Bigot et sa bande/32

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Le nommé Dumoulin


D’après M. Clarence Walworth, un des citoyens importants de KahoKia, peu d’années après la Conquête fut Jean-Emmanuel Dumoulin. Il était l’homme le plus instruit de la région et on le nomma Juge des Plaidoyers Communs quand le district fut organisé régulièrement.

M. Dumoulin, toujours d’après M. Walworth, s’enrichit en achetant à bonnes conditions les propriétés des Français ou Canadiens qui laissèrent le pays lors de l’occupation américaine.

M. Dumoulin avait épousé, devant le ministre protestant, à Montréal, en 1770, une Canadienne, Marie-Charlotte Duchouquet. Quelques années après la mort de M. Dumoulin, sa veuve devint la femme de Honoré Philippe Bailly de Messein.

On a prétendu que Jean-Emmanuel Dumoulin était garde-magasin du fort de Chambly pendant les dernières années du régime français. Nous croyons qu’on a fait erreur. L’auteur anonyme d’un Mémoire sur le Canada fait un si pitoyable portrait du garde-magasin Dumoulin qu’il nous est impossible de croire qu’on aurait pu nommer un peu plus tard, un individu si peu doué Juge des Plaidoyers Communs.

Cet auteur anonyme dit de Dumoulin :

« On nomma (garde-magasin) au fort de Chambly un soldat de la compagnie de M. de Muy, qui depuis plusieurs années était en garnison à ce fort. Il faut que je dise que depuis l’inspection de M. de La Porte ce fort avait été reformé ; on ne devait y tenir qu’un sergent ou caporal et des invalides. Ce soldat y était détenu comme faible d’esprit, tendant même beaucoup à la folie. Il peignait assez joliment, mais n’avait aucune teinture du commerce, s’étant engagé au service du roi dans le temps de son apprentissage de perruquier. Un tel homme fut fait garde-magasin à l’instigation du sieur Pénissault, auquel il ne fut pas difficile de lui faire faire tout ce qu’il voulut. Il y avait à Chambly un fournisseur. Celui-ci, dans les mois de juin et de juillet, avait produit des bons à délivrer pour quinze mille rations qu’il avait fournies. Ces bons il les remit au sieur Pénissault, et retira de lui l’ordre de paiement sur le trésorier du munitionnaire. Il n’y avait pas dans ce fort d’autres vivres particuliers, des vins et eaux-de-vie. C’est un état que j’ai vu, signé Rouville, commandant, et Dumoulin, garde-magasin. C’est ainsi que tous les états étaient amplifiés ».[1]

Faute d’un point, dit le fabuliste, Martin perdit son âne. Faute d’une lettre, les accusateurs du Châtelet ont fait errer longtemps les chercheurs qui tentaient d’identifier le garde-magasin suspect du fort de Chambly. L’acte d’accusation porte bien le nom Dumoulin. Or, il se trouve qu’en 1758 et 1759 aucun soldat de la garnison de Chambly ne porte le nom de Dumoulin. On trouve toutefois, un soldat du nom de François Demoulin qui épouse, à Saint-Antoine de Chambly, le 26 juin 1758, Marie-Élisabeth de Noyan et ce qui nous porte à croire que Demoulin est bien le garde-magasin impliqué dans l’affaire du Canada c’est que son acte de mariage, tout comme le sieur de C. dit qu’il était soldat de la compagnie de M. de Muy.

Au procès du Châtelet de Paris, le sieur Dumoulin alias Demoulin fut trouvé coupable d’avoir reçu des présents en conséquence desquels il avait dressé et certifié des états de rations et de vivres particuliers, augmentés au-dessus des fournitures réelles faites au fort dans lequel il était employé.

Le sieur Dumoulin alias Demoulin fut banni de la ville de Paris pour cinq ans et condamné en outre à cinquante livres d’amende. La sentence de Dumoulin devait être traduite sur un tableau pendu sur un poteau en place de grève.

  1. Rapport de l’Archiviste de Québec, 1924-1625, p. 147.