ACTE III.
Scène PREMIERE.
Allas obeïra, Seigneur.
Ma Mere a-t-elle veu confondre ſon orgueil ?
Qu’en reproches bien toſt ſa douleur ne s’échappe.
Ses tranſports dés long-temps commẽcent d’éclater.
A d’inutiles cris puiſſent-ils s’arreſter.
Rome, & tous vos Soldats honorent ſes Ayeux,
Germanicus ſon Pere eſt preſent à leurs yeux.
Elle ſçait ſon pouvoir : Vous ſçavez ſon courage.
Et ce qui me la fait redouter d’avantage,
C’eſt que vous appuyez vous meſme ſon courroux,
Et que vous luy donnez des armes contre vous.
Mon cœur s’en eſt plus dit que vous ne m’en direz.
Il faut que j’aime enfin.
Seigneur, & ſatiſfait de quelque reſiſtance
Vous redoutez un mal foible dans ſa naiſſance.
Mais ſi dans ſa fierté voſtre cœur affermy
Vouloit ne point s’entendre avec ſon ennemy,
Si de vos premiers ans vous conſultiez la gloire,
Si vous daigniez, Seigneur, rappeller la memoire
Des vertus d’Octavie, indignes de ce prix,
Et de ſon chaſte amour vainqueur de vos mépris ;
Sur tout ſi de Junie évitant la preſence
Vous condãniez vos yeux à quelques jours d’abſẽce,
Croyez-moy, quelque amour qui ſemble vous charmer,
On n’aime point, Seigneur, ſi l’on ne veut aimer.
Il faudra ſoûtenir la gloire de nos armes,
Où lors que plus tranquille aſſis dans le Senat
Il faudra decider du deſtin de l’Eſtat :
Je m’en repoſeray ſur voſtre experience.
Mais, croyez-moy, l’Amour eſt une autre ſcience,
Burrhus, & je ferois quelque difficulté
D’abaiſſer juſques-là voſtre ſeverité.
Adieu, je ſouffre trop éloigné de Junie.
Scène II.
É bien, Burrhus, Neron découvre ſon genie.
Cette ferocité que tu croyois flêchir
De tes foibles liens eſt preſte à s’affranchir.
En quels excez peut-eſtre elle va ſe répandre !
O dieux ! En ce mal-heur quel conſeil dois-je prẽdre ?
Seneque, dont les ſoins me devroient ſoulager,
Occupé loin de Rome, ignore ce danger.
Mais quoy ? Si d’Agrippine excitant la tendreſſe
Je pouvois… La voicy, mon bon-heur me l’adreſſe.
Scène III.
É bien, je me trompois, Burrhus, dans mes ſoupçons ?
Et vous vous ſignalez par d’illuſtres leçons.
On exile Pallas, dont le crime peut-eſtre
Eſt d’avoir à l’Empire élevé voſtre Maiſtre.
Vous le ſçavez trop bien. Jamais ſans ſes avis
Claude qu’il gouvernoit n’euſt adopté mon Fils.
Que dis-je ? A ſon Eſpouſe on donne une Rivale.
On affranchit Neron de la foy conjugale.
Digne employ d’un Miniſtre ennemy des Flatteurs,
Choiſi pour mettre un frein à ſes jeunes ardeurs,
De les flatter luy-meſme, & nourrir dans ſon ame
Le mépris de ſa Mere & l’oubly de ſa Femme !
L’Empereur n’a rien foit qu’on ne puiſſe excuſer.
N’imputez qu’à Pallas un exil neceſſaire,
Son orgueil des long-temps exigeoit ce ſalaire,
Et l’Empereur ne fait qu’accomplir à regret
Ce que toute la Cour demandoit en ſecret.
Le reſte eſt un malheur qui n’eſt point ſãs reſſource.
Des larmes d’Octavie on peut tarir la ſource.
Mais calmez vos trãſports. Par un chemin plus doux
Vous luy pourrez pluſtoſt ramener ſon Eſpoux.
Les menaſſes, les cris le rendront plus farouche.
Je voy que mon ſilence irrite vos dédains,
Et c’eſt trop reſpecter l’ouvrage de mes mains.
Pallas n’emporte pas tout l’appuy d’Agrippine,
Le Ciel m’en laiſſe aſſez pour vanger ma ruine.
Le Fils de Claudius commence à reſſentir
Des crimes, dont je n’ay que le ſeul repentir.
J’iray, n’en doutez point, le monſtrer à l’Armée,
Plaindre aux yeux des Soldats ſon enfãce opprimée,
Leur faire à mon exemple expier leur erreur.
On verra d’un coſté le Fils d’un Empereur,
Redemandant la foy jurée à ſa famille,
Et de Germanicus on entendra la Fille ;
De l’autre l’on verra le Fils d’Enobarbus,
Appuyé de Seneque, & du Tribun Burrhus,
Qui tous deux de l’exil rappellez par moy-meſme
Partagent à mes yeux l’autorité ſuprême.
De nos crimes communs je veux qu’on ſoit inſtruit.
On ſçaura les chemins par où je l’ay conduit.
Pour rendre ſa puiſſance & la voſtre odieuſes,
J’avoüray les rumeurs les plus injurieuſes.
Je confeſſeray tout, exils, aſſaſſinats,
Poiſon meſme…
Ils ſçauront recuſer l’injuſte ſtratagême
D’un témoin irrité qui s’accuſe luy-meſme.
Pour moy qui le premier ſeconday vos deſſeins,
Qui fis meſme jurer l’Armée entre ſes mains.
Je ne me repens point de ce zele ſincere.
Madame, c’eſt un Fils, qui ſuccede à ſon Pere.
En adoptant Neron, Claudius par ſon choix
De ſon Fils & du voſtre a confondu les droits.
Rome l’a pû choiſir. Ainſi ſans eſtre injuſte
Elle choiſit Tibere adopté par Auguſte,
Et le jeune Agrippa de ſon ſang deſcendu
Se vit exclus d’un rang vainement pretendu.
Sur tant de fondemens ſa puiſſance eſtablie
Par vous même aujourd’huy ne peut-eſtre affoiblie.
Et s’il m’écoute encor, Madame, ſa bonté
Vous en fera bien-toſt perdre la volonté.
J’ay commencé, je vais pourſuivre mon ouvrage.
Scène IV.
Ans quel emportemẽt la douleur vous engage,
Madame ! L’Empereur puiſſe-t-il l’ignorer !
Quoy pour les intereſts de la Sœur ou du Frere
Faut-il ſacrifier le repos de vos jours ?
Contraindrez-vous Ceſar juſques dans ſes amours ?
Albine ? C’eſt à moy qu’on donne une Rivale.
Bien-toſt ſi je ne romps ce funeſte lien,
Ma place eſt occupée, & je ne ſuis plus rien.
Juſqu’icy d’un vain titre Octavie honorée
Inutile à la Cour, en eſtoit ignorée.
Les graces, les honneurs par moy ſeule verſez
M’attiroient des mortels les vœux intereſſez.
Une autre de Ceſar a ſurpris la tendreſſe,
Elle aura le pouvoir d’Eſpouſe & de Maiſtreſſe,
Le fruit de tant de ſoins, la pompe des Ceſars,
Tout deviendra le prix d’un ſeul de ſes regards.
Que dis-je ? L’on m’évite & déja délaiſſée…
Ah je ne puis, Albine, en ſouffrir la penſée.
Quand je devrois du Ciel haſter l’Arreſt fatal,
Neron, l’ingrat Neron… Mais voicy ſon Rival.
Scène V.
Os ennemis communs ne ſont pas invincibles,
Madame. Nos mal-heurs trouvent des cœurs ſenſibles.
Vos amis & les miẽs juſqu’alors ſi ſecrets,
Tandis que nous perdions le temps en vains regrets,
Animez du courroux qu’allume l’injuſtice
Viennent de confier leur douleur à Narciſſe.
Neron n’eſt pas encor tranquille poſſeſſeur
De l’Ingrate, qu’il aime au mépris de ma Sœur.
Si vous eſtes toûjours ſenſible à ſon injure,
On peut dans ſon devoir ramener le Parjure.
La moitié du Senat s’intereſſe pour nous.
Sylla, Piſon, Plautus…
Sylla, Piſon, Plautus ! Les chefs de la Nobleſſe !
Et que voſtre courroux tremblant, irreſolu,
Craint déja d’obtenir tout ce qu’il a voulu.
Non, vous avez trop bien eſtably ma diſgrace.
D’aucun Amy pour moy ne redoutez l’audace.
Il ne m’en reſte plus, & vos ſoins trop prudens
Les ont tous écartez ou ſeduits dés long-temps.
Noſtre ſalut depend de noſtre intelligence.
J’ay promis, il ſuffit. Malgré vos ennemis
Je ne revoque rien de ce que j’ay promis.
Le coupable Neron fuit en vain ma colere.
Toſt ou tard il faudra qu’il entende ſa Mere.
J’eſſayray tour à tour la force & la douceur.
Où moy-meſme avec moy conduiſant voſtre Sœur,
J’iray ſemer par tout ma crainte & ſes alarmes,
Et ranger tous les cœurs du party de ſes larmes.
Adieu. J’aſſiegeray Neron de toutes parts.
Vous, ſi vous m’en croyez, évitez ſes regards.
Scène VI.
E m’as-tu point flatté d’une fauſſe eſperance ?
Puis-je ſur ton recit fonder quelque aſſurãce,
Narciſſe ?
Qu’il faut développer ce myſtere à vos yeux.
Sortons. Qu’attendez-vous ?
Helas !
Je pouvois revoir…
D’un cœur moins agité j’attendrois mon deſtin.
Digne de mon courroux. Mais je ſens malgré moy,
Que je ne le croy pas autant que je le doy.
Dans ſes égaremens mon cœur opiniaſtre
Luy preſte des raiſons, l’excuſe, l’idolâtre.
Je voudrois vaincre enfin mon incredulité,
Je la voudrois haïr avec tranquillité.
Et qui croira qu’un cœur ſi grand en apparence,
D’une infidelle Cour ennemy dés l’enfance,
Renonce à tant de gloire, & dés le premier jour
Trame une perfidie, inoüie à la Cour ?
N’a point de l’Empereur medité la défaite ?
Trop ſeure que ſes yeux ne pouvoient ſe cacher
Peut-eſtre elle fuyoit pour ſe faire chercher,
Pour exciter Ceſar par la gloire penible
De vaincre une fierté juſqu’alors invincible.
Elle reçoit les vœux de ſon nouvel Amant.
Scène VII.
Etirez-vous, Seigneur, & fuyez un courroux
Que ma perſeverance allume contre vous.
Neron eſt irrité. Je me ſuis échappée
Tandis qu’à l’arreſter ſa Mere eſt occupée.
Adieu, reſervez-vous, ſans bleſſer mon amour,
Au plaiſir de me voir juſtifier un jour.
Votre image ſans ceſſe eſt preſente à mon ame.
Rien ne l’en peut bannir.
Vous voulez que ma fuite aſſure vos deſirs,
Que je laiſſe un chãp libre à vos nouveaux ſoûpirs.
Sans doute, en me voyant, une pudeur ſecrete
Ne vous laiſſe gouſter qu’une joye inquiete.
Hé bien il faut partir.
Je ne murmure point qu’une amitié commune
Se range du party que flatte la fortune,
Que l’éclat d’un Empire ait pû vous ébloüir ;
Qu’aux dépens de ma Sœur vous en vouliez joüir.
Mais que de ces grandeurs cõme une autre occupée
Vous m’en ayez paru ſi long-temps détrompée ;
Non, je l’avouë encor, mon cœur deſeſperé
Contre ce ſeul mal-heur n’étoit point preparé.
J’ay veu ſur ma ruine élever l’injuſtice.
De mes Perſecuteurs j’ay veu le Ciel complice.
Tãt d’horreurs n’avoiẽt point épuiſé ſon courroux,
Madame. Il me reſtoit d’eſtre oublié de vous.
Vous feroit repentir de voſtre défiance.
Mais Neron vous menaſſe. En ce preſſant danger,
Seigneur, j’ay d’autres ſoins que de vous affliger.
Allez, raſſurez-vous, & ceſſez de vous plaindre,
Neron nous écoutait, & m’ordonnoit de feindre.
D’un viſage ſevere examinoit le mien,
Preſt à faire ſur vous éclater la vangeance
D’un geſte, confident de noſtre intelligence.
Vos yeux auroient pû feindre & ne m’abuſer pas.
Ils pouvoient me nommer l’auteur de cét outrage.
L’amour eſt-il muet, ou n’a-t-il qu’un langage ?
De quel trouble un regard pouvoit me preſerver ?
Il falloit…
Combien de fois, helas ! puis qu’il faut vous le dire,
Mon cœur de ſon deſordre alloit-il vous inſtruire ?
De combien de ſoûpirs interrompant le cours
Ay-je évité vos yeux que je cherchois toûjours !
Quel tourment de ſe taire en voyant ce qu’on aime !
De l’entendre gemir, de l’affliger ſoy-meſme,
Lors que par un regard on peut le conſoler !
Mais quels pleurs ce regard auroit-il fait couler !
Ah ! dans ce ſouvenir inquiete, troublée,
Je ne me ſentois pas aſſez diſſimulée.
De mon front effrayé je craignois la paſleur,
Je trouvois mes regards, trop pleins de ma douleur.
Sans ceſſe il me ſembloit que Neron en colere
Me venoit reprocher trop de ſoin de vous plaire,
Je craignois mon amour vainement renfermé,
Enfin, j’aurois voulu n’avoir jamais aimé.
Helas ! pour ſon bon-heur, Seigneur, & pour le nôtre,
Il n’eſt que trop inſtruit de mon cœur & du voſtre.
Allez encore un coup, cachez vous à ſes yeux.
Mon cœur plus à loiſir vous éclaircira mieux.
De mille autres ſecrets j’aurois conte à vous rendre.
Madame, mon bon-heur, mon crime, vos bontez.
Et ſçavez-vous pour moy tout ce que vous quittez ?
Quand pourray-je à vos piez expier ce reproche ?
Scène VIII.
Rince, continuez des tranſports ſi charmans.
Je conçoy vos bontez par ſes remercimens,
Madame, à vos genoux je viens de le ſurprendre.
Mais il auroit auſſi quelque grace à me rendre,
Ce lieu le favoriſe, & je vous y retiens
Pour luy faciliter de ſi doux entretiens.
Par tout où ſa bonté conſent que je la voye.
Et l’aſpect de ces lieux, où vous la retenez
N’a rien dont mes regards doivent eſtre eſtonnez.
Qu’il faut qu’on me reſpecte, & que l’on m’obeïſſe ?
Moy pour vous obeïr, & vous pour me braver,
Et ne s’attendoiẽt pas, lors qu’ils nous virent naître,
Qu’un jour Domitius me dût parler en maiſtre.
J’obeïſſois alors, & vous obeïſſez.
Si vous n’avez appris à vous laiſſer conduire,
Vous eſtes jeune encore, & l’on peut vous inſtruire.
Rome.
Tout ce qu’a de cruel l’injuſtice & la force,
Les empriſonnemens, le rapt, & le divorce ?
Juſques dans des ſecrets que je cache à ſes yeux.
Imitez ſon reſpect.
Ne meriteront pas ſes applaudiſſemens.
Je ſçay l’art de punir un Rival temeraire.
Sa ſeule inimitié peut me faire trembler.
Je la laiſſe expliquer ſur tout ce qui me touche,
Et ne me cache point pour luy fermer la bouche.
C’eſt voſtre Frere. Helas ! C’eſt un Amant jaloux.
Seigneur, mille mal-heurs perſecutent ſa vie.
Ah ! ſon bon-heur peut-il exciter voſtre envie ?
Souffrez que de vos cœurs rapprochant les liens,
Je me cache à vos yeux, & me dérobe aux ſiens.
Ma fuite arreſtera vos diſcordes fatales,
Seigneur, j’iray remplir le nombre des Veſtales.
Ne luy diſputez plus mes vœux infortunez,
Souffrez que les Dieux ſeuls en ſoient importunez.
Dans ſon Apartement, Gardes, qu’on la rameine.
Gardez Britannicus dans celui de ſa Sœur.
Scène IX.
Ue vois-je ? O Ciel !
Je reconnoy la main qui les a raſſemblez.
Agrippine ne s’eſt preſentée à ma veuë,
Ne s’eſt dans ſes diſcours ſi long-temps eſtenduë,
Que pour faire joûer ce reſſort odieux.
Qu’on ſçache ſi ma Mere eſt encore en ces lieux.
Burrhus, dans ce Palais je veux qu’on la retienne,
Et qu’au lieu de ſa Garde, on luy donne la mienne.
J’ignore quel projet, Burrhus, vous meditez.
Mais depuis quelques jours tout ce que je deſire
Trouve en vous un Cenſeur, preſt à me contredire.
Répondez m’en vous dis-je, ou ſur voſtre refus
D’autres me répondront & d’Elle, & de Burrhus.