos à leur secours : son arrivée retint l’ennemi et rassura les nôtres ; mais, n’ayant pas jugé convenable d’engager l’action pour le présent, après être resté quelque temps en bataille dans cet endroit, il ramena ses troupes dans son camp. Cependant le reste des insulaires qui étaient dispersés dans la campagne, voyant les nôtres occupés ailleurs, se retirèrent. Pendant plusieurs jours le temps fut si mauvais, que les uns et les autres n’eurent aucune envie de se battre. Dans cet intervalle les Barbares députèrent en tous lieux, pour animer leurs compatriotes contre nous, en les informant de notre petit nombre, du grand butin qu’il y avait à faire, et de la facilité de recouvrer pour toujours leur liberté, s’ils parvenaient à nous chasser de l’ile. Sur cet avis, ayant assemblé en diligence un corps nombreux de cavaliers et de fantassins, ils marchèrent droit à notre camp.

35. Quoique César vit fort bien que s’il allait à eux ils feraient le même manége qu’à l’ordinaire, c’est-à-dire qu’ils prendraient la fuite dès qu’ils se verraient poussés, cependant ayant environ trente chevaux, que Comius, roi d’Arras, avait amenés avec lui, il rangea ses légions en bataille à la tête de son camp. On en vint aux mains, et l’ennemi, n’ayant pu long-temps soutenir notre attaque, prit la fuite, et fut poursuivi par les nôtres aussi loin que les forces purent le leur permettre : ils en tuèrent plusieurs, et après avoir mis tout le pays à feu et à sang, ils rentrèrent dans leur camp.

36. Le même jour les vaincus députèrent vers César pour Lui demander la paix ; César exigea le double des otages qu’ils lui avaient donnés la première fois, stipulant qu’ils les lui enverraient dans le continent, parce que, comme l’équinoxe approchait, il ne voulait pas s’exposer en hiver sur des vaisseaux affaiblis par la tempête. Pour lui, le vent étant devenu favorable, il mit à la voile vers minuit, et arriva heureusement en Gaule sans avoir perdu aucun vaisseau, Il n’y eut que deux navires de transport, qui n’ayant pu se rendre au même port que les autres, furent portés un peu plus bas.

37. Trois cents soldats qui les montaient marchaient pour se rendre au camp, lorsque les habitans du Boulonnais, que César avait laissés tranquilles à son départ pour l’Angleterre, excités par l’espoir du butin, vinrent d’abord en assez petit nombre les environner, et leur ordonnèrent de mettre les armes bas, s’ils voulaient sauver leur vie. Ceux-ci s’étant mis en pelotons pour se défendre, aussitôt aux cris de l’ennemi, environ six mille hommes s’assemblèrent autour d’eux. César, en ayant eu avis, détacha toute sa cavalerie pour les secourir, Cependant nos trois cents soldats se défendaient avec courage et combattaient vigoureusement depuis plus de quatre heures, n’ayant que peu de blessés, et tuant une multitude d’ennemis. Lorsque notre cavalerie vint à paraître, les Barbares jetèrent leurs armes pour s’enfuir, et l’on en massacra un grand nombre.

38. Le lendemain, César envoya Q. Labiénus, son lieutenant, contre ces révoltés ; avec les légions qu’il avait ramenées d’Angleterre ; et comme les marais où ils s’étaient retirés l’année précédente ne pouvaient alors les garantir, parce qu’ils étaient à sec, Labiénus les fit presque tous prisonniers. D’une autre part, Q. Titurius et L, Cotta, deux autres de ses lieutenans, qui avaient porté la guerre chez ceux de la Gueldre et du Brabant, après avoir brûlé et saccagé leurs campagnes et tout leur pays, parce que ces peuples s’étaient retirés dans les forêts les plus épaisses, rejoignirent César avec les légions qui les avaient suivis. Après ces expéditions, il mit toutes ses troupes en quartier d’hiver dans la Gaule belgique, où seulement deux nations anglaises lui envoyèrent des otages ; les autres s’en mirent peu en peine. César manda ces nouvelles au sénat qui, sur son rapport, ordonna vingt jours de prières publiques.