Bulletin de la société géologique de France/1re série/Tome I/Séance du 21 février 1831

La bibliothèque libre.


Douzième séance. — 21 février 1831.


M. Cordier occupe le fauteuil.

Après la lecture et l’adoption du procès-verbal de la dernière séance, le président proclame membre de la Société : M. de Paris, ancien magistrat à Paris, présenté par MM. Prévost et Delorme.

On passe à la correspondance.

H. Lill envoie une figure grossièrement faite du fossile provenant du calcaire à orthocéres de la Gallicie, et classé par lui dans le genre bélemnite. Il ajoute que cette pétrification appartient plutôt au gros rouge ou au schiste qu’au calcaire qui leur est inférieur. Elle est associée avec des fragmens d’un fossile calcédonique, que l’auteur rapproche des solenacés. Il adresse aussi la figure d’un fruit fossile trouvé a Szecrhakow, en Pologne, dans les marnes crétacées ou M. Becker a fait des recherches pour le sel.

Il est présenté à la Société :

1° Le numéro 3 des Comptes rendus des travaux de la Société polymathique du département du Morbihan, par M. Mauricet, D. M. P. In-8°, Vannes, 1829.

2° La description géologique de la formation du grès rouge entre le côté gauche de l’Iser et le côté droit de l’Ainne, sur le pied méridional du Isergebirge et du Riesengebirge (Das rothe Sandsteingebilde zwischen dem linken Iser-und rechten El-benfer, etc.), par le docteur Joseph Meteglek, avec une carte géologique. In-8° de S8 pages, Prague, 1829.

Dans la carte géologique de cet ouvrage on trouve figurées les formations suivantes, savoir : le schiste, le grès rouge, le porphyre, le basalte et le basaltite, le grès vert et la craie marneuse, les bancs de calcaire grenu, ceux de combustible du grès rouge et grès verts, et des calcaires du grès rouge.

Le secrétaire met sous les yeux de la Société une carte géologique de l’Irlande, de M. Weaver.

Dans cet ouvrage inédit on trouve indiqués le granit, le micaschiste, le quarzite, le terrain de transition ancien, composé du schiste argileux, de roches quarzo-pyriteuse et de grauwacke, le calcaire primaire et intermédiaire, les bancs de combustibles du sol de transition, le grès pourpré, le calcaire de montagnes, les grès houillers, le trapp ancien, le calcaire magnésien secondaire, le grès bigarré, le lias, la craie, le trachyte et le basalte.

Le terrain secondaire et basaltique est restreint au nord-est de l’Irlande ; le grès pourpré et le calcaire de montagne en occupe la plus grande partie ; le terrain primaire existe dans les extrémités N. O. et dans la partie occidentale, au nord et au sud de Dublin, et le terrain intermédiaire forme l’extrémité S.-O. et une portion du côté occidental.

M. Boué fait hommage à la Société de quelques fossiles des argiles sub-apennines et des sables tertiaires supérieurs de la basse Autriche et de la Moravie.

M. Dufresnoy lit une Notice sur les mines de sel de Cardone :

« La mine de Cardone est située sur le versant sud de la chaîne des Pyrénées, à peu près à 20 lieues de son axe principal, et presque sur le prolongement du méridien qui passe par Foix. Au granit qui forme l’axe principal, et qui se prolonge jusqu’à la plaine haute connue sous le nom de Cerdagne, succède une ligne de crêtes composées de terrains de transition. Sur cette seconde chaîne, dont la puissance est peu considérable, repose immédiatement le terrain de grès et de calcaire auquel la masse de sel de Cardone me paraît associée.

Ce terrain de grès n’existe pas seulement près de Cardone, il forme une bande continue que nous avons observée sur plus de trente lieues de long et sur une épaisseur considérable. En effet, à la hauteur de Ripole, petite ville à peu près sous le même méridien que Carcassonne, ce terrain recouvre au moins dix lieues. À Cardone, il en aurait plus de vingt si les montagnes découpées du montSerrat, situées au sud des mines de sel, et composées de poudingues, appartiennent à ce terrain, ainsi que je le présume.

Cette bande de grès présente une grande uniformité ; elle est composée de couches, multipliées, de grès schisteux micacé, gris clair, alternant avec des couches très-régulières de poudingue. Le grès schisteux contient beaucoup d’impressions de fucus, circonstance qui nous conduit à l’associer au terrain de craie du versant nord des Pyrénées, dans lequel nous avons constaté la présemce fréquente d’impressions végétales.

Quelques couches calcaires alternent aussi avec le grès et les poudingues ; mais, à l’exception des environs de Baga, ou le calcaire forme des couches puissantes, cette roche est presque une exception dans toute cette bande. Le calcaire est compacte, de couleur gris jaunâtre clair. Il renferme des oursins, des hippurites, cyclolites, nummulites et milliblites. Les poudingues contiennent aussi quelquefois des milliolites ; ces fossiles, les seuls que nous ayons trouvés dans cette roche, sont encore fort rares.

Au milieu de ces grès on trouve presque constamment, depuis Ridaure jusqu’à Berga, des amas d’un gypse saccaroïde ; ses caractères extérieurs sembleraient indiquer qu’il appartient à un terrain ancien, mais on voit de tous côtés les couches de grès venir aboutir contre le gypse, de sorte qu’il n’y a pas de doute qu’il ne soit enclavé dans le terrain. La végétation et les déblais nous ont empêché de voir le contact immédiat du gypse et du grès. Néanmoins, comme les masses gypseuses ont peu d’étendue, on juge parfaitement de la régularité des couches de grès, et nul doute qu’elles ne viennent aboutir contre le gypse. Cette disposition singulière, que nous avons observée plusieurs fois, nous porte à croire que le gypse est enclavé dans le terrain, et qu’il ne lui est pas contemporain. Elle ne permet pas non plus de penser qu’il lui soit antérieur : comment concevoir, en effet, que les couches très-inclinées du grès sont venues appliquer ainsi leurs tranches contre ces masses gypseuses ? Le gypse n’est pas, en Catalogne, associé avec l’ophite, comme il l’est habituellement sur le versant français des Pyrénées ; ses caractères extérieurs présentent en outre des différences notables : il est plus saccaroïde, il ne contient pas de gypse fibreux, et n’est pas associé à des marnes de différentes nuances ; enfin, il contient une grande quantité de chaux sulfatée lamelleuse.

Entre Berga et Cardone, on n’aperçoit aucun changement dans cette formation, et les bords du Cardoner, qui passe à une demi-lieue de la ville de Cardone, nous montrent encore le même grès que nous venons d’indiquer ; mais à Cardone même, l’aspect du grès change, sans qu’on aperçoive du reste, aucun changement dans la stratification du terrain dont toutes les couches plongent vers le sud-ouest, de sorte qu’en admettant même une différence de terrain, celui de Cardone serait plus moderne, puisqu’il recouvre les couches de grès dont nous venons de parler.

Le grès devient rouge à grains quartzeux et à pâte terreuse ; il est schisteux et micacé ; les parcelles de mica y sont plus ou moins abondantes : il est rarement terreux, il ressemble un peu au grès bigarré. Ce serait, sans aucun doute, l’idée qu’en prendrait une personne qui n’aurait pas, comme nous, étudié le pays, et viendrait seulement visiter ces mines intéressantes ; mais il est impossible d’admettre ce rapprochement, puisque le grès repose sur le terrain à nummulites et à poudingue qui forme une chaîne continue de plus de douze lieues de puissance, à la hauteur de Cardone.

J’ajouterai, en outre, qu’examiné avec soin, le grès qui environne la mine n’a que très-peu d’analogie avec le grès bigarré ; vu à la loupe, il est au contraire, presque identique au grès des environs de Berga et de Ripoll : il contient comme lui des fragmens de calcaire. Cette formation paraît s’étendre fort loin au sud, de sorte que le sel de Cardone serait placé au milieu de ce terrain moderne. Tâchons maintenant de déterminer sa relation avec ce terrain. Pour y arriver, il est nécessaire que je décrive succinctement la position de la masse de sel.

Le sel constitue un amas allongé et très-puissant, situé dans un petit vallon qui se ramifie à la vallée du Cardonner. La colline sur laquelle le fort et la ville de Cardone sont bâtis forme un promontoire qui sépare le vallon dans lequel est le sel, de la vallée du Cardonner. Cette dernière, dont la direction générale est presque nord et sud, se contourne beaucoup devant Cardone et devient E. S. E. Le rameau où est située la masse de sel exploité se dirige E. N. E.

La colline composée de grès présente les diverses variétés que j’ai indiquées ; on y voit, au niveau de la vallée, divers affleuremens de sel.

L’amas de sel se compose de deux masses qui paraissent au premier abord séparées l’une de l’autre ; elles sont continues à leur partie inférieure, le sel formant constamment le sol sur lequel on marche pour aller de l’une à l’autre.

La masse exploitée a environ 400 pieds de long sur 800 de large ; elle occupe le côté sud du vallon presque en face du fort. Cette masse, composée de sel d’une grande pureté, indistinctement lamelleux, contient seulement quelques nœuds présentant le clivage cubique. Elle est stratifiée très-régulièrement, du moins sur une certaine hauteur ; on y observe huit couches également pures ; il existe en outre du sel au-dessus de ces couches ; on le voit affleurer à différentes hauteurs sur le flanc de la montagne. Les huit couches peuvent avoir ensemble une puissance de 45 pieds, répartie de la manière suivante.

la couche inférieure, dans sa partie visible (le sol étant encore. formé par cette couche), peut avoir de 10 à 12 pieds de puissance ; les deux qui la recouvrent ont entre elles 5 pieds ; la quatrième a 8 pieds ; la cinquième 6 pieds. Ces quatre couches sont les seules exploitées.

Les trois couches supérieures ne forment qu’une pointe engagée de tous côtés dans le grès ; leur puissance commune est de 15 à 20 pieds.

Les couches de sel sont séparées les unes des autres par des marnes rougeâtres, qui ont de l’analogie avec les marnes irisées. Ces marnes sont du reste exactement les mêmes que celles qui accompagnent les dépôts gypseux, si abondans sur l’autre versant des. Pyrénées.

Les couches exploitées étant horizontales, l’exploitation a lieu par gradins droits ; leur hauteur est la même que celle des couches. Les marnes qui existent facilitent beaucoup cette exploitation. Néanmoins la masse de sel est tellement tenace qu’on est obligé d’avoir recours à l’emploi de la poudre. La largeur des travaux actuels est à peu près de 250 pieds ; ils se prolongent jusqu’au ruisseau qui assèche le vallon et qui divise la masse exploitée en deux parties. Dans celle située du côté du fort, les couches supérieures n’existent pas. La plus basse est la seule qui soit continue. Il y a cependant des endroits où l’on aperçoit des traces de couches supérieures ; elles sont alors moins pures et très-mélangées de marnes.

Les couches de grès qui recouvrent la masse de sel se départagent à son approche, de manière que les unes plongent vers l’est et les autres vers l’ouest, sous un angle de 18 à 20°. Les couches qui forment la colline sur laquelle est bâtie le fort, colline qui occupe le nord de la vallée, plongent au contraire vers le nord, et paraissent se relever sur l’amas de sel ; il existe aussi du sel dans cette colline, de sorte qu’on peut dire que la masse est continue et que, sans l’ouverture de cette petite vallée, elle n’aurait pas été mise à nu.

La seconde masse de sel occupe le fond de la vallée ; elles se présente avec des caractères différens de ceux de la première, de sorte que, si on ne voyait pas les deux masses se communiquer par le bas de la vallée, on pourrait croire qu’elles sont indépendantes l’une de l’autre ; cette seconde masse n’est point stratifiée : on y observe bien, à la vérité, des zones de couleurs différentes(rougeâtres en verdâtres) contournés très-fortement, soit en petit, soit en grand, ces lignes colorées peuvent donner au sel une apparence de stratification verticale ; mais on voit bientôt ces lignes se replissé dans tous les sens et former des courbes en fer à cheval. Ces zones, plus ou moins espacées, n’ont quelquefois qu’un ou deux centimètres de puissance, d’autres fois elle est de plusieurs centimètres. On conçoit que la multiplicité de ces bandes impures doit influer sur la qualité du sel qui est généralement un peu coloré en rouge. Cependant cette masse que l’on néglige à cause de la pureté inconcevable de celle exploitée, fournirait du sel plus pur que celui de Wieliczka et de Northwich ; le sel rouge est coloré par un mélange d’oxide de fer, le vert par l’argile. On trouve souvent du gypse intercalé entre les différentes zones de sel.

Cette seconde masse peut avoir de 80 à 100 mètres de hauteur, sa forme est irrégulière : elle est allongée au travers du vallon dont elle occupe entièrement le fond, elle est terminé presque partout par des escarpements approchant très-près de ka verticale. On y observe de nombreuses saillies ; et elle est hérissée partout de pointes aiguës et de crêtes tranchantes à la manière des glaciers, dont elle donne une idée très-axacte par ses formes, sa couleur et son éclat.

Cette disposition est due à l’action des eaux pluviales qui dissolvent le sel et le corrodent en tombant. Ces eau chargées de sel déposent souvent des stalactites dans les fentes de la masse de sel, et contribuent à donner un aspect très-pittoresque à tout l’ensemble.

On trouve aussi dans cette partie de l’amas, du sel blanc, mais en petite quantité. Dans ce cas, il est toujours lammelleux, et forme des espèces de nœuds. On y retrouve toutes les variétés de sel qui existent ordinairement dans mes dépôts de sel gemme. Nous y avons également observé des parties rouges analogues au polyhalite.

Les couches de grès qui forment la colline recouvrent encore en partie cette seconde masse de sel ; celles qui sont derrière plongent vers l’ouest, tandis que les couches placées sur la droite et sur la gauche plongent les unes au nord, les autres au midi. Cette disposition indique que les couches de grès ne se rejoignent pas au-dessus de l’amas, de façon qu’on ne peut pas dire si elles se contournent autour de lui ou si au contraire, elles sont rompues. Cette circonstance serait très-importante à connaître pour établir la relation qui existe entre le sel et le grès. En effet, si les couches se contournent, on pourrait supposer que le sel et le grès seraient contemporains, tandis que des couches rompues donneraient une idée bien différente. On ne peut croire en effet que les couches se soient déposées autour de la masse de sel avec les inclinaisons qu’elles affectent actuellement, inclinaisons qui changent d’une position à l’autre et dont l’ensemble est tel que les couches sont placées comme autour d’un toit conique. Ces couches doivent donc avoir éprouvé un dérangement depuis leur dépôt.

Pour expliquer cette disposition, on peut faire plusieurs hypothèses. On peut supposer d’abord que la masse de sel appartenant à des terrains secondaires anciens a été recouverte par des couches horizontales de grès, que la surface du sel ayant été dissoute au fur et à mesure, il s’est formé des vides qui ont occasionné des chutes et des changemens d’inclinaison dans les couches de grès qui recouvraient le sel. Cette hypothèse qui a servi pendant long-temps pour expliquer la position inclinée des couches secondaires sur le granit, et que l’on a été obligé d’abandonner, ne s’applique pas mieux dans l’exemple qui nous occupe ; comment concevoir en effet cette disposition régulière des couches dont l’inclinaison varie avec la position. Une seconde explication qui s’accorde mieux avec les faits, consiste à regarder le sel comme étant plus moderne que le terrain, et à supposer que la même cause qui l’a produit a forcé les couches de grès à fléchir et à s’appuyer dessus ; Cette dernière hypothèse, ou celle qui consiste à regarder le sel comme contemporain au terrain, me paraissent être les seules qui expliquent d’une manière satisfaisante la position de la masse de sel de Cardonne, située au milieu d’un terrain très-moderne, et recouverte de tous côtés par des couches de grès qui s’appuient dessus.

Quelle que soit celle de ces deux explications que l’on admette, le sel de Cardone sera beaucoup plus moderne qu’on ne le pense généralement. L’opinion que nous émettons dans ce moment trouvera peut-être quelques incrédules, tant on est habitué à regarder le sel gemme comme essentiel au groupe du grès bigarré et des marnes irisées. Mais tout nous porte à croire qu’on aura bientôt, les preuves que le gypse et le sel peuvent exister dans toutes les formations ; ainsi le, sel de Bex, en Suisse, paraît être enclavé dans le lias et celui de Cardonne serait dans le terrain de craie ; on sait en outre que M. Beudant a placé le sel de Wieliczka dans le terrain tertiaire.

La masse de sel de Cardonne, quoique la seule que l’on connaisse jusqu’à présent dans les Pyrénées, est cependant loin d’être un fait isolé, elle est probablement en rapport avec les sources salées qui existent sur les deux versans de cette chaîne ; mais en outre elle fait partie des nombreux amas de gvpse que l’on rencontre en Catalogne, et qui, depuis le golfe de Roses jusqu’à Cardonne, sont placés dans la même direction. Cette ligne gypseuse qui passe par Figuères, Olot, Bipoll et Berga, fait avec la ligne est et ouest un angle de 25 à 30°, mais du côté opposé à l’axe des Pyrénées, de sorte que ces deux-directions se couperaient sous un angle de 50 à 55°. Il est alors fort probable que les gypses appartiennent à un système de dislocation particulier et plus moderne que l’époque du soulèvement des Pyrénées. Ce soulèvement aurait peut-être donné naissance aux gypses et au sel gemme de la Catalogne ; si on compare la direction de cette ligne gypseuse avec les différens systèmes indiqués par M. Élie de Beaumont, on voit qu’elle se rapporte assez bien avec le soulèvement qui a produit la chaîne centrale des Alpes, et qui a redressé les terrains tertiaires.

Le gypse et les ophites, si abondans sur le versant français des Pyrénées nous paraissent dus à la même cause que les gypses et le sel de la Catalogne : à la vérité, la direction de ces roches amphiboliques se rapproche davantage de celle des Pyrénées que la ligne gypseuse de la Catalogne ; mais cette direction est loin d’être certaine, car beaucoup de dépôts d’ophite, comme ceux des Landes, ne peuvent être facilement rattachés aux ophites des environs de Bagnères de Bigorre. Peut-être les différentes masses que nous observons au pied de la chaîne doivent-elles la place qu’elles occupent à des causes locales, et leur ensemble ne présente pas la véritable direction de ce système. Ce qui paraît certain, c’est que les gypses et les ophites sont plus modernes que le terrain de craie dont les couches se relèvent en tous sens à leur approche.

M. Boué achève la lecture de son Compte rendu des progrès de la géologie :

« La race humaine a-t-elle précédé la formation des terrains d’alluvion, ou est-elle même contemporaine de l’époque tertiaire et secondaire ?

Telle est la question sur laquelle les géologues diffèrent beaucoup, et qui a été traitée l’an passé par plusieurs savans.

Nous ne pouvons rien absolument dire sur l’existence de l’homme lors de l’époque antérieure au sol alluvial, à moins cependant, qu’il fût permis de supposer, avec M. Ad. Brongniart et d’autres, que l’atmosphère de ces temps reculés était différente de l’air actuel, et que la quantité d’acide carbonique, en particulier, pouvait être une raison pour la non existence des hommes ; mais c’est une pure hypothèse, reposant sur une autre supposition, nullement prouvée, et assez contraire à l’idée de ceux qui ne reconnaissent dans la nature que des lois immuables.

MM. Marcel de Serres, Christel, Tournal, Farine et d’autres, croient avoir trouvé, dans les cavernes à ossemens, des os humains et des produits de l’art ; et ils concluent de là, que l’homme a au moins existé pendant l’époque alluviale. Donati et M. Germar prétendent, d’un autre côté, qu’il y a des os humains dans les brèches osseuses de la Dalmatie. M. Keferstein conserve un morceau de verre dans cette même roche. MM. de Schlotheim, le comte Sternherg, Schottin et le comte Razoumovsky ont décrit des os humains dans les marnes alluviales ou des détritus argileux ossifères, et en ont conclu que l’homme a subi les mêmes catastrophes que les animaux perdus avec lesquels on trouve ses restes associés dans des cavités de rochers. Enfin, un de nos secrétaires a annoncé avoir, à deux reprises différentes, trouvé des os humains sur les bords du Rhin, dans la même marne alluviale qui y encroûte ce pays, comme elle remplit des trous en Saxe. Si ce dernier cas pouvait être mis hors de doute par le moyen de recherches souterraines dans le massif même des marnes, l’existence de l’homo diluvianus ne serait plus qu’une réalité, au lieu d’exciter la risée de beaucoup de gens qui tout en professant croire au déluge mosaïque, sont assez peu logiciens pour nier qu’il y eût des créatures humaines avant cet évènement.

On ne peut que faire deux suppositions : ou ces personnes ne croient pas au récit mosaïque, et alors pourquoi nous parlent-elles toujours du déluge universel qui a eu lieu il y a trois mille ans ? Ou bien elles y croient, et elles sont obligées d’imaginer, tout-à-fait gratuitement, que les ossemens humains n’ont pas pu se conserver comme ceux des animaux. Dans ce dernier cas, je leur demanderai pourquoi elles s’obstinent à déclarer que l’homme est postérieur au déluge, ou contemporain seulement de l’époque alluviale moderne ?

D’un autre côté, la surface des marnes se voûtant aisément et des sépultures dans ces roches se dégradant, ce sont des cas qui peuvent induire le géologue en erreur, et même la dispersion de ces os dans la marne n’est pas à l’abri de l’objection qu’un cours d’eau a pu amener la marne et les os, et les placer sur le même dépôt auquel le limon avait été arraché. Les os obtenus étaient à un ou deux pieds dans la marne et épars, voilà le fait. Il faut donc faire fouiller ce terrain de Lahr pour, n’être pas induit en erreur.
Quant aux autres localités, on a fait des objections plus ou moins fondées ; le gisement des cavernes donne le plus de prise, puisque des incrustations s’y forment encore journellement, et ne se distinguent pas des anciennes. Les gîtes des ossemens humains dans des cavités à ciel ouvert, et remplies de marnes, ont été reçues avec défaveur, parce qu’on y a peut-être cité aussi des débris d’animaux qui ont été enfouis très-récemment.

Il n’en reste pas moins un fait très curieux, c’est que les crânes trouvés dans ces cavités et les marnes, ont une forme très particulière, et fort différente des races actuelles, et de celles qu’on sait avoir existé historiquement dans le pays. Un de ces crânes d’Autriche se trouve dans le cabinet d’Anatomie du Jardin des Plantes, et sa forme se rapproche, d’après le dire des cranologues de celle des têtes de certains peuples anciens de l’Amérique méridionale. Attendons donc du temps la solution de cet intéressant problème, c’est le parti le plus sage.

Puisque nous avons parlé des brèches osseuses nous devons protester de nouveau en passant, contre l’idée qu’elles ne renferment que des coquillages d’eau douce.

Les gîtes de Nice et de Gibraltar sont là pour attester que ces êtres marins peuvent aussi avoir été çà et là charriés dans des fentes sur le bord de la mer, et empâtés ensuite avec le test de mollusques d’eau douce et des ossemens d’animaux terrestres.

M. Boué passe en revue les ouvrages qui ont été publiés en. 1830, sur les végétaux fossiles, et parle de la Théorie botanico-géologique proposée par M. Adolphe Brongniart.

Les classifications sont une nécessité pour les sciences ; elles en. sont pour ainsi dire l’alphabet ; aussi ne faut-il les changer qu’avec beaucoup de précaution. L’an passé nous avons eu les nouvelles. Classifications de MM. Brongniart, Macculloch, d’Omalius, Vanuxem, Eaton et d’un de nos secrétaires.

M. De la Bèche a publié ses idées sur la manière de classer les dépôts européens ; et il s’est élevé contre l’idée de rechercher minutieusement, à de grandes distances, les mêmes associations d’un terrain. Le même géologue a aussi fait la distinction des masses minérales restées dans leur situation, et leur état originaire ; et de celles qui ont changé de nature, d’aspect, et de position. Ces remarques s’appliquant surtout aux roches secondaires des Alpes et des Apennins, M. Marcel de Serres a développé la différence des terrains tertiaires, formés dans les bassins marins, littoraux, et ceux produits dans les bassins océaniques. L’on sait que M. Brongniart lui a déjà répondu sur ce sujet dans son Tableau des terrains. Le domaine du terrain tertiaire supérieur a été très étendu par un de vos secrétaires qui a été même jusqu’à demander si le calcaire parisien existait ailleurs qu’à Paris, à Londres, et dans le nord de l’Italie. Vous savez que M. Brongniart a prévu dans son Tableau, que cette extension devenait très-probable ; mais il n’a pas mentionné les nombreux lignites, le gypse, le sel, etc., que nous plaçons dans le sol tertiaire supérieur.

Le terrain houiller est classé, par les uns, dans le sol intermédiaire, par les autres, dans le sol secondaire, suivant les pays qu’habitent les géologues. En Angleterre et en Irlande, le grès pourpré couvre le plus souvent d’une manière transgressive le terrain intermédiaire, et se lie avec le calcaire carbonisé, et les houillères. On a donc raison de commencer la classe des dépôts secondaires, au grès pourpré ; mais sur le continent cette régularité disparaît. Le calcaire de montagne ne parait exister que dans les pays vis-à-vis de l’Angleterre. Alors, les grès rouges se confondent, et le terrain houiller est dedans ou dessous le grès rouge secondaire, et il n’est pas certain que ces dépôts se rencontrent toujours en stratification non concordante avec le sol intermédiaire. En général, ce genre de stratification ne me paraît pas toujours un accident si essentiel, à moins qu’il n’ait lieu sur une grande échelle. On peut même supposer que de pareilles superpositions soient produites dans des dépôts primitivement conformes, et sans que celui qui est supérieur soit dérangé par le redressement de l’autre. Un abaissement d’une partie d’une masse minérale et un mouvement de bascule suffiraient pour produire cet effet.

La classification des dépôts alpins occupe fortement les géologues depuis une douzaine d’années. Ce n’est que depuis cette époque qu’on a vraiment émis quelques idées raisonnables sur ce sujet. La découverte de MM. Buckland (Tableau, etc. J. de Ph. 1821) de Brongniart et de Luc du grès vert dans les Hautes-Alpes, a hâté ce moment, et les travaux de MM. Escher, de Buch, Necker, Keferstein, Studer, de Beaumont, Partsch, Lill, Murchison, Sedgwick, Lusser, Hugy, etc., ont réussi à nous donner les moyens d’arriver à la solution de ce problème. Il est évident d’abord, que les couches des Alpes ont été non-seulement redressées et plissées, mais encore souvent altérées mais jusqu’où s’étendent ces changemens ? c’est ce qui n’est pas encore défini, Les suppositions de M. Voltz sur les coupes que peuvent présenter plusieurs dépôts ondulés, redressés, peuvent être utiles dans l’étude de certaines parties des Alpes ; par exemple, dans celles où il y a des lambeaux de grès vert sur le calcaire jurassique.

Dans la partie méridionale des Alpes où la série des dépôts secondaires est presque complète, et peu dérangée, et où il ne manque que le lias, il n’y a pas de doute sur l’âge de ces montagnes, mais une anomalie s’y présente déjà, savoir : leur position sur le sol primaire sans l’intermédiaire du sol de transition qui existe cependant à Bleiberg, si on peut se fier, toutefois, aux déterminations d’après les fossiles sur le versant nord des Alpes. La structure est presque totalement différente. Dans la partie occidentale, notre collègue, M. de Beaumont a démontré l’existence du lias au moyen des fossiles ; mais des plantes du terrain houiller s’y trouvent empâtées. Toutes les explications données jusqu’ici de ce fait, paraissent vagues, et insuffisantes, et elles, sont presque suffisantes pour détruire les idées sur la distribution régulière des végétaux fossiles dans les terrains.

De plus, M. de Beaumont ne craint pas de reconnaître, dans certains schistes crystallins, ou demi-crystallins, des assises jurassiques altérées ; le Saint-Gothard, cet antique colosse, présenterait des roches secondaires modifiées. Dans les Alpes allemandes, sur le sol ancien, çà et là coquillier, et par conséquent intermédiaire, l’on trouve un dépôt arénacé, qui paraîtrait, d’après sa liaison avec le calcaire alpin et les fossiles, appartenir, tout au plus, au Keuper ou au grès du Lias. Serait-il possible de s’expliquer, ici le manque total des terrains secondaires anciens, en supposant qu’avant le dépôt de ce grès bizarre avec ses calcaires et les gypses, il n’y avait pas de continent près de ces lieux, qu’il n’y a pas eu d’éruption porphyrique, de manière que le charriage ne pouvait y produire des roches arénacées, et que les êtres marins littoraux n’y habitèrent pas ; d’une autre part, sur le revers méridional, ces circonstances favorables pour la production des terrains secondaires anciens, à l’exception des terrains houillers, se sont trouvées réunies. Ce n’est que pendant l’époque du lias que des continens ont été mis à découvert par soulèvement près du bord actuel septentrional des Alpes, et alors les dépôts ont commencé à se former. Le calcaire alpin nous paraît jurassique, malgré ses anomalies, telles que ses gypses, son sel, ses grès nombreux, ses mélanges de genres réputés secondaires et intermédiaires (Bélemnites et orthocères). Les géologues les plus habitués à étudier la structure des Alpes, partagent cette opinion, tout en étant étonnés qu’à une petite distance de ces chaînes calcaires, l’on voie s’élever des montagnes jurassiques, exemptes de ces anomalies, et offrant les roches des plaines de la France, et de l’Angleterre. Il est cependant bon d’observer que déjà le Jura suisse présente bien plus de développement et de marnes que le Jura allemand.

On est obligé de supposer que le bord des Alpes a été sujet, pendant l’époque jurassique, à recevoir une masse infiniment plus grande de matières arénacées et de matières calcaires provenant, soit des sources minérales, soit de la destruction du travail des êtres marins.

Ces masses ont ensuite été soulevées, certaines parties ont été imprégnées de métaux ou changées en gypse par des vapeurs acides, tandis qu’il s’est formé, çà et là, du sel. Nous avons déjà observé ailleurs que ces émanations acides se font jour surtout sur le revers nord des Alpes ; tandis que les éruptions porphyriques et pyroxéniques sont sorties principalement sur la côte opposée. De petites masses de serpentine et de roches trappéennes sont tout ce qu’on aperçoit dans les Alpes septentrionales. Il est très probable qu’on trouvera des caractères minéralogiques, zoologiques ou botaniques, pour distinguer assez nettement, non-seulement les subdivisions du calcaire alpin, mais encore ses diverses assises, et marnes arénacées.

Le calcaire alpin se termine par un grand système arénacé a calcaire ammonitifère et bélémnitifère que nous appelons le grès viennois à fucoïdes. Tout le monde est d’accord sur ce point ; mais l’âge de ce dépôt, qui compose une grande partie des Carpathes et des Apennins est attribué par les uns, au grès vert, et par M. Brongniart et nous, au dépôt jurassique tout-à-fait supérieur. Plus haut, l’on entre dans le système è hippurites et à nummulites, et dans le grès vert qui offre en grand, dans les Alpes, des divisions aussi nombreuses que le sable vert d’Angleterre. Le grès vert est dans les Alpes, comme dans le Jura, en lambeaux sur le terrain jurassique, et compose encore, suivant nous, une partie notable des Carpathes et des montagnes de l’Istrie, de la Dalmatie, et de certains points de l’Italie moyenne et des Pyrénées.

Une dépendance inférieure de ce grès vert, est formée de l’association d’agglomérats calcaires, de marnes très-coquillières, et de grès impressionnés, c’est pour nous le gîte des anciens nagelfluhe si problématiques, et à cailloux étrangers aux Alpes. Un exemple de ces assises du grès vert se trouve à Gosau, dans l’Autriche, nous l’appellerons, pour cela, le dépôt de Gosau.

C’est à ce sujet que nous sommes en désaccord avec MM. Murchison et Sedgwick, qui, guidés par les genres réputés jusqu’ici tertiaires de ces roches, prétendent qu’elles ne sont pas secondaires, mais bien tertiaires ; ou du moins, qu’elles remplissent la lacune observée ailleurs, entre la craie et le sol tertiaire. Vous vous rappellerez notre réponse, nos argumens, tant géologiques que zoologiques, ou théoriques. Nous pensons n’avoir pas besoin de les récapituler. Cette controverse n’est pas terminée, et elle sera utile à la science, et nous fixera davantage sur la valeur réelle des caractères zoologiques pour la détermination des terrains. Ces messieurs attachent la plus grande importance a des genres tertiaires trouvés dans un dépôt que nous croyons secondaire, et ils passent sous silence les espèces secondaires qu’ils y reconnaissent eux-mêmes ; tandis que ces dernières sont, pour nous, et presque tous les autres géologues, un motif suffisant pour ne pas croire que c’est un terrain tertiaire, mais bien une dépendance du grès vert où il y a des genres qu’on n’avait vus par hasard jusqu’ici que dans des bassins tertiaires. Nous avons donné aussi nos raisons pour ne pas adopter cette formation nouvelle qui plierait la craie aux dépôts tertiaires. Cela nous parait une pure hypothèse, au moins en Europe. Enfin nous protestons encore plus fortement contre le prétendu passage que ces messieurs veulent établir sur le pied des Alpes entre notre système à nummulites et hippurites, et le sol tertiaire. Outre que l’idée nous parait malheureuse, il faudrait d’abord prouver que les roches tertiaires du pied des Alpes diffèrent des dépôts sub-apennins, et qu’il y a des assises parisiennes ; car on ne peut pas sérieusement prétendre que le grès vert passe au terrain tertiaire supérieur.

Le grès vert des Alpes présente encore un autre sujet de controverse : vous savez que M. Brongniart classe une partie de ces grès et du système à nummulites dans le calcaire tertiaire. Cette idée plaît à l’imagination en expliquant l’absence totale des assises tertiaires sur le pied nord des Alpes au moyen du soulèvement de cette dernière chaîne, événement qui aurait suivi immédiatement la fin ces dépôts. D’un autre côté, comme ce classement amène naturellement à admettre un passage insensible du terrain crayeux au sol tertiaire, aucun géologue ayant visité les Alpes, n’a cru devoir l’adopter, sans vouloir pour cela nier qu’on ne vienne peut-être un jour à l’adopter. Cette question rentre donc dans la discussion sur l’âge du dépôt de Gosau et de certaines craies très-coquillières.

Assez récemment M. Munster s déterminé les fossiles du grès vert de Kessemberg en Bavière, et n’a cru reconnaître que des genres et même des espèces tertiaires. MM Brongniart, Murchison et Sedgwick ont accepté ce classement. Néanmoins le même dépôt dans d’autres lieux du même pays est placé, par les deux géologues anglais, dans le sol secondaire, parce que les fossiles n’en ont pas encore été étudiés par des conchyliologistes, et parce que certaines assises inférieures, cachées au Kressemberg, y renferment des bélemnites et des inocérames. N’est-il pas tout simple, si les parties inférieures du grès vert alpin présentent, soit en Autriche, soit en Suisse, des fossiles de genres réputés jusqu’ici tertiaires, que cet accident se répète dans d’autres assises, et avec des caractères encore plus saillans. Pour nous, nous n’y voyons encore qu’une autre anomalie zoologique des dépôts alpins ; si nous admettons les fougères du terrain houiller dans le lias, quelle difficulté y a-t-il à voir des espèces fossiles tertiaires dans le grès vert ? Il y a dans la structure des Alpes un grand problème de paléontologie et de botanique fossile à résoudre ; c’est là que semble commencer, en Europe, un autre ordre de choses qui se prolonge dans les contrées plus méridionales de ce continent et peut-être en Afrique.

Dans la distribution géologique des êtres et des végétaux fossiles sur le globe, ce sont les degrés de latitude et non ceux de longitude qui paraissent établir des différences essentielles d’une contrée à une autre, témoin cette uniformité des pétrifications dans les divers dépôts du nord de l’Amérique et de l’Europe septentrionale. C’est aussi la raison pour laquelle je crois qu’on trouve les houillères accumulées dans les contrées tempérées du globe, tandis qu’elles ne sont que très-rares dans les pays équatoriaux ; surtout dans ceux qui ne sont pas fort élevés au-dessus de la mer. Serait-il possible, comme l’a déjà soupçonné M. de Raumer qu’en général les formations se sont bien succédées à peu près dans le même ordre dans tous les pays, mais qu’au contraire, l’époque de leur dépôt a varié d’un endroit à un autre, de manière que la constance des caractères paléontologiques en a été altérée ? L’on peut aussi supposer qu’aux diverses mêmes époques géologiques certains pays étaient déjà dans des circonstances climatoriales plus ô voisines de leur état actuel que d’autres contrées ; de sorte que les âtres et les plantes différaient dans divers grands systèmes de pays ; et, par suite, les dépôts qui s’y sont formés, et qui recèlent des plantes ou des restes d’animaux.

Cette idée rendrait peut-être mieux compte de la singulière distribution qu’on observe dans les dépôts des bassins tertiaires dont la plupart, en Europe, sont simplement subapennins, et un très-petit nombre offrent en outre un dépôt calcaire plus ancien, en tout, ou en partie, que le sol subapennin.

Lorsqu’on réfléchit à la quantité de questions non encore résolues, et dont la solution serait cependant nécessaire pour classer sûrement les terrains par les pétrifications, l’on ne peut s’empêcher de reconnaître que, si cette méthode paraît précieuse, intéressante, et peut-être fertile en bons résultats par la suite, dans le moment actuel elle est insuffisante et encore incertaine. Suivre la continuation d’une couche, d’une assise ou d’un terrain, et voir son gisement, tels sont encore à notre avis les seuls sûrs guides dans le classement rationnel de la géologie. Lorsque ces moyens manquent, il faut avoir recours aux autres, et aux fossiles, mais on court bien souvent risque de s’égarer, ou on ne marche qu’à tâtons.

Le classement des minerais de fer en grains avait été long-temps incertain : c’est vers ces dernières années que MM. Schubler, Hehl, Voltz, Thirria, Walchner et un des secrétaires, ont éclairé cette question sur laquelle MM. Brongniart et Necker avaient déjà jeté quelque jour. Dans le système jurassique d’Allemagne, je ne connais de minerais de fer oolitiforme que dans les oolites inférieures, dépôt qui est de même nature que celui que M. Bonnard a décrit dans le lias. En France, d’après les observations de MM. de Beaumont, Dufresnoy et Desnoyers, il y a des amas de minerai de fer exploitables ou exploités dans l’argile d’Oxford, comme M. Boblaye l’a bien décrit dans les Ardennes, et dans l’argile de Kimmeridge. De plus, il y a de grands dépôts ferrifères superficiels sur le calcaire jurassique. Ces dernières paraissent de diverses époques, il y en a qui sont accompagnées de grès, d’argile bolaire, de silex jaspoïde et coquillier ; ce sont des dépendances du sable vert. Il semblerait que ces masses argilo-ferrugineuses proviennent probabablement de sources minérales très-abondantes, témoin la surface arrondie du calcaire jurassique, et des morceaux de ce calcaire qui s’y rencontrent. Ces dernières ont souvent pris une apparence voisine d’un calcaire concrétionné d’eau douce et renferment quelquefois du minerai de fer en grains, ce qui a donné lieu à l’erreur de croire que ce minerai était jurassique. L’origine particulière de ces dépôts et leur position sur des montagnes qui formaient probablement, lors de l’époque crayeuse, des continens, expliquent pourquoi ils ne sont pas couverts de couches crétacées ; la craie et les fossiles marins, et le silex ne sont présens que dans ceux qu’on peut supposer avoir eu lieu sous la mer, près des anciens rivages.

Ces dépôts étaient probablement une fois plus étendus qu’à présent pendant l’époque alluviale ; ils ont été démantelés, charriés et mélangés avec du sable, des débris du lias, du calcaire jurassique, et d’autres roches. Ces masses ainsi remaniées en place ou transportées, se trouvent actuellement dans des cavités et des fentes du sol calcaire. Il est tout naturel d’y remarquer, outre les fossiles secondaires des ossemens du sol alluvial, mais, parmi ces derniers, il ne reste que les parties les plus dures ; ce qui prouve la violence du charriage ou du mouvement. C’est ce genre de dépôt de minerai de fer dont M. Brongniart ne croit point encore devoir adopter la formation.

Enfin, il arrive aussi que ces minerais sont mêlés à des marnes alluviales. MM.Voltz et Rozet ont décrit des exemples semblables. Si la divergence d’opinion est favorable aux progrès d’une science, la concordance des vues du plus grand nombre de personnes s’occupant d’un même sujet, est la meilleure preuve de leur vérité. Il y a une douzaine d’années que la théorie Neptunienne avait encore de nombreux adhérens, et les partisans du système Plutonien poussaient leur adhésion jusqu’à admettre des explications contraires aux faits. Depuis lors, le nombre des neptunistes a diminué petit à petit, et à présent, il ne reste plus de vestiges de cette secte qu’à Freyberg, en Saxe. Le centre de lumière est devenu, pour le moment, une autre Chine géologique, au milieu de toute l’Europe éclairée. Dernièrement encore des Wernériens de bonne foi, MM. Jameson, Brochant et Martini, ont renoncé complètement et publiquement à ces idées, et ont embrassé le système plutonique. Ils ont reconnu qu’il n’y a pas de milieu à tenir entre ces deux théories, si toutefois on élaguait de la dernière les défauts que le manque de connaissances physiques, minéralogiques et géologiques avait laissé introduire.

Tout le monde est donc maintenant d’accord sur l’origine des basaltes, des trachytes, des porphyres, des trapps, des serpentines, des euphotides, des syénites et des granites. Ce sont pour tous des masses non stratifiées, injectées, ou soulevées de diverses manières ; et elles sont souvent dues à des éruptions très-récentes.

Il y a encore d’autres géologues qui vont plus loin ; l’origine des schistes crystallins primaires a été attribuée, par un de nos secrétaires à un travail igné, lent, et opéré sur des roches de sédiment.

Vous connaissez tous la théorie de la dolomisation proposée par M. de Buch, et partagée par plusieurs géologues notables, en particulier par un de nos collègues au secrétariat. En distinguant soigneusement les dolomies des calcaires fendillés magnésiens, et des calcaires magnésiens bien stratifiés, nous pensons avoir observé dans ces roches, surtout dans les Alpes et Carpathes, des caractères très-singuliers. il est évident que les calcaires fendillés en général massifs ou mal stratifiés, on été brisés, ou ne sont que les débris réaggrégés de masses soulevées ; et de plus, ils ont éprouvé encore postérieurement, des fendillemens si considérables que les murs des fentes sont aussi polis que s’ils l’avaient été à la main. Ce mouvement rappelle celui d’une machine à vapeur, et l’on peut l’attribuer à l’échappement des gaz ; mais si l’on admet que ces derniers étaient chargés de parties métalliques ; y a-t-il toute impossibilité que la magnésie n’ait pas été aussi amenée quelquefois par la sublimation ? D’où viennent ces amas de talc, et ces imprégnations magnésiennes des roches au contact des trapps et des porphyres ? D’un autre côté, vouloir faire des dolomies, comme M. le docteur Savé, une roche ignée d’éruption, c’est, il me semble, tout aussi peu probable que de prétendre que toutes les dolomies ont été formées par la voie ignée. Nous pensons, au contraire, que de véritables dolomies sont des produits neptuniens, puisqu’elles sont coquillières et qu’elles gisent en couches horizontales sur des couches arénacées non dérangées.

Les calcaires magnésiens fendillés et à coquillages effacés nous semblent porter des caractères très-différens, et des indications d’un travail souterrain ; mais, dira-t-on, ces roches établissent un passage entre les calcaires compactes stratifiés et les véritables dolomies, ou combinaisons de carbonate, de magnésie et de chaux. Nous sommes entièrement d’accord à ce sujet, et nous avons pu nous en assurer dans le Vicentin, le Tyrol, les Alpes, et les Carpathes ; Mais, jusq’ici, je ne puis comprendre la dolomisation sur une grande échelle ; s’étendant non pas de bas en haut, mais d’un côté à l’autre sur des étendues considérables.

Un grand nombre de gypses sont réputés des altérations ignées produites par les vapeurs sulfureuses sortant du sein de la terre. La liaison de ces masses avec le sel, a pu faire attribuer la même origine à ce minéral si commun. Malgré les difficultés de cette dernière explication, nous croyons devoir l’admettre ça est là ; mais nous ne pensons pas qu’on puisse l’appliquer à tous les gîtes de sel. Nous éprouvons la même répugnance à généraliser l’origine ignée des calcaires cellulaires, ou rauchwackes qui accompagnent le gypse et le sel. Lorsque nous voyons dans le sol tertiaire et secondaire des couches salifères bien stratifiées, alternant avec des argiles, et des marnes, et même contenant des fossiles, nous ne pouvons nous empêcher d’y voir des dépôts neptuniens tranquilles. Certes, de semblables masses ne se sont pas formées dans la mer sans la concurrence de circonstances particulières, comme, par exemple, celle de vapeurs acides, mais ces dernières dont pourtant pas changé tellement le liquide marin, puisque les coquillages s’y sont conservés.

La théorie des Volcans et des phénomènes Volcaniques, se perfectionne chaque jour ; je ne vous rappellerai pas les beaux ouvrages de MM. Scrope[1] et Daubeny[2], mais je vous signalerai en passent le Salmonia : ouvrage posthume de M. Davy, dans lequel il combat lui-même sa théorie sur les volcans. Vous savez que M. Lambert a proposé, pour les tremblemens de terre du Pérou, une explication particulière, et fondée sur l’électricité et les vents régnans ; et qu’il a même proposé de conduire par des baguettes le surplus de l’électricité des Andes dans la mer Pacifique.

Je ne dois pas passer sous silence la réunion que M. de Humboldt croit devoir établir entre les volcans et les salses. On doit attendre avec impatience qu’il fasse connaître les observations sur lesquelles il étaye cette opinion jusqu’ici controversée. En effet si les lagunes à acide borique semblaient naturellement une dépendance des foyers volcaniques ; la plupart des géologues qui ont vu des salses, les ont expliquées au moyen d’actions chimiques ayant lieu dans les milieux des couches tertiaires ou secondaires, et non au-dessous des roches primaires ou de transition comme dans les volcans véritables. Ensuite cette présence de l’eau froide, de la boue, du bitume, du gaz inflammable, etc., a été citée comme une preuve de la non volcanicité de ces phénomènes et de leur dépendance des sources minérales. Néanmoins on doit reconnaître qu’on a peut-être été trop loin, et que ces substances existent aussi dans certains volcans presque éteints ; et si les sources minérales sont intimement liées aux actions chimiques ignées qui ont lieu sous la voûte du globe, on établit donc ainsi une connexion, entre les salses et les volcans, union qui ne serait pas immédiate.

Parmi les sujets concernant les volcans et les soulèvemens qu’ils produisent, le temple de Sérapis a toujours été fameux par ses traces de coquilles perforantes, et la position de son plancher à un pied sous le niveau de la haute marée.

Deux ouvrages et un mémoire ont été publiés dernièrement sur ce reste d’architecture ancienne. Les deux premiers sont de M. Niccolini. Le mémoire est celui de M. Forbes, savant anglais, qui a expliqué tous les accidens de ce temple, et a bien montré comme de Jorio qu’il a été ruiné, rempli et abaissé par une éruption de la solfatare, et cinquante ans après rehaussé par l’apparition du Monte-Nuovo. M. Lyell a aussi adopté cette explication toute naturelle.

La formation des vallées a occupé dernièrement MM. Conybeare, Scrope, Daubeny, Lyell et Murchison. Elle est en général attribuée soit à un creusement des eaux, soit à des fendillemens, des soulèvemens, ou des écroulemens ; mais nous pensons qu’il y a des vallées qui, sans être dues à aucune de ces causes, peuvent être en tout ou en partie contemporaines des dépôts qui les environnent. En effet, lorsqu’on observe les dépôts formés, soit par les lacs, soit par la mer actuelle, on voit qu’ils ne sont pas répartis également partout ; au contraire, ils sont souvent plus accumulés dans un point que dans un autre ; et ainsi, il reste tout naturellement des cavités aux endroits qui n’ont pas été remplis, ou qui n’ont pas reçu autant de matières que d’autres points. D’autres vallées peuvent aussi devoir leur origine simplement à des ondulations considérables des couches, comme cela s’observe encore en petit sur les sables des bords de la mer. Ces deux espèces de vallées ont pu ensuite être soumises aux circonstances violentes et accidentelles qui ont produit à elles seules et ailleurs des vallées d’un caractère en général particulier. Telles sont les vallées creusées par les eaux à coupe triangulaire et certaines vallées circulaires formées par soulèvement. Ces vallées ressembleraient à des fentes bordées de murailles énormes, et dues à des fendillemens, etc.

En général, les géologues paraissent trop enclins à attribuer aux dépôts neptuniens, sur une certaine étendue, une trop grande conformité, soit dans leur nature, et leurs fossiles, soit dans leur puissance ; tandis que, dans le fait, tous ces dépôts paraissent plutôt locaux ou leur tout un enchevêtrement d’une multitude de dépôts partiels, et de passages d’un de ces dépôts à l’autre. Nous nous contenterons de citer pour exemple extrême le bassin de Steinheim dans le Jura bavarois. Cette cavité presque circulaire n’offre que dans son milieu un dépôt d’eau douce, quoique le lac qui l’a formé couvre évidemment tout le bassin. Dans le bassin voisin d’Im-Riess, le même fait se présente plus en grand, et il est clair dans les deux lieux que jamais les roches d’eau douce n’ont couvert tout le fond de ces lacs. Supposer des destructions si considérables, c’est aller contre toutes les probabilités, les détails comparatifs sur le grès vert, le calcaire jurassique, ou alpin, et en général sur toutes les roches secondaires de divers pays. Nous fournirons des exemples des autres parties de notre proposition. Chacun les saisit trop aisément pour exiger ici leur développement. Les partisans du diluvium supposent que la plupart des vallées ont été creusées par le déluge. Certes la mer passant sur les continens devrait y laisser des traces de son passage, mais cette supposition ne me paraît pas rendre raison de la direction, et de la forme des grandes vallées actuelles. D’un autre côté, si l’on suppose des soulèvemens considérables de montagnes et surtout de continens, les eaux couvrant ces derniers s’écouleront avec violence, et produiront nécessairement des sillons qui répondront assez bien à beaucoup de nos grandes vallées ; avec cette modification, nous admettons donc volontiers les idées diluviennes, mais outre ces déluges, tous les autres modes de formation ont été en action pour produire les diverses vallées actuelles.

M. Boué parle brièvement de l’origine des houilles et rappelle les descriptions sur les forêts sous-marines. MM. Correa de Serra, Playfair, Henslow et Sedgwick nous ont décrit jadis celles des côtes du Cornouailles et du Lincolnshire.

Dernièrement MM. Fleming et Smith nous en ont encore détaillé plusieurs exemples sur les côtes d’Écosse et d’Angleterre.

Dans tous les phénomènes géologiques, il me semble qu’il ne faut pas s’en tenir à une seule explication, Si quelquefois des glissemens peuvent avoir placé des tourbières sous la mer, des abaissemens de cette dernière sur le continent miné ont pu produire le même résultat.

Des lagunes ou des marais sur le bord de l’Océan ont aussi pu se dessécher, former une tourbière, et même se couvrir d’arbres pour être plus tard ensevelis sous l’eau qui a rompu accidentellement les digues qui les séparaient de ce lieu et qu’elles avaient élevé elles-mêmes dans d’autres temps, ou qui avaient toujours existé.

Je le répète, le glissement de tourbières n’est pas la cause unique, mais ce cas se présente fréquemment en Écosse, où je crois avoir eu occasion de m’en assurer, soit sur les bords de la mer, soit dans des lacs, ou des espèces de baies très fermées. Les infiltrations des eaux sous la couche tourbeuse expliquent suffisamment ce mouvement qui peut être favorisé par la dureté des roches, et leur plan d’inclinaison.

La question des blocs erratiques est toujours une des plus intéressantes de la géologie, et les mémoires sur ce sujet, loin d’épuiser la matière, semblent seulement la varier. Cette année M. Engelsbach-Larivière nous a parlé de ceux de la Belgique, MM. Schull et Westendorp avaient donné des notices sur ceux de la Hollande ; (malgré ces travaux, cette question est remise au concours pour 1831 par la société des sciences de Harlem) ; M. Razoumowski, sur ceux de la Russie septentrionale ; MM. Steffens et Brongniart, sur ceux de la Suède ; MM. le prince de Sapieha, Jackson et Pusch, sur ceux de la Pologne ; M. Hausmann, sur ceux du nord de l’Allemagne et MM. de Buch, Escher et Saussure, sur ceux de la Suisses. M. Billaudel vient de donner des détails sur les cailloux roulés de la Gironde. Ce phénomène des blocs erratiques, est, d’après le cas de la Suisse, une conséquence des soulèvemens qui ont eu lieu dans l’époque alluviale. Leur transport n’en reste pas moins pour ainsi dire miraculeux pour nous, qui ne nous pouvons guère faire une idée de la violence avec laquelle les eaux ont été poussées par les soulèvemens et le fendillement des montagnes. Il paraît impossible d’admettre l’idée de M. d’Omalius d’Halloy, de croire que les blocs du nord de l’Europe sont pour ainsi dire les morceaux les plus gros des sables qui ont été tamisés par des mouvemeus ondulatoires. Les traînées formées par les blocs dans le nord de l’Europe comme dans les Alpes indiquent assez leur charriage.

Dans les Apennins, les Pyrénées, les Carpathes et les montagnes de la Bohéme, le phénomène des blocs est inconnu. Serait-il présent dans l’Oural ?

Ensuite, je demanderai si l’on peut lier à cet accident ces grosses masses éparses qui couvrent les pentes de tant de montagnes granitiques ou primaires. Beaucoup de géologues ne veulent y voir que des débris, des effets de décomposition ; déjà le célèbre géologues M. de Buch s’est élevé avec force contre ce système commode et souvent insoutenable pour lui et pour nous. Ce ne sont que des masses projetées ou détachées lors des éruptions ignées ou du soulèvement des montagnes. De semblables blocs sont connus au Harz, dans le Tatra, dans les Grampians, les Pyrénées et d’autres chaînes. Plus tard ces masses ont pu se décomposer et elles ont donné aussi naissance çà et là à ces pierres druidiques et ces blocs mobiles dont on a tant et si souvent parlé.

Lorsqu’on examine des alternats arénacés, l’on y observe un certain ordre, un certain retour des mêmes bancs, c’est ce qui a donné l’idée à M. Jobert que ces divers lits pourraient indiquer les dépôts des saisons de l’année qui, sous un climat tropical, se réduisent à deux. Gardons soigneusement cette explication, elle pourra un jour trouver son application.

M. Necker a étudié la direction des chaînes de montagnes sous un point de vue nouveau. L’on sait que généralement le cours des grandes chaînes dessine les contours des continens, ce qui est bien naturel, puisqu’ils en forment la charpente pierreuse, et que la terne ferme n’est qu’une suite des soulèvemens de ces montagnes. M. Necker a saisi ces deux idées et a cherché à les lier avec des lignes d’égale intensité magnétique.

Un géologue anglais, M. Martin, a essayé d’employer les soulèvemens, non-seulement à expliquer les dénudations de certaines contrées ou les courbures supérieures de certains systèmes de dépôts, mais il a voulu encore leur faire produire les bassins tertiares après le dépôt des roches qui les remplissent. Toutes ses figures et ses raisonnemens nous semblent peu propres à détruire l’idée que les cavités tertiaires n’ont pas été formées avant leurs dépôts et que les pentes qui les entourent étaient les falaises de ces mers ou de ces golfes. Du reste, la position des couches et les accidens de ces prétendues falaises ne laissent guère de doute à ce sujet.

Je passe maintenant au système de M. de Beaumont sur les dix, époques de soulèvement des montagnes, théorie exposée dans plusieurs publications, et en particulier, dans le bulletin de M. Férussac.

De toutes les hypothèses offertes récemment au public, celle de mon savant collègue est, sans contredit, une des plus fertiles en conséquences et en aperçus généraux. C’est un nouveau champ d’observations que M. de Beaumont a déjà habilement exploité, et qui promet à notre société des discussions intéressantes.

Désirant revenir à une des prochaines séances sur ce sujet, il me suffira aujourd’hui de vous rappeler que le système en question repose sur la position relative des formations constituant les montagnes, et de celles qui sont à leurs pieds, et sur le groupement des chaînes, d’après les divers parallélismes observés dans leurs directions.

Les recherches sur la température du globe sont une des parties spéculatives de la géologie. Elles sont plus que jamais à l’ordre du jour depuis que les idées de Leibnitz, de Buffon et d’autres savant sur le feu central sont revenues à la mode, et ont été étayées de preuves astronomiques et géologiques. Certes, de pareilles suppositions sont bien plus raisonnables que celles par lesquelles on s’est imaginé que la terre était creuse et même qu’elle était habitée : vous savez qu’on a proposé sérieusement, soit en Amérique, soit on Europe, d’ouvrir une souscription pour défrayer les voyageurs qui espéraient trouver aux pôles l’entrée de ce monde souterrain. D’un autre côté, les travaux souterrains ne pénètrent qu’à une si petite profondeur de la terre, les expériences sur la température, dans les mines et les puits forés, sont si délicates à faire qu’on ne doit pas s’étonner que les résultats obtenus trouvent encore des incrédules. Néanmoins, il Faut prendre en considération que l’oxidation et les autres actions chimiques souterraines, n’ont pas lieu dans le centre de la terre, mais seulement vers sa surface qui est traversée et remplie de porosités et de vides. Le noyau terrestre est très probablement encore presque dans son état primitif.

Il ne faut donc pas pousser le scepticisme trop loin, et avoir reconnaissance des travaux tels que celui de M. Cordier, ouvrage reproduit aux États-unis, et les expériences faites, soit dans l’Europe, soit en Angleterre, et aux États-Unis. Parmi ces derniers, se distingue celui de M. Fox du Cornouailles, qui, avec une persévérance rare, nous a déjà donné plusieurs notices sur la température du globe (Trans. act. géolog. du Cornouailles, V. 3), et qui cette année en a publié une dans les Transactions philosophiques de Londres. Il annonce avoir remarqué des polarités magnético-électriques dans les filons du Cornouailles, mais vu la délicatesses des expériences, et la singularité de ces résultats, il est à souhaiter qu’il les répète, et les fasse vérifier par d’habiles physiciens. Madame Griffith s’est occupée de ce sujet aux États-Unis : et M. Fleuriau de Bellevue a voulu faire profiter le forage des puits artésiens à de semblables expériences.

M. le professeur Leslie a fait quelques hypothèses sur les effets de la pression du globe, sujet qui se rattache à sa densité et à sa température.

Il ne me reste plus qu’à dire quelques mots des applications de la géologie au forage des puits artésiens. Partout on a mis, ou on met en pratique ce mode nouveau de se procurer des eaux jaillissantes et potables, et de couvrir de richesses diverses la surface terrestre. Dans les recherches pour la houille, et les gîtes métalliféres, le forage a été jusqu’ici moins profitable que pour la rencontre des sources d’eau douce et salée, mais la science du forage est appelée encore à de grands perfectionnemens, et surtout les principes géologiques manquent trop souvent à ces personnes chargées de forer. Si l’on ajoute l’amour démesuré du gain, et la charlatanerie des entrepreneurs, on ne doit pas être étonné des non réussites Fréquentes, et de la défiance ou du dégoût des capitalistes. Vous connaissez tous les beaux résultats que les pays de Bade et de Wurtemberg ont retiré des forages pour les sources salées ; entreprises suggérés par les découvertes faites en Lorraine. Ces succès en ont provoqué dans divers pays, comme en Suisse, en Westphalie, en Hesse, en Saxe. Jusqu’ici ceux entrepris dans la Hesse et la Saxe ducale, promettent surtout de donner des bénéfices. Un jour on sera de même à la recherche des eaux minérales. Des puits artésiens ont été ouverts l’an passé en plusieurs endroits de l’Angleterre méridionale, en France, à la Rochelle, à Rouen, au Havre, le Tours, à Bordeaux, à Toulouse, dans la plaine de Montmorency, à Stain, Saint-Denis, etc. Dans la Belgique, à Amsterdam, en Hollande, en Mecklembourg, en Prusse, en Wurtemberg, dans le pays de Bade, dans le nord de l’Allemagne, en Bavière, à Munich, dans la Pologne, la Russie méridionale, en Italie, à Alexandrie, en Espagne, aux États-unis, dans les états Autrichiens, surtout près de Vienne, aux Indes orientales., et dans plusieurs colonies Européennes. Il n’est pas douteux que dans la plupart de ces contrées l’on ne réussisse, mais il en est d’autres où l’on peut douter de la découverte des eaux jaillissantes. Ainsi, dans les bassins tertiaires de la Bavière, de l’Autriche, de la Hongrie et de la Wallachie, il est tout simple qu’on ait réussi, ou qu’on doive arriver à un résultat heureux. Néanmoins, lorsque la plaine est vaste, comme celles de la Hongrie orientale, de la Walachie et de la Russie méridionale, l’on ne trouvera peut-être que des eaux potables mais non jaillissantes : je dis peut-être, car, théoriquement parlant, la longueur du canal ne doit pas empêcher l’eau de monter au niveau dont elle est descendue. Mais, a-t-on sur l’origine des sources des idées bien certaines ? Sont-elles toutes alimentées seulement par l’eau pluviale et les neiges des montagnes ? Voilà des questions que je me contente de poser. Ensuite, dans les pays accidentés et à couches redressées ou même seulement remplies de failles, l’origine et le cours des sources sont soumis à des lois particulières, et qui nous dit que sous de vastes plaines de pareilles circonstances n’existent pas même très-près du sol découvert ?

Dans les petites plaines, où les dépôts tertiaires sont horizontaux, les puits artésiens sont connus dès long-temps. Témoin, le Modénais et le bassin de Vienne, où cette couche d’eau sous l’argile subapennine est employée depuis près d’un siècle et demi. Il n’est pas non plus étonnant, pour celui qui a étudié la Bavière tertiaire, que sous les alluvions l’on trouverait la même marne subapennine, et par conséquent de l’eau. D’un autre côté, les forages de Munich nous ont appris que le sol alluvial était beaucoup moins épais qu’on le supposait. Ces amas de cailloux et de sables diminuent en épaisseur des Alpes au Danube ; et près de ce fleuve existaient jadis de grands lacs d’eau douce dont ces débris. sont venus occuper le fond, tandis qu’ils se sont accumulés sur leurs bords, et à la sortie des vallées alpines. Dans certains pays, le géologue consulté sur l’opportunité du forage, est bien embarrassé ; tels sont, par exemple, les points de Hambourg et d’Amsterdam. D’où espère-t-on que l’eau jaillissante puisse arriver dans ces villes ? On prétend et on a raison de croire que le sol tertiaire n’est pas loin de la surface du sol, surtout dans le cas de Hambourg ; mais encore, si l’eau provient de hauteurs, elle viendra de très loin, et alors mille accidens, des failles, etc. ; peuvent interrompre son cours. Si outre ce genre de sources, il y en avait d’autres, soit sortant du fond de la terre, soit résultant d’un système de fentes, comme en Artois, d’après M. Cordier, la réussite du forage, très coûteux au milieu des sables et des matières meubles, ne serait encore qu’un pur accident. Dans tous les cas, ces forages seront très utiles à la géologie, ils nous feront connaître la constitution de masses minérales qu’on n’avait jamais cru que nous pussions examiner. Ainsi s’étend le champ de nos observations. Vous savez les résultats du sondage entrepris près de Berlin, et rapporté par M. Kloden ; en Mecklembourg, de semblables entreprises ont fait découvrir des dépôts considérables de gypse et de lignite, de marne, etc., bref, des richesses propres à l’agriculture et à l’industrie.

Quel bénéfice immense n’est-ce pas pour l’homme, habitant un sol ingrat, que de découvrir outre de l’eau potable et en abondance, de pareils matériaux fertilisans ? Nous ne doutons pas que les puits forés n’exercent la plus grande influence sur une portion considérable du globe que la nature semblait avoir faite pour rester déserte, ou faiblement habitée.On emploiera utilement des capitaux pour ramener à la surface les terres précieuses gisant sous ce sol stérile, et l’eau amenée artificiellement ou jaillissant naturellement des entrailles de la terre, achèvera de fertiliser ces contrées jusqu’ici stériles, Des canaux enfin viendront y favoriser le commerce. Telle est la perspective heureuse offerte et réservée à ces landes du S. O. de la France, à ce sol graveleux d’une grande partie de l’ancienne Bavière, à ces plaines sableuses de la Moravie, de la Hongrie, de la Russie, et même peut-être à certains déserts de sables, lorsque pressé par la multiplication de l’espèce humaine, l’homme y sera poussé et arrêtera leur mobilité nomade, en les couvrant des marnes et des calcaires qu’ils cachent maintenant.

Ce que je prédis, Messieurs, est loin d’être un vain souhait ; déjà plusieurs contrées se servent, par pur instinct de conservation, de ce moyen de vivifier le sol. Que sera-ce donc lorsque la théorie viendra se joindre à la pratique, et lorsque l’impulsion viendra des gouvernemens intéressés à l’accroissement de la population et de sa richesse ? Ne fût-ce que pour l’eau potable que les puits forés procureront aux habitans de beaucoup de contrées, ce bienfait serait immense, et aura un effet considérable sur leur genre de vie, leur santé, leur multiplication et leur mortalité. Il en résultera donc des avantages encore bien plus grands lorsqu’on pourra ainsi se procurer le moyen de vivre bien dans un pays réputé jusqu’ici misérable, inculte ou sans arbres et sans champs.

Je suis arrivé à la fin de mon énumération rapide des progrès de la géologie dans ces dernières années. Si je n’ai pas pu en former un tableau complet, au moins vous pouvez savoir par cette espèce de simple catalogue raisonné, que la science a avancé d’un pas rapide et ferme. Si la paix, ce besoin pour la prospérité des sciences, reste au monde civilisé, il est difficile de se faire une idée des pas de géant que la géologie fera d’ici à dix ans. Chaque jour voit naître de nouvelles sociétés ; chaque jour de nouveaux pays s’ouvrent aux recherches des savans, ou voient s’établir chez eux la culture des sciences : c’est donc un problème qui devient toujours plus compliqué, et dont les termes s’augmentent en outre-graduellement.

Parmi toutes les associations géologiques, la nôtre, accueillie si fraternellement par tous les savans de l’Europe, pourra jouer un rôle important dans l’avancement de la science, pourvu que le cœur de ce corps batte toujours avec l’énergie, l’activité et le talent nécessaires.

Redoublons donc d’ardeur, chers confrères, ne négligeons aucune occasion de réchauffer le zèle de nos collègues non résidans. Réalisons promptement ces vœux de congrès géologiques réguliers. L’Allemagne et la Suisse nous ont devancés dans cette utile innovation ; l’Angleterre a l’air d’en comprendre le besoin. Nous, au centre de ces pays, nous paraissons appelés à réunir en un tout ces assemblées éparses jusqu’ici. Quel moment plus favorable pour la réalisation d’un pareil plan ! Depuis Cadix à Pétersbourg, du fond de l’Écosse en Grèce, un seul esprit semble animer les peuples, et surtout les générations généreuses de la jeunesse. Les limites politiques, la différence de langage et de mœurs, tout est plus ou moins effacé et tend à s’évanouir tout-à-fait. Nous sommes tous les enfans de l’Europe, quoique sous un soleil différent et sous des gouvernemens divers. Oui, ce temps heureux des congrès de géologie arrivera, et ils procureront à la géologie des moyens de recherche extraordinaires, et en accéléreront prodigieusement les progrès. C’est dans ces espérances que j’achève ma tâche, me flattant que mon zèle désintéressé vous a fait passer sur les fautes de cette esquisse.


───────


  1. Considerations on volcanoes, 1825.
  2. Descriptions of volcanoes, 1826.