Cécilia/10/7

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Cécilia, ou Mémoires d’une héritière
Devaux et Patris (7p. 145-164).



CHAPITRE VII.

Rencontre.


Deux jours entiers s’écoulèrent de cette manière ; madame Wyers n’apprit point qu’on fît la moindre recherche ; elle ne trouva aucun avis dans les papiers publics. Cependant l’état de Cécile empirait de moment en moment ; elle ne voulait ni boire ni manger ; elle était continuellement dans le délire, s’écriait vingt fois par minute : Où est-il ? quel chemin a-t-il pris ? Elle implorait cette femme, accompagnait ses prières des remontrances les plus pathétiques, pour l’engager à sauver Delvile qui lui était disait-elle, plus cher que sa vie. Quelquefois elle parlait de son mariage, du mécontentement de sa famille et de ses remords, priait madame Wyers de ne pas la trahir, et promettait de passer le reste de ses jours dans la douleur et la pénitence. D’autres fois son imagination s’égarait, et s’occupait toute entière de M. Monckton. Elle lui reprochait sa perfidie ; elle plaignait son sort, ne voulait pas lui survivre un instant, et déclarait dans son délire qu’elle prétendait que ses cendres fussent confondues avec les siennes dans un même tombeau. Quoiqu’elle fût naturellement d’un caractère paisible et doux, et parlant ordinairement fort peu, elle n’avait pas alors un seul moment de repos ; et son délire, qui d’abord n’avait été que par accès, devint enfin continuel.

Madame Wyers devenant tous les jours plus inquiète, et craignant de n’être point payée de ses soins, demanda conseil à quelques-uns de ses amis sur ce qu’elle devait faire ; ils lui conseillèrent d’insérer elle-même un avertissement dans la gazette du lendemain. Voici celui qui fut envoyé à l’imprimeur du journal de tous les jours.


Démence.

« Une jeune Dame qui a perdu la raison, grande, bien faite, le teint beau, les yeux bleus, et les cheveux châtain-clair, s’est réfugiée à l’enseigne des Trois-Balles, dans la rue de… la nuit du mercredi deuxième du courant, où on l’a gardée par charité. Elle était en habit de voyage. Ceux auxquels elle appartient sont priés de la venir réclamer le plus tôt possible. On en a eu grand soin. Elle a continuellement à la bouche le nom de Delvile. »

N. B. Elle n’avait ni bourse ni argent sur elle.

Mai 1780.


À peine cet avis avait-il été envoyé à l’imprimeur, que M. Wyers, le maître de la maison, entrant dans la chambre, dit : à présent nous allons en avoir deux de la même espèce ; car le vieux fou est là-bas. Ayant su par les voisins ce qui s’était passé, il demande à voir la jeune dame.

Vous ferez fort bien de le laisser monter, répondit sa femme ; il fréquente toutes sortes de gens, il s’introduit partout, et il fera tant de recherches, qu’il parviendra à découvrir ceux auxquels elle appartient. M. Wyers descendit pour le faire monter. Il ne se fit pas presser, et parut tout de suite. C’était Albani qui, dans ses courses, ayant appris qu’une inconnue, dont la tête était dérangée, se trouvait chez ce préteur sur gages, était accouru avec son empressement ordinaire, pour visiter cette malheureuse et lui rendre service, en s’informant de ce qu’on pourrait faire pour elle. Il la trouva lorsqu’il entra dans la chambre, allongée sur le lit, les yeux fixés du côté de la fenêtre, par laquelle elle paraissait espérer de pouvoir s’échapper. Elle était dans le plus grand désordre ; ses beaux cheveux épars ; les plumes qui ornaient son chapeau étaient brisées et prêtes à tomber, quelques-unes lui couvraient le visage, d’autres pendaient sur ses épaules.

Pauvre femme ! s’écria Albani en s’approchant d’elle, depuis quand est-elle dans cet état ? Elle tressaillit à cette nouvelle voix ; elle regarda autour d’elle ; mais quelle ne fut pas la surprise d’Albani, après qu’il l’eut reconnue !… Il recula d’effroi… il avança… il avait peine à en croire ses propres yeux… il la fixa attentivement… se tourna ensuite vers la maîtresse de la maison, et examinant tout ce qui l’entourait, il leva les mains au ciel : Ô triste et lamentable spectacle ! la vertueuse, la généreuse protectrice des indigents, celle qui les nourrissait !… Juste ciel ! se peut-il que ce soit là Cécile ? Celle-ci se le rappelant imparfaitement, quoiqu’elle ne l’entendît pas, tomba à ses pieds, et s’écria en tremblant : Oh ! s’il est encore possible de le sauver, s’il respire encore… allez le joindre, courez après lui ; vous ne tarderez pas à l’atteindre ; il est dans la rue voisine ; je l’y ai laissé l’épée nue et tout couvert de sang.

Dieu puissant et miséricordieux, s’écria Albani, daigne regarder en pitié cette créature formée à ton image ! celle qui a soulagé les malheureux, qui a consolé les affligés ! celle dont les mains libérales ont changé les gémissements en cris de joie, qui n’a jamais entendu la voix de la douleur sans en être attendrie !… Juste ciel ! serait-ce bien elle !… se pourrait-il que ce fût Cécile ! Oh ! il n’est plus temps de parler, s’écria-t-elle, partez tout de suite, allez vîte le trouver, ou vous ne le reverrez plus ! La main de la mort s’est appesantie sur lui… il est aussi froid que le marbre ; il rend le dernier soupir !… Ô toi, dont l’épée a tranché la vie, cher Delvile, cher époux massacré, toi, l’objet de tous mes vœux, tes gémissements me percent l’ame ! Volez auprès de lui, et pleurez sur son sort !… Courez, et arrachez de sa blessure le poignard qui lui a percé le sein !

Ô lugubres et funestes accents de l’horreur et du désespoir ! s’écria le malheureux vieillard attendri, et dont les larmes coulaient en abondance ; que cette vue est affligeante ! qu’elle est humiliante pour l’espèce humaine ! Où est sa force, sa félicité ?… fragile comme nos vertus, faible et aussi peu durable que notre existence ! Ah ! s’écria-t-elle avec encore plus de véhémence, personne ne viendra-t-il donc à mon secours ! Je suis mariée, et l’on refuse de m’écouter ! Ma main a été donnée sous de funestes auspices ! C’était une œuvre de ténèbres ; elle a été scellée par le sang, et ratifiée par la mort. — Pauvre malheureuse ! je partage toutes tes angoisses ; je me vois privé de tes secours et de tes vertus !… mes plaies se r’ouvrent, et saignent de nouveau !… ma raison se trouble, et je crains qu’elle ne m’abandonne encore. Se levant ensuite tout-à-coup : brave femme, ajouta-t-il, ayez bien soin d’elle… Je vais m’informer où je pourrai trouver ses amis ; mettez-la au lit, consolez-la, calmez-la… Je reviendrai bientôt ; aussi-tôt qu’il me sera possible. Ô fortuné moment ! s’écria Cécile ; il est allé à son secours ! Ô bonheur inattendu ! il sera sauvé du glaive destructeur ! Madame Wyers obéit à l’instant aux ordres qu’elle venait de recevoir. Elle vit bien que c’était une personne de considération, et qu’elle serait bien récompensée de tous les soins qu’elle lui rendrait. Cécile fut mise au lit, et l’on ne négligea rien pour donner, autant que cela était possible, un air propre à la chambre qu’elle occupait.

Il n’y avait pas une heure que M. Albani les avait quittées, lorsque Marie, la femme-de-chambre qui avait accompagné Cécile à Londres, vint s’informer de sa maîtresse. Le vieillard, courant toute la ville pour découvrir quelques-uns de ses amis, entrait dans toutes les maisons où il imaginait qu’elle pourrait être connue. Instruit des obligations que madame Hill avait à Cécile, il crut devoir commencer par elle. Marie, en conséquence des instructions que sa maîtresse avait laissées chez madame Belfield, s’était déjà rendue chez madame Hill, et était encore dans la plus grande inquiétude, lorsqu’Albani lui apporta des nouvelles de sa maîtresse. Elle fut aussi étonnée qu’affligée de l’altération de sa raison, du dérangement de sa santé, et de la trouver dans un lit, dans un appartement si peu proportionnés à sa condition, et si différents de ceux auxquels elle était accoutumée. Elle pleurait amèrement en s’informant de son état ; mais sa douleur fut extrême, lorsque, sans lui répondre, ou sans avoir l’air de la reconnaître, Cécile levant tout-à-coup la tête, s’écria : il faut qu’on me lève ; je veux aller à la place de Saint-James… Si je reste un instant de plus la cloche mortuaire sonnera, et alors, comment pourrai-je arriver à temps pour les funérailles.

Marie, alarmée et interdite, se tourna du côté de la maîtresse de la maison, qui lui dit d’un grand sang-froid qu’elle était actuellement dans son accès, et qu’il ne fallait point faire attention à ce qui lui échappait. Effrayée de ce qu’on lui disait, elle supplia Cécile de se tranquilliser, et de rester dans son lit ; mais elle devint tout-à-coup si furieuse, qu’il fallut lui faire violence pour l’empêcher de se lever. Marie, qui ne s’était jamais opposée à ses volontés, se préparait à lui obéir. Ce fut en vain que madame Wyers voulut s’y opposer. Cécile était très-décidée, et Marie obéissait, quoique ce ne fût pas sans beaucoup de peine qu’elle parvint à l’habiller. Cette opération finie, Cécile s’avança vers la porte. Marie, tremblante, l’aidait à marcher ; madame Wyers les devança pour aller chercher des porteurs.

Lorsqu’il fut question de descendre l’escalier, Cécile sentit sa faiblesse : ses jambes plièrent, et la tête lui tourna ; elle l’appuya contre Marie, qui appela du secours, et la fit asseoir en attendant. Il ne fut cependant pas possible de lui faire changer de résolution ; par une opiniâtreté opposée à son caractère, elle y persista constamment ; et Marie, qui croyait ne pouvoir se dispenser de lui obéir, se contentait de pleurer, sans oser la contredire. Ses hôtes montèrent l’un et l’autre pour aider à la soutenir ; le mari offrit de la porter, elle ne voulut pas y consentir ; lorsqu’elle fut au bas de l’escalier, sa tête devint encore plus faible ; elle l’appuya de nouveau sur l’épaule de Marie, et M. Wyers fut obligé de les soutenir toutes deux. Elle persistait cependant à faire de nouveaux efforts pour avancer, quand Delvile parut, et s’élança dans la boutique. Il venait dans l’instant de rencontrer Albani qui, quoiqu’il ignorât son mariage, savait qu’il la connaissait, et lui avait appris où il l’avait laissée.

Il était prêt à demander si cette maison était bien celle qu’il cherchait, lorsqu’il vit son épouse faible, tremblante, appuyée, et presque portée par sa femme-de-chambre… Il recula d’horreur, chancela ; la respiration lui manquait ;… mais voyant qu’ils continuaient à marcher, il avance en criant avec fureur : Arrêtez, arrêtez !… que voulez-vous faire ? monstres cruels, prétendez-vous assassiner ma femme ? Les accents d’une voix qui lui était si bien connue, n’eurent pas plutôt frappé les oreilles de Cécile, que se la rappelant aussi-tôt, elle poussa un cri perçant, et faisant un dernier effort pour le joindre, elle tomba. Delvile s’était précipité pour la recevoir dans ses bras, et prévenir sa chûte ; mais lorsqu’il vit de près son visage, son air et ses yeux égarés, son sang se glaça dans ses veines ; il la regarda quelque temps dans le silence du désespoir. Elle paraissait déjà ne plus se rappeler que c’était lui qui se trouvait auprès d’elle ; épuisée par les efforts qu’elle avait faits pour s’habiller et descendre, elle était immobile, oubliant qu’elle eût dessein d’aller plus loin, et ne pensant pas même à retourner sur ses pas.

Marie, qui était instruite du mariage de Cécile, pria Delvile de lui prescrire ce qu’elle devait faire. Celui-ci passant alors subitement de l’effroi à la fureur et au désespoir, s’écria avec emportement : sauvages inhumains et insensibles, que lui avez-vous fait ? Comment est-elle venue ici ?… qui l’y a conduite ? qui l’y a traînée ?… par quels infâmes traitements l’a-t-on réduite à cet état ? En vérité, Monsieur, répondit Marie, je n’en sais absolument rien. Je vous assure, Monsieur, dit madame Wyers, que cette dame… Paix, je ne veux point entendre vos impostures ; taisez-vous et sortez… Alors se jetant lui-même sur le plancher auprès d’elle : Ô, ma Cécile, s’écria-t-il ! où as-tu été pendant tout ce temps ? Comment t’ai-je perdue ? Quel affreux malheur t’est-il arrivé ?… Réponds-moi, mon ange ; lève ta charmante tête, et parle-moi… Ô, que j’entende ta voix !… dis-moi quelque chose ; les reproches les plus amers, comparés à ce silence, seront une faveur… Cécile le regardant alors fixement, qui êtes-vous ? s’écria-t-elle. Qui suis-je ? lui répondit-il, confus et effrayé. Vous me ferez plaisir de vous en aller, s’écria-t-elle d’un ton d’impatience, car je ne vous connais point. Delvile ignorant encore son délire, et attribuant son empressement à le renvoyer, à un sentiment d’aversion, s’éloigna d’elle, et lui repartit tristement : vous avez bien raison de me méconnaître, de me refuser mon pardon, de m’accabler de votre haine, de vos reproches, et de me condamner à d’éternelles douleurs ! Cette peine est encore trop légère, j’en mérite de beaucoup plus rudes. Je me suis conduit comme un monstre, et je m’abhorre moi-même. Cécile se levant alors à moitié, et le regardant avec autant d’effroi que de colère, s’écria vivement : si votre intention n’est pas de me déchirer et de m’arracher la vie, partez sans différer. Moi, vous déchirer ! répéta Delvile en frémissant, quelle horreur !… Mais je le mérite !… N’avez pas l’air si troublé, et je m’arracherai d’auprès de vous. Permettez seulement que j’aide à vous transporter ailleurs ; je resterai à la distance que vous m’assignerez pour vous garder, et ne vous reverrai que lorsque vous me permettrez de vous approcher.

Comment, comment, s’écria Cécile, d’un ton de colère et d’impatience, ne me direz-vous pas votre nom, et d’où vous venez ? Ne me connaissez-vous pas, repliqua-t-il encore plus consterné, ou voulez-vous m’arracher la vie par une pareille question ? Êtes-vous chargé de quelque commission pour moi de la part de M. Monckton ? — De la part de M. Monckton ?… Non ; mais il vit, et il se rétablira. — J’ai cru que vous étiez vous-même M. Monckton. — Trop cruelle Cécile, avez-vous donc tout-à-fait abandonné Delvile !… Le coupable, le malheureux Delvile… est-il rejetté pour toujours ? L’avez-vous banni entièrement de votre cœur ? Lui refuseriez-vous même une place dans votre mémoire ? Est-ce que votre nom serait Delvile ? — Que voulez-vous dire ? Est-ce moi, ou mon nom, que vous désavouez ? C’est un nom, dit-elle en s’asseyant, qu’il me souvient d’avoir ouï prononcer ; il me fut autrefois bien cher, et je l’ai prononcé trois fois au milieu de la nuit, quand j’ai eu froid, et que j’étais dans les souffrances ; il me soutenait, lorsque j’ai été délaissée : je l’ai répété, et ce nom m’a soulagé. Juste ciel ! s’écria Delvile, elle a perdu la raison. Qu’est-ce que la mort, comparée à un pareil supplice ?

Marie et madame Wyers s’empressèrent à lui rendre compte de sa maladie et de l’aliénation de son esprit, du désir qu’elle avait eu de changer de place, et combien elles avaient eu de peine pour l’en dissuader. Delvile ne leur fit aucune réponse, n’ayant presque pas entendu ce qu’elles lui disaient, le plus affreux désespoir s’était emparé de lui ; il contemplait dans le plus profond silence l’objet de ses espérances et de son affection réduit à l’état de dégradation le plus triste ; son visage pâle et ses forces anéanties augmentaient encore ses terreurs, en lui annonçant la perte prochaine et inévitable de toutes ses espérances.

Une épreuve si cruelle était au-dessus de son courage, sa raison même en fut altérée et les premières expressions de sa douleur furent des gémissements inarticulés. Me serais-tu déjà enlevée, s’écria-t-il ? aurais-je déjà perdu ma Cécile ? Elle était insensible à ce qui se passait, et cependant dans une agitation continuelle, elle tournait rapidement la tête de tous côtés ; ses yeux erraient à l’aventure, et ne paraissaient se fixer sur rien. Quelle horreur ! s’écria Delvile, quel spectacle ! Et s’adressant aux gens de la maison, il leur demanda avec colère ; pourquoi est-elle ici sur le plancher ? ne pouviez-vous pas lui donner un lit ? qui a soin d’elle ? pourquoi ne lui a-t-on pas donné des secours ? Ne me répondez pas… Je ne veux point vous entendre ; volez sur le champ chercher un médecin…, amenez-en deux… amenez-en trois… amenez tous ceux que vous rencontrerez. Alors détournant de nouveau ses regards pour ne point voir Cécile, dont il ne lui était plus possible de soutenir la vue, il consulta Marie sur le lieu où l’on pourrait la transférer. Comme la nuit était déjà fort avancée, et que rien n’était prêt ailleurs pour sa réception, ils convinrent bientôt que le seul parti à prendre était de la reporter dans la chambre qu’elle avait déjà occupée. Delvile voulut essayer de lui rendre lui-même ce service ; mais tremblant et faible il n’eut pas la force de la soulever ; ne pouvant cependant voir plus long-temps une pareille scène, il les conjura de la porter doucement et avec toutes les précautions imaginables ; et la confiant à leurs soins, il courut lui-même chez un médecin.

Cécile résista autant que ses forces le lui permirent ; elle les suppliait de ne pas l’ensevelir vivante, et les assurait qu’elle était prévenue que leur dessein était de la renfermer dans la tombe de M. Monckton. Ils la mirent enfin au lit, où son délire augmenta de plus en plus, et devint continuel.

Delvile arriva bientôt avec un médecin, qu’il n’osa pas suivre dans sa chambre. Il l’attendit au pied de l’escalier, et lorsqu’il descendit, il lui dit avec impétuosité : eh bien, Monsieur, n’y aurait-il plus d’espoir ? Serait-il impossible qu’elle vécût ? Elle est bien mal, Monsieur, répondit-il ; mais je viens de donner des instructions qui peut-être… Peut-être ! interrompit Delvile en frémissant. Ah, ce mot me tue ! — Elle est dans un violent délire ; mais comme elle a une très-grosse fièvre, cela n’est pas extraordinaire, et l’on doit en être moins surpris. Si les remèdes que j’ai ordonnés produisent leur effet, et que la fièvre diminue, tout le reste ira bien. Après cela, il s’en fut, laissant Delvile aussi frappé d’étonnement par ses réponses alarmantes, que si en le consultant il n’eût pas soupçonné qu’elle courût le moindre danger.

Dès qu’il fut un peu remis de sa consternation, il sortit de nouveau pour aller chercher d’autres secours. Il revint, et ramena avec lui deux nouveaux médecins. Ils confirmèrent les ordres que le premier avait déjà donnés, et refusèrent absolument de s’expliquer sur la situation de la malade. Delvile, désespéré et hors de lui-même, les traita tous d’ignorants, et écrivit sur le champ au docteur Lyster, pour le prier de venir tout de suite à Londres pour un cas des plus urgents. Quoiqu’il fût minuit, il alla lui-même chercher quelqu’un qui partit en diligence pour porter sa lettre : étant revenu, il courait à la chambre de Cécile ; mais arrivé à la porte, il s’apperçut que le délire continuait, et sa terreur l’emportant sur son empressement, il se hâta de descendre, et passa le reste de cette longue nuit dans la boutique.