Biographie nationale de Belgique/Tome 3/BROGLIE, Maurice-Jean-Madeleine, prince DE

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BROGLIE, Maurice-Jean-Madeleine, prince DE



*BROGLIE (Maurice-Jean-Madeleine, prince DE), évêque de Gand, né au château de Broglie en Normandie, le 5 septembre 1766 et mort à Paris le 20 juillet 1821, était fils du dernier maréchal de ce nom, le vainqueur de Bergen. Sa famille, originaire de Chieri en Piémont, s’était illustrée depuis des siècles en Italie, quand elle vint, sous Louis XIII, s’établir en France, où plusieurs généraux et diplomates du premier mérite lui valurent une illustration plus grande. Le jeune Maurice que de sages parents laissèrent entièrement libre dans le choix d’un état, voyait s’ouvrir devant lui plus d’une carrière brillante, quand il se décida pour celle de l’Église. Il entra de bonne heure au séminaire de Saint-Sulpice, où, sous l’intelligente direction de l’abbé Eméry, il fit avec succès ses études théologiques. Si au commencement de la révolution son inexpérience et la générosité de son caractère le portèrent à s’y montrer favorable, les conseils de son père et la tournure que prenaient les événements l’eurent bientôt désabusé. Il émigra et, après avoir reçu la prêtrise à Trèves, il rejoignit le maréchal à Berlin, où le roi de Prusse qui l’aimait, lui fit obtenir la prévôté du chapitre de Posen dans la Pologne prussienne. Cependant, comme les habitudes et le climat du pays ne pouvaient lui convenir, il rentra en France en 1803 et fit quelques démarches pour recouvrer des bois non vendus qui appartenaient à sa maison. Napoléon le sut et, comme il avait à cœur de réunir autour de son trône les familles distinguées de l’ancienne monarchie, il se montra favorable à la requête de l’abbé De Broglie, le nomma son aumônier et peu après (avril 1805) évêque d’Acqui en Piémont. Maurice, qui était loin d’ambitionner ces faveurs, allégua en vain la faiblesse réelle de sa santé ; il fut sacré à Paris par le cardinal-légat, le 17 novembre ; mais le climat d’Acqui lui étant aussi défavorable que celui de Posen, il obtint deux ans plus tard sa translation à Gand. Heureux de trouver son nouveau diocèse bien organisé et déjà doté des établissements religieux les plus nécessaires par l’intelligente activité de son prédécesseur, Mgr Fallot de Beaumont, il commença son administration sous les meilleurs auspices. La bienveillance que lui témoignait encore Napoléon donnait un poids nouveau aux sages mesures du prélat ; malheureusement elle ne pouvait longtemps durer, le nouveau César publiant, coup sur coup, des décrets qui empiétaient sur les droits de l’Église et qu’il était impossible à l’évêque d’approuver. Une lettre du ministre des cultes lui reprocha, dès le 10 août 1809, son peu d’attachement à l’empereur et rappela son grand vicaire, le sage abbé Le Surre, qui ne méritait pas, disait-on, sa confiance. Maurice réclama vainement. Nommé membre de la Légion d’honneur, l’année, suivante, il n’hésita pas à refuser cette distinction, parce que le serment que prêtaient les légionnaires lui parut impliquer l’approbation de la récente usurpation des États romains. Peu de temps après, Napoléon l’apostropha durement à ce sujet dans une audience et comme le prélat lui répondit, sans crainte, que sa conscience s’opposait à ce qu’on demandait de lui, l’empereur lui dit brutalement : « Votre conscience est une sotte! » Une pareille scène apprenait à l’évêque qu’il était entièrement disgracié. Ce qui pouvait l’en consoler, c’était l’amour filial que lui portaient ses diocésains et qu’il avait obtenu dès le commencement de son épiscopat à Gand par l’aménité de son caractère, sa droiture, sa piété éminente et son dévouement au saint siége. Cette affection grandit encore par le mécontentement de l’empereur. Bientôt la conduite du prélat au prétendu concile national vint mettre le comble au ressentiment de Napoléon. En effet, l’évêque de Gand avait exercé une grande influence sur la commission du message qui rejeta les innovations schismatiques proposées par le pouvoir. Le 12 juillet, les évêques de Gand, de Tournai et de Troyes furent arrêtés pendant la nuit et mis au secret le plus rigoureux dans le donjon de Vincennes. Cette captivité, pénible surtout pour une organisation aussi délicate que la sienne, ne permit à Maurice d’autre délassement que d’écrire avec le plomb des fenêtres, sur le papier qui avait enveloppé les aliments secs qu’on lui portait, un commentaire sur quelques fables de La Fontaine. Vers la fin de novembre, on lui demanda la démission de son siége, comme si un tel acte, souscrit dans un donjon, pouvait avoir quelque valeur. L’évêque la donna et dut partir pour Beaune, mais l’année suivante, comme on le soupçonnait d’entretenir encore des relations avec son diocèse, on l’exila dans l’île Sainte-Marguerite, sur les côtes de l’ancienne Provence. En 1813, Napoléon ayant nommé à l’évêché de Gand l’abbé de la Brue de Saint-Bauzille, on ramena Mgr de Broglie en Bourgogne et on le contraignit, presque mourant, de déclarer de nouveau qu’il renonçait à l’administration de son diocèse. Cet acte, signé à Dijon le 8 juillet, causa dans l’Église de Gand des vexations et des troubles dont le récit n’appartient pas à cette notice, mais il n’ébranla qu’un bien petit nombre d’ecclésiastiques. De là, le 13 septembre, de nouvelles instances pour obtenir une déclaration plus explicite, mais il y fut répondu cette fois par un refus formel. Enfin la chute de l’empire français, en 1814, fit cesser cette déplorable persécution et l’évêque si durement éprouvé put revoir ses ouailles. Le 24 mai, il fit à Gand une entrée vraiment triomphale et fut accueilli par le clergé et les fidèles avec autant d’allégresse qu’autrefois saint Eusèbe de Verceil et saint Hilaire de Poitiers au retour de leur exil. L’humble ncandeur avec laquelle il exprima ses regrets d’avoir signé l’acte du 8 juillet, devant son chapitre d’abord et ensuite dans un mandement, lui donna de nouveaux droits à la confiance et au dévouement de ses diocésains. Il s’occupait activement à fermer les plaies que la domination française avait faites dans son Église, quand un nouvel orage vint fondre sur lui et son clergé. Le congrès de Vienne ayant réuni la Belgique à la Hollande sous le sceptre du prince d’Orange, le nouveau gouvernement proposa à des notables de son choix un projet de constitution qui devait alarmer les catholiques. L’évêque de Gand fit paraître successivement à ce sujet une Adresse au roi, une Instruction pastorale et un Jugement doctrinal, que signèrent après lui tous les ordinaires de Belgique. Puis, afin de donner une plus haute sanction à ces documents, il soumit toutes ses démarches au pape, et, non-seulement Pie VII les approuva par un bref, mais il fit même adresser au roi des Pays-Bas des représentations qui restèrent sans effet. Peu après, le prélat demanda à Rome de pouvoir, si la demande en était faite, ordonner des prières publiques pour le roi et la famille royale et se hâta de les prescrire quand il en eut obtenu la faculté. C’était faire preuve de sagesse et de modération. Néanmoins ce gouvernement, dirigé par le hargneux ministre Van Maanen et par le baron Goubau, connu par sa participation aux attentats irréligieux de Joseph II, imputa à l’évêque de Gand le rejet de la Constitution, dû à la grande majorité des notables belges et il résolut de lui intenter une action criminelle. On le somma de comparaître devant le conseil d’État ou de se justifier par écrit. Après un moment d’hésitation, le prélat répondit et réfuta sans peine des accusations aussi futiles qu’inconvenantes, mais le gouvernement n’en tint aucun compte et de plus en plus aveuglé par la passion, il se décida à faire arrêter l’évêque qu’il traitait de séditieux. Le prélat, en fut averti à temps et, comme il ne pouvait soumettre à un tribunal laïque une question de doctrine, il prit le parti de se retirer en France. Les poursuites n’en continuèrent pas moins; le 8 novembre 1817, la Cour d’assises du Brabant méridional condamna par contumace le nommé Maurice de Broglie à la peine de la déportation, pour avoir publié le Jugement doctrinal, entretenu une correspondance avec Rome, sans l’autorisation de M. Goubau, et laissé afficher des annonces d’indulgences plénières, métamorphosées en bulles pour le besoin de la cause. Le vendredi 19 novembre, cet arrêt fut affiché par le bourreau à un poteau placé entre deux voleurs que la loi ne permettait point d’exposer ce jour-là. Un tel spectacle excita une indignation difficile à peindre et fut flétri par les journaux les plus hostiles aux catholiques : on le regarda, en effet, comme un premier coup porté à l’existence du royaume des Pays-Bas. Plus tard, l’évêque adressa à ce sujet aux souverains réunis à Aix-la-Chapelle une Réclamation respectueuse, qui demeurera comme un monument curieux pour l’histoire de l’Église en Belgique. Depuis lors Maurice habita la France, en proie à des infirmités et aux chagrins que lui causait le gouvernement hollandais qui, dans son ignorance des lois canoniques, prétendait qu’il avait perdu sa juridiction et qui ne cessa de persécuter le clergé de Gand jusqu’à la mort de l’évêque. L’acquittement de ses vicaires généraux et de son secrétaire, prisonniers depuis plusieurs mois, adoucit ses dernières souffrances et, après avoir reçu les derniers sacrements, il dicta une lettre touchante au clergé et aux fidèles de son diocèse que sa main défaillante put à peine signer. M. de Quelen, archevêque de Trajanople et coadjuteur de Paris, officia dans l’église de Saint-Sulpice à ses funérailles, en présence d’un nonce du pape et d’un grand nombre d’évêques, de pairs et de députés. Le corps fut déposé dans les caveaux de Saint-Sulpice et ne put être d’abord transporte à Gand, où l’illustre émule de saint Athanase avait élu sa sépulture. Son cœur repose sous un modeste monument érigé, dans la chapelle du grand séminaire, aux victimes de la persécution de 1813.

J.-J. De Smet.

Mgr H.-J. Bracq, Notice historique sur Mgr de Broglie, dans le Recueil des mandements, lettres pastorales, etc., du même prélat. — Lettres de Mgr Carletti, évêque de Montepulciano, dans le tome XIII des Mémoires de l’abbê Baraldi. — J.-J. De Smet, Coup d’œil sur l’ histoire ecclésiastique, etc.