Biographie nationale de Belgique/Tome 1/AUBERT DE BAVIÈRE

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AUBERT ou ALBERT DE BAVIÈRE, comte de Hainaut, de Hollande et de Zélande, né vers 1326, mort, à la Haye, en 1404, était le deuxième fils de Louis IV de Bavière et de Marguerite, fille de Guillaume II, comte de Hainaut.

Dans une assemblée des états de Hollande, de Frise et de Zélande, tenue le 23 février 1358, Albert de Bavière fut déclaré solennellement régent du pays et héritier présomptif de son frère, le comte Guillaume, que son état de démence avait fait enfermer au château du Quesnoy. Le Hainaut suivit l’exemple des provinces du nord et le régent fut reconnu avec les mêmes pouvoirs à Mons et à Valenciennes.

Albert, dont les premiers efforts auraient dû tendre à amener une fusion entre les Hameçons et les Cabeliaux, s’attacha, au contraire, à raviver la haine de ces partis. Il profita de ce qu’on lui avait signalé Bloemsten, gouverneur de Kennemaar, comme s’étant le plus opposé à son élection et comme un des plus chauds partisans du choix de Mathilde, femme du comte Guillaume, en qualité de régente, pour le destituer et le remplacer par Brederode, un des chefs des Hameçons. Les Cabeliaux, irrités de cet acte arbitraire, attaquèrent Brederode, qui se rendait à Kennemaar pour prendre possession de sa charge, et tuèrent trois personnes de sa suite. Le régent fit poursuivre les assassins et arrêta partout les Cabeliaux. De tous les points de la Hollande se rassemblèrent bientôt, à Delft, les partisans de l’opinion persécutée. Il assiégea cette ville pendant six semaines, mais, craignant une insurrection générale de la Hollande, il en leva le siége et pardonna aux révoltés. Il comprit alors qu’il était prudent d’user de sagesse et de modération, et travailla de tout son pouvoir à faire oublier les fautes et les violences des deux factions.

Ce prince ne jouit pas d’un long repos. Renaud et Édouard, fils du dernier duc de Gueldre, se disputaient l’héritage de leur père. Après une bataille où l’armée de Renaud avait été défaite, Édouard fit jeter celui-ci en prison et proscrivit ses partisans. Quelques seigneurs restés fidèles à Renaud s’étant retirés en Hollande, Édouard se crut des raisons suffisantes pour déclarer la guerre à Albert, mais, au jour fixé pour la bataille, il ne parut pas, et Albert se mit à piller quelques places du duché. Peu de temps après, un traité de paix fut conclu entre eux, et Édouard épousa la fille du régent, Catherine de Hainaut (1362).

Vers cette époque, Albert donna de nouvelles preuves de son caractère entier et violent dans la ténébreuse affaire de Sohier, sire d’Enghien. Ce seigneur s’étant rendu à l’invitation que lui avait faite le duc de passer quelques jours au château de Bézieux, près de Valenciennes, fut enlevé et transporté au château du Quesnoy. Les motifs de cette arrestation sont restés un mystère. Le sire d’Enghien en appela au jugement de ses pairs du Hainaut. Ceux-ci, jaloux de faire reconnaître leurs droits par le régent, lui envoyèrent le seigneur de Ligne, ex-grand bailli, pour le prier de ne rien précipiter ; mais le duc, loin d’écouter leurs réclamations, fit trancher la tête au prisonnier et s’empara de la ville et du château d’Enghien.

Cet acte de cruauté eut, pour le régent, de terribles conséquences ; les frères de la victime, pour venger sa mort, excitèrent le comte de Flandre, chez lequel le jeune seigneur d’Enghien s’était réfugié, à porter ses armes contre Albert. Louis de Male entra dans le Hainaut, et son armée y commit d’épouvantables ravages. Albert n’avait pas de troupes sous les armes : impatient de ne point voir arriver celles qu’il avait demandées en Hollande et en Bavière, il voulut recruter une armée dans le Hainaut. Les populations de ce comté lui envoyèrent des milices bourgeoises pour résister à l’invasion, mais elles refusèrent l’argent que le duc avait cru devoir se procurer au moyen de tailles et de gabelles. Ces milices, auxquelles se joignirent bientôt les Bavarois et les Hollandais, ne purent cependant tenir contre les forces du comte de Flandre, et l’armée d’Albert fut mise en déroute. Il se sauva, non sans peine, à Mons. Les Flamands l’y poursuivirent, et ils allaient livrer un assaut général à la place, lorsque le régent leur fit proposer la paix. Cette paix fut conclue à Bruxelles le jour de Pâques 1366, sous la médiation du duc de Brabant Wenceslas et de Jeanne, son épouse.

Albert en profita pour établir des relations plus étroites avec le roi de France Charles V, et celui-ci, désirant s’allier à un prince dont il pouvait attendre des secours efficaces dans sa guerre contre l’Angleterre, donna la main de sa fille Marguerite à Guillaume d’Ostrevant, fils aîné d’Albert. Cette jeune princesse mourut après quelques mois de mariage.

Le duc régent prit une part active, comme négociateur, dans les troubles qui agitèrent l’évêché de Liége. L’évêque Jean d’Arkel n’ayant pas craint de casser le tribunal des XXII, qui lui avait fait son procès et l’avait condamné, cette mesure souleva le pays. Le premier mouvement éclata à Thuin. L’assassinat de Jean Hartis fut le signal de la révolte générale, et l’attitude du peuple devint tout à coup si menaçante que Jean d’Arkel fut obligé de se réfugier à Maestricht. C’est alors que le duc Albert intervint comme médiateur entre l’évêque et les Liégeois, qui venaient de nommer Gaultier de Rochefort régent du pays. Le duc conseilla à l’évêque de rétablir le tribunal des XXII, en limitant sa juridiction et ses pouvoirs, mais l’évêque ne se rendit pas à ce conseil, et, en se soumettant aux exigences du chapitre de Saint-Lambert, il fit la faute de créer un pouvoir au-dessus du sien.

La guerre entre les Liégeois et leur évêque paraissait à peine éteinte que le duc Albert eut, à son tour, des démêlés avec l’évêque de Cambrai, Robert de Genève, qui devint pape sous le nom de Clément VII. Le duc, ayant voulu s’emparer de quelques biens appartenant à des églises, en avait demandé l’autorisation au prélat. Celui-ci ayant refusé, le duc le fît arrêter et jeter en prison. Cet abus de la force n’ébranla pas la fermeté de l’évêque : il lança contre le régent les foudres de l’Église et le duc témoigna de son repentir et de sa soumission. Plus tard, dans le conflit entre les papes Urbain VI et Clément VII, Albert demeura neutre avec tout le diocèse de Cambrai (1378).

Dans la lutte entre Louis de Male et les Gantois, Albert voulut réconcilier ce prince avec ses sujets, mais ses efforts échouèrent devant l’opiniâtreté du comte. Toutes ses sympathies restaient néanmoins acquises au comte et à la noblesse de Flandre ; aussi porta-t-il les édits les plus sévères pour empêcher les Hennuyers de faire passer des vivres aux Gantois, tandis qu’il permettait aux seigneurs du Hainaut de porter secours au comte de Flandre.

Le duc Albert ayant résolu d’envoyer une armée en Prusse au secours des chevaliers teutoniques, les principaux seigneurs répondirent à son appel, et il mit à la tête de l’expédition son fils, Guillaume d’Ostrevant. Un grand nombre de partisans ayant fait défaut au moment de partir, l’expédition fut ajournée à 1385.

En avril 1382, le régent renouvela vainement ses tentatives pour ramener la paix entre Louis de Male et les Gantois.

Guillaume l’Insensé étant mort au château du Quesnoy, en 1389, Albert de Bavière fut reconnu souverain de Hainaut et de Hollande.

Le 3 avril il fit sa joyeuse entrée à Mons. Quelque temps après, ayant perdu sa femme, Marguerite de Briey, il épousa en secondes noces Marguerite de Clèves. Ce prince déshonora sa vieillesse en se laissant aller à une honteuse passion pour Adelaïde de Poelgheest. Les Hameçons, jaloux des faveurs accordées par le souverain aux parents et amis de cette femme, qui appartenait au parti des Cabeliaux, et, enhardi par l’exemple de Guillaume d’Ostrevant, qui ne cachait pas combien ce scandale froissait sa fierté, s’introduisirent dans le palais de la Haye, le 21 septembre 1390, et tuèrent Adélaïde de Poelgheest à coups d’épée. Le duc, furieux, cita les coupables à son tribunal et, sur leur refus de comparaître, les condamna à mort. Guillaume, qui n’avait pas craint de les recevoir à sa cour, crut pouvoir calmer la colère de son père et partit pour la Haye, mais à peine avait-il mis le pied en Hollande qu’il fut poursuivi par les troupes du duc et obligé de chercher un refuge à la cour de France.

L’expédition du comte d’Ostrevant contre les Frisons put seule faire oublier au duc les rancunes que n’avaient pu éteindre les efforts réunis de la noblesse de Hainaut, de Hollande et de Zelande, joints à ceux de l’évêque de Liége, Jean de Bavière.

Le siége de Gorcum (1403) fut le dernier épisode du règne d’Albert. Il mourut à la Haye en 1404, après un règne de quarante-six ans, pendant lequel il donna de faibles preuves de sa sollicitude pour les provinces qu’il avait à gouverner. On peut cependant citer de lui plusieurs édits de 1379, en faveur des moulins de la ville de Mons et de la navigation et l’octroi d’érection d’une fontaine publique sur le marché de cette ville, en 1386.

Les funérailles du comte se firent sans pompe. Sa veuve, Marguerite de Clèves, revêtue d’habits d’emprunt, alla déposer sur son tombeau ses clefs, sa bourse et sa ceinture ne signe d’abandon de la communauté.

Albert laissait un grand nombre d’enfants naturels, et six de son premier mariage : Guillaume d’Ostrevant, qui avait épousé Marie de Bourgogne et qui lui succéda ; Albert, mort à la fleur de l’âge ; Jean, évêque de Liége ; Catherine, mariée en premières noces au duc de Gueldre et en secondes noces au duc de Juliers ; Marguerite, qui épousa Jean de Bourgogne, et Yolande, donnée en mariage à Albert d’Autriche. Il n’eut pas d’enfants de Marguerite de Clèves.

Adolphe Mathieu.

Hossart, Hist. eccl. et prof. du Hainaut. — Delewarde, Histoire générale du Hainaut. — Vinchant, Annales de la province et du comté de Hainaut. — Bon de Reiffenberg et Vandervin, Histoire du comté de Hainaut.